Tiago Matos chante le rôle de Fiorello dans Le Barbier de Séville de Rossini à l'Opéra Bastille du 19 septembre au 3 novembre 2014. La mise en scène est signée Damiano Michieletto, lequel fait ses débuts à l'Opéra national de Paris dans cette production déjà montée au Grand Théâtre de Genève, et l'orchestre sera placé sous la direction de Carlo Montanaro. Plus de renseignements ICI
Le Barbier de Séville sera filmé le 25 septembre 2014 par Fra Cinema pour une diffusion en direct dans les salles de cinéma à 19H30. Cette captation entre dans le cadre de la saison Viva l'Opéra! des salles UGC. Liste complète des salles en France et à l'étranger ICI
Tutti-magazine : Quand et comment le chant est-il entré dans votre vie ?
Tiago Matos : Cela remonte à mes 2 ans, au sein d'une troupe d'enfants que ma famille a créée. J'ai commencé très tôt à pratiquer le théâtre, le chant et la danse, tout comme la cinquantaine d'enfants qui faisait partie de ce groupe. Il y avait deux spectacles par an, mais nous avions des répétitions toutes les semaines. C'était ma première expérience avec le monde du spectacle… Peu après, je suis rentré dans une troupe folklorique de musique et danse qui m'a permis de voyager à travers l'Europe. Dans ce groupe, je dansais des danses traditionnelles du Nord du Portugal… À 5 ans, mes parents m'ont inscrit à une école de musique où j'ai commencé par le piano. Je ne me sentais pas très attiré par cet instrument mais je l'ai tout de même étudié durant cinq années, ce qui me permet aujourd'hui de me débrouiller. Cela m'aide beaucoup, en particulier dans le déchiffrage… Après l'arrêt des cours de piano, j'envisageais de mettre fin à mes études musicales mais ma mère m'a poussé à continuer en me disant : "Plus tard, tu reconnaîtras que j'avais raison !".
À 15 ans, j'ai eu le choix entre la percussion et le chant. C'est de cette manière que j'ai commencé à étudier le chant à Vila Real, la ville où je suis né. Je crois que ma voix devait déjà avoir mué car je n'ai jamais senti de gêne à ce niveau. Un an plus tard, je changeais de professeur et je prenais des cours à Porto… Puis, à 17 ans, la question de l'orientation s'est posée : continuer le chant ou faire des études universitaires et abandonner la musique ? Malgré mon jeune âge, mon professeur m'a conseillé de passer le concours d'entrée à l'université d'Aveiro, mais pour le cursus chant… Il se trouve que l'université cherchait à ce moment un chanteur pour le rôle du récitant dans La Flûte enchantée. On me l'a confié et c'était mon premier petit rôle dans un opéra. J'ai trouvé ça incroyable. Je n'avais quasiment jamais entendu d'opéra auparavant et cette Flûte a été en quelque sorte une révélation…
Et vous êtes entré à l'université…
Je suis ensuite effectivement entré à l'université d'Aveiro en chant. Parallèlement à ces études, j'étais très souvent engagé pour des petits rôles soit dans le cadre même de l'université soit dans des compagnies qui tournent au Nord du Portugal. Là encore, je me suis retrouvé très vite sur scène…
Étudier le chant à l'université a eu pour effet un changement radical sur le plan technique, mais aussi un changement de vie car j'ai dû quitter ma maison pour m'installer seul dans une autre ville. Je suis resté trois ans à Aveiro. À cette époque, je chantais pas mal et j'ai commencé à interpréter des rôles qui n'étaient pas à proprement parler écrits pour ma voix, comme le rôle du Père dans Hansel et Gretel. Des rôles comme celui-ci ne correspondent pas plus à ma voix aujourd'hui, mais ils m'ont permis de faire un pas en avant car ils aident à se développer.
Vous chantiez beaucoup tout en étudiant. Était-ce par nécessité financière ?
Ces spectacles me permettaient d'économiser pour payer les masterclasses que je suivais. Mes parents subvenaient par ailleurs à mes besoins. Il faut dire que les études que je suivais n'étaient pas onéreuses du tout, et se loger à Aveiro n'est pas se loger à Paris !
