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Interview de Yu Shao, ténor (2019)

Le ténor Yu Shao a remporté le premier prix du Concours International Bordeaux Médoc Lyrique organisé conjointement par l'Opéra national de Bordeaux et par Musique au Cœur du Médoc. Nous le rencontrons alors qu'il interprète le Steuermann du Vaisseau fantôme à Rennes, Angers et Nantes. L'occasion également d'en savoir plus sur le récital qu'il prépare pour Les Estivales de Musique en Médoc…

Yu Shao (Ténor) et Hervé N'Kaoua (Piano) seront en concert le 10 juillet 2019 au Château Lascombes-Margaux. Ce récital est proposé dans le cadre de la saison des Estivales de Musique en Médoc. Toutes les informations ICI

 

Yu Shao.  © Marine Cessat-Bégler

 

Tutti-magazine : Vous venez de terminer un cycle de cinq représentations de "Fliegende Holländer" à l'Opéra de Rennes où vous chantiez le Steuermann, et vous vous apprêtez à faire de même à Angers et Nantes dans la même production…

Yu Shao : Il s'agit d'une série de treize représentations de l'opéra de Wagner mis en scène par les deux jumelles américaines Beverly et Rebecca Blankenship. De père ténor, elles ont très jeunes suivi leur père dans ses tournées, ce qui les a familiarisées avec le monde de l'opéra, mais aussi à l'allemand car il s'agit de leur langue maternelle… Leur conception du Vaisseau fantôme est à la fois originale et novatrice car tout se déroule dans l'eau. Dans cette approche, le Hollandais est la manifestation de l'esprit mauvais des villageois norvégiens chantés par le chœur, considéré comme personnage central. Dans cet univers, mon rôle représente le seul personnage sympathique et à vrai dire normal. Cette différence me fait passer pour anormal aux yeux du monde et je finis par être tué, tout comme le Hollandais dont toutes les femmes sont éprises et qui succombera à la jalousie des hommes. De la même façon, Senta et Daland seront tués…

 

<i>Le Vaisseau fantôme</i> à l'Opéra de Rennes.  D.R.

Comment chantez-vous dans l'eau ?

Nous évoluons dans un bassin de 30 cm de profondeur rempli d'eau. Cela provoque beaucoup de bruit sur le plateau au moindre déplacement. Entre chaque scène, je retire mes bottes en coulisses pour retirer l'eau qui s'y trouve. Je meurs dans l'eau et je suis totalement trempé à la fin du spectacle, comme quasiment tous mes collègues chanteurs. Heureusement, la température de l'eau est contrôlée et maintenue par une machine à une température de 26°. Cela évite de prendre froid. Plusieurs habilleuses essorent une quarantaine de costumes après chaque représentation. Le théâtre a d'ailleurs investi dans une essoreuse ! À Angers, tout s'est formidablement passé, et j'ai hâte de voir ce que cela va donner à Angers et Nantes.

 

Yu Shao dans le rôle du Steurmann dans <i>Le Vaisseau fantôme</i> mis en scène par Beverly et Rebecca Blankenship.  © Opéra de Rennes

Comment le public a-t-il accueilli cette production ?

L'accueil du public était très positif. J'aime le public rennais, et je suis vraiment séduit par l'ambiance que je trouve dans la ville de Rennes. C'est sans doute une de mes villes françaises préférées. J'y trouve une sorte de mélange entre la Bretagne et l'Angleterre qui me plaît. Les gens sont à l'aise et particulièrement zen. Rennes est également une ville très jeune car elle compte pas moins de trois universités. Les rues, avec de nombreux bars, ont beaucoup de charme. Toujours est-il que je me sens bien à Rennes et que je m'y trouve particulièrement calme.

 

Yu Shao.  D.R.

Nous nous étions rencontrés en 2015 alors que vous étiez à l'Atelier Lyrique. Comment se sont passés vos débuts dans le monde de l'opéra en dehors de la structure que vous avez quittée en 2016 ?

Mon départ de l'Atelier Lyrique s'est fait très naturellement car, au bout de 3 ans, il était temps que je vole de mes propres ailes. Quelques productions m'attendaient, et cela a facilité la transition.

Quels ont été les rendez-vous importants de ces dernières années ?

