Tutti-magazine : Vous avez réalisé de nombreux documentaires sur des thèmes extrêmement variés, puis vous êtes venu à la musique…
Olivier Simonnet : J'ai débuté ce métier en travaillant pour l'institutionnel puis pour les maisons de luxe. À cette époque j'aurais pu continuer dans la publicité mais ce milieu ne m'intéressait pas du tout et j'ai changé mon fusil d'épaule en me consacrant à un projet que je nourrissais depuis longtemps : réaliser un documentaire sur Haendel, mon compositeur de prédilection. C'est de cette façon que j'ai abordé la musique. Il m'a fallu ensuite un an ou deux pour bifurquer vraiment vers ce que j'aimais. Les choses se sont alors enchaînées assez rapidement. À l'occasion de mon documentaire sur Haendel, j'ai rencontré Christophe Rousset, avec lequel je suis resté très proche. Nous avons fait 20 films ensemble ! Avec lui, en 1999, à l'occasion d'un Jules César qu'il montait à l'Opéra de Montpellier, j'ai réalisé un 52' pour la chaîne Mezzo. Je me sentais bien dans la musique et, dès lors, j'ai continué dans cet axe.
Vos documentaires s'attachaient à montrer l'envers du décors. En 2002, vous réalisez votre première captation de représentation. Comment expliquez-vous ce virage qui consiste à passer de derrière le rideau au devant ?
Ce n'est pas à proprement parler un virage, mais j'ai simplement acquis du métier dans la musique, puis je me suis fait une place et l'on m'a proposé des choses différentes jusqu'à ma première captation de concert à Saint-Denis, toujours avec Christophe Rousset. C'est aussi avec Christophe que j'ai vécu mes autres premières captations musicales : Zoroastre de Rameau, mon premier opéra, en Suède, puis mon premier direct… C'est ni plus ni moins que le parcours classique d'un réalisateur qui réalise de la captation, et tout s'est développé pour moi autour d'un univers de spectacle vivant et de captations de concerts et d'opéras en direct ou pas. Mais je n'ai jamais abandonné le documentaire et j'en réalise régulièrement, pour Arte, notamment. Je dois ainsi tourner un documentaire sur Rameau en 2014.
Comment se partage votre travail entre documentaires et captations ?
Avec le développement d’Internet, notamment, il y a de plus en plus de captations à faire, et donc, pour un réalisateur, de plus en plus de répertoires à aborder et d’artistes à rencontrer. Quant au documentaire, s'il est toujours possible d'en produire, il faut reconnaître un réel recul du genre - en tout cas dans le domaine de la musique classique - et malheureusement aussi une diminution des moyens
En filmant les artisans ou les artistes au plus près de leur travail, une forme d'intimité devait guider votre caméra. Qu'en est-il pour une captation qui vous tient à distance du sujet filmé ?
Je me suis adapté d'une façon naturelle au besoin, la peur au ventre, mais poussé par la nécessité d'y aller. Ma première captation se déroulait dans la basilique de Saint-Denis avec des artistes que je connaissais bien, ce qui a facilité la tâche. Il n’y avait pas de car-régie, mais un petit van de fortune dans lequel était installée une régie fly, et il y faisait 40° ! Je communiquais avec les cadreurs par un petit micro. Je connaissais certains d'entre eux depuis l'institutionnel et cela a ajouté au confort. Bref, c'est venu vraiment le plus naturellement possible. Le choix des caméras était essentiel et je savais qu'il y aurait du montage ensuite car nous n'étions pas en direct. À cette époque, nous pouvions filmer trois fois. Aujourd'hui, avec deux fois on considère que c'est de la chance et, le plus souvent, c'est raccord l'après-midi et le soir, on y va comme on peut… Pour cette première, mon équipe et moi-même avions déjà l'expérience de la musique au travers du documentaire et nous avions déjà nos idées sur la manière de la filmer. Par exemple, lorsque j'ai réalisé un documentaire sur Hérodiade de Massenet à l'Esplanade de Saint-Étienne, c'était déjà un opéra à filmer. Avec Béatrice Uria-Monzon, Alexia Cousin et Alain Fondary, la distribution était vraiment formidable. Avec 3 caméras, nous avions déjà pu acquérir une idée sur les plans qui fonctionnent. Nous avons continué à progresser dans cette voie, ouverts et heureux…
Le documentaire a-t-il nourri la captation de spectacles ?
