Depuis le 4 décembre 2012, l'Opéra Bastille propose une nouvelle production de Carmen confiée à Yves Beaunesne. Anna Caterina Antonacci a été cette nouvelle Carmen jusqu'au 16 décembre. Karine Deshayes lui succède du 20 au 29 décembre. Le 13 décembre, les 10 caméras HD de François Roussillon ont investi l'Opéra Bastille pour une captation de Carmen transmise en direct dans quelque 220 salles de cinéma dans le cadre de Viva l'Opéra !
Tutti-magazine : Vous chantez actuellement le rôle de Don José dans Carmen à l'Opéra Bastille dans une nouvelle production mise en scène par Yves Beaunesne. Hier, c'était votre 5e représentation et la première avec Karine Deshayes. Quel premier bilan dressez-vous de cette première expérience à Bastille ?
Nikolai Schukoff : Bastille est une maison d'opéra où il faut vraiment donner beaucoup et se montrer très précis. On ne peut pas se permettre un chant ou un jeu à la louche car ça ne marche pas. Le bâtiment me fait un peu l'effet d'une usine. Dès que l'on rentre, les escalators donnent l'impression d'entrer dans un hôpital. C'est un lieu un peu impersonnel… Mais, le plus important est que le travail sur cette production de Carmen, qui nous a projeté quasiment dans une lutte, a soudé l'équipe à la manière d'une grande famille, ce qui apporté une dimension vraiment sympathique à notre travail. Nous sommes aussi vraiment très bien entourés par le personnel du théâtre. Je peux même dire que je n'ai jamais connu un tel soutien dans une maison d'opéra. Le bilan que je peux tirer de mon premier opéra à Bastille est donc avant tout une expérience humaine très intéressante.
L'acoustique n'est pas toujours facile sur la scène de Bastille. Dans le décor de Carmen, on se sent bien à certains endroits du plateau, quand d'autres sont secs et vides au point de donner la sensation de chanter dans de la ouate, ce qui n'est pas problématique lorsqu'on chante assez fort ou dans les aigus. En revanche, dans les passages moyennement puissants, cela peut devenir désagréable.
N'est-il pas possible d'éviter ces emplacements du plateau plus difficiles pour le chant ?
Non, car je tiens à toujours respecter les places que la mise en scène m'a attribuées, même si je dois chanter depuis un endroit qui n'est pas acoustiquement idéal.
Que pouvez-vous dire de la mise en scène d'Yves Beaunesne ?
Le metteur en scène Yves Beaunesne vient du théâtre, il aime le cinéma et en particulier l'univers de Pedro Almodóvar. Avec lui, nous avons commencé à travailler de façon très minutieuse sur de petits détails, comme pour un film, en évitant les expressions ou gestes trop marqués pour nous concentrer plutôt sur un jeu ressenti et naturel. Le travail de son chorégraphe et collaborateur à la mise en scène Jean Gaudin se situe plutôt entre la Commedia dell'arte et Federico Fellini. Yves n'a pas une personnalité très affirmée mais il est adorable avec les artistes et, au final, malgré un décor que j'aime beaucoup et des costumes réalisés avec un soin extrême, on se retrouve avec un manque de vision générale à même de structurer le spectacle et de lui apporter une ligne directrice.
Le décor ouvert ne laisse-t-il pas fuir le son dans la cage de scène ?
Nous nous sommes battus dès la première minute pour nous exprimer sur nos places car nous savions ce qui ne fonctionnerait pas par rapport à la voix. À plusieurs reprises le metteur en scène nous a entendus, mais il avait des idées bien arrêtées sur notre placement en scène. Lorsque nous avons chanté pour la première fois avec le chœur, il était trop tard pour changer grand-chose. Après quelques représentations nous avons tout de même pu apporter quelques modifications avec le chef d'orchestre Philippe Jordan qui était très conscient que certaines positions ne fonctionnaient absolument pas sur le plan acoustique. Avec quelques ajustements, les voix passaient déjà beaucoup mieux.
