Pavol Breslik est à l'affiche de La Flûte enchantée de Mozart à l'Opéra Bastille jusqu'au 15 avril 2014. Il interprète le rôle de Tamino dans la production de Robert Carsen sous la direction de Philippe Jordan aux côtés de Daniel Schmutzhard (Papageno), Julia Kleiter (Pamina), Sabine Devieilhe (la Reine de la Nuit), Franz Josef Selig (Sarastro), François Piolino (Monostatos) et Regula Mühlemann (Papagena) dans les rôles principaux. Plus de renseignements ICI
Pavol Breslik sera également en récital à l'Amphithéâtre Bastille le 3 avril 2014 à 20h dans le cadre de la saison "Convergences" élaborée par Christophe Ghristi. Il interprétera à cette occasion le cycle "La Belle meunière" de Schubert, accompagné au piano par Amir Katz. Plus d'informations ICI
Tutti-magazine : Vous avez fait vos débuts à l'Opéra de Paris le 11 mars dans le rôle de Tamino dans La Flûte enchantée. Comment vivez-vous cette nouvelle étape ?
Pavol Breslik : Ces débuts se déroulent parfaitement. J'ai très souvent chanté à Paris, une ville que j'adore, que ce soit au Théâtre du Châtelet, à Radio France ou au Théâtre des Champs-Élysées, mais jusqu'alors je voyais un peu l'Opéra de Paris comme une grande maison dont la porte était fermée. Je suis donc très heureux qu'une collaboration débute, et en particulier avec Robert Carsen et Philippe Jordan, que j'ai rencontré lorsque j'ai débuté à Berlin. Il était alors assistant de Daniel Barenboim. Avec lui, j'ai chanté L'Enlèvement au sérail et Cosi fan tutte. Cette Flûte enchantée s'inscrit dès lors dans une sorte de prolongement.
L'Opéra Bastille peut se montrer impressionnant…
La taille de cette salle fait un peu peur au début, mais je trouve que l'acoustique est si formidable que nul besoin est de forcer la voix. Tout passe très bien. Nous sommes bien sûr amplifiés pour les dialogues car les chanteurs ne sont pas des acteurs. Parler est très différent de chanter…
Et du côté de la distribution de cette Flûte enchantée ?
Lorsqu'on débute une production et que les chanteurs ne se connaissent pas, les premiers jours permettent de faire connaissance progressivement. Quatre ou cinq semaines après, quand arrive le soir de la Première avec le stress qu'elle génère, les chanteurs se sentent comme faisant partie d'une famille adoptive. Cette famille reste constituée jusqu'au moment où tout le monde se sépare pour aller chanter dans une autre maison d'opéra avec l'idée de se retrouver peut-être un jour…
La mise en scène de cette Flûte est signée Robert Carsen et vous la connaissez déjà pour y avoir chanté lors du festival de Pâques de Baden-Baden en 2013. Trouvez-vous des différences dans la version parisienne ?
Robert Carsen a modifié certains détails mais le rôle de Tamino, comme celui de Sarastro, de la Reine de la Nuit ou d'autres personnages, restent fidèles à son approche dans la production de Baden-Baden. Mais Franz Josef Selig, Sabine Devieilhe et Julia Kleiter, entre autres chanteurs, ne sont pas ceux de la création. À Baden-Baden, la distribution était vraiment différente et, à Paris, Robert a façonné les rôles par rapport à la personnalité des interprètes.
Pour moi, la différence la plus importante se situe davantage dans la fosse : Simon Rattle dirigeait à Baden-Baen et Philippe Jordan à Bastille. Musicalement, cela est fondamentalement différent, que ce soit au niveau des tempi, de la façon d'aborder les arias ou de la dynamique. Ces deux approches musicales ne sont pas comparables.
Trouvez-vous compliqué de passer d'un chef d'orchestre à un autre pour une même œuvre ?