Lorsque je regarde mon évolution, je ne remarque pas d'événements plus importants que d'autres. Mon parcours évolue très naturellement, à l'image de ma vie, c'est-à-dire étape par étape. Du reste, je suis incapable de sauter une étape car j'ai besoin de continuité en tout… Il en va de même pour les rôles que je chante même si, curieusement, j'ai déjà été distribué dans deux opéras de Wagner : Tristan et Iseult en février dernier à l'Opéra de Montpellier, qui s'est également très bien passé, et ce Vaisseau fantôme dont nous venons de parler. Pour moi qui suis plutôt un ténor mozartien, je chante davantage de Wagner que d'opéras de Mozart. Pour autant, les rôles que je chante chez Wagner sont souvent chantés par des mozartiens. Donc, tout va bien.

En novembre dernier, vous avez remporté le 1er prix au Concours International Bordeaux Médoc Lyrique organisé conjointement par l'ONB et Musique au Cœur du Médoc. Que retirez-vous de cette expérience ?

Je veille à ne jamais forcer mais il est vrai que la voix est en perpétuelle évolution, et ce concours m'a fait prendre conscience que je pouvais chanter avec une certaine assise et une certaine sûreté. Ce prix m'a en quelque sorte rassuré. Cette belle expérience m'a aussi permis de remporter un premier prix qui est vraiment mon premier. Lorsque je me suis présenté au Concours Reine Elisabeth, j'étais plus jeune. Les participants ne sont pas encore lancés dans une carrière lorsqu'ils se présentent au Reine Elisabeth. J'envisage davantage le concours de Bordeaux comme une étape de carrière. J'ai 33 ans, et je pense que j'en resterai là. Éventuellement, je me présenterai en novembre prochain à un concours de lied et de mélodie à Bruxelles. En tout cas je m'y prépare. Je pense sincèrement que, pour bien chanter l'opéra, il faut aussi bien savoir chanter la mélodie et le lied. Je trouve cela même essentiel au niveau de la langue et de la culture allemande et française. C'est un merveilleux outil de connaissance de ces pays. Par ailleurs, le récital implique une connaissance de soi. Cette connaissance s'approfondit avec la vie et enrichit parallèlement l'expression vocale, qu'il s'agisse de récital ou d'opéra. Ma vie est indissociable de la musique.

 

Le ténor Yu Shao en récital.  D.R.

Le 10 juillet prochain, vous êtes invité par Les Estivales de Musique en Médoc pour un récital organisé au Château Lascombes-Margaux. C'est la seconde fois que cette association vous invite. Quels souvenirs gardez-vous de votre récital au château Lynch Moussas en juillet 2015 au côté de Jodie Devos ?

Je me souviens d'un très bon moment partagé avec Jodie, qui est toujours légère et joyeuse. Il est très agréable de chanter avec elle. Pour la petite histoire, je garde aussi l'excellent souvenir d'être parti avec deux magnums de très bon vin car Jodie devant prendre l'avion, elle ne pouvait voyager avec la bouteille que le Château lui avait offerte, et elle me l'a donnée. Je la conserve pour une occasion spéciale !
Le 10 juillet, je serai seul sur scène et je suis très heureux de revenir ainsi pour participer à ce festival qui invite uniquement les chanteurs qui ont gagné un concours important. En outre, je crois bien être le premier chanteur invité pour la seconde fois ! Plus sérieusement, je crois que ce récital va marquer une étape importante dans ma vie musicale.

Votre programme de récital est consacré à l'Amour…

C'est effectivement moi qui ai choisi ce thème éternel, de même que toutes les pièces que je chanterai. J'ai vraiment hâte de partager cela avec le public. En particulier deux chansons chinoises, et le cycle de lieder de Beethoven An die ferne Geliebte, que je n'ai encore jamais chantés en public.