Tout à fait, car il nous a permis une chose primordiale : rencontrer les gens, les musiciens et les chefs d'orchestre. Ces contacts établis lors du tournage de documentaires nous permettaient de savoir ce à quoi il fallait faire très attention. Notre trajectoire s'est ainsi tracée dans la sympathie et nous étions tous motivés par une vraie envie de progresser dans un nouvel univers qui, petit à petit, nous est devenu familier…
On trouve votre courte bio sur le site de Camera Lucida. De quelle nature est votre relation avec cette société ?
Au début de ma carrière, j'ai beaucoup travaillé avec cette maison de production. Nous étions un groupe lors de la création de la structure et c'est dans ce cadre que j'ai réalisé un certain nombre de films institutionnels. C'est grâce au Directeur de Camera Lucida, François Bertrand, que j'ai réalisé en 1997 mon premier documentaire sur la musique. Il m'a orienté vers Lise Lemeunier qui produisait la série Harmoniques pour Mezzo. Je l'ai persuadée de me confier le traitement de Haendel et j'ai commencé ainsi. Aujourd'hui, nous travaillons toujours ensemble…
Cette bio indique que vous aviez à cœur de revitaliser l'exercice de la captation ? Pensez-vous y être parvenu et de quelle façon ?
Capter un concert ou un opéra n'est pas un exercice facile si l'on veut intéresser les gens jusqu'au bout. Dès le début, lorsqu'il s'est agi de filmer la musique, il me semblait indispensable d'être près des musiciens. Pour moi, il fallait traiter un concert comme une histoire. Je suis un ancien comédien et j'adore assister aux répétitions car cela me rapproche du monde du spectacle. En assistant à ces répétitions dans le cadre d'un tournage pour un documentaire, il m'est apparu évident qu'il fallait montrer les liens entre les musiciens et le chef d'orchestre. Il passe souvent par le regard. J'ai ainsi compris qu'il fallait être attentif à certains types de détails : un sourire, un geste infime, un échange… Même pour un concert, le montage, grâce à ces "petites histoires", permet de faire comprendre un certain nombre de liens qui relient les interprètes. Il s'agit dès lors de ne pas uniquement s'attacher à la musique elle-même, mais aussi à la façon de la jouer. Le sourire d'un musicien qui vient de finir un solo ou l'attention portée par un musicien à un autre sont des images qui nourrissent beaucoup nos montages. Le but n'est pas nécessairement de montrer la flûte quand elle joue ! Les positions de caméras sont très importantes et je privilégie celles placées sur la scène, avec l'orchestre, qui se déplacent et qui vivent parmi les musiciens. Nous faisons très attention à ne gêner personne et, le plus souvent, nous sommes très bien acceptés…
L'autre aspect capital est le montage. J'ai d'ailleurs toujours insisté pour avoir le temps nécessaire pour monter les captations que je réalise, car c'est à ce moment que l'on comprend vraiment ce qui se passe à l'intérieur d'un orchestre et au niveau de l'écriture. Par exemple, nous avons dernièrement filmé du Szymanowski, une musique très intéressante mais qui nous était foncièrement étrangère. Ce sont les 4 semaines de montage qui nous ont permis de mieux comprendre cette forme particulière d'écriture. La dimension sonore est importante, mais l'aspect visuel l'est tout autant dans une démarche de compréhension. C'est par le montage aussi que passe mon idée de renouvellement de la captation.
Avez-vous une optique particulière quant à la captation d'opéras ?
Il s'agit avant tout de trouver des emplacements de caméras, car ce sont ces emplacements qui nous permettront d'obtenir un certain type d'images. Filmer l'opéra, pour moi, est comparable à un film de fiction avec des champs, des contre-champs, des plans d'écoute, faire comprendre de petites actions au lointain… Si la musique est essentielle, pour une diffusion télé l'opéra est avant tout une histoire à regarder et, si possible, à comprendre. À certains moments, cela peut passer par des caméras posées sur le plateau en coulisses, dans les cintres… Mais ce n'est jamais identique d'un spectacle à l'autre. Tout dépend des mises en scène. Il est donc impératif de comprendre au préalable parfaitement le travail d'un metteur en scène.