Réussir dans le monde de l'opéra demande à un chanteur de devenir une sorte de caméléon. Bien sûr, il faut conserver sa personnalité, sa technique et sa manière de s'exprimer, mais chaque chef d'orchestre demande des choses différentes. Les répétitions servent justement à s'accorder et à trouver des compromis lorsque les optiques diffèrent. En réalité, ces changements naissent toujours d'un dialogue entre le chanteur et le chef d'orchestre… Or ici, avec Philippe Jordan, cela se passe très bien. Je dois dire que j'apprécie dans la fosse un chef d'orchestre bien présent, qui chante avec l'interprète et lui donne le temps de respirer. Un chef qui construit le personnage et les phrases avec vous. Tout cela donne au chanteur l'énergie dont il a besoin. Face à un chef qui ne sait pas quoi faire, c'est au chanteur de tenir l'orchestre et c'est loin d'être évident car il n'est pas en contact avec les musiciens.
Cette situation vous est-elle déjà arrivée ?
Oui, et même dans une grande maison d'opéra ! Il m'est arrivé de devoir travailler avec un chef que je ne qualifierais pas de "nul" mais qui brillait plutôt par son absence. Il a donc fallu communiquer avec le premier violon pour parvenir à être ensemble… La communication entre le chef et la scène est très importante car tous les opéras comportent des moments où le chef doit accompagner le chanteur, où il doit voir s'il respire ou non, et s'il faut accélérer légèrement parce qu'il manque de souffle. Les chefs qui dirigent uniquement les œuvres symphoniques ignorent ce genre de choses. De la même façon, un chef qui dirige très bien l'opéra sera sans doute très mal à l'aise s'il s'agit de diriger un ballet !
Que pensez-vous de la jeune génération de chefs d'orchestres ?
Il y a bien sûr des chefs comme Christian Thielemann qui excelle dans Strauss, Philippe Jordan ou Franz Wellser-Möst à Vienne, mais j'ai l'impression que la génération des grands chefs d'orchestres qui ont marqué l'opéra est plutôt derrière nous. La disparition de Claudio Abbado et les chefs qui ne dirigent plus accentuent ce sentiment. Peu de jeunes chefs d'orchestre travaillent avec les chanteurs, ce qui est dramatique. Heureusement, quelques-uns, comme Philippe Jordan, participent à ce travail indispensable… Je chante La Flûte enchantée depuis 10 ans. Pourtant, un passage avec récitatif particulièrement difficile me pose toujours problème. Philippe m'a expliqué comment il envisageait ce passage et cela m'a permis de profiter de son point de vue différent. Tout à coup, cet éclairage m'a permis d'envisager le problème autrement.
Dans la mise en scène de Robert Carsen, vous passez par la salle pour gagner la scène et vous chantez parfois sur une passerelle entourant l'orchestre, dos au chef et à l'orchestre. Ce rapport différent avec le public est-il déstabilisant ?
Je ne pense pas dans la mesure où j'aime avoir un contact avec le public et même me retrouver au milieu des spectateurs. Le public est partie intégrante d'un spectacle. C'est lui qui fait l'atmosphère dans laquelle nous nous exprimons. Si le chef d'orchestre est un élément capital d'une représentation d'opéra, le public en est un autre. S'il réagit, tout se passe bien. S'il ne réagit pas, un chanteur, comme doit le faire un acteur, se met en état d'alerte et se demande ce qui se passe. Dans La Flûte enchantée, se rapprocher du public permet de sentir cette électricité qui circule entre l'interprète et les spectateurs.
Est-ce une impression comparable à celle que vous ressentez en récital ?
Je dirais que oui dans la mesure où je privilégie l'intimité des petites salles, justement pour sentir la qualité d'attention et d'écoute des spectateurs.
Avant de débuter les répétitions pour La Flûte enchantée à l'Opéra Bastille, vous avez chanté le rôle de Nadir dans Les Pêcheur de perles à Zürich. En novembre dernier vous avez fait vos débuts dans le rôle-titre de Faust sur la même scène, et votre site Internet indique que vous vous intéressez au rôle de Des Grieux. Quel est votre rapport à l'opéra français ?
Je ne suis pas encore au stade d'aborder le rôle de Des Grieux, en revanche j'ai débuté mon travail personnel d'approche de Manon. Il s'agit d'un projet à long terme… Mais il est vrai que j'adore la musique française. Je dois aussi reconnaître ma chance de pouvoir chanter ce que j'aime profondément. Si, pour des raisons financières, j'étais tenu de chanter des œuvres que je n'aime pas, je crois que je changerais de métier. Ce que je chante doit me rendre heureux. Or la musique française me procure une joie extraordinaire. Après Faust et Nadir, j'espère pouvoir poursuivre mon incursion dans l'opéra français.
