Tutti-magazine : Hier soir était votre deuxième représentation au Grand-Théâtre de Bordeaux où vous chantez le rôle de Rodolfo dans La Bohème. Comment vous sentez-vous ?
Sébastien Guèze : J'adore chanter au Grand-Théâtre et j'espère que d'autres projets suivront. J'ai l'impression de m'y sentir protégé comme dans un cocon. L'ambiance dans les couloirs est excellente, tant dans les rapports entre artistes qu'avec les personnels du théâtre. Cela aboutit à une bonne humeur générale qui doit se ressentir dans le spectacle. Avec mes collègues, nous plaisantons et avons autant de plaisir à partager la scène qu'à nous retrouver dans Bordeaux. Bref, je me sens plutôt bien tout en sentant l'énergie un peu retomber aujourd'hui, ce qui est normal avec la fatigue au lendemain d'une représentation.
Comment s'est déroulée la période des répétitions ?
Nous avons commencé à répéter le 25 août pour une première le 26 septembre, avec une générale ouverte au public qui a fait salle comble. La façon dont est structurée cette période est sensiblement la même dans tous les théâtres. Seul varie le temps global dédié aux répétitions. La première phase consiste pour le chanteur à découvrir la mise en scène. L'énergie qu'il investit durant les premières semaines est avant tout physique. Vient ensuite une phase de résistance vocale avec l'arrivée de l'orchestre. Pour La Bohème, nous avons fait une répétition italienne* à l'Auditorium, ce qui était particulièrement bienvenu car cela nous a permis de voir les musiciens qui nous accompagnent, alors qu'ils se trouvent dans la fosse lors des spectacles et que certains d'entre eux ont parfois du mal à percevoir les voix des chanteurs de par leur position. Cette étape nous a permis de faire connaissance et de sympathiser ensuite autour d'un verre.
À ce stade, la densité des répétitions s'amplifie et c'est la période la plus difficile pour la voix car il faut enchaîner chaque jour des services d'orchestre. Puis viennent les derniers filages, soit les dernières répétitions avant le grand saut. C'est à ce moment que je peux être amené à tenter le plus de choses…
* À l'opéra, la répétition italienne ou "l'italienne" est la première répétition qui réunit les chanteurs et l'orchestre.
Êtes-vous partisan de chanter pleinement lors d'une générale ?
Je me donne à fond lors de la générale, et quasiment autant à la pré-générale. Il faut dire que le public des générales est habituellement composé de spectateurs qui nous veulent du bien et on peut même percevoir une ambiance sympathique et très familiale.
Une générale donne l'occasion aux familles du personnel et à leurs amis de voir le spectacle, ainsi qu'aux étudiants. Parfois la pré-générale permet d'accueillir de la même façon de nouveaux publics, parfois assez jeunes, ce qui est une façon d'ouvrir l'opéra à une audience plus large en espérant lui donner l'envie de revenir. Alors, c’est sympa de ne pas trop se ménager et même d'être chargé d’intensité.
De quelle façon avez-vous travaillé avec le chef Paul Daniel ?
Paul Daniel est un chef très intelligent, et surtout très malin. Il sait à la fois guider tout en vous laissant croire que vous êtes libre. J'ai aimé, durant les répétitions, qu'il ait un point de vue musical qu'il le défende avec des idées. Il est arrivé quasiment au début des répétitions, et nous avons ainsi pu travailler rapidement avec lui et son assistant Pierre Dumoussaud. Ce que j'apprécie aussi chez Paul Daniel c'est sa très grande finesse sur le plan musical. Chose rare dans La Bohème, il m'a beaucoup poussé à prendre des risques dans les piani et les demi-teintes tout en me rassurant quant à la puissance de l'orchestre. Jusqu'au jour de la première, il m'a permis d'essayer des couleurs plus douces, plus tendres ou moelleuses, et j'ai tout de suite senti qu'il était très à l'écoute. Non seulement il portait cette attention aux chanteurs pendant les répétitions, mais il reste très attentif pendant les représentations, ce qui est très appréciable. Si des nuances n'étaient pas prévues et nous viennent soudainement en fonction de ce qui se passe sur scène, de ce que fait l'orchestre ou tout simplement de l'humeur du jour, il est là et c'est assez formidable.