Positionner des caméras dans la salle n'est pas toujours facile…
J'essaie de venir repérer les places de mes caméras plusieurs mois à l'avance afin qu'elles ne soient pas proposées au public. Aujourd'hui, la difficulté vient du fait que les projets se montent de plus en plus tard et lorsqu'il s'agit de placer les caméras dans la salle, tous les sièges sont déjà vendus ! Alors on s'arrache les cheveux, et on réfléchit… Lorsqu'elles sont vendues, le théâtre peut téléphoner aux spectateurs pour essayer de les déplacer. Toujours est-il que j'évite de placer des caméras en plongée ou en contre-plongée car je n'aime pas ça, au contraire des caméras très latérales qui permettent très souvent d'avoir de merveilleuses surprises… Lorsque je suis arrivé au Royal Opera House de Londres pour filmer Cendrillon de Massenet, le théâtre avait prévu 6 caméras au pied de la fosse. En gros, je ne filmais que des narines… Le premier travail, après les répétitions, est de convaincre le théâtre que mes choix de positions de caméras sont les bons et que l'intérêt de la captation en dépend. Généralement les maisons d'opéra sont très ouvertes à la collaboration car elles ont l'habitude de gérer tout un tas de paramètres et d'impondérables. Si un compromis est indispensable, il se limite généralement à une ou deux caméras. À l'Opéra de Paris, les places idéales sont déjà réservées par le théâtre.
Travaillez-vous avec les metteurs en scène ?
Toujours, bien sûr. Cette relation entre le metteur en scène et le réalisateur est très complexe car parfois, à ses yeux, mon équipe et moi arrivons un peu comme des voleurs d’enfant et il est impératif de bien lui faire comprendre que nous sommes là pour son travail. Filmer un opéra, c'est filmer le travail de quelqu'un d'autre. Un concert également, mais de façon moindre. La mission du réalisateur d'une captation est de faire en sorte que ce qu'a construit le metteur en scène soit reconnu et bien montré, en même temps qu'il doit montrer aux spectateurs un film qui saura les captiver. Une réalisation est personnelle dans les choix qui sont faits et par le montage, mais il faut toujours veiller à montrer des choses voulues par le metteur en scène. Je n'ai pas à réinventer la mise en scène sur une captation d'opéra, mais il peut arriver aussi qu'une captation permette de dépasser certains défauts d'une mise en scène pas complètement réussie, ou d'en approfondir certains aspects.
Lorsque vous réalisez une captation pour une diffusion en direct, vous ne bénéficiez pas de cette période de montage…
Le direct est un moment, une énergie, de l'adrénaline. J'adore faire du direct, mais lorsque vient l'heure du montage pour la rediffusion ou le DVD, je ne regarde plus le direct. Je peux être fier d'avoir réussi à réaliser un direct sans problème, mais il n'y a aucune raison de le réutiliser car c'est un moment fini. Il faut reprendre tous les rushes et recommencer. Le montage final sera très différent.
Comment se prépare une captation…
J'ai eu la chance d'arriver dans ce milieu à un moment où il commençait à y avoir moins d'argent pour tout faire. Je n'ai donc pas connu l'époque où l'on avait 30 jours pour préparer la captation d'un opéra et où une quantité de personnes travaillaient sur un projet. D'où la nécessité de se débrouiller avec moins de temps et moins de gens. Aujourd'hui nous n’avons parfois que 6 jours pour préparer le découpage d’une captation.
Comment organisez-vous ces jours de préparation ?
Sur un gros direct, je travaille avec une scripte et une conseillère musicale. Avant tout, j'essaie d'assister à un maximum de répétitions. J'apprécie beaucoup ce travail qui débute un peu avant la générale piano et se poursuit jusqu'à la générale que nous filmons. Certains réalisateurs préparent leur travail en prévoyant tous les plans de caméras à l'avance, ce qui demande un temps considérable dont nous n'avons plus le loisir. Personnellement, cela ne me plaît pas beaucoup de recevoir tout un flot de consignes dans mon oreille ! Je trouve difficile d'entendre trop de tops caméras qui ne me permettent plus d'entendre la musique. Or j'adore monter sur la musique. J'ai compris très tôt que j'avais besoin de cette liberté pour travailler. Une liberté naturellement très surveillée car il ne s'agit pas de faire n’importe quoi sur un direct. Cela suppose, bien entendu que je connaisse suffisamment la mise en scène pour savoir où je vais. Restent bien sûr bien des tops incontournables qui permettent aux cameramen de changer de position, mais il y a des pans entiers où la part laissée à l’improvisation m’apporte une grande liberté.
Bien sûr, pour ce faire, il est indispensable d'avoir assez de temps pour préparer son travail avec la scripte et la conseillère, et d'avoir assisté à suffisamment de répétitions. Par exemple, pour La Didone de Cavalli à Caen, il y avait seulement deux représentations, et le fait d’assister aux répétitions en amont était crucial. Généralement, nous travaillons sur une captation en plan large de la générale piano et établissons le découpage pour les caméras. D'une façon générale, aujourd'hui, nous filmons deux représentations ainsi que la générale, celle-ci avec moins de caméras.
