Comment êtes-vous arrivé dans le secteur de la vente de la musique classique ?
De façon assez classique, j'ai commencé à la Fnac, au rayon classique. À l'époque, cette structure était merveilleuse et j'y ai beaucoup appris. Non seulement le contact avec les gens était privilégié mais on écoutait aussi beaucoup de musique. Nous étions alors très indépendants malgré un encadrement commercial bien présent. J'y suis resté 2 ans puis j'ai été remarqué par une maison de distribution - Média 7 - qui a fait appel à moi alors qu'elle ouvrait un département classique.
Quelle était votre activité chez Média 7…
J'ai tout d'abord été représentant et j'ai développé la partie classique sur Paris. Cela a très bien fonctionné et j'ai pu progresser en interne pour devenir responsable classique. Média 7 était un grand distributeur qui travaillait avec un grand nombre de labels : Chandos, Hyperion… À l'époque cette structure était une des premières à vouloir regrouper le plus grand nombre de labels possibles. Média 7 a ensuite été racheté par Henri de Bodinat, l'ancien PDG de Sony. À partir de ce moment, l'entreprise a périclité jusqu'au dépôt de bilan.
Comment avez-vous alors rebondi ?
Je voulais alors créer ma propre structure et j'ai rencontré Coda Distribution, une société belge qui avait la même image que Média 7. Coda est devenu Codæx car je n'ai pas pu utiliser ce nom pour la France.
Coda a alors changé de nom dans tous les pays où la marque était présente ?
Tout à fait, par souci d'harmonisation, Coda est devenu Codæx. Nous nous efforçons de même d'harmoniser l'image de Codæx, sa communication, ses logos, ses publicités. Nous tendons à développer une identité internationale tout en préservant une totale liberté d'action pour chaque pays.
Pouvez-vous nous expliquer quelles sont aujourd'hui les activités de Codæx France ?
Nous distribuons en France un grand nombre de maisons de disques. Environ 90 % sont des éditeurs de musique classique, et 10 % éditent du jazz et de la variété. Nous sommes avons également développé une activité de vente par correspondance.
Qu'entendez-vous par "représenter" ?
Représenter, c'est tout d'abord vendre sur le marché français les disques étrangers que nous avons sélectionnés, mais surtout de permettre aux artistes de se développer. Notre volonté est de faire connaître les interprètes. Nous avons ainsi réussi à aider des musiciens devenus très célèbres, comme Julia Fischer. Le succès a été tellement grand que le monde entier s'est intéressé à ce que nous avions développé en France autour d'elle et Decca est parvenu à la signer.
Aujourd'hui, il est devenu indispensable d'aider les artistes à se développer car on ne vend plus un répertoire mais un artiste, ce qui me paraît plus sain. Nous nous intéressons à de jeunes artistes et les labels indépendants nous considèrent comme un excellent laboratoire.
Codæx France ne distribue pas seulement des CD …
À côté du CD, nous distribuons la musique sur supports DVD, Blu-ray et aussi SACD.
Comment situer Codæx France par rapport aux autres branches européennes de Codæx ?
Codæx Belgique est la maison-mère, autour de laquelle sont organisés des satellites par pays. Codæx est présent en Grande-Bretagne, en Italie, en Norvège, en Allemagne, au Benelux et bien sûr… en France. Chaque pays a une totale autonomie quant à ce qu'il distribue ou ne distribue pas. Bien sûr chaque branche a des comptes à rendre à sa maison-mère, mais cette grande autonomie permet d'afficher une identité propre à chaque pays. Par exemple, en France, nous avons mis en place depuis 1 an une série de concerts, chose que les autres Codæx ne font pas. Depuis 10 ans, nous publions également une revue qui nous est propre : Péché de classique. Nous avons été les premiers à lancer un magazine, et l'idée a été maintenant reprise par d'autres pays. Je dois dire sans fausse modestie que la France est souvent un miroir pour les autres pays. Il faut reconnaître que notre structure par satellites nous permet d'observer avec facilité ce qui se passe dans les autres pays.