Le public de la première de Carmen, le 4 décembre, était particulièrement difficile…
La première de Carmen a été sans doute la pire de ma vie. Il m'est déjà arrivé d'être malade à Nuremberg pour un Cosi fan tutte et, dès la générale, j'ai su que je ne pourrai pas chanter la première. J'ai alors joué mon rôle sur scène tandis qu'un ténor qui connaissait la production chantait à ma place. Croyez-moi, ce n'était déjà pas très agréable… Mais, pour Carmen à l'Opéra Bastille, je suis tombé malade dans la nuit précédant la première. C'était une pharyngite et mon ORL a trouvé que les cordes vocales étaient en bon était. J'ai essayé les aigus, différents sons, et tout allait bien. Mais, pendant la représentation j'ai senti que ça descendait sur les cordes et il ne me restait plus qu'une chose à faire : essayer de sauver les meubles ! De plus, avec Carmen, si on ne se trouve pas dans un bon jour, il est possible de chanter les deux premiers actes et on finit par penser que tout ira bien jusqu'au bout. Mais le plus difficile se situe dans les deux derniers. J'aurais sans doute dû faire une annonce après l'entracte mais je pensais que je pourrais assurer. Je dois dire que je n'aime pas faire ce genre d'annonce car le public est alors en droit de se demander pourquoi on est sur scène… Mais c'était ma première à Bastille, moi qui vis à Paris et qui suis marié à une Française. C'était un rêve ! Aujourd'hui, c'est un risque que je ne prendrai pas à nouveau.
Entend-on les réactions du public depuis le grand plateau de Bastille séparé de la salle par la grande fosse d'orchestre ?
Bien sûr, et je vous avoue que n'ai jamais autant pleuré après un spectacle. Les saluts à la fin de Carmen ont été un des pires moments de ma carrière car je pressentais ce qui m'attendait… Ceci dit, je suis très conscient d'une chose : le public paie pour sa place et cela lui donne le droit de dire si le spectacle lui plaît ou pas. Je dois dire aussi que je me suis posé la question au sujet des sifflements du public car Anna Caterina Antonacci a été sifflée aussi alors qu'elle n'était pas malade. Peut-être l'aurais-je été aussi si j'avais été au meilleur de ma forme. Selon un de vos confrères journaliste, c'est une tradition de siffler les artistes lors d'une première…
Dans quel état d'esprit avez-vous abordé la seconde représentation 3 jours plus tard ? Avez-vous remis en question votre approche de Don José ?
Pour la seconde représentation de Carmen j'avais demandé à mon collègue Khachatur Badalyan* de s'habiller afin d'être prêt dans les coulisses au cas où... Je sentais que mes cordes vocales me permettaient de chanter mais, surtout, il était impératif pour moi de me présenter sur scène afin de chasser mes démons. J'ai fait une annonce pour cette deuxième représentation et, finalement, Khachatur n'a pas eu besoin d'intervenir. Dès la seconde représentation, le public était chaleureux, et hier, c'était tout simplement magnifique car il a réagi comme je le souhaitais intimement. Pour ma troisième représentation, qui était filmée, j'étais en pleine possession de mes moyens. C'était en quelque sorte ma vraie première !
* Khachatur Badalyan a chanté le rôle de Don José le 10 décembre avec Anna Caterina Antonacci.
Le 13 décembre, vous avez été filmé par François Roussillon pour une diffusion live HD dans les salles de cinémas. Comment s'est déroulée cette représentation un peu spéciale ?
Nous n'avons malheureusement pas travaillé avec le réalisateur de la captation, mais nous sommes bien sûr très conscients qu'avec les caméras, nous ne pouvons pas nous permettre de "mettre le doigt dans le nez !", et nous devons rester ancrés dans nos rôles. Personnellement, le fait d'être filmé m'a animé dans un sens très positif.
Depuis le 20 décembre, Karine Deshayes est votre Carmen, après Anna Caterina Antonacci. Comment envisagez-vous ce changement dans votre couple de scène ?
Face à ces deux interprètes mon Don José est absolument différent. Je ne change pas beaucoup de places, alors je ne sais si cela est très apparent, mais la différence est pourtant énorme. Anna Caterina est une chanteuse extrêmement professionnelle, qui habite le rôle. Face à elle, je me sens plus "acteur" sur scène. L'attitude provoque une réaction. Avec Karine, c'est totalement différent car elle habite moins le rôle, ce qui est normal car c'est sa première Carmen et je pense que ce rôle nécessite une vie et des metteurs en scène pour s'affiner. Mais Karine réagit dans le moment au sein d'une interaction très personnelle, ce qui rend l'échange passionnant. Hier, par exemple, cela a eu pour effet de me faire changer instantanément de réaction, de couleurs, et de me faire dire le texte autrement pour réagir précisément à cette Carmen qui était devant moi. Cela est très créatif et va sans doute évoluer avec les représentations.
Vous chanterez Don José au Met en février 2013. Comment vous préparez-vous à cette production de Richard Eyre ?
