Malgré sa brièveté, The Unanswered Question de l'américain Charles Ives demeure un des morceaux les plus fascinants de l'histoire de la musique. Andris Nelsons respecte ici la volonté de Ives, exprimée dans la préface de la partition, selon laquelle l'ensemble de cordes doit si possible être positionné hors scène, les flûtes et la trompette restant dans la salle. Mais ce que nous voyons et entendons ici pose différents problèmes. D'une part, l'hétérogénéité de la prise de son perturbe l'homogénéité de la perception en ce sens que l'orchestre à cordes se trouve dans le foyer et les vents dans la salle. Deux acoustiques qui nuisent à la compréhension de la musique. D'autre part, l’œil est attiré par le fond du foyer où des préparatifs peu discrets derrière le chef, autour du bar, nous empêchent de nous concentrer sur l'interprétation. Dommage car cette version pour orchestre de chambre - Ives ayant prévu également une extension des cordes - d'une durée proche de celle voulue par le compositeur, perd en intensité, et le mouvement fascinant se transforme en simple introduction au concert en salle.
On commencera de fait à apprécier ce programme From the New World à partir de la rarement exécutée Slonimsky's Earbox de John Adams, quand bien même cette pièce n'est pas la plus intéressante de son compositeur. Mais l'œuvre nous permet de plonger de plain-pied dans un univers coloré et rythmique qu'Andris Nelsons dirige avec entrain en dépit de la complexité de l'écriture. C'est même presque une performance d'entendre la machine orchestrale à plein régime et sans relâche alors qu'elle est dirigée de manière si informelle. Même constatation avec Le Chant du Rossignol d'Igor Stravinsky : la direction d'Andris Nelsons se situe à des lieues d'une machine intellectuelle stressée crispée au bout d'une baguette et son visage détendu relève presque du miracle. C'est à cela qu'on reconnaît en réalité l'art et la manière de faire du chef. Une approche qui peut certes décontenancer, voire agacer, tant elle échappe à ce que d'aucuns appellent la "norme interprétative" en matière de gestique. Il apparaît certain qu'Andris Nelsons a su personnaliser l'art de la direction d'orchestre. Il convient de reconnaître également que, sous sa baguette, le "vu" correspond à l' "entendu", ce qui n'est pas toujours le cas avec d'autres chefs !
Avec Andris Nelsons, la Symphonie du Nouveau Monde d'Antonin Dvorak subira l'épreuve du feu. Le chef letton semble avoir conçu l’œuvre en deux parties : les deux premiers mouvements s'étalent en durée, quand les deux suivants reprennent du nerf. Chaque ligne conductrice, mue par le même souci du détail, est mise en place et conduite par un jeu très expressif que l'on peut lire sur le visage du chef, jamais dictatorial et toujours plus attaché à transmettre ses intentions qu'a affirmer de façon intransigeante. On remarquera en outre que certains musiciens de l'Orchestre Symphonique de la Radio Bavaroise - hautboïste et flûtiste, par exemple - semblent capter le message en vivant la musique avec lui, tandis que d'autres paraissent davantage focalisés sur leur partition. Mais l'ensemble fonctionne à merveille. Le Largo de la Symphonie est d'une intensité incroyable, d'une douceur infinie - ce qui est très difficile à obtenir d'un orchestre -, et le chant du cor anglais est proprement inoubliable.
Malgré cette pièce de Charles Ives inaccomplie, et un jeu de caméras parfois inutilement nerveux, nous recommandons sans difficulté cette édition pour son indéniable valeur musicale et artistique.
À noter : Contrairement au DVD de ce programme, l’éditeur C Major n’a pas prévu de menu permettant l’accès direct aux différentes œuvres et aux mouvements. De même, impossible de choisir une piste sonore autrement qu’en changeant à la volée, une fois le programme lancé. Tout cela manque et s’avère peu pratique !
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Nicolas Mesnier-Nature