Tutti-magazine : Quelles sont vos impressions, au lendemain de votre deuxième représentation de "Lucia di Lammermoor" sur la scène de l'Opéra Bastille ?
Rame Lahaj : C'était il y a seulement quelques heures et il est donc facile pour moi de faire appel à mes sensations. Si ma compagne m'a rejoint à Paris, c'est qu'elle a conscience de l'importance de mes débuts dans la Capitale. Elle me demande d'ailleurs souvent pourquoi je ne parviens pas à dormir. Que je ne trouve pas le sommeil la veille du spectacle est une chose qu'elle comprend, mais c'en est une autre de constater que je ne parviens pas à dormir non plus après la représentation. Je sens alors que mon niveau d'adrénaline est vraiment monté très haut et que la responsabilité de devoir donner le meilleur sur scène maintient cette tension bien après la représentation.
Ma carrière a démarré il y a cinq ans et je pense maintenant être non seulement à l'aise mais aussi en capacité de vraiment apprécier de me trouver sur un plateau. Mais faire ses débuts sur une grande scène internationale est une situation spéciale qui engendre chez moi un surcroît de stress. Au point qu'après la représentation, j'ai besoin de quatre ou cinq heures pour calmer le jeu. Je me demande, par exemple, si j'ai vraiment donné tout ce dont je suis capable, si ma nervosité était trop importante ici ou là… Ce questionnement est assez ambivalent car, parallèlement, je reconnais éprouver un sentiment de fierté lorsque je suis parvenu à assurer tout ce que je souhaitais, ou réussi tout ce qu'on attendait de moi à l'issue des répétitions. En effet, j'ai déjà chanté Lucia et je n'ai pas de problème vis-à-vis de la partition, mais les demandes des chefs et des metteurs en scènes peuvent être très différentes en fonction des productions. Si je réussis à répondre à leurs attentes, je me sens fier d'avoir réussi.
Vous avez fait vos débuts à l'Opéra de Paris cette semaine, il y a seulement 3 jours. Avez-vous déjà senti une évolution entre ces deux premières représentations ?
Bien sûr, et je me suis trouvé bien plus détendu pour cette deuxième représentation, en particulier dans la première partie de l'opéra. Naturellement, être moins stressé permet d'obtenir une meilleure qualité de voix. Mais une Première est toujours particulière car, après les répétitions, c'est la toute première vraie rencontre avec le public. Pour moi, les meilleures représentations d'une série sont les seconds ou troisièmes spectacles car les artistes sont plus confiants, mais aussi plus familiers avec le plateau. Or lorsqu'un interprète prend du plaisir à chanter, le public le ressent aussi.
La jeune soprano Nina Minasyan chante le rôle de Lucia à vos côtés. Comment définir le couple que vous formez sur scène ?
Pendant les répétitions, j'ai eu l'occasion de travailler à la fois avec Nina Minasyan et avec Pretty Yende lorsque Piero Pretti ne se sentait pas très bien. Il n'est pas rare qu'un chanteur remplace ainsi un collègue qui a un problème lors des répétitions. C'est la première fois que je chante avec Nina. Elle est donc une nouvelle collègue pour moi, mais je trouve que son caractère très souple en fait une partenaire avec laquelle il est très facile de travailler ou de chanter. Nina est aussi quelqu'un qui encourage les autres, comme l'ensemble des autres collègues de cette distribution. Je partage avec Lucia un grand duo dans la première partie de l'opéra et je reconnais que non seulement, elle chante vraiment bien, mais aussi que j'éprouve beaucoup de plaisir à partager la scène avec elle.
Dans le Bel Canto, les personnages se voient confier de très longues arias, et Edgardo n'échappe pas à la règle. Comment gérez-vous l'énergie pour pouvoir chanter au mieux de vos possibilités ?
