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Interview de Michael Fabiano, ténor

Michael Fabiano.  D.R.

Nous rencontrons le ténor américain Michael Fabiano après la répétition générale de Lucia di Lammermoor dans lequel il chante le rôle d'Edgardo à l'Opéra Bastille. L'occasion de revenir avec ce chanteur à l'aura grandissante sur le documentaire qui l'a fait connaître, mais aussi sur sa vocation et sa conception du métier de chanteur. Michael Fabiano s'exprime avec franchise sur son parcours, ses rencontres et les étapes de sa jeune carrière remarquée et remarquable…

Michael Fabiano interprète actuellement le rôle d'Edgardo di Ravenswword dans Lucia di Lammermoor à l'Opéra Bastille au côté de Sonya Yoncheva dans le rôle-titre. La mise en scène est signée Andrei Serban et l'Orchestre de l'Opéra national de Paris est placé sous la direction de Maurizio Benini. Michael Fabiano est distribué les 10, 17, 23, 29 septembre, et les 4 et 9 octobre. Plus de renseignements ICI.

Tutti-magazine : Vous souvenez-vous de l'événement qui vous a orienté vers une carrière de chanteur d'opéra ?

Michael Fabiano : Oh oui, j'avais 18 ans et j'étais à l'Université du Michigan. Mon premier professeur de chant était le ténor afro-américain George Shirley, célèbre pour avoir chanté au Metropolitan Opera et à Covent Garden. À cette époque, j'avais la ferme intention de m'orienter tout d'abord vers des études de commerce puis, ensuite seulement, vers la musique. Or mon professeur me disait : "Michael, tu as une voix, tu dois l'utiliser car tu as une obligation envers ce don !"… Je me souviens aussi que j'avais enregistré quelques canzone et arias sur une cassette audio pour l'offrir à mes parents comme cadeau de Noël. Ils étaient très musiciens, chantaient tous les deux, et cet enregistrement les a surpris car ils ne s'attendaient pas à ce que je chante ainsi. Alors, entre le conseil de mon professeur, l'avis de mes parents et celui d'autres membres de la famille, j'ai pris conscience que j'avais un devoir : celui de m'engager sans attendre dans le chant. Une fois cette décision prise, j'ai investi toute ma volonté pour devenir chanteur. Pourtant ma détermination à acquérir un diplôme d'école de commerce était réelle, et je peux même dire qu'elle le demeure… Qui peut savoir ? La vie nous réserve parfois de drôles de surprises…

Le DVD <i>The Audition</i> n'est pas distribué en France, mais il est possible de le trouver sur Internet…

En 2009 sort The Audition, le documentaire de Susan Froemke consacré aux Metropolitan Opera's National Council Auditions. Le film débute sur vous, à l'Academy of Vocal Arts of Philadelphia, Pennsylvania. Le professeur de chant Bill Schumann vous conseille. Bill Schuman a-t-il joué un rôle important dans votre apprentissage ?

Je voudrais tout d'abord faire une distinction importante à propos du documentaire The Audition. En effet, de nombreuses personnes pensent que j'ai participé aux auditions en 2009, ce qui correspond à l'année de la sortie du film. Or le tournage a en réalité commencé à la toute fin 2006 et les auditions auxquelles j'ai participé et que vous voyez dans le film se sont terminées en 2007…
Bill Schuman est mon professeur de chant. Il m'a beaucoup appris et je lui porte une confiance absolue. C'est à lui que je dois d'avoir la voix qui est la mienne aujourd'hui car il a trouvé la bonne façon me faire travailler avec efficacité tout en me donnant en grande partie la technique que je possède. Dans The Audition vous avez pu l'apercevoir un court moment mais Bill Schuman est entré dans ma vie il y a environ 9 ans et je continue à travailler avec lui. C'est un grand professeur de chant, et je ne saurais rien dire de plus à son sujet si ce n'est que je n'hésite pas à orienter les gens vers lui.

