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Interview de Julien Behr, ténor

Julien Behr.  © Rudy WaksAprès la reprise du rôle d’Antonin dans Ciboulette à l’Opéra Comique, Julien Behr faisait ses débuts à l’Opéra de Paris dans La Flûte enchantée. Son Tamino touchant s’épanouissait totalement dans la mise en scène de Robert Carsen, témoignant de l’aisance du jeune chanteur avec le grand plateau de l’Opéra Bastille.
Julien Behr ne se cantonne pas à l’opéra et s’exprime avec le même enthousiasme dans d’autres genres tels l’oratorio ou la chanson française, comme en atteste sa participation à des émissions de grande diffusion à la télévision …

Tutti-magazine : Hier soir était votre 3e représentation de La Flûte enchantée sur la scène de l'Opéra Bastille où vous faites vos débuts avec le rôle de Tamino. Quelles sont vos impressions ?

Julien Behr : Je suis à la fois très exalté et heureux de faire mes débuts à l'Opéra de Paris, surtout avec Tamino qui est un des premiers rôles du répertoire que j'ai abordés. Ce rôle me suit depuis le début de ma carrière et la production de La Flûte enchantée dans laquelle je chante actuellement est ma sixième. Une sorte de confort me vient de l'avoir beaucoup chanté sur scène de telle sorte que je ne pouvais pas rêver mieux pour mes premiers pas à l'Opéra de Paris. En tant que chanteur français je me sens à la fois fier de faire mes débuts sur cette grande scène française, et fier que ce soit dans la production de Robert Carsen que je trouve véritablement sublime. Du reste, elle remporte un vif succès auprès du public. Ces débuts vont de pair avec beaucoup de joie et d'émotion.

Sentez-vous le public dans la grande salle de l'Opéra Bastille ?

Absolument. La Flûte enchantée comporte des textes parlés et le public réagit très bien en riant beaucoup et en applaudissant. La façon dont les spectateurs applaudissent à la fin de chaque représentation me fait vraiment chaud au cœur.

 

Julien Behr (Tamino) et Camilla Tilling (Pamina) dans <i>La Flûte enchantée</i> à l'Opéra Bastille.  © Elisa Haberer

La mise en scène de Robert Carsen vous rapproche du public à plusieurs reprises en vous plaçant devant l'orchestre, dos au chef. La diffusion de la voix vous semble-t-elle différente ?

Olga Pudova (La Reine de la Nuit) et Julien Behr (Tamino) dans <i>La Flûte enchantée</i> mis en scène par Robert Carsen.  © Elisa Haberer/OnPLe moindre pas sur scène fait varier les sensations d'un interprète. Dans le cas du plateau de l'Opéra Bastille, la profondeur très importante occasionne des sensations différentes. C'est le cas aussi lorsque je chante juste derrière le chef sur la bande de gazon qui entoure la fosse. Mais je n'ai jamais le sentiment de devoir crier pour remplir la salle. Les balances sont apparemment très bonnes. C'est très rassurant car je m'inquiétais un peu de devoir chanter du Mozart dans cette grande salle, ce qui est peu fréquent puisque les opéras de Mozart sont davantage donnés à Garnier. L'année dernière j'ai eu l'occasion de chanter Tamino aux États-Unis dans une salle assez similaire à celle de l'Opéra Bastille. Cela m'a permis, avant de chanter à Paris, de voir comment ma voix fonctionnait dans une grande salle. J'ai entendu dire que l'Opéra Bastille était difficile mais je trouve cette acoustique très confortable. Cette salle est un vrai bonheur ! Mais il est vrai qu'un bon chef est nécessaire. S'il se montre très attentif aux équilibres fosse/plateau, aux balances, les voix passent bien.

Vous faites partie de la distribution B de cette Flûte mise en scène par Robert Carsen. Avez-vous le sentiment d'avoir pu répéter normalement ?