J'ai chanté un certain nombre de Rigoletto, un opéra avec lequel je peux faire un parallèle au niveau de la durée des parties que je chante. La gestion de l'énergie est donc une donnée avec laquelle j'ai appris à composer. Pour autant, Edgardo dans Lucia di Lammermoor est le type même de rôle qui fait prendre conscience de ses propres limites, en particulier lors de la dernière scène où il faut enchaîner l'aria, une cabalette particulièrement ardue et le passage où le héros se donne la mort. Cet enchaînement constitue pour moi la partie la plus stressante de l'œuvre. Le fait est qu'il est impossible de se concentrer seulement sur le chant car il convient d'exprimer un certain nombre d'émotions liées à l'évolution du personnage à la fin de l'œuvre : Edgardo découvre le corps de Lucia et décide ensuite de se sacrifier par amour. Ces émotions si fortes qui touchent le personnage peuvent très bien détourner le chanteur de l'attention qu'il porte à la qualité de la ligne de chant. Certains automatismes peuvent alors prendre le relais car il convient aussi de communiquer toute cette teneur dramatique au public. Je crois que, pour cette dernière scène, il est nécessaire de trouver un bon équilibre entre l'aspect technique du chant et les émotions. Le danger serait de se focaliser sur la puissance dramatique du texte car c'est le plus sûr moyen de disqualifier le chant. Cette scène, comme je vous le disais, est vraiment révélatrice des limites du chanteur. Pour preuve, il suffit d'écouter les grands ténors du passé pour se rendre compte que tous se battent réellement contre cette dernière partie… Pour ma part, c'est la première partie de l'opéra qui me procure davantage de plaisir même si, dans cette production, le duo entre Edgardo et Enrico que j'aime beaucoup a été malheureusement coupé.
Dans "Lucia", le personnage d'Edgardo doit patienter très longtemps entre ses différentes interventions. Comment utilisez-vous cette attente en coulisses ?
J'ai l'habitude de manger quelque chose, pas trop, mais c'est nécessaire si je veux avoir suffisamment d'énergie pour la seconde partie de l'opéra. Il doit y avoir plus d'une heure d'intervalle entre mes deux interventions, ce qui représente une coupure assez longue. Il s'agit donc de ne pas laisser ma voix se refroidir. À périodes régulières, je la chauffe par quelques exercices afin de rester en condition de chanter à nouveau le moment venu. Il est également important de se maintenir psychologiquement dans l'idée de revenir sur scène car, lorsque je réapparais dans la seconde partie, c'est un peu comme un second début de spectacle. Qui plus est, la production de l'Opéra de Paris accentue cet aspect en supprimant le duo avec Enrico. À Nancy, ce duo était conservé et il tombait très bien en permettant à la voix de continuer à travailler. La pause en était raccourcie d'autant.
Vous avez chanté Edgardo dans quatre villes françaises : Limoges, Reims, Nancy et Rouen. La production de l'Opéra de Paris vous a-t-elle semblé très différente lorsque vous l'avez découverte ?
Les productions de Rouen et Nancy étaient vraiment d'un abord beaucoup plus simple. Dans celle de Paris, il faut monter, descendre, beaucoup se déplacer. Pour le rôle de Lucia, en particulier, c'est compliqué. Mais je trouve cette mise en scène très belle et réussie. Par ailleurs, lorsqu'on doit s'investir dans une production où il n'est pas facile de jouer et de chanter en même temps, je suis persuadé que l'expérience rend plus fort, et même, qu'elle prépare à d'autres productions. Cela fait seulement cinq ans que je chante de façon professionnelle, mais j'ai déjà pu me rendre compte que les mises en scène actuelles sont de plus en plus modernes et, bien souvent, elles n'aident pas vraiment le travail des chanteurs en leur demandant d'effectuer beaucoup de choses. Lorsqu'on se tourne vers le passé, les chanteurs ne jouaient pas beaucoup leur personnage et, en tout cas, ne se mettaient pas à courir en scène, à sauter ou à danser. Chanter un opéra belcantiste, c'est devoir tenir quatre heures. Le chanteur doit donc être à l'aise et rester quelque peu tranquille car, en bougeant, le diaphragme ne reste pas en place… Je vois dans cette production d'Andrei Serban une sorte de mise en condition pour le futur et pour ce qui m'attend sur d'autres scènes…
Vous êtes né à Istog, au Kosovo, et vous êtes diplômé en informatique. Mais, à 21 ans, vous vous orientez vers une formation musicale professionnelle. Avez-vous soudain trouvé votre vocation ?