 

[Plusieurs milliers de chanteurs passent ces auditions organisées dans tous les États-Unis, motivés par la dotation remportée par les vainqueurs, la chance de chanter sur la scène du Met et de voir leur carrière lancée de façon sensible. Lorsque Michael Fabiano a participé à ces auditions, 22 chanteurs se sont retrouvés en demi-finale sur 1.800 participants. Il est arrivé en finale et a obtenu le Grand Prix.]

Dans ce film, vous exprimez une volonté très affirmée de parvenir à une carrière. Quel était le moteur de cette volonté ?

Je suis quelqu'un de très concentré et, lorsque je me fixe un but, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour l'atteindre. Je n'attends jamais que les gens fassent quelque chose pour moi car c'est à moi d'agir. Je dois à la fois au public, à ma famille et à mes amis d'investir toute mon énergie dans le talent que je crois posséder. Je ne pense pas que la chance suffise, et toute personne douée se retrouve devoir gérer ce don dans sa vie. J'ai la chance d'avoir une voix, et cela me rend extrêmement redevable. On peut me trouver très volontaire dans le documentaire de Susan Froemke, mais je crois que les gens les plus concentrés sur leur but et ceux qui acceptent la responsabilité qui va de pair avec leur don sont ceux parviennent à de bons résultats. Cette volonté, aujourd'hui, est toujours celle qui m'anime dans mon travail. Elle est même essentielle.

 

Danielle Orlando et Bill Schumann à l'Academy of Vocal Arts de Philadelphie, Pennsylvanie.

 

Le ténor Michael Fabiano.  © Arielle Doneson

Dans le documentaire, le Maestro Marco Armiliato vous conseille de ne pas trop chanter ouvert mais de couvrir la voix. Comment comprendre ce conseil ?

Avant de vous répondre, il est très important de préciser que chaque chef d'orchestre ou chaque professeur de chant utilise un vocabulaire qui lui est propre. Ceci étant, pour moi, chanter en couvrant c'est maîtriser la voix afin qu'elle soit plus ronde ; chanter de façon large, c'est ne pas contraindre la voix à cette rondeur et à cette concentration pour lui permettre de jaillir plus naturellement dans toute sa vigueur. J'avais 22 ans lorsque Marco Armiliato m'a donné ce conseil et je l'ai très bien compris. Ceci étant, par rapport aux jeunes chanteurs, je suis persuadé qu'il faut leur permettre de chanter large et grand, malgré leur jeunesse, car ces jeunes interprètes sont un peu comme des chevaux sauvages qui ont besoin de courir en liberté pour grandir et développer leurs muscles. Toujours les obliger à contraindre leur voix ne leur permettra pas d'évoluer au maximum de leurs capacités. Au départ, un chanteur doit être libre. Il se construit et apprend la maîtrise avec le temps. C'est la façon dont j'ai travaillé avec mon professeur, et c'est ainsi que je travaille avec mes deux répétiteurs-accompagnateurs, Danielle Orlando et Laurent Philippe, dans le but de rendre l'instrument à la fois efficace et de le faire progresser.

Le documentaire The Audition, en revanche, ne dit pas si, après le concours, le National Council vous a apporté une aide quelconque pour votre carrière…

J'ai participé à ce concours pour gagner de l'argent et pour pouvoir me produire à New York. Le bénéfice le plus important en a été précisément ce film qui met en lumière les difficultés éprouvées par un grand nombre de jeunes chanteurs d'opéras, que ce soit aux USA ou ailleurs. Je crois que c'est une idée excellente du Metropolitan Opera que d'avoir présenté un tel film car il montre autant les situations stressantes que les chanteurs doivent traverser que la concurrence qui existe à ce niveau d'apprentissage, et de quelle manière il faut se préparer pour prétendre gagner. Un grand nombre de personnes, à commencer par les artistes eux-mêmes, ne souhaitent pas parler de compétition et préfèrent communiquer sur la partie artistique de leur métier. Pour moi, cette image du pur artiste vivant pour l'Art n'est pas réaliste. Je suis en compétition chaque jour, ne serait-ce qu'avec moi-même, pour parvenir à être meilleur. Lorsque je me retrouve dans une compagnie, entouré d'artistes de valeur, cela me pousse à être le meilleur possible. C'est un élément clé à comprendre pour un jeune chanteur : se contenter d'espérer devenir le meilleur est le plus sûr moyen pour que ça n'arrive jamais !