La langue française chantée vous pose-t-elle une difficulté ?
J'ai rencontré des difficultés liées à la prononciation lorsque j'ai commencé à étudier Faust. Je me suis même dit : "Comment vais-je m'en sortir ?". Mais le pianiste français avec lequel je travaillais ainsi que mon professeur m'ont beaucoup aidé en me conseillant de neutraliser les voyelles. Par exemple, il ne faut pas chercher à fermer les "e" ou trop ouvrir à d'autres moments car la couleur de la voix doit rester constante. C'est certainement quelque chose d'entièrement technique que chaque chanteur doit trouver, car ce qui fonctionne pour l'un ne sera pas nécessairement ce qui conviendra à l'autre. Bien sûr, il ne s'agit pas non plus de chanter de telle façon que personne ne comprenne le moindre mot ! Il y a un équilibre à trouver entre le confort vocal et l'intelligibilité.
De nombreux chanteurs trouvent la musique de Gounod difficile car écrite comme pour un instrument. Qu'en pensez-vous ?
La voix est un instrument. Ceci étant, je n'ai pas été confronté à un problème spécifique par rapport à l'écriture de Gounod. D'autres compositeurs, en revanche, peuvent oublier la spécificité de la voix chantée, et même Mozart. Dans L'Enlèvement au sérail, après le troisième air de Belmonte, "Wenn der feunde tränen flissen", la coda est véritablement faite pour un instrument et je ne connais personne à même de la chanter telle qu'elle est écrite. Je n'ai pas trouvé cela chez Gounod et en tout cas je n'ai ressenti à aucun moment que cette musique était inchantable. En revanche, le début de Faust est très difficile quant à la gestion de l'énergie car le ténor reste constamment en scène et doit enchaîner de nombreux numéros : l'introduction, le duo avec Méphistophélès, la kermesse, son air, le quatuor et à nouveau un duo. Sous cet angle, Faust est difficile. Mais il en va de même pour Nemorino dans L'Élixir d'amour, qui reste sur scène durant tout l'Acte I. Ensuite, c'est un peu moins tendu et c'est la même chose pour Faust. Je vais d'ailleurs chanter ce rôle à Berlin et je le reprendrai à Zürich…
Vous êtes né en Slovaquie et vous avez commencé votre formation musicale à Bratislava. Puis, en 2002-03 vous avez étudié au CNIPAL de Marseille. Que vous ont apporté ces études vocales en France ?
J'avais 23 ans lorsque je suis arrivé en France, et j'ai été confronté à un monde totalement différent par rapport à ce que j'avais connu jusque-là. Le CNIPAL m'a permis de travailler avec différents chefs d'orchestres et des chanteurs expérimentés comme Mady Mesplé ou Yvonne Minto. Dans ce cadre, j'ai pu aussi travailler avec des pianistes, des coaches vocaux. Pour moi, à cette époque, il était important d'acquérir une méthode de travail, et je l'ai trouvée au contact de tous ces gens. Chanter quatre ou cinq heures par jour est également formateur. Au début, je trouvais cela difficile et fatiguant. Mais j'ai ensuite réalisé qu'un chanteur était aussi un sportif et la rigueur de cet apprentissage m'a beaucoup apporté. Je garde un très bon souvenir de mon passage au CNIPAL.
Vous avez surtout travaillé avec des professeurs femmes. Leur enseignement vous apportait-il davantage que celui d'un ténor, comme vous ?