Vous avez ensuite participé au programme de la fondation VOICExperience en Floride…
À 20 ans, en 2009, j'ai quitté l'université car je ne voyais pas l'intérêt de préparer un master en enseignement. J'ai alors trouvé un autre professeur de chant, le second qui a vraiment compté et avec lequel je travaille toujours : João Lourenço. Je me rendais à Lisbonne pour travailler avec lui…
En 2010, j'ai cherché à savoir ce que devenait le baryton Sherill Milnes que j'admirais par-dessus tout. C'est de cette façon que je suis tombé sur la fondation VOICExperience qu'il a fondée en 2001. Malheureusement, le prix de la la masterclass s'élevait à 2.500 $, ce qui était alors pour moi une somme considérable, et les inscriptions étaient déjà closes. Mais j'ai pensé que je n'avais rien à perdre et j'ai tout de même envoyé mon dossier. Peu de temps après, Maria Zouves, l'épouse de Sherill Milnes qui s'occupe de l'organisation de la fondation, m'a répondu qu'il y avait une place pour moi si je voulais m'inscrire au programme. La fondation est à Tampa, en Floride, et j'ai dû compter sur une aide financière de ma famille pour m'aider à payer non seulement le billet d'avion qui coûtait très cher, mais aussi cette masterclass si importante à mes yeux. C'était l'expérience de ma vie et il fallait absolument que j'y aille. Sherill Milnes était mon idole et je devais au moins obtenir une leçon avec lui… Je suis donc arrivé à Tampa et là, le programme était énorme ! Environ cinquante jeunes chanteurs ou plus expérimentés étaient rassemblés et une dizaine de professeurs ou coaches étaient là pour les accueillir. Parallèlement à la formation, les stagiaires participaient aussi à des concerts. L'expérience a été incroyable et j'ai beaucoup appris. Aujourd'hui, je peux dire que Sherill Milnes et Maria Zouves, qui est soprano, ont joué un rôle essentiel dans mon développement.
En 2012, vous obtenez un premier prix d'interprétation de mélodie…
Tout à fait, au Portugal. Les concours, pour moi, sont toujours des moments difficiles à passer car j'évite d'entendre ce que proposent les autres chanteurs. Je ne veux être ni influencé ni découragé. C'est la raison pour laquelle je me protège afin de me concentrer au maximum sur mon chant et sur ce que je me suis fixé. En 2012, je me suis présenté à deux concours. Les auditions pour entrer à l'Atelier Lyrique de l'Opéra étaient en avril, et ces concours étaient en juin-juillet et septembre. J'ai gagné le concours de chant organisé par la fondation Rotary du Portugal qui consistait en une bourse qui m'a ensuite permis de retourner aux États-Unis et de financer mon déménagement à Paris.
Le récital était donc déjà important à ce moment de votre parcours…
Bien sûr. C'est à l'université que s'est développé mon goût pour le récital. Avec mon professeur, la soprano Isabel Alcobia, nous avons travaillé la technique vocale, mais aussi l'opéra, des oratorios et des mélodies. Tous ces genres musicaux font partie du cursus. À cette époque je travaillais aussi beaucoup le français, l'anglais, l'allemand et l'espagnol…
Depuis ces années d'université, en matière de récital, j'ai chanté Le Promenoir des deux amants de Debussy à l'Amphithéâtre Bastille, les Trois chansons Op. 10 de Barber et j'essaye de monter les Dichterliebe de Schumann. Ce répertoire m'intéresse énormément et il m'aide à trouver des couleurs que je peux ensuite utiliser dans l'opéra. Mais c'est un art très difficile car il demande à contrôler parfaitement les langues chantées. Je trouve d'ailleurs le répertoire de récital globalement plus difficile que celui de l'opéra.
En 2012 vous entrez donc à l'Atelier Lyrique de l'Opéra national de Paris. Que cherchiez-vous à ce moment ?