 

Michael Fabiano et Angela Meade avec les musiciens du Cleveland Orchestra  D.R.

Avez-vous conservé des contacts privilégiés avec les chanteurs qui participaient au concours ?

Bien sûr, en particulier avec la soprano Angela Meade. Nous avons fait tous les deux nos études musicales à l'Academy of Vocal Arts de Philadelphie et nous avons déjà chanté plusieurs fois ensemble, en particulier à New York. Tous les chanteurs qui se sont retrouvés dans ce concours ont gardé de bons contacts entre eux d'une façon ou d'une autre. Cependant, ce groupe a été marqué par le décès d'un des chanteurs* de la compétition.
* Le ténor Ryan Smith.


Vous avez obtenu le Grand Prix. A-t-il eu des répercussions importantes sur votre carrière ?

Non. Le film a vraiment fait plus pour moi que le Grand Prix en soi ! Pourtant, The Audition a été assez controversé car le documentaire montre certains chanteurs sous un jour très positif mais d'autres sous un angle très difficile. Je dirais que c'était au final une bonne chose pour le Metropolitan Opera.

Michael Fabiano et Renée Fleming à l'Opéra de San Francisco.  D.R.

 

 

Durant votre jeune carrière, quelles ont été les personnalités qui vous ont le plus soutenu ?

Tout d'abord, j'ai continué mes études de chant à l'Academy of Vocal Arts pendant encore 2 ans après l'obtention du prix, jusqu'à l'âge de 25 ans. Bill Schuman, Danielle Orlando et Laurent Philippe étaient pour moi les trois personnes les plus importantes. Laurent Philippe est du reste avec moi à Paris en ce moment et nous travaillons ensemble. Après ma formation, effectivement, j'ai eu l'occasion de faire des rencontres. Quelques chefs d'orchestre et certains collègues se sont montrés incroyablement bienveillants, en particulier René Fleming qui a toujours été un modèle pour moi et avec laquelle j'ai eu l'occasion de travailler plusieurs fois. Elle m'a donné de merveilleux conseils en tant qu'interprète et musicienne au point que je chérirai à jamais l'attention qu'elle m'a accordée autant que ses conseils. Le chef d'orchestre américain Stephen Lord, qui est proche de moi, m'a aussi apporté le soutien dont j'avais besoin à certaines étapes-clés de ma vie. C'est à lui que je dois d'avoir pu chanter au début de ma carrière.

 

Renée Fleming (Lucrèce Borgia) et Michael Fabiano (Gennaro) dans <i>Lucrèce Borgia</i> de Donizetti.  © Cory Weaver/San Francisco Opera

<i>Lucrezia Borgia</i> avec Renée Fleming et Michael Fabiano sortira en Blu-ray et DVD chez EuroArts…

Votre prestation dans Lucrèce Borgia au côté de Renée Fleming à l'Opéra de San Francisco doit faire l'objet d'une sortie vidéo…

Tout à fait. Très bientôt vont sortir un Blu-ray et un DVD de cette captation chez EuroArts*. Cette sortie vidéo s'inscrit dans le cadre d'une collaboration entre l'éditeur et l'Opéra de San Francisco. Ce sera la première vidéo commercialisée d'un opéra dans lequel je figure, et sans doute une sortie importante pour moi… Je tiens à dire que l'Opéra de San Francisco fait partie des compagnies que j'estime le plus. Son directeur musical Nicola Luisotti et son directeur général David Gockley ont non seulement fait confiance au jeune ténor que j'étais, mais ils m'ont réservé de très beaux rendez-vous que je suis impatient d'honorer dans les cinq années à venir. San Francisco est une très belle ville, et sa compagnie d'opéra est tout aussi merveilleuse.
* La sortie de Lucrèce Borgia, édité par EuroArts, est prévue en France pour le 14 octobre 2013.


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Fin 2011, pour votre premier disque, vous avez enregistré en concert pour Deutsche Grammophon le Prologue de l'opéra de Shostakovich Orango sous la direction d'Esa-Pekka Salonen. Vous chantez le rôle du zoologiste. Que pouvez-vous dire de cette expérience ?