J'ai toujours aimé la musique, et ce dès mon plus jeune âge. Mais, comme vous le savez, le Kosovo a un triste passé. Lorsque j'étais enfant, et en particulier avant la guerre dans une petite ville comme Istog, l'enseignement était délivré dans des écoles de fortune car le régime de l'ex-Yougoslavie ne nous autorisait pas à aller à l'école. L'éducation était improvisée et, la plupart du temps, un professeur recrutait quelques élèves et tentait de leur apprendre quelque chose. Dans ce contexte, je n'ai pas eu le luxe de pouvoir apprendre la musique…
Après la guerre, l'éducation est redevenue une préoccupation du Pouvoir qui a alors décidé d'une orientation vers l'informatique et les sciences politiques? Cela était logique car notre pays était neuf. Il se trouve que la technologie m'a toujours intéressé et j'ai répondu "oui" lorsqu'on m'a proposé une spécialisation en informatique. Mais j'ai ensuite compris que cette activité ne correspondait pas vraiment à ce que j'aimais profondément. Au même moment, j'ai réalisé que j'aimais beaucoup chanter, sans pourtant penser à l'opéra. À cette époque, j'étais davantage attiré par la pop, le rock ou le jazz. J'ai alors rencontré un coach vocal professionnel afin de savoir ce qu'il pensait de ma voix. À la fin du premier cours, il s'est tourné vers moi et m'a dit : "Rame, il faut que tu réagisses car tu es déjà vieux ! Pour envisager une carrière dans l'opéra, il aurait fallu que tu commences enfant. Il est maintenant un peu tard. Tu peux essayer dans la musique légère…". C'était il y a dix ans exactement, et j'ai continué à travailler avec lui en cours particuliers.
Puis vous avez déménagé à Tirana, en Albanie…
Effectivement, car il y a à Tirana une tradition musicale et une Académie de musique datant du communisme où l'on trouve de fantastiques professeurs. Quelques mois après mon arrivée en Albanie, on me permettait d'intégrer le Conservatoire où je suis resté 4 ans, de 2004 à 2008. J'ai travaillé d'arrache-pied, 24 heures sur 24 pour finir, à la fin de mes études par décrocher un des meilleurs diplômes.
Mais, au même moment, je recevais une proposition de poste de directeur artistique d'une émission de télé à Pristina, au Kosovo. C'était après la guerre, et je trouvais important de pouvoir contribuer à la renaissance de mon pays qui tentait de se relever. J'ai occupé ce poste jusqu'à 2011 et abandonné le chant pendant tout ce temps car, au Kosovo, on ne chante pas l'opéra. Seuls quelques concerts classiques sont proposés au public. Alors je m'entraînais seul, pour moi.
Quel type d'enseignement avez-vous trouvé à Tirana ?
En Albanie, j'ai eu la chance de pouvoir travailler à l'Académie de musique avec de très bons coaches et de formidables musiciens. Je ne saurais dire si cela est dû au sang qui coule dans les veines des peuples des Balkans, ou s'il s'agit de la fibre musicale méditerranéenne, mais il est fréquent de trouver d'excellents musiciens dans ce pays. Quant à la qualité de l'enseignement culturel en Albanie, il faut y voir la volonté des gouvernements communistes d'avoir investi beaucoup dans cet axe à une certaine époque. Ceux qui sont professeurs aujourd'hui ont souvent été envoyés à Moscou, en Italie ou ailleurs pour continuer leurs études en recevant un enseignement parmi les meilleurs de l'époque. C'est ce qui explique la qualité actuelle de l'enseignement, et j'ai pu en profiter lorsque j'ai étudié à Tirana.
Comment avez-vous repris le chant après les années passées à la télévision en tant que directeur artistique ?
Il se trouve qu'en 2010, j'avais rencontré par hasard celui qui allait être mon premier agent : Josef Hussek. Codirecteur de l'Opéra d'État de Hambourg, il était sur le point de quitter cette fonction quand nous avons commencé à travailler ensemble. Tandis qu'il travaillait à organiser pour moi plusieurs auditions, j'avais besoin d'au moins 2 ou 3 mois pour me remettre à niveau. Croyez-moi, j'ai travaillé très dur pour cela !
Tout d'abord, je me suis rendu en Italie pour retrouver le premier professeur avec lequel j'avais travaillé le répertoire de ténor, Vito Maria Brunetti. Trois mois après, je faisais mes débuts dans le cadre du très ancien Festival d'Eutin en Allemagne. Puis la chance a accompagné mes efforts, car j'ai enchaîné avec Budapest, Dortmund, Bruxelles et Hambourg. Je me retrouvais déjà avec quatre ou cinq productions par saison !
Vous avez donc débuté une carrière professionnelle sans trop de difficultés…
C'est Josef Hussek qui a tout facilité. Un chanteur peut avoir les plus belles qualités, sans agent pour le promouvoir, personne ne connaîtra son existence. Depuis l'année dernière, je travaille avec Michael Morelli de l'agence Crescendi Artists à Copenhague car Josef a cessé son activité. Mais je reconnais combien il a été efficace pour me faire démarrer. À ce titre, il occupe une place très spéciale dans ma vie. Indépendamment de mon propre travail, sans lui, je ne serais pas là où je suis aujourd'hui.