L'essentiel, j'insiste, est d'assister à un maximum de répétitions, de parler le plus possible avec le metteur en scène, comme ça a été le cas avec Laurent Pelly pour Cendrillon à Covent Garden. De même, se promener dans le théâtre et se placer aux endroits où seront positionnées les caméras permet de se faire déjà une idée de ce que l'on pourra obtenir.
Comment se préparent les captations pour une diffusion sur Internet ?
Je conçois qu'on se lance avec un certain degré d'improvisation, mais la période de préparation, elle, est incompressible. Or les captations pour Internet sont parfois faites dans l'urgence. Alors, on peut choisir de poser ses caméras et filmer de façon quasiment automatique ou plus simplement de refuser ce type de propositions… Le paradoxe est que l'on produit de plus en plus de films sur la musique et qu'il y a moins d'argent pour les faire. Or aucun réalisateur ne souhaite bâcler son travail, d'autant que sur Internet comme ailleurs, les gens sont en droit d'exiger des captations de qualité.
D'un façon générale, en tant que réalisateur de captations, travaillez-vous avec les interprètes que vous allez filmer ?
Je travaille très volontiers avec les interprètes lorsque cela est possible, ce qui n'est pas toujours le cas. C'est pendant la période des répétitions en studio, avant le travail sur le plateau, qu'il est possible de rencontrer les artistes et de leurs expliquer comment nous travaillons. J'essaie toujours de présenter mon équipe même si les techniciens ne sont pas là à ce moment, car je pense qu'il est important pour les interprètes de savoir où ils seront placés lors de la captation. Mais, d'une façon générale, les interprètes sont assez inaccessibles par manque de temps. Comme nous, ils souffrent de plus en plus de délais resserrés pour préparer un spectacle. Lorsqu'on a la chance de tourner un documentaire qui accompagne la captation, il est plus facile de les aborder. Pour le concert, on bénéficie parfois d'un peu plus de souplesse.
Lorsque vous captez un opéra, les chanteurs portent-ils chacun un micro ou bien utilisez-vous des micros distants ?
Cela dépend des moyens que nous avons. L'utilisation de micros HF individuels est assez coûteuse mais quasi incontournable sur les grosses productions. En général le son est également capté par une rampe de micros installés au proscenium et par des micros suspendus pour les ambiances et les effets de lointain. Lorsque le budget permet d'utiliser des HF, on les dissimule en général dans les perruques ou dans les vêtements.
En 2011, vous avez filmé Jennifer Larmore dans Orlando Furioso au Théâtre des Champs-Élysées dans la mise en scène de Pierre Audi. Il semblerait que votre caméra en soit tombé amoureuse…
Je nourris une véritable passion pour Jennifer Larmore depuis la première fois que je l'ai entendue dans un disque de Jules César dirigé par René Jacobs. C'est une excellente comédienne et une très belle femme qui impose une vraie présence en scène. Le peu que j'ai vu de son travail en répétition me fait dire qu'elle pourrait aussi bien tourner dans un film de cinéma. Elle peut être aussi bien fragile qu'un peu cabotine, mais je la trouve merveilleuse. En filmant Orlando Furioso, j'ai réellement eu envie de défendre son personnage d'Alcina. Et là on touche une dimension importante de la captation d'opéra : défendre les chanteurs.
Qu'entendez-vous par "défendre les chanteurs" ?
Les caméras peuvent être très cruelles, inutilement cruelles. La cruauté d'une image peut se comprendre lorsqu'elle est au service d'une dramaturgie, de l'histoire qu'on raconte, mais c'est autre chose que de filmer systématiquement des gros plans et de montrer les narines des artistes, ce qui m'agace profondément. Lorsque les chanteuses n'ont plus 22 ans, elles deviennent plus fragiles et un gros plan peut être violent, d'autant que, sur un plateau, on ne maîtrise pas complètement la lumière puisqu'il s'agit de celle de quelqu'un d'autre, créé pour un spectacle vivant et non pour une caméra. On peut toutefois essayer d'améliorer la lumière pour les caméras en travaillant avec le directeur de la photographie et l'éclairagiste. Si ce dernier peut se montrer compréhensif par rapport à nos impératifs, on peut aussi se retrouver face à un éclairagiste qui n'acceptera aucune concession et ne modifiera pas sa lumière d'un iota. Dieu merci, c'est rare !