Je crois que lorsqu'on aime la musique russe, Shostakovich est incontournable. Ce disque est ce qu'on appelle un projet de dernière minute que je dois à mes débuts à San Francisco. J'ai en effet reçu la partition assez tard et j'ai dû l'apprendre rapidement. C'était une expérience à la fois délicieuse et brève. Quoi qu'il en soit, cette musique découverte récemment méritait d'être enregistrée car elle est magnifique. Mon rôle est agréable à chanter mais également court puisqu'il consiste principalement en une aria.Michael Fabiano devant l'affiche de son premier récital américain.  D.R.




Néanmoins, vous avez su vous familiariser avec cette partition en peu de temps…

J'aime travailler sous la pression. Je sais que je suis bon dans les situations tendues chargées d'imprévus. Lorsque tout va bien et que tout est programmé, je ne suis pas aussi à l'aise que lorsque plusieurs choses surviennent en même temps. J'aime les situations qui me surprennent car elles me stimulent. C'est vraiment ainsi que j'aime travailler.

Le 19 janvier 2013, vous avez donné votre premier récital américain au Folly Theatre à Kansas City. Quel programme avez-vous chanté ?

Principalement du répertoire. J'ai construit un programme autour de lieder et d'arias d'opéras rarement chantées en récital. J'ai ainsi proposé des mélodies de Duparc et Liszt, Strauss et Tosti, et des arias tirées de Hérodiade de Massenet, Il Corsaro de Verdi, Le Villi de Puccini… Bref, des compositeurs très connus, mais des pièces très rares, de celles qui font dire au public : "Cette musique est magnifique mais je ne l'avais jamais entendue !".

Quelle impression vous laisse cette étape dans votre carrière ?

Ce premier récital m'a demandé un énorme travail. Je crois, du reste, qu'un récital demande toujours un investissement important. Je considère cette forme d'expression comme une véritable performance car je dois trouver un ton différent pour chaque aria inscrite au programme et me transformer en un conteur différent pour chaque pièce que je chante. Dans un opéra, je demeure le même personnage durant toute l'œuvre, tandis que le récital demande à s'adapter à chaque minute qui le constitue. Le récital demande à la fois un état d'esprit, de l'expérience et beaucoup de temps. Mais j'adore étudier les œuvres et je peux facilement me consacrer à l'étude durant plusieurs heures tant j'apprécie le moment consacré à apprendre. C'est l'étude qui me permet de découvrir des choses nouvelles dans la partition mais aussi par rapport à ma voix. J'aime particulièrement me lancer à la découverte d'œuvres que je ne connais pas… Je prépare en ce moment un récital pour le 14 novembre au Kennedy Center de Washington. Danielle Orlando m'accompagnera au piano. À Kansas City, c'est Laurent Philippe qui était derrière le piano, mon complice auquel je tiens beaucoup et qui m'apporte tant au travers d'une collaboration unique…

 

Le <i>Requiem</i> de Verdi à Oslo dirigé par Jukka-Pekka Saraste le 22 mars 2013.

Un mois après votre premier récital américain, vous avez chanté le Requiem de Verdi à Oslo. Ce concert a été retransmis sur le Net et a touché un large public. Quel souvenir conservez-vous de ce Requiem ?

Jukka-Pekka Saraste dirige le <i>Requiem</i> de Verdi.