Parlons des quatre chansons chinoises, totalement inconnues en France, que vous allez proposer au public du Château Lascombes-Margaux…

Le chant folklorique kazakh et chant folklorique tatar sont des mélodies populaires qui ont été recueillies à l'Ouest de la Chine et arrangées par Luobin Wang, qui était professeur de musique. Il s'agit de chansons modestes et simples, mais aussi très belles. Quant aux deux autres chansons - "C'est moi" et "Le Pont" -, elles ont été respectivement écrites dans les années 1980 par Jianfen Gu, un compositeur qui a été formé à la musique occidentale, et Zaiyi Lu. Ce sont deux chansons nostalgiques en hommage à la ville natale du compositeur, laquelle n'est d'ailleurs pas très éloignée de la mienne. Il y a 2 ans, j'ai chanté l'une des deux mélodies de Jianfen Gu en Bretagne à Clohars-Carnoët, et je me souviens avoir pleuré tant elle m'avait projeté dans mes souvenirs d'enfance. Cette musique chinoise me met dans un état qu'il m'est impossible de retenir. J'avais fait la même expérience lors d'un récital à l'Amphithéâtre Bastille où j'avais proposé une autre mélodie chinoise. Je n'étais plus simplement un ténor chinois qui chante de la musique classique occidentale, mais moi-même. Les quatre chansons chinoises que je vais chanter en récital dans le Médoc m'identifient réellement.

 

Yu Shao, ténor.  © Marine Cessat-Bégler

Vous débuterez le récital par les Trois sonnets de Pétrarque de Liszt. Quel est votre lien avec cette musique ?

Ma rencontre avec cette œuvre de Liszt remonte à l'Atelier Lyrique. En 2015, nous participions à une académie à Villecroze, et Christian Schirm m'avait proposé de chanter un de ces trois sonnets. Je m'y suis vraiment senti bien et j'ai trouvé la mélodie si belle que j'ai voulu approfondir mon travail sur cette pièce. J'aime l'écriture musicale de Liszt qui n'est pas à proprement parler italienne. Il s'agit d'une inspiration assez complexe, au carrefour de plusieurs inspirations et expressions.

Votre programme propose deux mélodies de Poulenc et Duparc. Votre perfectionnement vocal en France vous a-t-il donné envie de chanter davantage en français ?

Je ne rencontre pas de problème particulier face aux différentes langues. Et même, je me sens particulièrement à l'aise même si je ne parle pas la langue que je chante. Lorsque je chante français ou allemand, on me dit généralement que mon accent est excellent. Je suis en train de préparer Lenski dans Eugène Onéguine, et le russe ne pose pas de problème spécial. Je chanterai plusieurs solos et duos de l'opéra de Tchaikovsky en récital à Clohars-Carnoët, le 15 août, avec le baryton russe Vladimir Kapshuk, qui est aussi issu de l'Atelier Lyrique.
Souvent, on me dit aussi que je possède une voix taillée pour le répertoire français. Pour les ténors, l'opéra français est assez spécial car ils doivent posséder un aigu solide mais léger, ainsi que des graves, et passer au-dessus d'une orchestration importante. Tout cela est assez contradictoire… Pour ma part, je dirais que trois rôles français me correspondent bien : Nadir dans Les Pêcheurs de perles, Gérald dans Lakmé, et Roméo dans Roméo et Juliette. Le rôle de Faust sera pour plus tard. Le reste du répertoire français ne me convient pas vraiment. Quant aux mélodies françaises, je n'en ai pas encore beaucoup chanté, mais compte bien m'y consacrer progressivement. Lorsque j'ai passé le Concours Reine Elisabeth, on avait vu en moi un "bon mélodiste"…

Dans le programme du Château Lascombes-Margaux, vous allez proposer "Cor'ingrato". Chanter un tel tub peut-il provoquer une tension particulière ?

Pas du tout car j'ai déjà chanté cette mélodie italienne que je trouve superbe. Par ailleurs je tiens "Cor'ingrato" pour ma mélodie italienne préférée. Je me réjouis donc de la reprendre pour le public du Médoc. Par ailleurs je ne cherche pas une quelconque gloire pour ce récital. Il s'agit d'une expérience basée sur le plaisir que je souhaite communiquer. J'espère d'ailleurs que les spectateurs seront au rendez-vous et se laisseront aller à cet échange le plus naturellement du monde. Ce devrait être une soirée magnifique…

 

Propos recueillis par Philippe Banel
Le 16 mai 2019


Retrouvez Yu Shao sur Facebook :
www.facebook.com/yu.shao

 

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Concours International Bordeaux Médoc Lyrique
Estivales de musique en Médoc
Hervé N'Kaoua
Musique au Cœur du Médoc
Opéra national de Bordeaux
Yu Shao

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