Deux options se présentaient à moi : préparer un Master of Music à Yale, aux États-Unis, où j'avais aussi réussi les examens d'entrée, ou intégrer l'Atelier Lyrique de l'Opéra à Paris. À Yale, les études coûtent très cher mais c'est un des rares établissements à pouvoir délivrer une bourse qui couvre la totalité de la scolarité. Or je pouvais bénéficier de cette aide, et il se trouve que j'adore aussi les États-Unis et la façon dont on chante là-bas ! Cette opportunité s'était présentée avant d'auditionner à Paris. Quand je me suis présenté à l'Atelier Lyrique, je savais donc que j'étais déjà pris à Yale… Lorsque j'ai reçu l'avis favorable de l'Opéra de Paris, le choix est devenu très difficile. Je me suis alors dit que le marché de l'opéra est beaucoup plus développé en Europe qu'aux États-Unis, et qu'il est plus facile de commencer une carrière ici. De plus, ce n'était pas n'importe quelle maison d'opéra mais l'Opéra national de Paris ! L'institution m'a séduit. Je dois dire aussi que mon amie pouvait déménager à Paris avec moi plus facilement qu'aux États-Unis. En Europe, les déplacements coûtent beaucoup moins cher. Qui plus est, et heureusement, la formation de l'Atelier Lyrique est totalement prise en charge, ce qui aide beaucoup à pouvoir vivre à Paris… J'ai réfléchi pendant une semaine et j'ai donc choisi l'Opéra de Paris, en particulier en raison de l'ouverture qu'il représente au sein d'une vraie maison d'opéra, même s'il est parfois difficile d'être en permanence sous l'œil des critiques qui assistent aux concerts de l'Atelier Lyrique. Au Portugal, il n'y a pour ainsi dire pas de critiques. Pour vous donner un exemple, sur les quelque cent spectacles auxquels j'ai participé dans mon pays, j'ai dû avoir un seul papier !
Avez-vous été surpris par un aspect du fonctionnement de l'Atelier Lyrique ?
Nous nous devons de toujours nous présenter le mieux possible. Le niveau des concerts ou des spectacles dans lesquels nous nous produisons est tel qu'il n'y a presque pas d'espace pour l'erreur. C'est très exigeant, en particulier pour le travail sur la langue française. Les coaches insistent beaucoup sur les voyelles et les nasales qui sont très difficiles, et nous savons tous que nous sommes attendus sur ce point lors de nos concerts ! Les gens qui vont au concert nous reconnaissent, ce qui est très important pour nous et met aussi une certaine pression : celle de devoir toujours être au mieux de ce que nous pouvons donner. Mais tout cela est normal et un chanteur lyrique doit savoir vivre avec cet impératif, avec le stress, le trac…
Êtes-vous sujet au trac ?
Pas tant que ça. Je suis surtout sujet au trac en récital, au moment d'entrer en scène. Il Mondo della Luna et Don Giovanni créent un stress en raison de la difficulté des rôles, mais je ressens moins cette tension au moment où j'entre sur le plateau. Est-ce le fait d'avancer derrière un personnage ? Pas certain. Quoi qu'il en soit, j'aime autant chanter en récital que jouer un rôle dans un opéra, et l'idéal serait pour moi de construire une carrière à la fois sur le récital, l'opéra, mais aussi l'oratorio, que je ne pratique pas encore en France. J'ai éprouvé beaucoup de plaisir à chanter dans la Symphonie No. 9 de Beethoven au Portugal et en Grèce, et j'espère vraiment pouvoir à nouveau m'exprimer dans ce type d'œuvres.
Votre séjour à l'Atelier Lyrique a été jalonné de récitals et d'opéras. Quels ont été les grands moments de ces deux années ?
Ce qui me vient spontanément à l'esprit est mon premier concert à l'Opéra Garnier lors de la première année. Je savais qu'un concert était prévu en avril sur cette scène avec l'Orchestre national de l'Opéra de Paris, et je savais que j'avais le temps de m'y préparer. Mais dès octobre, Christian Schirm, notre directeur, m'annonçait que nous participions au concert du Prix AROP et que nous allions chanter avec piano dans la grande salle de Garnier, ce dès la mi-novembre ! J'ai reçu cette nouvelle comme un véritable choc et je me suis mis à travailler d'arrache-pied pour présenter "Mein Sehnen, mein Wähnen" de Korngold* ! Je me souviens que la fosse était ouverte. Nous devions donc chanter sur la scène, et non en avant-scène. Une énorme lumière m'éblouissait totalement et je n'ai absolument pas vu le public. Cette première fois s'est jouée en définitive entre le pianiste, moi et la lumière. J'entends encore les applaudissements de ces spectateurs invisibles à la fin du lied et ces bravos m'accompagneront toute ma vie… Le second concert à Garnier, celui-ci avec orchestre, a été aussi un grand moment. Cette fois, je voyais très bien le public, à 1,50 m de moi.