Je conserve de nombreux souvenirs liés aux concerts d'Oslo. J'étais aussi heureux de chanter le Requiem de Verdi à Oslo, que quelques jours auparavant à Puerto Rico. Mais, le jour précédant mon vol pour Oslo, j'ai attrapé en trente minutes le pire coup de soleil de ma vie ! Je n'ai pas réalisé cela sur le moment, mais le lendemain, j'étais tellement brûlé que j'étais devenu non seulement cramoisi mais aussi incapable de bouger. Le vol pour la Norvège a été le plus pénible des déplacements au-dessus de l'océan que j'ai jamais enduré, et les jours qui ont suivi à Oslo n'étaient pas moins délicats à gérer en raison de la douleur… Ceci étant, ce Requiem a été une très belle expérience avec le Philharmonique d'Oslo car c'est une formation incroyable. Lorsque je me suis retrouvé assis devant l'orchestre, je me suis dit plusieurs fois qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire au niveau de l'orchestre. Au moment du Dies Irae, la vague sonore qui passait au-dessus de ma tête me donnait le frisson. Cela ne se produit pas toujours, non que les orchestres ne soient pas bons, mais c'est une situation bien spéciale… Michael Fabiano chante le <i>Requiem</i> de Verdi à Oslo en 2013.
J'étais encore complètement décalé pour le premier concert programmé seulement deux jours après mon arrivée à Oslo. Le matin même, l'alarme incendie de mon hôtel s'est déclenchée à 5h. Comme elle ne s'arrêtait pas, tout le monde a pensé qu'il y avait vraiment le feu et les gens ont commencé à se préparer à sortir. À ce moment, on a appris qu'il s'agissait d'un test… Et c'était le jour de la première ! Dieu merci, ce n'est pas le concert qui a été filmé et diffusé*. Quoi qu'il en soit, ce Requiem à Oslo restera pour moi un magnifique souvenir musical. L'orchestre était dirigé par Jukka-Pekka Saraste qui s'est montré superbe. Travailler avec de tels musiciens est un rêve. De plus, le Requiem de Verdi est l'œuvre que je préfère chanter. Ma relation avec elle est très spéciale au point que je n'ai pas besoin de partition car je crois qu'elle est gravée en moi à jamais.
Je chanterai à nouveau le Requiem le 25 octobre prochain à San Francisco dans le cadre d'une collaboration avec le Teatro San Carlo de Naples. Le théâtre San Carlo vient avec son orchestre et son chœur, et joindra ses forces à celles de l'Opéra de San Francisco. Les deux orchestres et les deux chœurs seront réunis sous la direction de Nicola Luisotti au War Memorial Opera House.
* Ce Requiem de Verdi va faire l'objet d'un DVD actuellement en préparation. Un extrait est proposé à la fin de l'interview…

 

Michael Fabiano (Edgardo di Ravenswword) dans <i>Lucia di Lammermoor</i> à l'Opéra Bastille.  © Mihaela Marin/ONP

Vous avez fait vos débuts à l'Opéra de Paris dans Otello en 2011, mis en scène par Andrei Serban. Vous le retrouvez pour Lucia di Lammermoor dans lequel vous interprétez Edgardo di Ravenswood. Comment travaillez-vous avec ce metteur en scène ?

Andrei est un merveilleux metteur en scène. C'est quelqu'un de solide avec des idées fortes et intéressantes. J'apprécie cette seconde collaboration avec lui et c'est un plaisir de participer à la réalisation de son travail. J'ai mis un moment à rentrer dans ce concept original, mais une fois accepté, je trouve ce projet intéressant. Cette Lucia est un projet très physique car je cours beaucoup, et je monte et descends de différents endroits assez souvent. Mais j'aime ça ! Je suis persuadé que, tant dans La Somnambule que Lucia de Lammermoor, le mouvement apporte quelque chose même si, chaque soir, un gros travail m'attend. En tout cas, je suis heureux de pouvoir chanter un rôle important comme celui d'Edgardo mis en scène de cette façon.

Deux distributions différentes se partagent les représentations de Lucia à l'Opéra Bastille. Comment les répétitions sont-elles organisées ?

Je me retrouve en définitive très rarement dans la même salle que Vittorio Grigolo, qui chante Edgardo dans l'autre distribution. Nous travaillons de façon assez séparée. En fait, la seule répétition qui nous a réunis était la dernière scène/orchestre. Pour le reste, nous avons chacun nos propres répétitions. Peut-être cela est-il la conséquence de mon arrivée assez tardive à Paris. Je me trouvais à Santa Fe et je suis très reconnaissant à l'Opéra de Paris de m'avoir permis de commencer avec un certain retard. Mais, dès que j'ai commencé à travailler, je dois reconnaître qu'Andrei Serban m'a immédiatement donné de précieuses indications.