Cette qualité d'attention est-elle rare chez les chefs ?
C'est très variable. Avec les chefs d'orchestre, comme dans n'importe quelle relation, le contact s'établit et une sorte d'alchimie se met en place ou pas. Mais ce qui conditionne la réussite d'un spectacle c'est avant tout la cohésion qui existe entre la mise en scène, le chef et l'orchestre, ainsi que les chanteurs entre eux. Lorsque tout le monde participe à cette même énergie, cela se voit et s'entend. Il suffit parfois qu'un seul de ces éléments ne participe pas à cette cohésion ou s'exprime sans tenir compte des autres pour que les choses deviennent très compliquées. Il m'est arrivé, par exemple, de travailler avec des chefs qui ne prenaient pas en considération ce que les chanteurs faisaient sur scène. Je me souviens en particulier d'une production où nous avions mis au point pendant les répétitions au piano une vitesse rythmique du jeu et des enchaînements. Puis, avec l'orchestre, le chef est tombé dans une sorte de langueur qui ne correspondait plus à l’énergie dans laquelle nous avions travaillé et tous les effets scéniques tombaient à plat. Il a fallu tout reconstruire différemment. L’inverse est aussi vrai avec un metteur en scène qui ne prendrait pas assez en considération la musique. Si l’orchestre tend à sonner plus fort on peut alors se déconcentrer du jeu scénique pour tomber dans le piège de la surenchère sonore.
Mais quand tout se passe bien, c’est comme si l’on ne faisait plus qu’un, tout le monde s’écoute et respire ensemble. De ces moments naissent des grands moments de musique tels ceux qui font dire qu'on est sous la direction de grands chefs, et que l’on ne chante plus de la même manière !
Deux distributions se partagent les représentations de La Bohème…
La façon dont les choses se sont déroulées pour cette Bohème est un peu particulière car, au début des répétitions, Dimitri Pittas, l'autre ténor, était absent pendant quelques jours. J'étais alors le seul Rodolfo disponible et j'ai travaillé avec les deux distributions. C'était très amusant de constater à cette occasion que l'alchimie entre interprètes aboutit à des résultats différents. Pendant une heure, je chantais avec la première Mimi, Nathalie Manfrino, et l'heure suivante avec celle de la seconde distribution, Elaine Alvarez, et c'était différent. Moi-même, en improvisant, je me déplaçais différemment, mes attentions n'étaient pas les mêmes. Sans perdre en intensité dans les deux cas, c'était en fait une autre histoire racontée avec des personnages et des réactions différents. J'avais cependant autant de plaisir dans un cas comme dans l'autre. Cela prouve, en tout cas, que deux castings pour une même mise en scène aboutissent à deux spectacles différents dans la mesure où les artistes chantent et jouent avec ce qu'ils sont et en aucun cas en reproduisant au millimètre les comportements d’autres collègues.
Après les premiers jours de répétitions, les deux groupes étaient au complet et chacun était convoqué à des heures précises. Nous pouvions assister aux répétitions de nos collègues, ce qui nous a permis de voir dans quelle énergie travaillaient les autres chanteurs. Là encore, il était amusant de constater que, si les deux distributions font des choses très voisines, d'autres sont franchement différentes tout en restant dans l'esprit de la mise en scène. Dès lors, je ne me suis pas senti du tout plongé dans une ambiance de compétition mais, au contraire, dans une atmosphère de travail très saine où chaque chanteur pouvait trouver un temps de répétition lui permettant de s'épanouir. Cette ambiance est à mettre sur le compte de la gestion de cette maison d'opéra. Du reste, dès le premier jour, on nous a dit qu'il n'y aurait pas de différences entre les distributions et qu'il fallait les considérer comme deux équipes s'exprimant en alternance : une belle réussite de management !
La première représentation, le 26 septembre, était aussi la première diffusion en direct d'un opéra depuis le Grand-Théâtre de Bordeaux dans les cinémas. Comment s'est déroulée cette soirée ?