Je pars à New York le 28 janvier après un concert à Compiègne. La période de préparation sera assez courte car la première est le 9 février*. Ce sera aussi ma première au Met et, cela, sans préméditation de ma part, car j'avais à l'origine un contrat pour Parsifal au Festival de Pâques à Salzbourg. Mais, suite à la défection de Sir Simon Rattle et du Philharmonique de Berlin pour Baden-Baden, Christian Thielemann et la Staatskapelle de Dresde ont été engagés à Salzbourg. Thielemann a bien voulu diriger Parsifal, mais avec sa propre distribution et non celle de Rattle. Ma présence à Salzbourg a donc été annulée, non que Thielemann ne m'aime pas mais il était dans l'impossibilité d'accepter une programmation dans laquelle il n'aurait pas son mot à dire. Je me suis ainsi retrouvé libre de pouvoir chanter Fidelio à Lyon**, mais aussi cette Carmen au Met, que je reçois comme un immense cadeau.
* Du 9 au 23 février au Metropolitan Opera.
** Du 28 mars au 12 avril à l'Opéra de Lyon.
Vous avancez dans votre carrière en veillant à conserver une grande flexibilité entre les rôles. Est-ce une façon pour un chanteur de durer ?
Je pense que cette flexibilité est à la base de ma carrière. Bien sûr, cela dépend du répertoire. Alfredo Krause, par exemple, a construit sa carrière sur peu de rôles et elle a été brillante. D'autant que ces rôles plutôt belcantistes étaient très aigus et que seule une technique de béton permettait de les préserver avec l'âge. Je pense du reste que si l'on se spécialise dans le Bel Canto, il est possible de demeurer dans ce répertoire. En qui me concerne, je suis Autrichien et ma langue maternelle est l'allemand. Or je ne peux pas envisager de toujours chanter Tamino et j'aborderai Erik dans Le Vaisseau fantôme, Max dans Le Freischütz, Parsifal ou Lohengrin. Et cela devient dès lors extrêmement difficile car Erik et Parsifal appartiennent à deux répertoires complètement différents. Erik est pour moi un rôle Bel Canto allemand, tandis que Parsifal est écrit pour un baryton aigu, et un Pelléas monte encore plus haut. Je n'ai pas encore chanté Pelléas et j'en rêve. La flexibilité est donc indispensable. Il faut juste avoir suffisamment de temps pour que la voix puisse s'adapter à une autre tessiture. Dans l'idéal, j'ai besoin d'une à deux semaines si le second rôle est plus aigu que le premier. Mais, bien sûr, tout dépend aussi des programmations. Je m'adapte…
Vous avez chanté le rôle de Steva dans Jenůfa mis en scène par Stéphane Braunschweig. Comment appréhendez-vous ce type d'expression vocale ?
C'est un chant effectivement assez spécifique. J'ai chanté dernièrement Rusalka à l'Opéra de Göteborg*, également écrit en tchèque et, comme pour Jenůfa, j'ai consacré un certain temps à l'apprentissage du rôle. Mais cette exactitude que demande la prononciation des consonnes a pour conséquence d'utiliser la voix autrement. Pour moi, le tchèque se situe entre l'italien et l'allemand, qui demande une aspiration des consonnes sans donner des coups sur les voyelles. Dans l'italien, les consonnes ne sont pas importantes et on chante la grande ligne des voyelles. Avec le tchèque, on peut combiner les deux : la ligne de l'italien, avec des consonnes mordantes. Mais, pour revenir à Jenůfa, je pense que c'est avant tout l'univers très vériste et gris de Janáček qui oriente le chant plus près de la voix parlée que de la voix chantée. Ce vérisme se situe bien entendu aux antipodes du vérisme chaleureux ou ardent de Canio dans Paillasse.
Pour rester dans le domaine des langages particuliers, vous avez enregistré en 2011 le rôle de Hal dans Plump Jack de Gordon Getty dans une version de concert. Comment donne-t-on vie à un personnage lors d'un enregistrement lorsqu'on ne l'a pas interprété sur scène ?
Tout commence pour moi par lire tout ce que je peux trouver comme littérature secondaire sur le sujet. Pour ce projet, j'ai eu également la chance de rencontrer le compositeur qui m'a expliqué sa vison du personnage de Hal. Effectivement, Gordon Getty utilise un langage personnel. Mais, plus largement, je pense que les grands compositeurs, que ce soit Mozart, Verdi, Wagner ou Bizet, développent tous ce que j'appellerais un dialecte musical, une sorte d'accent qui leur est propre. Pour moi, l'essentiel est de comprendre comment phraser la mélodie. Dès lors, il devient bien plus facile d'interpréter une musique. Avec Gordon Getty, on repère une phraséologie qui permet de faciliter l'interprétation.
Est-ce le travail avec Gordon Getty qui vous a aidé le plus pour votre enregistrement ?