Michael Fabiano dans <i>Lucia di Lammermoor</i> mis en scène par Andrei Serban.  © Mihaela Marin/ONP

Comment vous sentez-vous à l'Opéra Bastille ?

Cette maison d'opéra est à proprement parler magnifique. Chacun fait preuve d'une présence exceptionnelle auprès des artistes, ce qui fait d'une production à l'Opéra de Paris une expérience formidable. Ce n'est pas toujours ainsi, aussi je tiens à l'exprimer en signe de reconnaissance. J'y ressens une dimension quasi familiale dans la mesure où je vois des équipes soudées et des personnels heureux de travailler ensemble. C'est pourtant une organisation immense, mais jamais je n'en ressens le poids car le travail sur un projet particulier semble être le point de rassemblement de toutes les attentions. Quand une production est ainsi au centre des énergies, c'est révélateur d'une gestion solide. C'est en tout cas ce que j'apprécie. Je retrouve ces qualités au Metropolitan Opera.

Michael Fabiano (Cassio) dans <i>Otello</i>.  © Photo Ken Howard/Metropolitan Opera

Certains chanteurs craignent l'acoustique de l'Opéra Bastille. Quel est votre point de vue ?

Je trouve l'acoustique de cet opéra excellent, et je ne rencontre aucun problème dans cette salle. J'ai effectivement entendu dire que cela pouvait être difficile, mais c'est ma seconde production à Bastille, et je n'ai pas rencontré le moindre problème. L'acoustique est vivante, pas immensément, mais suffisamment, et la présence est notable. Non, vraiment, il est facile de chanter sur cette scène.

Votre métier de chanteur lyrique comporte un aspect de jeu théâtral. Interpréter scéniquement un personnage est-il motivant ?

Bien sûr, car un opéra est composé à parts égales de chant et de théâtre, et il est important de s'intéresser aux sources d'un livret, que ce soit une pièce de théâtre ou quoi que ce soit d'autre. À l'approche de la trentaine, le jeu théâtral est un axe sur lequel je ne cesse de travailler. Aussi, je m'efforce toujours d'établir un dialogue avec mon metteur en scène. De la même manière, je suis toujours à l'écoute de ce que peuvent me dire les gens si cela est susceptible de me faire progresser. Raconter une histoire au public passe par cet aspect physique, par le mouvement, les yeux et même les lèvres. Ce qu'exprime ma voix est bien sûr essentiel, mais la façon dont je me comporte en scène l'est tout autant. Aujourd'hui, on peut voir les répétitions sur Internet ou à la télé, les concerts et les opéras sont filmés et diffusés en direct par des médias de plus en plus nombreux. Aussi, la manière dont je me présente et celle dont les gens me voient revêtent pour moi une importance majeure au côté de la voix.

Avez-vous pris des cours de théâtre, de danse…

Lorsque j'étais à l'université, j'ai pris des cours de danse et de théâtre. Je n'étais pas très fort en danse classique et mon examen n'a pas été une réussite ! J'ai mis du temps à apprendre comment bouger. Disons que ces cours m'ont apporté des bases…

 

Michael Fabiano et Sonya Yoncheva dans <i>Lucia di Lammermoor</i> à l'Opéra Bastille.  © Mihaela Marin/ONP

Vous chantez en ce moment avec Sonya Yoncheva dans le rôle de Lucia et vous la retrouverez au Nederlandse Opera pour Faust en mai 2014. Vous chanterez le rôle-titre dans une production mise en scène par Alex Ollé de La Fura dels Baus. Comment allez-vous aborder cet opéra ?