La première est en soi un moment particulier, avec une tension spéciale. Certaines personnes aiment y assister car elles apprécient cette tension. La presse est généralement invitée, ce qui rend la soirée toujours plus électrique. Dans le cas présent, avec la diffusion live, cela ajoutait encore plus de pression. Tout d'abord, nous portions un micro dans les cheveux, pas pour nous amplifier mais pour capter le son pour le cinéma, et nous devions faire attention à ne pas le buter contre nos partenaires. À l'Acte IV, j'ai senti que le fil glissait le long de mon crâne et que je commençais à perdre mon micro. Ce n'était pas simple car il était important de rester concentré, sachant que les caméras captent tout, y compris les regards d’inattention, et que non seulement ce film allait rester mais aussi être vu de manière démultipliée. Mieux valait donc avoir les nerfs solides. D'autant que de nombreuses attentes entouraient cette captation qui représentait un gros enjeu de rayonnement pour l'Opéra de Bordeaux.
En ce qui me concerne, j'ai plutôt travaillé cette Bohème dans un sens de sobriété, ce qu'on pourrait d'ailleurs me reprocher sur le plan théâtral. Mais je cherchais plutôt à ressentir la situation que d'agiter les bras dans tous les sens pour souligner mes pensées. Cela va davantage dans le sens du cinéma où les gros plans permettent de capter l’intensité d’un regard bien mieux qu'un spectateur placé loin de la scène. Ceci étant, je suis de ceux qui croient qu'un sentiment vrai est ressenti même à cinquante mètres.
La Bohème n'est pas votre première captation. Un apprentissage s'opère-t-il au fil des enregistrements ?
Je dirais qu'on évolue dans son métier au fil des rencontres. Par rapport aux caméras, ma rencontre avec le réalisateur Marco Bellocchio sur Rigoletto et d'autres metteurs en scène liés au cinéma m'ont beaucoup appris. Par exemple, je veille à ne pas avoir de mouvements parasites comme des gestes de mains inutiles qui passent très mal sur les plans serrés. Une main placée au niveau du menton ou sur la joue ressort bien trop sur un grand écran. Ce sont de petits détails qu'on apprend en pratiquant son métier.
Vous avez débuté dans le rôle de Rodolfo avec le metteur en scène Graham Vick. Comment votre approche du personnage a-t-elle évolué jusqu'à parvenir à la production de Laurent Laffargue actuellement à l'affiche de l'Opéra de Bordeaux ?
Il m'est impossible d'effacer mon parcours avec le personnage de Rodolfo, mais je n'ai pas pour autant la sensation de commencer une nouvelle Bohème avec un a priori. J'oublie les mises en scène précédentes, un peu comme un disque dur qui écraserait l'ancienne version d'un fichier. Je fonctionne naturellement de cette façon. Pourtant, lorsqu'il m'est arrivé de reprendre une production quelques années après, j'ai constaté que les réflexes acquis durant cette mise en scène apprise plusieurs années auparavant me revenaient comme si je l'avais chantée la veille. C'est une sensation assez curieuse…
Pour une nouvelle production, les gens sont différents, les choses sont disposées autrement et il ne m'est pas possible de reproduire ce que je faisais dans un autre contexte. Comme je vous le disais, dans un même décor, il suffit de changer ne serait-ce que de partenaire pour que le spectacle ne soit plus le même. Tout est question d'échanges et d’écoute sur scène.
En revanche, sur le plan vocal rien ne s’efface, l’expérience s’accumule et votre voix évolue autant naturellement que par votre travail sur l’homogénéité et la musicalité. Je me suis toujours dit que j'atteindrais ma maturité vocale vers quarante ans. Je considère cet âge comme une sorte de période clé et je travaille en ce sens.
Quel type de mise en scène vous correspond généralement le plus ?
J'apprécie beaucoup les metteurs qui ont une vision, une réflexion, mais qui ne l'exposent pas d'entrée de jeu. Certains arrivent et, avant même d'avoir échangé, commencent à donner des indications sur les places et sur ce qu'ils attendent en termes de déplacements. Ça me gêne beaucoup car ce type de démarche coupe l'interprète de sa propre créativité, d’autres possibilités qu'il pourrait explorer, limite l’écoute et laisse peu d'ouverture pour la suite. Je préfère un metteur en scène qui possède une vision très personnelle du spectacle et qui, malgré tout, laisse les chanteurs improviser et proposer quelque chose, pour ensuite partir de ce qu'ils sont et font. Cela me donne un grand sentiment de liberté sur le plateau… Graham Vick fait partie de ces metteurs en scène qui incitent à improviser et proposent d'essayer, quitte à gommer ensuite ce qui ne fonctionne pas pour prendre une autre direction. D'autres metteurs en scène campent sur leur idée. Or si une idée n'est pas bonne, il faut avoir le courage de le reconnaître et en changer. Pour moi, un grand metteur en scène c’est cela. Il se remet en question, vous permet de chercher et, surtout, vous laisse vous sentir libre. Là encore il s'agit d'un échange, et la décision finale lui appartient, car l'improvisation a aussi ses limites.