Codæx France peut-il être indépendant quant à la distribution d'un label qui ne serait pas travaillé par d'autres pays ?
Tout à fait. Et c'est même malheureusement le cas pour nombre de labels français qui n'intéressent pas nécessairement nos confrères étrangers. Bien sûr, la totalité des labels distribués dans d'autres pays n'intéressent pas forcément non plus la France. Quoi qu'il en soit, tous les labels sont présentés au sein du groupe Codæx, après quoi chaque directeur de pays considère la viabilité de tel ou tel label.
Combien de labels distribuez-vous et quels sont vos produits phares ?
Nous distribuons une cinquantaine de labels classiques. Mais il est important de préciser que tous ces labels représentent des structures très différentes. Par exemple, le label suédois BIS est riche de quelque 2.000 références, quand certains petits labels français se limitent à 2 ou 3 titres. Il faut ajouter à cela les quelques labels hors-classique que nous distribuons également.
Combien de sorties gérez-vous chaque mois ?
Nous proposons une centaine de nouveautés tous les mois. Notre catalogue est aujourd'hui riche de 15.000 références.
Avec tant de titres disponibles, comment organisez-vous la gestion des stocks ?
Une logistique impressionnante est installée en Belgique, à Lummen. Toutes les commandes sont expédiées depuis la Belgique pour être réceptionnées le lendemain dans les autres pays. Les articles commandés par les magasins leur sont directement envoyés, et nous recevons les commandes de nos clients VPC, que nous redispatchons depuis notre siège de Médan. Nous utilisons un système informatique assez pointu qui permet entre autres de rationaliser le travail de tri pour les personnes qui travaillent dans les stocks et préparent les expéditions pour chaque pays.
Les labels distribués ont-ils des exigences quant à la distribution ?
Aujourd'hui, de moins en moins. Souvent, le fait de savoir que leurs nouveautés sont disponibles sur le territoire français via les magasins ou même seulement Internet leur suffit. Mais nous comprenons tout à fait le type d'exigence qui s'attache à un artiste ou à un produit sur lequel on investit. Cela devient alors une priorité pour tout le monde. Nous n'avons pas à proprement parler à gérer des volontés lourdes de labels qui exigeraient, par exemple, qu'un titre particulier soit un succès. Au final, chaque directeur de Codæx décide de la bonne opportunité ou pas de répondre à la demande du label.
Comment Codæx France fait-il connaître ses produits dès lors qu'une centaine de nouvelles références s'ajoutent aux autres chaque mois ?
Un tri naturel s'opère. D'un côté des disques vont s'adresser à un certain nombre de mélomanes passionnés sur le territoire français et il s’en vendra peut-être entre 30 et 50 copies. Pour certains titres très pointus ce résultat pourra même être tenu pour un succès. De l'autre, certains titres possèdent un potentiel commercial beaucoup plus fort. Nous allons bien sûr communiquer sur ces références et l'équipe commerciale fera son possible pour les mettre en avant dans les magasins.
Nous travaillons actuellement sur un nouveau site Internet qui devrait être lancé en septembre. Il nous permettra de communiquer sur les artistes et sur nos disques. Nous utilisons aussi notre revue mensuelle Péché de classique pour annoncer nos nouveautés. Et, bien sûr, la communication passe par la radio, les journalistes, les revues. Nous essayons de nous frayer un chemin dans ces médias qui accordent, il faut bien le dire, une place de plus en plus réduite à la musique classique. Nous nous efforçons également de jumeler la sortie d'une nouveauté avec un concert.
Que représentent les ventes de DVD et de Blu-ray chez Codæx France ?
Nous vendons de plus en plus par correspondance, et j'ai pu observer chez nos clients une lente ouverture au Blu-ray. C'est certes encore timide, mais je peux témoigner que certains de nos clients rachètent en Blu-ray des titres qu'ils possédaient déjà en DVD, pourtant déjà de très bonne qualité. Les ventes de vidéos classiques s'élèvent chez nous à 30 % du chiffre d'affaires : environ 27 % pour le DVD et 3 % pour le Blu-ray. Pour moi, le marché de la Haute Définition classique est encore très fragile.