J'ai débuté mes études de chant avec un professeur qui était ténor, mais nous ne nous comprenions pas. J'avais alors 19 ans et il voulait que je chante "E lucevan le stelle" et des airs d'opéras de ce style. Ce n'était pas du tout pour moi, et je suis parti… Je pense sincèrement que trouver le bon professeur, celui qui vous correspond, est une affaire de chance et de personne. Que ce soit une femme ou un homme importe peu. Il faut bien comprendre qu'un jeune chanteur fait confiance à son professeur et place sa vie entre ses mains. Or ce professeur va soit développer sa voix soit la détruire. Mon professeur, Vlasta Hudecova, une soprano qui a peu chanté pour se consacrer pleinement à la pédagogie, a pour habitude de me dire : "Pavol, il ne faut jamais croire un professeur de chant à 100 %. Vous devez toujours essayer ce que je vous conseille sur vous-même". Un professeur de chant est là pour montrer le chemin, et c'est à vous de suivre ce chemin ou pas. En outre, je pense qu'il est contre-productif de changer de professeur tous les 2 ans. C'est le meilleur moyen pour se retrouver complètement perdu. En ce qui me concerne, j'ai eu la chance de trouver le professeur dont j'avais besoin. Vlasta Hudecova m'a apporté une technique solide… Il arrive bien sûr que je puisse recevoir des conseils d'autres chanteurs. Par exemple, José Van Dam était présent lors des répétitions de Faust à Zürich et il m'a donné quelques indications. Avec une technique solide, vous pouvez tout à fait prendre ce que vous conseillent d'autres personnes car vous vous connaissez suffisamment pour savoir de quelle façon votre instrument va réagir.
Après l'année passée en France, vous avez intégré la troupe du Staatsoper Unter den Linden de Berlin et vous y êtes resté 3 ans. Quelle expérience en avez-vous retiré ?
Avant tout, je dois dire que je me sens à la fois heureux et reconnaissant envers le Staatsoper de Berlin de m'avoir offert cette possibilité de faire partie de sa troupe. Cela m'a permis de débuter progressivement, dans de petits rôles. Pour ma première saison, j'ai tout d'abord chanté Steuermann dans Le Vaisseau fantôme, puis Pong dans Turandot et Gastone dans La Traviata. La saison suivante, j'ai pu aborder Cosi fan tutte, Don Giovanni, Tamino et Koudriash dans Katia Kabanova et quelques autres rôles. Cette progression m'a permis de débuter pas à pas et d'éviter ce qui menace les jeunes chanteurs qui se précipitent sur les grands rôles et dont la carrière s'écroule quelques saisons après, faute d'expérience. J'assiste avec une certaine tristesse au lancement des carrières de ces nouvelles stars du chant à une vitesse vertigineuse, qui retombent très vite. Au Staatsoper, j'ai eu la possibilité de construire lentement mon répertoire en commençant par Mozart, puis en m'aventurant du côté de Lucrèce Borgia, L'Élixir d'amour et Eugène Onéguine. Ce bagage me permet d'aborder maintenant l'opéra français. Mais je reviens toujours à Mozart. Un retour assez comparable à une voiture qui rentre au garage pour sa maintenance.
En 2006, vous êtes devenu un artiste freelance. Le passage de la vie de troupe à une carrière indépendante a-t-il été facile à négocier ?
J'ai quitté la troupe car je voulais décider moi-même ce que je chante, avec qui le chanter et où le chanter. Cette volonté de diriger ma carrière a toujours été en moi… Je suis très conscient de ma chance d'avoir eu rapidement beaucoup de travail, ce qui m'a permis de choisir les projets qui me plaisaient. Je ne voulais surtout pas chanter n'importe quoi et ne pas subir un rythme de travail tel que celui de certains grands théâtres. À Berlin, il m'est arrivé de devoir assurer le matin une répétition du Retour d'Ulysse dans sa patrie de Monteverdi, d'enchaîner l'après-midi avec une répétition de La Flûte enchantée, avant de chanter Katia Kabanova le soir sur scène. Je voulais à tout prix éviter ce genre de situation et c'est ce qui m'a poussé à devenir indépendant.
En 2010 vous chantez Lulu lors du Festival de Salzbourg. Quel souvenir vous laisse cette production ?
J'ai abordé Lulu avec l'idée suivante : "Ce qui ne tue pas rend plus fort" ! Je reconnais que c'est la pièce la plus difficile que j'ai jamais chantée. Dans Lulu, il est nécessaire de ne jamais s'arrêter de compter sous peine de perdre le rythme. À aucun moment on ne trouve d'espace de liberté et il est impossible de tenir une phrase car il faut se remettre à compter. Le rythme et la tonalité changent en permanence. Cela m'a paru vraiment très dur. Alors je l'ai fait, mais maintenant : "Non, merci !". C'était une expérience…
Début 2013 vous avez chanté le rôle de Lenski dans Eugène Onéguine au Royal Opera House de Londres dans une mise en scène de Kasper Holten. De quelle façon avez-vous travaillé avec lui ?