L'éclairage de la scène est donc différent lors d'une captation…
Plus ou moins. Mais au bout du compte, l’idée est que le geste de l’éclairagiste soit respecté dans son rendu à l’image vidéo. La lumière peut évoluer en fonction des corrections que l'on apporte après chaque jour de tournage. Ensuite, à l'étalonnage, on s'arrange pour que les sources s'harmonisent. Par exemple Hippolyte et Aricie en juin 2012 à l'Opéra Garnier était un spectacle très sombre, magnifique mais par ailleurs très compliqué à filmer et nous avons été obligés de remonter la lumière, en accord avec l'éclairagiste.
Autres corrections possibles après le premier jour de tournage : veiller à ce que les maquillages ne soient pas trop outranciers ou la pose des perruques trop visible. Là encore, il faut comprendre qu’ils sont d’abord créés pour la scène, pour être vus de loin et non en plans rapprochés, sous l’objectif d’une caméra. Quoi qu'il en soit, c’est toujours un travail passionnant que de les modifier avec les équipes des théâtres, toujours soucieuses que leur travail soit beau à l'image.
En regardant votre captation de La Didone réalisée en 2011, il semblerait que votre caméra ait été également fascinée par le personnage de Iarba interprété par Xavier Sabata…
La captation de La Didone a été un travail très compliqué mais je suis ravi du film que nous avons proposé au final. Il est vrai que Xavier Sabata fait partie de ces chanteurs qui sont aussi d'excellents comédiens et sont si attachants que j'ai envie de les filmer le plus soigneusement possible afin de préserver le maximum de leur performance lors du montage. Pour La Didone, j'ai découvert le spectacle en assistant aux répétitions sur le plateau ce qui ne me permettait quasiment pas de parler avec les artistes comme il est possible de le faire en studio. Je n'ai donc pas communiqué avec Xavier Sabata durant le tournage, mais il a été très intéressant de travailler sur son personnage lors du montage. Nous étions autant séduits par sa voix que par sa présence de comédien. Je gage que le metteur en scène Clément Hervieu-Léger a bien senti qu'il disposait avec lui d'une patte d'acteur particulière pour ce rôle un peu fourbe et fou. Sur La Didone, la direction d'acteurs a dû toujours être très rigoureuse et attentive. Xavier Sabata exprime avec à la fois rigueur et justesse la folie du personnage. Nous avons senti cette capacité dès le tournage.
Tutti-magazine va prochainement rencontrer le contre-ténor Xavier Sabata. Si vous pouviez lui adresser un message, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais que, pour un réalisateur, c'est un plaisir de filmer un chanteur comme lui qui, dans un opéra, apporte autant à un personnage par son jeu d'acteur. C'est absolument essentiel pour un réalisateur et un monteur, car il est déprimant de travailler sur des images d'interprètes assez neutres. L'opéra, c'est bien sûr la musique, mais c'est aussi le théâtre. Nous avons adoré travailler sur la captation de La Didone, en particulier en raison de la présence que dégage en scène Xavier Sabata. C'est un réel plaisir de réalisateur de voir un artiste aussi impliqué dans son personnage. Je ne le connaissais pas et, depuis, j'ai essayé de savoir qui il était et de suivre ce qu'il faisait.
[Lors de son interview de Xavier Sabata, Tutti-magazine a recueilli la réaction du contre-ténor au message d'Olivier Simonnet. Lire l'interview de Xavier Sabata…]
Le Blu-ray ou le DVD de La Didone ne proposent aucun making-of…
…Et c'est vraiment dommage. Pour ce genre de production j'aurais adoré me trouver là en amont avec une caméra ou deux pendant les répétitions comme je l'ai fait pour Zoroastre et d'autres opéras. Mais il faut se féliciter que cette captation soit aujourd'hui disponible à la vente en vidéo car, dans une économie quelque peu restreinte, il n'est pas toujours évident de trouver le financement pour éditer un DVD, d'autant que le marché est assez limité. Mais le DVD ou le Blu-ray ont ceci de formidable qu'ils permettent une vie de la captation après la diffusion télé et ces disques font le tour des bibliothèques et des gens passionnés.
Contrairement à une captation live, Mission est un film dont les parties musicales ont été tournées en play-back. Comment avez-vous travaillé avec Cecilia Bartoli et I Barochisti ?
Contrairement à ce que vous pensez, Mission n'a pas été tourné intégralement en play-back. Mais si vous le pensiez, cela veut dire que nous avons réussi à cacher les micros et qu'ils ne se voient pas ! En fait, cinq titres étaient inédits au disque sorti auparavant et d’autres ont été ré-enregistrés pour le film.