Quels sont aujourd'hui les réseaux de distribution les plus porteurs pour la musique classique ?
Le créneau essentiel pour la vente de classique demeure malgré tout le magasin, même s'il y en a de moins en moins et que ceux qui restent ne jouent pas toujours le jeu de la musique classique. Ceci étant, on observe de plus en plus une alternative constituée par le site de vente en ligne Amazon qui draine généralement 20 % de nos ventes. Dans les périodes de Fêtes, on parvient même à obtenir des chiffres d'affaires absolument hallucinants par la vente sur Internet. À Noël, nous faisons 40 % de nos ventes sur Amazon.
Adoptez-vous une politique spécifique pour vendre vos produits sur Amazon ?
Non, rien de spécifique. Sur Amazon, c'est le nombre de clics qui fait remonter un produit dans la hiérarchie des propositions. Mais nous nous efforçons d'être présents également sur les autres sites vépécistes. J'espère aussi que la nouvelle version de notre propre site nous permettra de vendre nos produits avec succès.
Vous proposerez toutes les nouvelles références ?
Le problème n'est pas tant les nouvelles références que le fond de catalogue et la quantité de disques disponibles. De plus, l'amateur de classique recherche toujours une information précise sur ce type de site, comme un Kœchel précis pour une œuvre de Mozart. Notre site actuel ne fournissait pas tous ces détails. Nous y avons travaillé et vous pourrez le constater très prochainement.
Ce nouveau site Codæx sera-t-il spécifique à la France ?
Pas exactement, mais on entrera dans la partie Codæx France par un portail français. Nous allons être la première branche Codæx à nous lancer. Les autres pays vont sans doute nous regarder avec beaucoup d'attention…
Pour présenter vos nouveautés, vous éditez une revue, Pêché de classique. Comment est-elle faite et à qui s'adresse-t-elle ?
Ce magazine propose un grand nombre de critiques écrites par des mélomanes qui y mettent toute leur sensibilité et tout leur cœur. Des mélomanes s'adressent à des mélomanes. Nous leur envoyons nos feuilles de nouveautés et ils choisissent eux-mêmes les disques qu'ils ont envie d'écouter. Ensuite, comme de vrais pigistes, ils nous rendent leurs critiques à une date bien déterminée. Nous n'exigeons jamais une remise de texte si un de nos critiques ne parvient pas à s'exprimer sur un sujet. Nos collaborateurs écrivent avant tout sur ce qu'ils aiment.
Péché de classique propose-t-il toutes les nouveautés que vous sortez ?
Absolument, tous les mois notre magazine présente tout ce que nous distribuons, avec ou sans critique. Qui plus est, cette revue joue également un rôle important de support de vente par correspondance. C'est la raison pour laquelle nous l'avons ouverte à des labels classiques que nous ne distribuons pas en magasins, comme Universal Music Classics. Nous nous approvisionnons dans ce cas à l'étranger afin de pouvoir proposer à nos clients des références susceptibles de les intéresser, comme la collection Éloquence de Decca, qui vient d'Australie. Nous nous apercevons au quotidien que les gens sont très assoiffés de musique classique, de nouveautés comme de références qui ne sont plus distribuées en France. C'est sans doute pour cela que la fréquentation de notre branche VPC ne cesse d'augmenter.
Où trouve-t-on Péché de classique ?
Nous envoyons la version papier à tous nos clients, mais aussi par e-mail à toute notre liste de diffusion. On peut également télécharger notre revue au format PDF sur le site de Codæx France.
Vous organisez régulièrement des concerts au Goethe Institut pour promouvoir les interprètes que vous distribuez…
Nous avons, par le passé, organisé un certain nombre de concerts pour appuyer des sorties de disques, de façon assez sporadique. Mais, depuis un an, nous tavaillons en partenariat avec le Goethe Institut, dans le 16e arrondissement, à Paris. Nous allons du reste reconduire cette initiative - Classique en suites - pour la saison 2011-2012. Le Goethe Institut propose une très belle petite salle de concert de 200 places et nous permet de promouvoir des artistes allemands ou vivant en Allemagne.