Votre physique vous destine plutôt à des jeunes premiers. Pour autant ces personnages correspondent-ils à vos aspirations ?
Je dirais que oui dans la mesure où je me perçois plutôt comme un garçon romantique. Ce répertoire me touche et je tends vers ce type de rôles. Quant au physique, j'y vois une manière de travailler dans le même sens. Je ne peux pas me contenter de l'aspect vocal des rôles que je chante, et j'entretiens mon corps pour les composer et rendre les jeunes premiers crédibles sur scène. Je tiens également à me rendre le plus disponible possible pour une mise en scène. J'englobe totalement cette préparation physique avec la préparation vocale, et il y a dans chacune de mes journées une demi-heure à une heure d’entraînement sportif.
Vous avez dit récemment à notre confrère Opera Online que vous aviez chanté avec dix kilos de plus et que c'était bien plus facile…
Oui je l'ai vécu alors j'en parle d'autant plus facilement. Disons que, plus jeune, je me portais bien, et cela m'a permis de constater que, naturellement, il m'était plus facile de sentir une certaine assise vocale. Comme si la voix reposait sur une pyramide dont la base était plus large, donc plus stable… Partant du principe que je souhaite apporter une vraie crédibilité aux jeunes romantiques que je chante, j'ai fait le choix, somme toute assez récent, de renforcer encore ma préparation sportive dans le but d'être pleinement crédible et disponible sur scène. La contrepartie est que je dois aussi travailler plus durement sur le plan vocal en raison d'une assise moindre. Avec un physique plus fin, la base de la charpente est logiquement plus étroite, et cela demande beaucoup de concentration. Je ne veux pas dire par là que la voix serait différente si j'étais plus fort. Il s'agit entièrement de contrôle.
Cette volonté est en quelque sorte ma réponse aux pressions médiatiques, comme celle d'un direct pour le cinéma. J'imagine que les spectateurs qui ont vu Roméo + Juliette avec Leonardo DiCaprio attendent d'un Roméo d'opéra le même genre de physique, même inconsciemment. Or essayer de coller à l'image de DiCaprio n'est pas chose aisée, il faut se battre, repousser toujours plus loin les limites, pour que cela semble simple et facile aux yeux du public.
Avec des opéras rarement programmés comme La Chartreuse de Parme et Djamileh parmi d'autres, et des enregistrements d'œuvres quasi inconnues comme Andromaque, votre répertoire français est particulièrement riche et original. Mais l'investissement dans un apprentissage long de pièces aussi rares est-il judicieux au plan d'une carrière ?
Tout jeune, alors que je faisais du chant au conservatoire, je me suis pris de passion pour les rôles de ténors dans les opéras oubliés. À tel point que j'ai toujours eu dans un petit coin de ma tête, l'idée de construire un programme de récital, voire de disque, qui me permettrait de proposer des airs moins connus mais tout aussi beaux. Participer aux projets que vous avez cités était une manière de contribuer à ce souhait. Pendant mes études, je passais de nombreuses heures à la Bibliothèque Nationale, à la recherche de ces partitions oubliées. Aujourd’hui, c'est plus simple grâce à Internet qui permet l'accès à de nombreuses partitions. Je me revois, à l'époque, noter des airs et des thèmes sur du papier à musique… J'ai davantage chanté et enregistré d'œuvres méconnues au début de ma carrière mais j'essaye toujours de conserver du temps pour cela aujourd'hui. Tout dépend en fait des projets qui se montent.
Le problème, par rapport aux enregistrements de jeunesse, est que la voix est en constante évolution pour parvenir au contrôle de l'instrument et à sa maturité. Doit-on pour autant attendre 40 ans pour enregistrer ? Ces disques correspondent à un stade auquel j'étais parvenu, plein de jeunesse, avec des qualités et des défauts.