En matière d'opéras, le rôle de Bonafede dans Il Mondo della Luna à la MC 93 de Bobigny compte énormément pour moi car il s'agissait de mon premier rôle important au sein de l'Atelier Lyrique. La mise en scène était parfaite et nous avons tous pris un véritable plaisir à monter ce spectacle dans la bonne humeur générale.
* Voir la vidéo en fin d'article : Tiago Matos chante "Mein Sehnen, Mein Wähnen" tiré de Die tote Stadt de Korngold, accompagné au piano par Phil Richardson. Enregistrement réalisé sur la scène du Palais Garnier en novembre 2012.
Pour ce rôle de Bonafede dans Il Mondo della Luna, le metteur en scène David Lescot utilise votre don pour la comédie et le théâtre. Quelle place accordez-vous au jeu dans votre carrière de chanteur lyrique ?
Le jeu théâtral est essentiel pour moi, ce qui explique sans doute que je me sente à l'aise pour chanter l'opéra. Je tiens là aussi à préserver mon approche des rôles et je me garde bien de visionner des DVD afin de ne pas voir ce que font d'autres chanteurs dans les rôles qui m'intéressent. Ce qui me plaît est de travailler avec un metteur en scène et comprendre son approche du spectacle, pour ensuite traduire ses idées avec mon corps. À ce sujet, dans le cadre de l'Atelier Lyrique, nous avons fait un travail très utile avec la danseuse Christine Landault. Avec elle nous avons travaillé une approche de l'expression par le corps qui nous permet également de chanter. Bonafede est un vieux gaillard de 50 ans qui a deux fils, et avec mon physique de 24 ans, il était très difficile de trouver ce personnage dans son rapport au chant. Cette mise en scène était aussi très physique. Dès le second air, je devais sauter sur un trampoline tout en chantant, ce qui n'était pas évident. Mais, plus on les travaille, plus ce genre de choses évolue dans le bon sens.
En 2014, il y a eu aussi The Rape of Lucretia au Théâtre de l'Athénée…
Le Viol de Lucrèce est l'opéra qui, je pense, m'a le plus touché. Je chantais le rôle de Junius, une sorte de petit Iago, ce qui représentait un pari très important. La façon dont le livret décrit la cruauté humaine est magnifique, et l'idée du metteur en scène Stephen Taylor de traiter l'œuvre en opéra de chambre permettait de souligner le rapport avec l'autre d'une façon très touchante. Le public a d'ailleurs très bien accueilli ce spectacle. Cette musique incroyable est rarement jouée, et cette opportunité de chanter cet opéra de Britten si proche du public et dans un théâtre aussi accueillant était une expérience superbe. Don Giovanni faisait en quelque sorte déjà partie de mon quotidien de baryton, et j'avais déjà chanté les airs en concerts, mais la découverte du Viol de Lucrèce a été une véritable révélation. L'ensemble final est si magique, si bouleversant. J'ai été très heureux de chanter cet opéra au côté d'Agata Schmidt dans le rôle-titre, qui est pour moi une des plus belles artistes de l'Atelier Lyrique. Être complice sur scène d'une telle émotion de jeu était une chance.