En partie, car c'est en apprenant le rôle que je fixe un certain nombre de choses. Cette étape m'est très personnelle. Par exemple, je n'aime pas travailler avec des pianistes car je tiens à construire ma propre interprétation, plus qu'à apprendre les traditions attachées à un rôle, que je peux en outre approcher par des enregistrements. C'est de cette façon que je parviens à trouver ces petits détails qui se trouvent entre les lignes. Je travaille ainsi seul au piano, et parfois je saisis même toute la partition sur mon ordinateur pour l'écouter ensuite au casque en faisant du sport. Il est important pour moi d'apprendre le rôle dans une phase tonique, puissante et aussi heureuse, ce que permet la pratique simultanée du sport. Je relis aussi beaucoup les phrases, comme je l'ai appris durant mes études au Mozarteum avec un excellent professeur de théâtre, en travaillant sur les accents toniques. La confrontation de ce travail personnel avec la ponctuation musicale écrite par le compositeur, qu'elle aille contre ou qu'elle augmente l'intention de départ, permet d'accéder à une dimension très vivante. Bien sûr, certaines œuvres, comme Carmen, sont si bien écrites qu'il suffit de plonger dans la partition pour s'en imprégner.
Vous avez dit que vous pourriez être un jour tenté par la mise en scène. Cela vous rend-il malgré tout disponible pour les metteurs en scène avec lesquels vous travaillez ?
J'ai toujours une multitudes d'idées dans la tête, y compris pour mes collègues et il faut parfois me faire taire. Pour revenir à la mise en scène d'Yves Beaunesne pour Carmen, j'ai essayé de proposer pas mal de choses venant en partie de ma propre expérience et en usant de beaucoup de tact, mais Yves préférait "ne pas faire comme tout le monde". Je pense que ce n'est pas forcément une bonne chose de s'exprimer ainsi, mais c'est parfois plus fort que moi… Lorsque j'ai chanté pour la première fois le rôle du Prince de Rusalka, je suis arrivé aussi avec beaucoup d'idées, et David Radok, qui est un merveilleux metteur en scène, a accepté beaucoup de choses car il souhaitait que ce Prince tire sa force d'émotions personnelles. Je suis persuadé qu'une mise en scène qui porte un certain nombre d'éléments personnels des chanteurs, et non des rôles, est toujours plus vraie dans le ressenti et la conviction avec laquelle les artistes s'expriment. Il arrive, bien entendu, que certains metteurs en scène ne permettent aucune intervention dans leur travail et je suis le premier à essayer de me transformer en éponge en laissant mes pensées au dehors afin d'absorber le plus possible ce que l'on me donne. Tel a été le cas avec The Turn of the Screw mis en scène par Robert Carsen à Vienne : ma seule volonté était de servir son univers du mieux que je pouvais. Quoi qu'il en soit, j'apprécie aussi lorsqu'il y a un échange, un peu comme dans un jeu de ping-pong, et je m'investis complètement dans la phase de répétitions d'un spectacle. Je sais que je peux aussi en faire trop et j'apprécie que le metteur en scène puisse me canaliser et peut-être m'amener à en faire moins pour aboutir à un résultat plus juste.
Le 26 janvier 2013, vous donnerez au Théâtre Impérial de Compiègne un récital avec votre épouse Isabelle Cals, accompagnés au piano par Antoine Palloc. Comment avez-vous construit votre programme ?
Nous allons chanter au Théâtre Impérial de Compiègne* avant tout pour nous faire plaisir. Je tiens à conserver le sens de la vocation qui nous pousse à faire ce métier de chanteur et, par exemple, je ne sais jamais combien je gagne. Mon agent s'en charge. Je signe et je ne veux rien savoir car je veux que la musique prime sur l'aspect matériel. Pour le programme que nous chanterons je me suis dit qu'il faudrait éviter de prendre des risques juste avant de partir pour New York et nous reprendrons en partie des airs que nous avons déjà chantés. Mais il y aura aussi des airs que je chanterai parce que je les adore et d'autres qui me permettront de flirter avec des œuvres dont je rêve comme le duo d'Otello. Je ne sais pas si je serai un Otello un jour, alors chanter le duo c'est déjà comme un baume qui se déverse sur un rêve. Je reprendrai également l'air de Don José de Carmen afin de le chanter dans une salle très différente et, peut-être, avec une fin différente. Avec Philippe Jordan, à l'Opéra de Paris, nous nous sommes efforcés de rester au plus près de la partition et je termine l'air en voix mixte. Le Met est une très grande salle et je serai peut-être obligé de chanter en pleine voix. Ce sera une bonne chose de l'essayer avant. Nous proposerons également pas mal d'airs d'opérettes. L'opérette est un genre que j'adore car il convient parfaitement à mon type de voix qui, à l'origine, était baryton. Mon passage est assez bas et je couvre assez souvent à mi quand d'autres ténors peuvent encore ouvrir et chanter un fa sans aller dans l'autre registre. De nombreux rôles de Lehár et Kálmán sont vraiment écrits pour ma tessiture et, de plus, j'adore parler sur scène. À Compiègne, bien sûr, il n'y aura pas de dialogues. Lorsque ma femme Isabelle Cals chante l'opérette allemande, sa prononciation est impeccable et ce sera un réel plaisir de chanter avec elle le duo de Comtesse Maritza, parmi d'autres.