Quoi qu'il en soit cette recherche d'œuvres oubliées m'intéresse toujours autant et je travaille actuellement à un projet de récital basé sur un mélange d’airs connus et méconnus.
Le fait qu'il y ait peu de références, voire aucune, pour l'interprétation d'œuvres rares vous apporte-t-il une liberté supplémentaire ?
Je chante en ce moment Bohème, et le rôle de Rodolpho a été marqué par de nombreux ténors, à commencer par Luciano Pavarotti. De mon côté, je fais ce que je peux avec ce que j'ai. Concernant le disque et les grands rôles de ténor, tout a déjà été fait. Alors faire redécouvrir des œuvres oubliées est plutôt ma façon d'apporter une pierre à l'édifice de mon Art, en complément de ce que je chante plus traditionnellement sur scène.
En 2013 vous avez chanté Gontran de Solanges dans Les Mousquetaires au couvent à Lausanne. Vous reprendrez ce rôle dans la même production de Jérôme Deschamps à la fin de cette saison à l'Opéra Comique. Quelle est votre perception de cette opérette ?
Il s'agit pour le coup d'une œuvre totalement différente. J'essaye en général d'organiser ma saison entre des œuvres lyriques, une création et un spectacle plus léger qui peut être une opérette ou un opéra-comique. Je considère d'ailleurs davantage Les Mousquetaires au couvent comme un opéra-comique dans la mesure où Gontran doit vraiment chanter à plusieurs reprises. Une œuvre légère, ou du bel canto comme L'Élixir d'amour, permet de soulager la voix par rapport au répertoire romantique. Les Mousquetaires au couvent sont un peu comme une bouffée d'oxygène très sympathique. Cependant, si l'œuvre est plaisante à jouer, il ne faut pas perdre de vue qu'il y a des dialogues parlés, ce qui est toujours très délicat pour un chanteur qui a l'habitude de l'appui de la musique. Sans cet appui, je me sens finalement assez nu, sans doute car peu habitué à m'en passer. C'est en tout cas un exercice très différent et loin d'être facile. De même, il s'agit d'un sujet léger, mais il me semble bien plus difficile de faire rire une salle que de la faire pleurer.
Le metteur en scène Jérôme Deschamps vous a-t-il beaucoup aidé en ce sens ?
Nous avons créé Les Mousquetaires au couvent à Lausanne il y a environ un an, et Jérôme Deschamps nous a beaucoup guidés. Il a son propre univers et il faut lui faire confiance. Par exemple, pour une scène, il m'avait demandé de rester en place sans rien faire pendant que je chantais, me disant que des choses se dérouleraient derrière moi sans que je les voie. Lorsque je chantais, j'entendais le public rire mais je ne savais pas à propos de quoi. Son univers est fait de tas de petits clins d'œil dont il parsème la mise en scène… Je suis très curieux de voir comment se déroulera la reprise à l'Opéra Comique et comment aura mûri le spectacle.
Juste après cette Bohème, on va vous retrouver à l'Opéra de Metz au côté de votre actuelle Mimi, Nathalie Manfrino, dans l'opéra de Caroline Glory "Un Amour de guerre". Comment définissez-vous l'écriture musicale de cette œuvre ?
Au moment où je vous parle, je connais essentiellement la version chant-piano car je n'ai qu'entre-aperçu le conducteur d'orchestre. J'ai seulement pu repérer quelques entrées d'instruments. Je réserve donc mon avis tant que je n'ai pas pu entendre l'orchestration. Je peux en revanche vous dire qu'il s'agit d'une œuvre tonale, très mélodique, qui évoque pour moi le déroulement d'un film. Je ne sais pas non plus en quoi consistera la mise en scène de Patrick Poivre d'Arvor. L'ambiance est assez mélancolique, ce qui me semble tout à fait logique s'agissant du cadre historique et dramatique de la Première guerre mondiale et des tranchées. La seule chose que je peux ajouter est qu'il y a une jolie fin, et j'invite le public à venir la découvrir.
À partir du 30 janvier 2015, vous chanterez pour la première fois Hoffmann à Wiesbaden. Ce rôle passe pour être un des plus épuisants du répertoire de ténor. Comment appréhendez-vous cette étape ?