L'été dernier, vous avez remporté le 3e prix Operalia. Pensez-vous qu'un tel prix soit un accélérateur de carrière pour un chanteur ?
Un concours comme Operalia permet de placer le faisceau du projecteur sur de jeunes talents qui commencent une carrière. Dans mon cas, la carrière était déjà lancée mais, sans doute, cela a-t-il ajouté aussi à la visibilité.
Lorsque je me suis présenté à Operalia, j'avais déjà des contrats avec les maisons d'opéras de Paris, Savonlinna, Montréal et Helsinki. J'avais déjà chanté à Berlin, Bruxelles, Hambourg et au Royal Albert Hall avant de décider de me présenter au concours. Ma carrière était donc lancée et cela rendait les enjeux encore plus risqués. Un tel concours n'est pas abordé de la même façon que vous soyez jeune chanteur ou que vous soyez déjà de plain-pied dans le circuit car, dans le second cas, si vous ne remportez pas de prix, vous reculez d'une marche ou deux ! Et j'ai joué de malchance car je me suis retrouvé pour trois jours à l'hôpital à la suite d'une intoxication alimentaire. J'avais passé les deux premiers tours avec succès, mais j'étais sur le point d'annuler ma présence au dernier. Pourtant, le docteur m'a administré ce qu'il fallait et je me suis présenté. J'étais malgré tout en petite forme et j'ai obtenu un troisième prix. Dans d'autres conditions, je pense honnêtement que j'aurais pu prétendre à mieux.
J'ai passé quelques concours en Italie, et je les ai réussis, mais c'était au tout début de ma carrière. Dès que les engagements se sont additionnés, j'ai tourné la page des concours. Mais Operalia était un rêve, peut-être parce que cette institution est très liée au nom de Placido Domingo qui est une légende vivante du chant. C'était un désir très fort en moi de l'approcher, de faire de la musique avec lui et de recueillir ses conseils.
Jusqu'alors vous avez chanté les jeunes amoureux dans "La Bohème"*, "La Traviata, "Rigoletto", "Butterfly" et "Lucia", parmi d'autres opéras. Mais en mars 2017, vous ferez vos débuts dans "Faust" à l'Opéra de Tel-Aviv dans la production de Stefano Poda et sous la direction du chef Dan Ettinger. Voyez-vous ce nouveau rôle comme une étape importante ?
Mon type de voix fait qu'on m'a souvent demandé de chanter l'opéra français. En 2012, Salzbourg m'avait proposé Werther, mais je n'étais pas prêt et j'avais conscience que prendre un tel risque pouvait handicaper ma jeune carrière. Lorsque l'Opéra de Tel-Aviv m'a proposé Faust, je n'ai pas pu dire "non" devant la beauté de l'œuvre.
Mon problème est de ne pas parler français mais, à l'Opéra Bastille, j'ai eu la possibilité de travailler ce rôle avec des répétiteurs de grande qualité. J'ai arrêté à l'approche de la Première de Lucia di Lammermoor mais je reprendrai dès demain et compte m'y atteler chaque jour.
Faust, comme Roméo et Juliette, et quelques autres opéras français, figurent parmi les œuvres que je rêve d'interpréter. Faust représente une étape importante, car le rôle est très long. Au moment où je vous parle je n'ai pas encore tout mémorisé. Mais je peux vous dire une chose : j'ai hâte de chanter cet opéra !
* Voir vidéo en fin d'article : Rame Lahaj et Marina Rebeka interprètent "Che gelida Manina" tiré de La Bohème de Puccini sous la direction de Speranza Scappuci en novembre 2015 au Great Amber Concert Hall de Liepaja en Lettonie.
Faust est un rôle complexe. Comment vous préparez-vous à l'interpréter sur le plan théâtral ?
Je suis tout à fait conscient de la complexité du personnage de Faust, et c'est justement la raison pour laquelle je n'ai pris aucun engagement pour décembre et janvier prochains. Nous commencerons les répétitions à Tel-Aviv en février mais, auparavant, j'ai besoin de me concentrer sur ce rôle et d'étudier. Je pense même revenir en France en début d'année prochaine pour travailler avec des metteurs en scène français que je connais afin de me préparer à ce qui m'attend ensuite en Israël. Un tel processus demande toujours du temps, c'est pourquoi je me donne les moyens de me préparer au mieux à cette prise de rôle.