Vous avez également chanté le rôle de Don Giovanni lors de votre seconde année à l'Atelier Lyrique…
La mise en scène de Christophe Perton était également très physique et il s'agissait pour moi de parvenir à la fin de l'opéra en pleine puissance vocale. La fatigue ne devait en aucun cas se ressentir au niveau du chant, c'était primordial, surtout pour un chanteur de 25 ans ! Ceci dit, chanter le rôle en intégralité m'a permis de constater les progrès accomplis depuis que j'ai commencé à travailler Don Giovanni, mais aussi mon évolution de représentation en représentation, jusqu'à la dernière. Je me suis senti parfaitement à l'aise dans ce rôle tant sur le plan vocal que sur le plan scénique, et j'ai beaucoup apprécié la manière de travailler de Christophe Perton. Son Don Giovanni est à la fois cruel et impoli. Son seul but est de faire l'amour avant de mourir. Dans cette production, le personnage est blessé dès le départ par le Commandeur. Trouver une femme devient alors une obsession car, pour lui, la femme est synonyme de vie. Aucune de ses approches n'aboutit et le personnage avance avec cette idée qu'il va mourir. À la fin de l'opéra, son corps ne peut plus vivre malgré une volonté toujours présente, et il meurt…
Mais Don Giovanni continue pour moi car j'ai la chance de partir dans cinq jours aux États-Unis où je serai la doublure de Don Giovanni dans la production de VOICExperience. Je vais travailler le rôle avec Sherill Milnes qui est un des plus beaux Don Giovanni de l'Histoire de l'opéra !
Au terme de vos deux ans d'Atelier Lyrique avez-vous trouvé ce que vous étiez venu y chercher ?
Assurément et totalement. Je suis très heureux du travail accompli avec les professeurs et j'ai pu faire la connaissance d'une incroyable professeur de chant, Michelle Wegwart, que je vais continuer à voir… Au terme de ces deux ans je suis également heureux de participer à ma première production dans la prochaine saison de l'Opéra de Paris. Ce sera Le Barbier de Séville dans lequel je chanterai Fiorello du 19 septembre au 3 novembre. Puis ce sera Le Roi Arthus de Chausson du 16 mai au 14 juin 2015, aux côtés de Roberto Alagna et Thomas Hampson sous la direction de Philippe Jordan… C'était un de mes objectifs de chanter au moins une fois sur la scène de l'Opéra de Paris. Ceci étant, si l'occasion ne s'était pas présentée, j'aurais continué à travailler et travailler encore pour y parvenir. Le travail est la clé de l'évolution, mais je dois aussi me souvenir que je suis encore très jeune. Ce qui ne peut se faire aujourd'hui, se fera demain. Chanter Don Giovanni à 25 ans dans une belle production et dans le cadre de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Paris était déjà en soi une formidable expérience. Je retrouverai d'ailleurs l'Atelier Lyrique la saison prochaine, au mois de mars 2015. Je chanterai le rôle de Thoas dans Iphigénie en Tauride au Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines.
Que ressentez-vous au moment de quitter un groupe avec lequel vous avez vécu des choses sans doute très fortes ?
C'est difficile, même avec l'idée d'être présent à l'Opéra de Paris pour la prochaine saison. De nombreux collègues partent et c'est un peu comme si ma seconde famille se séparait. D'autant que pour Don Giovanni, avec les chanteurs qui étaient dans la même distribution que moi, nous avons beaucoup travaillé tout au long des deux mois. Tous les jours nous nous retrouvions pour préparer ce spectacle mais aussi pour discuter ensemble. Puis est arrivée la série de concerts consacrés à Rameau avec Les Folies Françoises qui nous a fait aussi voyager ensemble. Et puis les fêtes que nous avons partagées ont consolidé nos liens. Ces moments sont d'ailleurs très importants car il ne faut pas vivre uniquement concentré sur la musique.
En 2012, Marianne Crebassa nous avait confié qu'un lien spécial reliait les chanteurs des diverses promotions de l'Atelier Lyrique. Qu'en pensez-vous ?