Hoffmann est un gros challenge, effectivement. Pour autant ce n'est pas le premier rôle aussi long que je chante. La Chartreuse de Parme était à la fois un opéra très long et difficile. L'œuvre n'étant pas connue, nous n'avions pas non plus une masse de références en la matière. Je peux vous dire que Faust, en comparaison, est une promenade de santé. Dans La Chartreuse de Parme, j'étais constamment sur scène, et il y avait sept changements de costumes. Une vraie folie ! Dans la même veine, un autre opéra épuisant est le Roméo & Juliette de Gounod.
Je chronomètre généralement le temps de présence sur scène et de chant qui me revient dans un opéra. Dans Rigoletto, je dois chanter environ une demi-heure, un petit peu plus dans La Bohème et Traviata, mais avec Roméo & Juliette et L'Élixir d'amour, je passe à environ 1h15. Hoffmann est un rôle de cette veine. Je crois qu'un bon plat de pâtes me sera nécessaire avant chaque représentation !
Difficile de vous en dire plus tant que je ne l'ai pas chanté, si ce n'est que Les Contes d'Hoffmann est le premier opéra intégral que j'ai écouté alors que j'avais 18 ans. Je suis venu assez tard à l'opéra… Le rôle d'Hoffmann m'a toujours fasciné et j'ai cru longtemps que jamais je ne le chanterais. Pourtant, le moment est venu et c'est une vraie prise de risque qui m'attend à Wiesbaden. Cela me renvoie du reste à ce que peut attendre le spectateur qui se rend à l'opéra, de l’idée qu’il s’est faite d’un rôle, ses références : aime-t-il les ténors qui ont la couleur d'un Mario Del Monaco ou celle d'un Alfredo Kraus ? Quoi qu’il en soit il est important de garder à l’esprit qu’un rôle, ici Hoffmann, doit s'inscrire dans une optique qui est propre à chaque interprète, avec sa voix. Je n'aborde pas Hoffmann pour me dénaturer et imiter mais pour créer un personnage qui me sera proche. J'aurai un mois de répétitions pour me préparer. Ce sera dans la version Oeser enrichie de plusieurs numéros repris de l'édition Choudens. Il y aura en tout cas tous les tubes, pour le plus grand bonheur du public !
La scène de Wiesbaden est-elle idéale pour vos débuts dans Hoffmann ?
Je pense que oui, par rapport à la taille de la salle et au cadre agréable de cette ville thermale. Je m'y rendrai un peu avant en éclaireur pour chanter La Bohème. Cela me permettra de me préparer au grand saut annoncé des Contes d'Hoffmann.
Une autre prise de rôle importante vous attend prochainement : celle de Des Grieux dans Manon…
Avec le rôle de Des Grieux, je me rapproche de celui de Roméo. Manon est aussi un opéra long et l'écriture de Massenet est assez large. Je suis d'autant plus heureux de cette prise de rôle qu'elle se fera en France, à Marseille à la rentrée prochaine. Je connais bien cette maison pour y avoir déjà beaucoup chanté et j'apprécie beaucoup l'équipe qui y travaille, c’est chaleureux, plein de soleil. Quant au public, il a le sang chaud ! J’adore ça, et cela me motive comme un lion pour rentrer sur scène. Je prépare pour le public marseillais un Des Grieux survolté.
Votre carrière est internationale et vous oblige à beaucoup voyager et à vous éloigner de votre point d'attache. Comment parvenez-vous à trouver un équilibre dans cette vie ?
Au tout début de ma carrière, j'ai beaucoup chanté à l'étranger et j'essaye à présent de chanter davantage en France, ce qui me permet d'être plus facilement à la maison. Cet éloignement constitue à la fois la richesse et l'inconvénient du métier de chanteur. Voyager permet de découvrir de nouveaux univers mais va forcément de pair avec l'éloignement, et parfois aussi avec un sentiment de solitude. C'est le point le plus délicat lorsqu'on se trouve loin de chez soi. Les réseaux sociaux et autres Skype me permettent de gérer au mieux cette situation. La question que je me pose est d'ailleurs : comment faisait-on avant ? Les notes de téléphone devaient atteindre des montants énormes ! Les nouvelles technologies, assurément, réduisent considérablement la distance. La visioconférence permet de dialoguer facilement avec quelqu'un qui se trouve à l'autre bout du monde et, du coup, on est loin physiquement tout en ayant la sensation d'être proche… Ceci dit, j'adore découvrir des lieux et m'investir dans de nouvelles productions. Et puis il y a aussi les collègues avec lesquels on sort. Nous nous soutenons mutuellement. Les veilles de spectacles sont généralement assez sages car il s'agit de préserver la voix pour le lendemain, mais la période de répétitions est généralement assez heureuse et remplie.