J'avais filmé Cecilia Bartoli en mai dans Jules César à Salzbourg et nous avons appris qu'il fallait tourner Mission assez rapidement. Après Sacrificium que j'avais déjà tourné avec elle, et qui s'inscrit dans un même genre, en moins ambitieux, peut-être, la chaîne Arte désirait un format d'une heure incluant une partie documentaire. Or il y avait des choses à dire sur Agostino Steffani, un personnage assez peu connu. Au final, si Mission ne se présente pas comme un vrai documentaire, il propose tout de même des clés sur le compositeur et ses diverses facettes. Mon point de départ était que Steffani a joué devant Louis XIV, certes à une époque où le Château de Versailles n'existait pas encore, mais tourner en ce lieu était justifié. J'ai alors écrit un fil conducteur qui me permettrait de mettre en valeur en tout premier lieu Steffani et sa musique, puis Cecilia Bartoli et le Château. Nous avons aussi profité d'un concert que Cecilia donnait à Versailles pour tourner Mission. C'est du reste ainsi que ce genre de film peut fonctionner, en se greffant sur un événement qui rassemble déjà l'artiste et les musiciens. Cecilia a tant d'engagements qu'elle est difficilement libre. Mais elle travaille énormément et sait prévoir les choses en même temps qu'elle parvient à soutenir les gens qui l'entourent. À plusieurs reprises, tard dans la nuit, si l'équipe connaissait une baisse de régime, elle réussissait, par son enthousiasme, à lui redonner de l'énergie pour avancer.
Dans votre film, Cecilia Bartoli incarne la Musique…
Tout à fait. Dans la mesure où il s'agissait de faire redécouvrir la musique de Steffani, personnifier la Musique par Cecilia me semblait idéal. Elle était d'ailleurs très heureuse de raconter une histoire à travers Mission. De plus elle n’aime pas beaucoup être filmée en concert, ce que je comprends très bien car son exigence de perfection va jusqu'à son apparence et elle n'aime pas beaucoup que l'effort du chant soit trop visible ou, parfois, un peu disgracieux. Personnellement, je pense que l'effort peut être aussi intéressant à montrer, mais c'est un autre problème. Avec Cecilia, on discute beaucoup au préalable et il y a un certain nombre de choses qu'elle ne veut pas voir. Je m'efforce donc qu'elle ne les voit pas. Il ne s'agit absolument pas d'un dictat car ses raisons sont justes et, sur un tournage, elle se montre extraordinaire. Malgré son concert à Versailles, nous commencions à travailler à 9h du matin et nous finissions à 2h du matin.
Mission a donc été filmé sans aucun public…
Pas tout à fait, car nous avons organisé un mini-concert avec quelques invités pour apporter à Cecilia cette présence du public. Cecilia était contente, comme nous, de voir les réactions des spectateurs. Mais l'histoire avait été écrite sans aucun public. Par ailleurs, filmer le public représente de grosses contraintes. La Galerie des Glaces est un lieu très compliqué à filmer. Si vous y ajoutez du public, c'est encore pire. D'autant que, quand on a une Bartoli avec soi, on est bien content de ne l'avoir qu'à soi, sans public et sans les règles de sécurité incontournables qu’un public nécessite !
Peut-on dire qu'au fil des captations que vous avez réalisées avec Cecilia Bartoli, vous êtes devenu en quelque sorte son réalisateur ?
Un réalisateur régulier, plutôt. Mais Cecilia Bartoli est souvent filmée et je ne suis pas forcément demandé. De son côté, elle est extrêmement occupée. Elle fera, par exemple, un concert à Vienne le 31 décembre et elle sera filmée par un autre réalisateur… Ceci étant, nous avons fait ensemble en 2012 Le Comte Ory et un passionnant Otello de Rossini à Zürich, Jules César à Salzbourg avec un plateau sublime dont Philippe Jaroussky que j'admire beaucoup, pour finir par Mission à Versailles. Or il ne faut pas oublier que toutes ces captations doivent être montées, puis corrigées pour l'édition DVD. Je pense pouvoir dire que Cecilia a confiance en moi et que nous nous entendons bien, même si elle me demande tout de même pas mal de corrections avant validation.
Filmer au château de Versailles et dans le parc a-t-il été facile ?
Nous avons filmé en 4 jours, ce qui n'est pas énorme. Nous avons profité du lundi, jour de fermeture du Château, et nous avons tourné le soir. Depuis Charpentier en 2004, j'ai tourné beaucoup de films à Versailles et je connais particulièrement les lieux. Ainsi, nous avons également pu profiter des salles fermées au public. C'est un lieu formidable à filmer et il ne se limite aucunement à La Galerie des glaces. Il y a tant de superbes endroits… Tous les artistes sont attirés par ce lieu, comme les maisons de disques, car chacun sait que l'étiquette "Versailles" se vend très bien.