Je vous le confirme. Je me souviens en particulier d'une situation : j'étais dans le métro avec João Pedro Cabral, l'autre chanteur portugais de la promotion. Nous attendions au guichet pour acheter des billets. Une jeune femme s'approche alors de nous et nous demande : "Vous êtes bien à l'Atelier Lyrique ? […] Je suis Elena Tsallagova, enchantée !!!". Ce sentiment d'appartenance me semble très important car il crée un rapport avec notre école qui restera toujours "notre école". Après l'université d'Aveiro, l'Atelier Lyrique est ma deuxième école, une école professionnelle, mais une école tout de même. Tant d'artistes issus de l'Atelier Lyrique font maintenant des carrières que ces liens ont une vraie importance. Nous avons noué des contacts non seulement entre nous mais avec des chefs d'orchestre et d'autres personnes venues travailler à l'Opéra de Paris. Ces liens, je le pense, sont de ceux qui comptent pour un chanteur dans le milieu de l'Opéra mondial et dans la façon dont il évolue. Il faut bien penser que, très souvent, 350 chanteurs se retrouvent à auditionner pour le même projet lyrique ! Après la série des représentations du Barbier de Séville, je compte bien sûr me lancer aussi dans les auditions…
Justement, pour le rôle de Fiorello dans le Barbier de Séville vous serez mis en scène par Damiano Michieletto. Quel regard portez-vous sur les metteurs en scène qui prennent des libertés avec la tradition ?
Je suis toujours partant pour évoluer car c'est une nécessité. Mais, à la base de tout, il faut une bonne idée et une raison pour justifier les choix. J'aurais du mal à m'entendre avec un metteur en scène qui ne pourrait pas m'expliquer pourquoi je dois faire ceci ou cela. Une vraie justification des actes doit toujours être présente, et une bonne mise en scène doit s'appuyer sur une vision globale de l'opéra. Par exemple, le pire serait de diriger une scène dans le seul but de la rendre drôle, sans autre idée pour la porter ! Si un metteur en scène me demandait de chanter dos au public, j'accepterais probablement s'il y a une bonne réponse à cela. Ceci étant, chaque chanteur a une personnalité différente et même souvent particulièrement forte, comme la plupart des artistes…
Lorsque je répétais Don Giovanni, je devais chanter l'aria "Deh, vieni alla finestra", un air très difficile qui demande beaucoup de travail, assis sur le bord d'une chaise et affalé sur le dossier. J'ai alors dit à Christophe Perton que je pensais que ce ne serait pas possible. Il m'a alors demandé d'essayer puis, à force de travailler ainsi, j'y suis arrivé ! Je veux dire par là qu'un interprète doit se montrer ouvert, surtout s'il est jeune. Je pense aussi que nous devons respecter le travail de ceux qui sont responsables de la création d'un spectacle et qui sont payés pour cela. Ils ne sont pas sur scène mais leurs noms sont attachés à la production. Pour cette raison, nous devons faire le possible pour élever leur travail. Enfin, une mise en scène est une collaboration qui doit être basée sur la discussion.
Vous alternerez Le Barbier de Séville avec le rôle du Chanteur de sérénade dans Les Caprices de Marianne de Sauguet que vous allez chanter sur de nombreuses scènes. Comment vous préparez-vous à cette expérience ?
L'alternance ne va pas être évidente, mais je ne chante pas beaucoup dans l'opéra de Sauguet. J'interviens malheureusement uniquement au tout début de l'œuvre, avec une sérénade écrite pour baryton Martin, très française. J'ai passé l'audition pour cette production en janvier 2013 avec cet air. Puis, il y a environ un mois, je l'ai repris et j'ai eu la satisfaction de constater que je me sens aujourd'hui beaucoup plus à l'aise. Cette sérénade est très lyrique et me permet de montrer ma voix. Alors, je dirais que je chante peu mais, ce que je chante est parfait pour ma voix. Les Caprices de Marianne va tourner et je participerai à plusieurs dates. J'envisage de profiter de cette occasion pour auditionner dans les maisons d'opéras où je passerai afin d'œuvrer pour le futur.
Avez-vous un agent ?
Pas encore, et j'imagine que les auditions que je vise seraient sans doute plus simples à organiser si j'en avais un. Mais je dois avouer que je suis très satisfait de ce que j'ai pu moi-même organiser pour la prochaine saison. C'est même un peu une victoire d'y être parvenu seul. Bien sûr, c'est grâce à l'Atelier Lyrique que je peux participer à deux productions de l'Opéra de Paris, à une autre de l'Atelier, ainsi qu'à un concert à Orléans sous la direction de Marius Stieghorst au mois de mai 2015. Ce concert sera placé sous le signe de l'Espagne et je chanterai l'air d'Escamillo de Carmen, les trois chansons de Don Quichotte à Dulcinée de Ravel, et un duo tiré d'une zarzuela avec Andrea Hill, qui est aussi issue de l'Atelier Lyrique. Je le redis, je suis vraiment très heureux de la manière dont cette première année s'annonce pour moi, d'autant que certains de mes collègues de l'Atelier n'ont pas beaucoup d'engagements dans l'immédiat, qu'ils aient d'ailleurs un agent ou pas.