Je garde un excellent souvenir de cet Eugène Onéguine. Je suis du reste toujours très heureux de chanter à Londres car l'équipe du Royal Opera House, les techniciens comme les personnes qui travaillent à l'administration, ont tous l'air d’aimer leur métier et on retrouve cette joie de vivre dans les couloirs de cette maison… C'était la première fois que je travaillais avec Kasper Holten et j'ai trouvé qu'il construisait très habilement les personnages. Je vous disais qu'il est important que le chef d'orchestre communique avec les chanteurs mais cela vaut tout autant pour le metteur en scène. Je n'aime pas me retrouver devant un metteur en scène qui façonne le personnage dans son coin et impose ensuite sa vision rigide au chanteur. Dans ce genre de situation, vous pouvez tenter de dire que cela ne vous correspond pas, mais il faut souvent obtempérer et faire ce qu'on veut vous voir faire. Je sais parfaitement que cela peut arriver. Mais, avec Kasper, nous avons beaucoup parlé du personnage de Lenski et il a pu répondre précisément aux questions que je me posais. Par exemple, avant mon air, je devais traîner une très grande branche de bois mort. Elle était très lourde et je ne comprenais pas bien pourquoi je devais faire ça. Nous en avons discuté et j'ai compris que cette branche morte symbolisait le poids que Lenski porte sur ses épaules. Kasper est un metteur en scène très humain qui aime le chant et les chanteurs. Comme Robert Karsen, avec lequel j'aime aussi travailler, il sait ce qu'il fait.
Avez-vous fait souvent les frais de mises en scène que vous jugez ratées ?
Je suis assez las de l'héritage du courant allemand "Regietheater". Dans cette optique, un chanteur peut se retrouver à travailler six semaines durant avec quelqu'un qui n'a aucune idée de l'œuvre ! C'est très long, très fatigant, et vous finissez par tomber malade. À mon avis, un metteur en scène incapable de monter un opéra en trois ou quatre semaines doit aller vendre des patates en Roumanie ! Je sais que les temps changent, que tout évolue, mais il est tout de même étonnant de constater que certaines mises en scène créées il y a de nombreuses années ont traversé les décennies sans prendre une ride. Par exemple, cela fait 30 ans que Le Chevalier à la rose d'Otto Schenk est joué à Munich. Pensez-vous que cette production pourrait résister au temps si elle n'avait pas certaines qualités ?
Quoi qu'il en soit je n'ai pas envie de travailler avec des metteurs en scène débiles qui ne savent pas ce qu'ils veulent. Je me souviens d'un Don Giovanni à Zürich qui a été la pire de toutes les productions de cet opéra auxquelles j'ai participé. Il faut bien comprendre que, dès la Première passée, le metteur en scène s'en va. Les chanteurs, eux, doivent se débrouiller avec le chef-d'œuvre dont ils ont hérité ! Cette mise en scène était du n'importe quoi, sans argument, sans queue ni tête.
Lorsque vous signez un contrat, savez-vous toujours avec quel metteur en scène vous travaillerez ?
Ce n'est pas toujours indiqué. Je n'aime pas dire que plus un chanteur est connu et plus il lui est facile de s'investir dans des projets qui l'intéressent, mais il y a de ça. Par exemple, on m'a proposé une Traviata à Bruxelles que j'ai refusée car je savais que je ne pourrais pas m'épanouir dans la mise en scène prévue. Une chose est certaine : lorsque j'ai connaissance du metteur en scène et que travailler avec lui ne m'intéresse pas, je peux refuser poliment une proposition. Je ne vois pas l'intérêt de passer six semaines en répétition, puis un mois en représentations pour chanter dans une production que je n'aime pas. La vie est trop courte pour ce genre de plan !
Quelle est la place du récital dans votre carrière ?