Je viens de l'apprendre, je ne chanterai pas avec Sonya Yoncheva dans Faust en Hollande et je ne sais pas encore qui la remplacera dans le rôle de Marguerite… Pour le moment, je n'ai aucune idée de ce qui m'attend au niveau de la production. Je n'ai jamais chanté Faust sur scène mais j'ai appris ce rôle très sérieusement il y a environ un an pour me préparer à une audition. Comme je vous l'ai dit, j'aime apprendre les rôles, et il y a ainsi un certain nombre d'opéras que je connais sans les avoir encore interprétés. C'est le cas de Faust mais aussi de Roberto Devereux. J'aime l'opéra de Gounod et, contrairement à de nombreux ténors, j'apprécie la première scène qui est une longue mise en place. J'aime jouer cette lente plongée dans la noirceur. Au moment où je vous parle, je ne peux que vous dire mon impatience de commencer à travailler ce Faust au Nederlandse Opera…

Que pensez-vous de l'écriture vocale de Gounod…

Je n'ai pas encore chanté Roméo et Juliette et ne peux donc pas mettre en perspective ces deux opéras. Le rôle de Faust n'est pas ce que j'appellerais un rôle "aigu" pour un ténor. Il y a bien entendu des notes hautes mais cela n'en fait pas une œuvre chargée d'aigus. J'apprécie l'écriture classique de Gounod avec cette pointe de romantisme.

Michael Fabiano dans <i>La Traviata</i> à l'Opéra de Santa Fe.  © Photo Ken Howard

Certains metteurs en scène ont parfois des exigences très difficiles pour les chanteurs. Y a-t-il des limites à ce que vous êtes prêt à accepter dans le cadre d'une production ?

Pour être franc, j'espère toujours qu'un metteur en scène fait suffisamment preuve de discernement pour ne pas forcer un chanteur à exécuter en scène des choses ridicules. Il y a suffisamment d'exemples de mises en scène dans lesquelles les interprètes sont forcés de se plier à des demandes stupides, et je crois qu'il faut que les chanteurs se sentent solidaires pour dire "non" à ce genre de choses ! Je ne souhaite pas m'étendre sur des exemples précis, mais je tiens à dire que l'opéra est une forme d'art qui a traversé les époques en inspirant le respect. Nous devons servir la musique, car en ce faisant, nous servons le public. Une production déconnectée de la musique n'a rien à faire sur une scène. Le rôle d'un metteur en scène n'est pas de forcer un chanteur à dépasser une ligne qu'il s'est fixée mais de tout faire pour que sa performance soit la meilleure possible. Comprenez-moi bien, je ne suis absolument pas contre les nouvelles tentatives dès lors qu'elles respectent la musique et le texte, qu'elles sont accessibles et porteuses de sens. Je suis même tout à fait favorable à ce que peut apporter une nouvelle vision dans ce contexte, même si elle est provocatrice. L'essentiel, pour moi, est cette connexion entre la mise en scène, la musique et le texte. J'ai joué dans une production de Rigoletto où le Duc de Mantoue était propriétaire d'un bar. L'action se déroulait dans le Lower East Side de New York City, et cela fonctionnait parfaitement. Le public peut être dérouté car ce genre de transposition remet en question son approche d'une œuvre, mais si cela reste acceptable, je suis totalement partant.Michael Fabiano dans <i>Rigoletto</i> à l'English National Opera.  © Chris Christodoulou

Cyrano, Roméo, des Grieux et Faust : vous chantez d'importants rôles en français. Quel est votre rapport à la langue française chantée ?

D'une façon générale, je crois que toutes les langues doivent être compréhensibles lorsqu'elles sont chantées. Que ce soit en anglais, en allemand, français, italien ou russe, un chanteur doit projeter les mots avec la plus grande clarté possible, et non émettre des couleurs sombres stockées au fond de la gorge ! Je crois qu'une bonne prononciation est la première des exigences à avoir. Je ne suis pas un linguiste et je ne parle pas non plus français couramment, mais je fais de mon mieux pour être compréhensible. Sur le plan vocal, le français implique une légère différence de couleur par rapport à l'italien, par exemple. Les nuances que je peux faire sont également sensiblement différentes dans votre langue. Paradoxalement, je trouve dans le français chanté plus de linéarité que dans l'italien car l'italien prononce les doubles consonnes et non le français. D'où ce flux constant et non heurté de la langue française. Pour moi, l'anglais est la langue la plus difficile à chanter en raison de ses nombreux sons gutturaux. Mes deux langues préférées sont l'italien et le français.

Aujourd'hui, quels sont vos désirs de musique ?