Vous qui avez l'habitude des masses orchestrales qui accompagnent votre voix et même des orchestres et chœurs placés derrière vous, comme pour la 8e Symphonie de Mahler, comment appréhendez-vous le récital avec piano ?
Avec le piano, le chanteur est nu. Il est donc primordial d'être accompagné par un pianiste qui l'habille par sa musicalité et couvre cette nudité…
…Justement, comme de nombreux chanteurs de votre génération, de nombreux metteurs en scène vous déshabillent sur scène. Comment ressentez-vous cela en tant qu'acteur ?
Tout dépend si cela est nécessaire à une scène. Par exemple, pour une Lady Macbeth de Mtsensk à Genève, il y a une scène d'orgasme écrite dans la musique de Chostakovitch et durant laquelle on a vu mes fesses. Ce n'était pas un problème car cela est intégré au rôle et cela n'ajoute pas pour moi une pression supplémentaire. Mais je ne voudrais pas pour autant me montrer totalement nu car cela retire toute fantaisie et ne se justifie pas. Par exemple, dans la mise en scène de Robert Carsen pour The Turn of the Screw, il y avait une scène magnifique lorsque Quint s'exprime la première fois. C'était en fait un rêve de la gouvernante. Son lit hydraulique était remonté à la verticale et Sally Matthews était attachée avec des sangles, ce qui donnait une perspective extraordinaire. Un tulle était disposé devant le lit, sur lequel était projeté un film que nous avions tourné auparavant et qui représentait le fantasme sexuel de la gouvernante. Lorsque nous nous sommes retrouvés complètement nus, au début du tournage, c'était vraiment très difficile et il était important de pouvoir accorder une totale confiance aux gens avec lesquels on travaillait. Nous étions dans une grande salle très bien chauffée et seuls étaient présents le caméraman et Robert Carsen, ce qui nous a permis de nous sentir en pleine sécurité. Je dois dire que je considère Sally Matthews comme une grande et superbe actrice. Il est du reste survenu un épisode assez drôle durant ce tournage. Il fallait que je passe ma main sur le pubis de ma partenaire et, pour cela, on avait engagé une doublure corps bien que Sally et moi avions déjà tourné un certain nombre de plans aussi, voire plus osés. Bref. Tout à coup, le chef maquilleur s'agite et chuchote quelque chose que je ne parvenais pas à entendre. Puis on tourne le plan avec ma main, dans la pénombre… C'est seulement après que j'ai su que la doublure corps, qui ressemblait beaucoup à Sally Matthews, était épilée. Or dans le contexte de l'opéra de Britten, cela n'était pas cohérent. Le maquilleur avait eu l'idée de prendre une barbe postiche, de la tailler et de la coller sur le pubis du modèle…
À la fin de vos études, vous vous pensiez baryton avant de vous diriger vers une carrière de ténor. Imaginez-vous pouvoir, avec l'âge, revenir vers un répertoire de baryton, comme le fait Plácido Domingo ?
Franchement, je ne sais pas. Je pourrais peut-être chanter également comme un baryton lyrique. Il faudrait pour cela que je trouve d'autres couleurs. Mais mon âme est celle d'un ténor et je cherche actuellement de plus en plus les rôles exigeants dans les aigus. Je chanterai ainsi bientôt Foresto dans Attila de Verdi avec des aigus qui ne sont pas dans la partition. Par exemple, je sortirai un do à la fin de la cabalette, et des si bécarre dans certains airs. Je favorise aujourd'hui les rôles qui me permettent de développer ces aigus. Je vais peut-être essayer Walther von Stolzing dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg. Je dis bien "peut-être", car ce rôle est une véritable montagne à escalader, un vrai marathon. Mais il représente bien l'orientation que je souhaite donner à mon travail…
Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 21 décembre 2012
Pour en savoir plus sur Nikolai Schukoff :