Pour moi, le récital est capital. Or je sais combien il est difficile, aujourd'hui d'organiser ce genre de concert. De nombreux chanteurs proposent des récitals et il est très difficile de rentrer dans ce circuit, tout comme de tenir le niveau de qualité auquel on parvient. Je suis très heureux d'avoir pu déjà chanter les lieder de Schumann et Schubert, et maintenant La Belle meunière. J'ai pu aussi présenter un programme entièrement slave à Berlin et à Bruxelles. Le récital est toujours un moment totalement différent de l'opéra. Dans ce cadre, il n'est plus question d'un rôle derrière lequel vous pouvez vous cacher mais d'un chanteur qui assume qui il est vraiment. Le récital me donne toujours l'envie de donner ce que j'ai de meilleur.
Le 3 avril, vous donnerez un récital dans le cadre des Convergences de Christophe Ghristi à l'Amphithéâtre Bastille. Vous chanterez le cycle de La Belle meunière de Schubert. Dans quel état d'esprit aborderez-vous ce cycle ?
J'aimerais pouvoir montrer ce jeune homme qui termine ses études et entre dans la vie. Il est plein d'énergie et de joie de vivre. Il tombe amoureux et cet amour le rend à la fois heureux et malheureux. À la fin, il meurt… Ces lieder sont construits sur de nombreuses strophes, ce qui les rend longs. J'espère parvenir à ne pas être ennuyeux durant cette heure de lieder. Je voudrais raconter cette histoire sans tomber dans l'emphase car la simplicité est à la base de la musique de Schubert.
Comment parvenez-vous à ce naturel malgré le trac ou la nervosité ?
Généralement, lorsque je chante une œuvre pour la première fois, je suis particulièrement stressé. Sur scène, la nervosité retombe alors au bout d'environ cinq minutes et la concentration prend la place du trac. Quoi qu'il en soit, les premières secondes d'une prestation sont toujours accompagnées d'un cœur qui bat plus vite. Un chanteur nerveux a également souvent tendance à presser le tempo. Mais l'équilibre s'installe après ces quelques secondes d'entrée en matière.
Pour votre récital, vous serez accompagné au piano par Amir Katz…
Amir et moi nous sommes rencontrés à Berlin il y a 4 ans. Je savais qu'il accompagnait les chanteurs, qu'il se passionnait pour la musique de Schubert et qu'il connaissait parfaitement l'univers des lieder. Nous avons essayé de travailler ensemble, et ça fonctionnait très bien. Il se trouve qu'à cette époque, en raison de mes origines étrangères, je n'osais pas beaucoup chanter le répertoire allemand en Allemagne. Amir m'a rassuré et m'a encouragé à le faire. Nous avons affiné notre mode de fonctionnement et cette complicité fait que nous travaillons ensemble depuis plusieurs années. Nous avons même de nombreux projets ensemble.
Vous vous préparez à faire vos débuts dans Le Tour d'écrou de Britten…
Je suis même assez impatient de chanter Quint. Ce sera à Zürich en novembre prochain. J'avoue que, après tous les princes et les amoureux, jouer un être mauvais n'est pas fait pour me déplaire. Avec le rôle de Steva dans Jenufa j'espérais pouvoir tenir enfin un rôle de méchant garçon mais, en définitive, Steva est surtout faible et fragile. J'aime la musique de Britten mais je ne l'ai jamais chantée. Le Tour d'écrou se présente donc comme un challenge qui va m'entraîner sur un terrain que je ne connais pas très bien.
Quels rôles aimeriez-vous travailler à l'avenir ?
Après 40 ans, j'aimerais beaucoup chanter le Prince dans Rusalka. J'ai grandi avec cette musique et je pense pouvoir proposer quelque chose de différent de ce que l'on entend généralement. J'ai déjà reçu de nombreuses propositions pour chanter ce rôle mais je les ai refusées car c'était trop tôt…
Je ne suis pas un ténor verdien et il est évident que vous ne m'entendrez jamais dans Manrico, pas plus que dans Calaf de Turandot, mais j'aimerais pouvoir chanter Manon, Roméo et Juliette, et, plus tard, Werther. Je trouve l'opéra de Massenet magnifique. Mais il faut attendre et voir…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 19 mars 2014
Pour en savoir plus sur Pavol Breslik :
http://www.pavolbreslik.com/