Ma vocation de chanteur d'opéra est de parvenir à toucher le plus de gens possible avec mon cœur. Je m'efforce de devenir toujours meilleur pour communiquer à ceux qui m'écoutent toutes les émotions que je ressens sur scène : la passion, la tristesse, l'excitation, l'extase… Plus je parviens à toucher ainsi un grand nombre de personnes et plus je me sens bien moi-même. Mais cela me demande de progresser car je suis sûr que c'est par ce travail que je parviendrai à cette relation avec le public. Avec le temps, j'espère aussi que les jeunes chanteurs pourront, comme moi, inciter de plus en plus de jeunes vers une expression artistique. Je crois que la musique, et en particulier la musique classique, représente une part essentielle de notre vie. Parfois, on ne se rend pas compte de la présence de la musique, tant elle est intégrée à notre manière de vivre… Je mets au défi quiconque de pouvoir bannir totalement la musique d'une seule journée sans sentir un manque. Je suis persuadé que la musique classique fait partie intégrante de notre équilibre. C'est cette notion que je voudrais défendre auprès de la société. J'espère qu'en vieillissant, je pourrai m'investir de plus en plus dans cette démarche, peut-être même d'une façon plus large en donnant des conférences ou en devenant un défenseur des Arts, voire en m'investissant davantage… Je suis désireux d'apporter quelque chose à la société. Par exemple, aux États-Unis, il faudrait que l'apprentissage de la musique fasse partie intégrante de l'éducation. Or, jour après jour, elle est supprimée des programmes. Je trouve ça pathétique, car si l'on supprime l'Art et la musique de la vie d'un enfant, on lui ôte aussi ce qui le construit pour le restant de ses études

 

Michael Fabiano et Katherine Whyte dans <i>Rigoletto</i> à l'English National Opera.  © Chris Christodoulou

Michael Fabiano.  © Arielle Doneson

Quelles seront les dates les plus importantes de votre saison ?

Il y aura bien entendu ce Faust dont nous venons de parler, mais aussi une nouvelle production de La Traviata à Glyndebourne qui constituera un rendez-vous très important pour moi car je vais y faire mes débuts. Ceci dit, je considère la présente Lucia à l'Opéra Bastille comme une étape tout aussi importante de cette saison. Je ressens un immense respect envers l'Opéra de Paris qui m'a accordé une grande confiance lorsque je n'étais qu'un jeune chanteur. Je dois donc beaucoup à cette maison et je m'efforcerai de m'y montrer le meilleur possible.
La saison est par ailleurs prometteuse pour moi, avec une Chauve-souris au Metropolitan Opera, qui sera ma troisième grande nouvelle production de 2013-2014. Je trouve toujours agréable de m'investir dans une nouvelle mise en scène et de participer à la création de quelque chose de nouveau.

Comment voyez-vous l'évolution de votre répertoire ?

Si je me projette, je préfère avoir une carrière construite sur un petit nombre d'années et qui me permettra d'aborder des œuvres que j'ai envie de chanter, plutôt que de programmer cette carrière jusqu'à 70 ans en m'obligeant à rester prudent tout le reste de ma vie. On peut ne pas être d'accord avec moi, mais peu importe ! Comme je vous l'ai dit, je me sens des devoirs envers la société dans plusieurs axes, dont celui de l'éducation et du rapport entre l'Art avec les enfants… Je me prépare à chanter tout ce que j'ai envie de chanter dans un délai moyen. Il y aura ainsi Don Carlo et Un Bal masqué, que j'attends avec autant d'impatience que Luisa Miller et d'autres rôles verdiens. J'espère, du reste, pouvoir aborder avec succès l'ensemble des opéras de Verdi au cours des 15 prochaines années. À ce stade de mon évolution vocale, j'ai hâte d'aborder un répertoire différent. Ce sera, bientôt l'occasion avec La Bohème. Et, après Santa Fe, je suis vraiment impatient de faire mes débuts à Glyndebourne dans La Traviata.…


Propos recueillis par Philippe Banel

Le 8 septembre 2013

Pour en savoir plus sur Michael Fabiano :
http://michaelfabianotenor.com

 

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Michael Fabiano chante le Requiem de Verdi

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