Maintenant que vous vous préparez à voler totalement de vos propres ailes, quelle carrière souhaitez-vous ?
J'adore voyager et j'aimerais que ma carrière ne se cantonne pas à un pays ou à l'Europe en particulier. Aller à la rencontre du monde au travers de mon métier de chanteur est un de mes rêves. Je ne sais pas encore si j'envisagerai tout d'abord de travailler en troupe pendant un ou deux ans… Je crois que la priorité est de trouver un bon agent qui saura faire les bons choix pour moi, c'est-à-dire pour un baryton de 25 ans. J'ai comme exemple devant moi trois barytons qui sont passés par l'Atelier Lyrique et qui font une carrière incroyable : Michal Partyka, Florian Sempey et Alexandre Duhamel. Mais s'ils tiennent aujourd'hui des rôles principaux sur scène, c'est parce qu'ils ont développé leur voix alors qu'ils étaient encore très jeunes. Or ce n'est pas courant pour un baryton. Quant à moi, je dois à la fois être très attentif à mes choix mais aussi à être très bien guidé. Je suis Portugais et ma voix n'obéit pas au même schéma de croissance que, par exemple, un baryton russe. Ce sera un peu plus long, mais je ne suis aucunement pressé…
Où vivez-vous ?
Je vis actuellement en France et je pense y demeurer dans les années qui viennent. Un aspect très important du travail en France pour les chanteurs est le système des intermittents du spectacle, que l'on ne trouve nulle part ailleurs. Cela nous permet de vivre exclusivement de notre travail. Au Portugal, je ne connais qu'un ou deux chanteurs qui parviennent à vivre du chant. Les autres sont obligés de donner des cours. Or enseigner implique de ne plus pouvoir participer à des productions. Impossible de s'absenter un mois pour répéter un spectacle lorsqu'on enseigne dans une école publique avec laquelle on est en contrat. Ces chanteurs font un concert de temps en temps, mais pas plus. C'est une vraie chance qu'offre la France, celle de vivre de son Art et de travailler pour lui.
Quels rôles aimeriez-vous aborder à moyen terme ?
Tous les rôles de Mozart m'intéressent, tout en continuant à chanter Don Giovanni et le Comte. Par exemple, j'aimerais beaucoup chanter Guglielmo dans Cosi fan tutte très prochainement, ainsi que Papageno. Dans Rossini, je pense que Dandini dans La Cenerentola devrait se présenter plus rapidement que Figaro. Mais Figaro fait bien sûr partie de mes désirs… Puis viendront les Donizetti à commencer par Malatesta dans Don Pasquale… Dans le répertoire allemand, Arlequin dans Ariane à Naxos ; et dans l'opéra français, Mercutio dans Roméo et Juliette. C'est à peu près ce que j'envisage pour les 4 ou 5 ans qui viennent…
Sans oublier beaucoup de musique baroque française. J'ai adoré découvrir Rameau, et en particulier Thésée dans Hippolyte et Aricie. Ce rôle est si beau que je vais le proposer lorsque je passerai des auditions. Nous avons fait un travail très important sur Rameau avec Patrick Cohën-Akenine et Les Folies Françoises, ce qui nous a permis de chanter dans les plus grands festivals de France et même d'enregistrer un CD* ! Mon français chanté s'améliore sensiblement, il devient plus facile, et c'est un répertoire que je souhaiterais approfondir sans tarder. Mais, dans l'immédiat, la préparation du rôle de Thoas que je dois chanter en mars prochain me demande beaucoup de travail…
* Rameau chez Madame de Pompadour, chez Nomad Music.
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 16 juillet 2014
Pour en savoir plus sur Tiago Matos :