Les chanteurs lyriques de votre génération utilisent de plus en plus les réseaux sociaux pour communiquer. Est-ce un bon moyen de promotion ?
Il n'est pas toujours évident de trouver un espace pour s'exprimer dans un monde où les chanteurs sont nombreux et où la presse ne s'intéresse pas nécessairement à ce que vous faites. Les réseaux sociaux représentent alors une manière d'instaurer un contact plus direct avec ceux qui ont envie de vous suivre après vous avoir vu sur scène. Ce qu'on trouve sur les réseaux sociaux permet d'en savoir un peu plus sur un interprète, ce qu'il a fait et ce qu'il va chanter. C'est aussi une fenêtre ouverte sur un univers, sans pour autant aller trop loin dans ce qui doit rester personnel. J'utilise en fait les réseaux sociaux pour partager ma vision et mon expérience de ténor sur le monde dans lequel je m'exprime, et je le fais le plus souvent par le biais de clins d'œil.
Quelle carrière souhaitez-vous à l'horizon des dix prochaines années ?
L'expérience me montre qu'un monde sépare mon premier Rodolfo en 2006 et celui que je chante en ce moment à Bordeaux. Chacun a ses qualités et ses défauts mais c'est l'évolution vécue entre les deux qui me paraît très importante. D'où l'idée d'installer une ou deux prises de rôles chaque année afin de laisser ensuite le temps faire son œuvre pour les faire grandir. En chantant Hoffmann cet hiver, mon but n'est pas de programmer trois productions des Contes d'Hoffmann dès la saison suivante, mais d'inscrire ce rôle à mon répertoire en le laissant ensuite vieillir comme un bon vin, et le ressortir quelques années après pour mieux le déguster. Le but est donc d’ancrer ce rôle dans mon corps et le laisser reposer et mûrir, comme aujourd'hui avec Rodolfo qui est beaucoup plus enraciné sur le plan vocal qu’à mes débuts. Hoffmann est un des rôles les plus difficiles du répertoire de ténor et a vraiment besoin de ce temps pour évoluer. Alors je fais mes débuts et dans quelques années, mon Hoffmann, comme mon Des Grieux, auront plus de chair et de solidité.
Pour les années qui viennent, mon idéal serait de parvenir à construire un avenir basé sur des rôles que j'ai déjà chantés et qui me libèrent de l'appréhension et de la fatigue des prises de rôles, au côté de quelques rôles clés nouveaux.
Quels rôles voyez-vous pour le futur ?
Je me suis posé cette question il y a quelques jours et j'en suis venu à me dire que j'avais déjà eu l'occasion d'interpréter de nombreux rôles que je rêvais de chanter. Mais il y a naturellement encore des rôles que j'aimerais aborder, comme Werther et Don José. Avec Hoffmann et Des Grieux, c'étaient les quatre grands rôles du répertoire romantique français que j'avais très à cœur de chanter. Sans oublier Don Carlo, en français, que je souhaiterais vraiment pouvoir chanter un jour. Et je ne parle là que des français ! D’ici là un Mozart avec Belmonte ou quelques opéras bel-cantistes et je serai au paradis…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 30 septembre 2014
Pour en savoir plus sur Sébastien Guèze :
À noter : La vidéo ci-dessous présente un montage d'extraits de "L'Élisir d'amour" enregistré au Teatro Sao Pedro de Sao Paolo au Brésil. La mise en scène est signée Walter Neiva, et l'orchestre est dirigé par Emiliano Patarra. Sur scène : Sébastien Guèze (Nemorino), Gabriella Pace (Adina), Saulo Javan, Sebastiao Teixeira et Thayana Roverso.