Focus

Saint-Émilion GC Château Tertre-Rotebœuf 2000 - Piazzolla Café 1930

François Mitjavile - Astor Piazzolla

Je m’appelle Hugo Serres, marchand de vins, écrivain - Ecrit'Vin - et mélomane. Je m’adonne à l’écriture, associe, compare, et extrais la substantifique moelle des vins et d’œuvres musicales pour dégager l’alchimie qui se joue entre ces deux formes d’Art. C'est avec une plume originale, esthétique et romantique que je souhaite vous emmener à la découverte d'un univers épicurien et didactique…

"Les génies bien organisés savent réunir la profondeur dans le sentiment et la légèreté dans l'esprit", a dit Delphine de Girardin. L’immense vigneron François Mitjavile au Château Tertre-Roteboeuf à Saint-Émilion et le bandonéoniste Astor Piazzolla en référence du tango en ont la carrure. L’un vinifie un Saint-Émilion GC dans son Tertre-Roteboeuf sur un millésime 2000, l’autre compose Café 1930 en 1986, un des quatre tableaux d’Histoire du Tango composé de Bordel 1900, Café 1930, Night-club 1960 et Modern-Day Concert.

 

Vignes du Château Tertre Rotebœuf. © Hugo Serres

Le terroir est propice

1929. Le Château du Tertre, désormais Rotebœuf, est référencé dans l’édition du guide Féret, la "Bible" du vignoble bordelais. Les prémices d’un terreau fertile ? Astor, né en 1921, reçoit pour son 8e anniversaire son 1er bandonéon de son père. Déçu, il voulait un saxophone. Capricieux et exigeant, n’est-ce pas les points d’ancrages des talents ? Alors qu’Astor commence à se faire une notoriété à Buenos Aires, en 1948, François vient au monde dans la capitale. L’un et l’autre cherchent alors leur chemin : Astor est un bon tanguera mais bridé par une Argentine restée à la belle époque, quant à François rien ne l’attire sérieusement et certainement pas son bureau dans l’entreprise familiale de transport "Mitjavile". 1969, François met au monde Louis (Domaine de l’Aurage en Côtes-de-Castillon) tandis qu’Astor perd son père et compose un de ses succès : Adiós Nonino.

Le choix est le gâteau du caprice

1978. François, déjà père de Louis et Nina (1975) fait les cent pas, jour et nuit, sur les terres de sa belle-famille alors qu’il travaille au Château Figeac. Il a enfin trouvé sa voie et reprend les vignes dont sa femme Émilie a hérité et renomme les 3.5 hectares : Domaine Le Tertre-Rotebœuf. Drôle de nom ? Tertre signifie "colline", et lorsque les bœufs arpentaient ces vignes en coteaux, ils éructaient. "Je vais mener tout seul ma barque et personne ne pourra m'emmerder. Au départ, je n'avais pas l'intention de faire un grand vin. J'aspirais simplement à une vie heureuse, avoir une propriété qui tourne, et surtout ne pas être jugé. Il se trouve que cette propriété commandait de faire un grand vin, parce que le cru et la qualité étaient là". Colérique, visionnaire et rêveur ? Un génie ! Quant à Astor, l’orchestre qu’il recompose, Quinteto Tango Nuevo rencontre un succès international durant dix ans.

 

Astor Piazzola - <i>Café 1930</i>. © Brilliant Classics

Bucolique et nostalgique

1986. Astor compose Histoire du Tango, dont ce sublime Café 1930 épouse ce millésime 2000 de François. Un rouge rubis, une larme suave, un nez fruité et poivré, mon verre est coruscant. La sensualité de ce vin ne m’est pas totalement inconnue, mon récent séjour au Château cet été me revient à l’esprit avec légèreté et nostalgie. Nous trouvons rapidement que c’est François qui est le père de cet enfant au visage d’Apollon.
Délicatesse, tendresse et douceur n’ont que faire des 22 mois d’élevage en fût neuf de Radoux. Le toucher de bouche est une caresse de femme dans un dos dévêtu. Ce récital de merlot sur les fruits rouges flatteurs et confiturés enrobe mon palais et me laisse cette sensation « queue de paon » qu’un ami et moi évoquons souvent à propos de ces vins suaves, profonds et longs. "Je veux des raisins rôtis !", martèle souvent François. Même romantisme et maturité dans l’œuvre d’Astor où mélancolie et légèreté s’expriment avec intensité à la flûte comme à la guitare.