La campagne marketing de Mission a utilisé de nombreuses images et clips vidéo. Avez-vous participé à ce lancement ?
Absolument pas.
Les Blu-ray et DVD de Mission présentent un visuel très différent de celui du disque et de l'application iPad représentant Cecilia Bartoli travestie en Agostino Steffani. Pourquoi cette rupture visuelle ?
Il est vrai que l'apparence de Steffani dans mon film Mission est très semblable à celle du prêtre chauve sur la pochette du disque. Mais, pour cet album, le visuel de Cecilia travestie en Steffani et la campagne marketing en forme de roman-photo sont les fruits de ce que j'appellerais la "grosse machine" Decca. Pour son précédent disque, Sacrificium, elle apparaissait en statue antique… Cela ne me regarde pas. En revanche, je me sens concerné dès lors qu'un visuel est attaché à un film qu'on me demande de réaliser. Je n'aurais pas aimé qu'on reprenne le visuel du disque pour mon film car il ne s'agit pas de la même chose, mais les réalisateurs ont peu souvent leur mot à dire sur les couvertures de DVD de leurs films. Et quand il s'agit de Cecilia Bartoli, la chanteuse qui vend le plus de disques dans le domaine classique, vous imaginez bien l'importance du marketing développé autour d'une sortie !
Un air de Niobe et une introduction orchestrale figurent en bonus du film. Pourquoi ne sont-ils pas inclus dans le montage final de Mission ?
Je n'ai pas pu dépasser une heure pour la durée du film car c'était le format télé à respecter. Il se trouve que, dans le cas de Mission, le montage proposé sur DVD et Blu-ray est le même que celui diffusé par Arte. Ce n'est pas toujours le cas… Comme nous avions tourné ces courtes séquences et qu'elles n'étaient pas utilisées au final, nous les avons placées en bonus du film. L'air de Niobe aurait été intégré à la Galerie des Glaces et la séquence montrant l'orchestre aurait permis une mise en valeur supplémentaire des musiciens.
Vous ave réalisé une captation de Cendrillon de Massenet à Covent Garden. Que pouvez-vous nous dire de cette réalisation ?
Cette captation à Londres a été rendue possible car nous bénéficions en France de l'aide du CNC. C'est la raison pour laquelle notre pays entre de plus en plus souvent dans des coproductions qui nous permettent d'accéder à des projets passionnants en Europe. Cendrillon était l'événement annuel important pour Covent Garden car l'opéra a été diffusé le 13 juillet 2011 en direct sur écrans géants dans toute l'Angleterre. Comme une diffusion télé et un DVD étaient également prévus, Idéale Audience et France Télévisions étaient de la partie. Le direct sur écrans géants a demandé une vingtaine de jours de préparation à Londres. Je me souviens que nous nous sommes retrouvés avec une quantité incroyable de micros. Il y en avait partout et tellement visibles sur l'avant-scène qu’il a fallu les effacer en post-production. Je suis heureux que cela ne se remarque pas.
Cendrillon était un de mes premiers directs et je vous avoue que j'étais assez tendu. J'étais bien plus à l'aise pour la captation de La Force du Destin à l'Opéra Bastille fin 2011, pour un direct diffusé dans les cinémas UGC dans le cadre de Viva l'Opéra !. C'était ma première expérience pour une diffusion cinéma et j'ai trouvé cela tout à fait passionnant.
Cette captation de Cendrillon a obtenu un Diapason d'or de l’année 2012. Dans le magazine vous n'êtes pas crédité pour cette réalisation. Prenez-vous cette récompense comme une reconnaissance de votre travail ou comme celle de la qualité de la production que vous avez filmée ?
Pour moi, filmer de la musique va au-delà du simple témoignage en images d’un spectacle conçu pour la scène. Avec les limites que j’évoquais, nous faisons de vrais films, avec un public passionné et malgré tout, une visibilité certaine.
Mais même pour les professionnels de la musique, nous faisons un métier obscur dont les atouts pour les spectacles que nous filmons ne sont pas toujours compris par ceux qui les critiquent, dans les journaux par exemple.
Mais notre métier touche un public assez ciblé, ses heures de diffusion sont assez tardives… À côté des disques et du spectacle vivant, la musique filmée est encore plus mal lotie !