N'est-ce pas quelque peu restrictif ? Pensez-vous proposer des concerts ailleurs ?
Nous allons en fait évoluer et nous nous sommes entendus pour proposer aussi de découvrir des artistes français dans un répertoire allemand. Quant à organiser des concerts ailleurs, il faut comprendre qu'un concert mensuel demande déjà pas mal de travail d'organisation. Qui plus est, ce type d'action de communication n'est pas rentable. Nous devons engager des frais pour faire venir les artistes et le budget va même augmenter lorsque nous allons présenter plusieurs musiciens comme le Piano Vienne Trio, le 15 novembre. Mais ces rencontres sont avant tout pour moi un plaisir.
Quel type de spectateurs accueillez-vous ?
Essentiellement des lecteurs de Péché de classique qui sont tenus au courant par le magazine. Nous sommes également partenaire de Radio Classique qui communique de façon assez conséquente sur les concerts et fait gagner quelques places à ses auditeurs. Francis Drésel et Frédéric Lodéon, animateurs sur Radio Classique et France Inter, nous aident efficacement dans cette démarche.
Comment Codæx France existe-t-il par rapport aux majors ?
Aujourd'hui, chacun occupe un créneau bien particulier. Le temps de la guerre des labels est terminé. Mais, en fin de compte, entre Harmonia Mundi, Abeille Musique et les autres distributeurs, personne n'a d'identité propre. Chacun a son propre répertoire et ses labels en distribution exclusive sans pour autant être spécialisé dans un domaine de musique précis.
Quels sont les labels de Codæx France les plus vendeurs ?
Dans le domaine qui intéresse particulièrement Tutti-magazine, nous distribuons Opus Arte, qui représente pour moi la Rolls-Royce de la vidéo classique, et qui génère un chiffre d'affaires très important malgré une baisse des ventes de DVD. Dans le domaine du disque, nos principaux labels sont BIS, qui gère des artistes très connus et un vaste répertoire, et CPO, qui pratique plutôt une politique de répertoire.
Comment voyez-vous l'évolution de Codæx France ?
Notre évolution passe aujourd'hui par l'organisation de ces concerts dont nous avons déjà parlé, mais aussi par une visibilité sur Internet qui devient primordiale dans la mesure où les magasins s'effacent progressivement. Sans oublier le développent du téléchargement, même s'il ne représente aujourd'hui pour nous qu'un chiffre d'affaires d'environ 2 %. Nous développerons aussi la vente par correspondance et nous nous efforcerons toujours de toucher de nouveaux mélomanes. Ils existent, j'en suis intimement persuadé…
Avec la facilité de commander à l'étranger par Internet, ne craignez-vous pas que les achats se fassent à la source, sur les sites des éditeurs ?
En fait, notre fichier de clients augmente de jour en jour et nous avons compris que l'amateur de classique, à côté de sites importants comme Amazon et la Fnac, préfère se fournir auprès du distributeur français plutôt que commander les références directement auprès du label. Je dois aussi avouer que nos clients se montrent extrêmement fidèles. Chez Codæx France, le téléphone ne cesse de sonner et nous recevons pas mal d'e-mails. Les clients nous posent des questions, nous demandent conseil, et même parfois sur des disques que nous ne distribuons pas ! Notre rapport avec nos clients est très privilégié. Ils trouvent en effet chez nous ce qu'ils ne trouvent plus en magasin et privilégient avant tout la communication.
Trouve-t-on vos labels en téléchargement sur votre site ?
Pas encore, mais vous pouvez trouver un certain nombre de labels discographiques sur iTunes. La qualité, malgré la compression, se montre satisfaisante. Mais elle évoluera sans doute encore très vite vers une plus grande qualité. Quant à la vidéo, nous avons déjà proposé des programmes Opus Arte sur WatchTV. Mais les résultats sont aujourd'hui si confidentiels que j'ai omis de vous en parler.
Propos recueillis par Philippe Banel
le 13/07/2011