Sur les traces de Peynaud

"Les vins issus de raisins cueillis au seuil de leur décadence vieillissent mieux que ceux vendangés primeurs et trop croquants. Il faut chercher la fraîcheur dans une légère surmaturation", déclare François. Et quelle fraîcheur ! Le duo fraise-framboise, une pointe mentholée, une agréable note de poivron vert et des arômes de poivres frais me tapissent le palais avec vivacité, fougue et fraîcheur. François s’inspire beaucoup des préceptes de l’œnologue Émile Peynaud, notamment pour la taille en Cordon de Royat et non Guyot comme la plupart des viticulteurs font (méthode adoptée pour lutter contre le phylloxéra, qui aujourd’hui n’a plus lieu d’être). Elle permet d’avoir une meilleure exposition au soleil tout en gardant la fraîcheur du sol comme l’affirme Nina qui travaille avec lui : "De vrais petits bonsaïs à 20 cm du sol ! On gagne un degré de température de différence. Les raisins plus proches du sol, plus au chaud peuvent mûrir plus vite". Ce travail minutieux et dans la lignée du maître bourguignon Henri Jayer a pour effet de produire un vin qui "fait croire aux dégustateurs que votre vin est vieux quand il est jeune, et jeune quand il est vieux". Cette insolente jeunesse est époustouflante et se compare à la vitalité du morceau d’Astor qui transpire à travers le vent de la flûte et l’écume de la guitare. Variations des rythmes, alternance entre vitalité et sérénité, la musique me hérisse le poil, mon œil scintille.

Le grain, la note : l’art du détail

Château Tertre Rotebœuf. © Château Tertre RotebœufLa finesse et l’élégance sont au rendez-vous de ce grand vin. Au Château, à Saint-Laurent-des-Combes, on sait comme chez tous les grands que le vin se fait à la vigne : un ouvrier par hectare est donc requis. "Je privilégie la qualité du fruit ; l'élevage ne fait que développer ce potentiel", assène François. Tout réside dans la qualité du grain pour obtenir une pureté digne des nectars des dieux. Ni vert, ni croquant, ni flétri, ni botrytisé. Juste "après le sommet de la courbe, légèrement sur la descente", comme le veut François sur ses 5.8 hectares. C’est la même qualité de note que cherche Astor : la note juste, au bon moment. Savant assemblage entre instruments, rythmes, résonances et successions dont le tango méritait le dépoussiérage avec subtilité et liberté. "Il était nécessaire de libérer le tango de la monotonie harmonique, mélodique, rythmique et esthétique qui l’engonçait", déclara-t-il.

L’ampleur des grands

Comment ne pas avoir la longueur lorsqu’on a sensualité, fraîcheur, jeunesse, finesse et pureté ? C’est un corollaire ! À cette occasion, l’ami qui a amené ce flacon à l’aveugle, me fait inaugurer, enfin, mes verres à Bordeaux Grand Cru de Riedel. Le modèle est parfait pour donner l’ampleur que le nez exhale, approfondir la matière juteuse et étirer le nectar en bouche. Astor joue de même pour que droiture et rondeur se fondent harmonieusement durant plus de 6 minutes entre les aigus de la flûte et les graves de la guitare.

Sous le soleil exotique

Mon troisième Tertre-Roteboeuf, après 2015 et 2016 goûtés au Château, est une véritable initiation au voyage dans l’univers mitjvalien. "Je tiens à mettre en valeur l’expression du fruit qui ne mûrit jamais de la même manière selon les millésimes", a-t-il à cœur. Souvent austère ailleurs, ce 2000 s’annonce excellent à Saint-Émilion, surtout sur ce terroir avec une exposition sud-sud-est, des vignes en amphithéâtre et un sol argilo-calcaire aride. "C’est le terroir le plus exotique de la côte sud, permettant de rôtir/confire les baies, tout en gardant la fraîcheur", se réjouit François. Un soleil exotique et argentin qui inspire aussi Astor pour varier entre classique et jazz et représenter 4 périodes du Tango : au Bordel en 1900 qui se danse, au Café en 1930 qui s’écoute, en boîte de nuit en 1960 qui s’active et aux temps modernes qui s’interroge. "Quand on crée, il faut avoir son propre style. Sans style, il n’y a pas de musique", assure Astor. En 1985, il est nommé Citoyen illustre de la ville de Buenos Aires, et obtient le Prix Konex de Platine du meilleur musicien de tango avant-gardiste de l’histoire d’Argentine. "Je suis considéré comme un type original, alors que la chose qui paraît aujourd’hui la plus originale dans notre monde, c’est le classicisme", s’étonne François. Leur originalité : leur classicisme ?

Intemporel

1992. Astor meurt et François avoue signer son pire millésime. Il en demeure pourtant encore aujourd’hui bon, de ma récente dégustation, je garde le souvenir "des saveurs plus élégantes, un peu décadentes", que François évoque à son propos. "La mode se démode. Le style, jamais", assurait Coco Chanel…

Hugo Serres
Gérant de Cave Alliée - 5 rue des Roses - 69008 Lyon 8e

 

 

Pour lire le texte de Hugo Serres consacré à la mise en perspectve du Vouvray Goute d'Or 2011 et de la chanson d'Antonio Molina "Adios a Espana", cliquer ICI

 

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Astor Piazzolla
François Mitjavile
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