Ariane à Naxos présente plusieurs particularités : tout d'abord dans sa structure, composée d'un Prologue puis d'un Acte unique, par conséquent très long. On remarque aussi qu'un des personnages principaux, le Majordome (René Kollo), ne chante pas. Cela n'est pas une première si l'on se rappelle le Pacha de L'Enlèvement au sérail de Mozart. Quant au Compositeur, rôle principal du Prologue, il est tenu par une mezzo-soprano, ici l'excellente Sophie Koch, que nous n'entendrons plus dans l'Acte qui suit. Ceci étant, dans le Prologue, elle tient la vedette dans un rôle extrêmement difficile, joué ici de façon absolument parfaite, restituant avec beaucoup de force et d'émotion les états d'âme d'un compositeur bafoué. Lorsqu’il est séduit par la non moins excellente Jane Archibald, alias Zerbinette dans l'opéra, on la voit maculée de rouge autour des lèvres. Le baiser n'était pas feint… La mise en scène, vive et très bien menée, organise une remarquable animation sur scène, ce qui contribue grandement au côté à la fois dramatique et cocasse de ce Prologue illuminé par la Primadonna de Renée Fleming, composée avec un naturel à peine suraccentué pour plus de crédibilité. Et ce n'est pas peu dire que la caméra s'en délecte aux détours de nombreux plans.
Dans l'Acte qui lui succède, toutes les voix se montrent tout à fait adaptées à leur rôle. Dès le début, lorsque les trois nymphes (deux sopranos et une alto) chantent en trio, le ravissement s'installe en parfait équilibre avec l'excellent orchestre de la Staatskapelle de Dresde, finement dirigé par Christian Thielemann. Puis c'est au tour de l'immense Renée Fleming en Ariane, de nous régaler d'un grand air (plus de cinq minutes), lui aussi très riche en émotion que porte une voix merveilleuse. Renée Fleming fait ici ses débuts dans le rôle d'Ariane avec tant d'aisance que l'on croirait qu'il fait partie de son répertoire depuis aussi longtemps que le rôle de la Maréchale du Chevalier à la rose ou celui de la Comtesse de Capriccio, rôles dans lesquels elle excelle.
Dans Ariane à Naxos, Richard Strauss mélange avec une très grande adresse une pièce dramatique et une farce. Le côté cocasse est fort bien rendu par d'habiles enchaînements "triste-gai". Ainsi, sitôt après le grand air d'Ariane, apparaissent quatre personnages masculins truculents, dont le numéro s'apparente à celui de nos fameux "Frères Jacques" ! Mais l'inattendu sommet "lyrico-comico-scénique" survient avec l'incroyable performance de Zerbinette (Jane Archibald) qui déroule son grand air de plus de douze minutes sans que l'on ne s'ennuie une seconde ! Du très grand art qui n'est pas sans rappeler celui des vedettes de music-hall américain. De plus, ici, la performance se double d'une très grande aisance au regard d'un texte musical d'une extrême difficulté, au point qu'on restera ébahis par tant de talent… Nos "Frères Jacques" nous gratifient ensuite d'un nouveau numéro !
Le seul rôle important de l'opéra chanté par un homme, celui de Bacchus, est tenu par Robert Dean Smith. Très lyrique, doté d'un timbre de baryton à l'italienne, il nous régale lui aussi jusqu'à la conclusion en compagnie d'Ariane. Enfin, les somptueux décors que l'on doit, comme la mise en scène, à Philippe Arlaud, et les costumes de bon ton d'Andrea Uhmann rehaussent, s'il en était besoin, la qualité totale de cette production captée en public par Brian Large.
Une chose est désormais certaine : cette magistrale exécution d'Ariane à Naxos, et cette rare perfection ne vont pas être concurrencées de sitôt !
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Daniel Barda