Malgré cela, il y a de plus en plus de captations et je me réjouis de penser que de plus en plus de gens comprennent ce que sont un réalisateur et des cameramen. Mais, pour les maisons de disques, et surtout pour la plupart des critiques, ce n'est pas une réalisation que l'on vend ou que l'on critique, mais un spectacle. C'est aussi déprimant qu'un documentaire dont le sujet plaît beaucoup aux journalistes et dont ils oublient de parler de la réalisation. La captation d'opéra est pourtant si complexe, parfois tellement "prise de tête"… Et c'est aussi la qualité de la réalisation qui suscite un intérêt et fait que le téléspectateur ne zappe pas au bout de quelques minutes ! Heureusement, tous les critiques ne sont pas comme cela et je ressens un plaisir fou lorsqu'on n'oublie pas la réalisation. Cela veut dire que le film a bien été considéré comme tel. Je ne suis pas orgueilleux mais je trouve terriblement injuste qu'on oublie trop souvent le travail du réalisateur sur une captation. J'insiste du reste pour que mon nom figure sur la face de la jaquette d'un DVD. J'y parviens une fois sur deux !
Pour revenir au Diapason d'or de l'année 2012 que j'ai reçu pour Cendrillon, mon nom est inscrit sur le trophée même si je ne pense pas que cette récompense soit une manière de reconnaître ma façon de filmer mais couronne un très beau spectacle, bien interprété et, allez… bien filmé !
Comment expliquez-vous cette "négligence vis-à-vis du travail du réalisateur ?
Lorsque le film est bon, on l'oublie car la réalisation et le montage sont fluides et transparents. Lorsque la musique n’est pas très bien filmée, je ne suis même pas certain que beaucoup de gens s'en aperçoivent. La réalisation d'une captation est en fait très subtile, et je pense sincèrement qu'en France, les réalisateurs travaillent plutôt bien.
Quels sont vos projets de captations pour les mois qui viennent ?
Nous en sommes à la phase des corrections pour Le Comte Ory, Otello et Jules César qui seront édités en DVD, et nous allons ensuite monter la pièce de Labiche Un Chapeau de paille d'Italie que nous avons filmée à la Comédie Française. Hors musique, je suis en train de réaliser avec mon équipe une série sur Tolkien pour Arte. Ce sera un 5 fois 26' sur les légendes qui ont inspiré ses livres. Le fil rouge de ces films sera John Howe, qui a illustré nombre de livres de Tolkien. Il a aussi dessiné les décors du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, et travaille maintenant sur la nouvelle saga Le Hobbit. La diffusion télé devrait être programmée pour la sortie du dernier film de la série, en 2014.
Telmondis m’a récemment proposé de partir filmer Roméo et Juliette au Théâtre Mariinsky fin février. L'équipe sera franco-russe avec, en partie, les gens avec lesquels j'aime travailler. Un direct sur Mezzo est probable le 1er mars. Puis, je pars fin mars filmer La Flûte enchantée mise en scène par Robert Carsen à Baden-Baden pour un direct en Allemagne le 1er avril. Simon Rattle dirigera le Philharmonique de Berlin. Sur scène : Simone Kermes, Magdalena Kožená et Annick Massis. Je serai accompagné par une partie de mon équipe et nous travaillerons avec des cadreurs allemands.
Pour les 100 ans du Théâtre des Champs-Élysées, nous filmerons Le Sacre du printemps de Stravinsky dans la version des Ballets Russes de 1913 et dans une création de Sasha Waltz. Nous aurons le plaisir de filmer à nouveau Valery Gergiev qui dirigera son orchestre du théâtre Mariinsky. Malgré un premier abord un peu sévère, ce chef s'avère passionnant à l'image. Ce sera un direct pour Arte à la fin du mois de mai.
Autant dire que ce sera un grand moment, d'une part car j'aime beaucoup le Théâtre des Champs-Élysées, mais aussi car je n’ai pas encore filmé beaucoup de ballets même si cela m’intéresse beaucoup. Je gage que cette expérience saura ouvrir pour moi un nouvel axe de découvertes et d'intérêt. Les captations ont ceci d'extraordinaire qu'elles me font découvrir des œuvres et des compositeurs vers lesquels je n'aurais sans doute pas été spontanément. Or on s'approche nécessairement de façon très intime d'une musique lorsqu'on travaille cinq semaines sur une réalisation. J'avoue une prédilection pour la musique du XVIIIe siècle qui a été en quelque sorte ma porte d'entrée de la musique classique. Une porte à partir de laquelle il est aussi passionnant de s'orienter vers Monteverdi et la Renaissance que d’aller plus avant dans le temps, vers la création contemporaine. Cette variété sans cesse renouvelée est un des grands plaisirs de mon métier.
Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 17 décembre 2012