Nous n'avons pas parlé ni de mélodies ni de lieder…
Je crois que ma voix n'est pas taillée pour le récital. On m'a très souvent invité à chanter des lieder pour des concerts de Noël, mais j'ai toujours refusé. Chanter en français n'est pas facile pour quelqu'un qui ne parle pas la langue, mais le français est parfois proche de l'italien. À l'inverse, je trouve l'allemand bien plus difficile et c'est une des raisons qui fait que les lieder ne font pas partie de mon univers. À ce jour, j'ai toujours aimé ce que je chantais. Or j'ai besoin de ressentir cette affinité avant d'envisager de chanter quoi que ce soit. Je crois que c'est avant tout une histoire de goût personnel.
Vous avez déjà chanté sur de nombreuses scènes de par le monde et vous voyagez beaucoup. Quelles sont les aspects positifs de ce mode d'existence, et les aspects plus difficiles ?
Voyager ainsi à travers le monde et réaliser ainsi mes rêves m'apporte un grand plaisir. En revanche, être en déplacement onze mois sur douze représente une indéniable difficulté avec laquelle il faut composer. Voyez-vous, avant d'arriver à Paris pour Lucia, j'étais à La Réunion. Là-bas c'était l'été et ici, il pleuvait sans discontinuer ! Il faut également vivre avec les décalages horaires. Mon corps est assez sensible à tous ces changements permanents et c'est en cela que réside pour moi la plus grande difficulté : ne pas laisser suffisamment de temps à mon organisme pour retrouver un équilibre là où je me trouve pour chanter. Je passe mon temps à bouger. Par exemple, je reste six semaines dans une ville, puis quatre semaines dans une autre ville avec un saut de puce ailleurs pour participer à un concert. La fréquence de ces déplacements est un vrai problème car elle provoque en moi une véritable souffrance pour parvenir à être suffisamment fort et à donner un maximum sur scène. Généralement, il me faut entre deux et trois semaines pour m'adapter totalement à un nouveau rythme de vie.
Pour autant, ces nombreux voyages ne me permettent pas non plus de vraiment profiter des villes où je m'installe pour un certain temps. Par exemple, je suis à Paris depuis un mois et la plupart des gens doit penser que j'ai eu amplement le temps de répéter et de sortir pour visiter la Capitale. Mais je dois compter avec des paramètres propres aux chanteurs : s'il y a trop de soleil ou trop de sécheresse, ce n'est pas bon pour la voix. Au printemps, il suffit qu'il y ait du vent pour décider de rester au chaud. Avec des répétitions qui durent de six à huit heures par jour, si vous ne chantez pas constamment, vous devez néanmoins faire acte de présence. Il n'est donc pas question de prendre des risques. De plus, le repos et le sommeil sont indispensables pour récupérer non seulement des répétitions, mais du décalage horaire. Alors, bien sûr, j'essaye de voir les incontournables, comme Le Louvre à Paris, mais il est difficile de découvrir davantage… Je vois ma vie de chanteur comme un sacrifice total au chant. Un sacrifice consenti, bien sûr, puisque c'est une vie que j'ai choisie.
Dans quelques jours vous allez fêter vos 33 ans. Quels souhaits feriez-vous à l'horizon des prochaines années ?
Avant toute chose, j'espère être en bonne santé car c'est ce qui conditionne le fait de voyager et de chanter. Ensuite, j'espère être heureux aux côtés des gens qui partagent ma vie dédiée à la musique. Le reste, pour moi, est une question de chance…
Que pouvez-vous annoncer pour le futur ?
Avec mon agent, nous planifions entre cinq et six productions par saison, tout en sachant que, peut-être, deux d'entre-elles seront annulées pour diverses raisons… Je me prépare à faire bientôt quelques concerts en Norvège où je chanterai des airs d'opéras, puis ce sera le moment de me lancer à corps perdu dans cette prise de rôle si importante de Faust. Je me réjouis ensuite de retrouver Rigoletto à Salerne sous la direction du grand chef d'orchestre Daniel Oren. Puis je me rendrai au Festival de Savonlinna en Finlande, et toujours en Finlande pour Rigoletto que je dois également chanter à Montréal la prochaine saison. Je reviendrai aussi à l'Opéra de Paris pour La Traviata. Voilà globalement ce que je peux annoncer. Le reste est en phase d'être signé. Naturellement, en ce début de carrière, je me concentre également sur les nouveaux rôles que je souhaite ajouter à mon répertoire…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 30 octobre 2016
Pour en savoir plus sur Rame Lahaj :
www.ramelahaj.com