Je crois que la première distribution a bénéficié du même temps de répétition que celle dont je fais partie. J'ai commencé à répéter La Flûte enchantée le 6 mai alors que j'assurais les représentations de Ciboulette à l'Opéra Comique, et la première était le 26 mai. La dernière semaine étant réservée à l'orchestre et au plateau, cela a laissé environ deux semaines aux répétitions proprement dites. C'est très peu car, dans le cas d'une création, les chanteurs répètent à peu près dix semaines. Ceci étant, je ne m'en porte pas plus mal. Deux semaines suffisent amplement pour apprendre une mise en scène.
Je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire, mais si l'on considère le rythme de travail des chanteurs allemands qui sont dans des maisons de répertoire, ils n'ont que quelques jours pour répéter une reprise et ne travaillent jamais avec l'orchestre. Les Américains, de leur côté, répètent trois à quatre semaines et disent que cela leur suffit largement. Des chanteurs de générations antérieures à la mienne attestent qu'on répète aujourd'hui beaucoup plus que par le passé. Peut-être pour satisfaire les exigences de certains metteurs en scène…


Julien Behr - Débuts dans Tamino à l'Opéra de Rouen en 2011.  © Jean PougetLorsque le temps de répétition est trop long, les chanteurs rongent leur frein assez vite. Tel n'est pas le cas, bien sûr, lorsque le metteur en scène se présente avec un concept extrêmement développé et possède un sens de la pédagogie qui nous permet de développer des idées tout au long des séances de répétition jusqu'à l'aboutissement qui lui convient. Tout dépend de la manière de travailler de chacun. Certains arrivent avec des concepts et demandent aux interprètes de faire des propositions. On sait alors que ça va durer longtemps car ces metteurs en scène n'ont pas d'idées préconçues et les piochent dans celles des interprètes. D'autres sont davantage directeurs d'acteurs et nous amènent dans la direction qu'ils souhaitent.

Quel type de travail préférez-vous ?

Olivia Doray et Julien Behr dans <i>La Flûte enchantée</i> à l'Opéra de Rouen en 2011.  © Jean Pouget

J'aurais du mal à vous répondre car je pense être assez docile en tant qu'acteur. La seule chose que j'attends d'un metteur en scène est qu'il sache ce qu'il veut, que ce soit en me dirigeant ou en me demandant de proposer des choses. Durant ma courte carrière j'ai eu l'occasion de travailler avec les deux catégories de metteurs en scène et, lorsqu'ils sont bien préparés, respectent l'œuvre et les interprètes, je suis partant pour répéter aussi bien deux que trois ou six semaines. La pire des situations est de voir quelqu'un arriver sans idées et qui, en plus, ne dirige pas les acteurs !

Vous avez chanté Tamino pour la première fois à Rouen en 2011, puis sur d'autres scènes dont St. Gallen en Suisse, Bordeaux, et au Minnesota Opera en avril 2014. À Minneapolis, la production de Suzanne Andrade et Barrie Kosky utilise des animations de Paul Baritt avec lesquelles vous devez interagir. Comment cela s'est-il passé ?

J'étais tout d'abord très honoré d'être appelé outre-atlantique pour interpréter ce rôle, d'autant que le Minnesota Opera ne me connaissait pas. C'était manifestement par le biais de connexions qu'on avait entendu parler de moi… Cette production, qui a reçu un succès phénoménal au Komische Oper de Berlin, se présentait effectivement comme différente des autres et m'a demandé une approche de l'interprétation exclusivement technique. Je devais interagir avec des projections effectuées sur un mur. L'esthétique de ces images rappelait l'univers de Tim Burton et j'ai adoré chanter dans ce cadre, même si je n'étais absolument pas considéré comme un interprète du point de vue dramatique. J'étais même davantage une marionnette qui devait se trouver pile-poil aux bons endroits et au bon moment. Tout le travail consistait donc à se positionner dans la lumière et dans les images projetées pour devenir partie intégrante de ces projections. Le résultat était très drôle, et j'ai découvert grâce à cela un public très différent de celui qui fréquente les maisons d'opéra en Europe, mélomane et parfois un peu guindé. Les Américains, eux, vont à l'opéra comme s'ils se rendaient à un spectacle de music-hall ou à un one-man-show, et ils rient à gorge déployée. C'était fantastique ! Il faut dire que cette version ne comportait pas de textes parlés. Ils étaient projetés comme dans un film muet. Parfois, les spectateurs riaient pendant que nous chantions au point que j'avais même du mal à entendre l'orchestre. Pourtant cet orchestre était impressionnant, à l'échelle de la salle de 3.000 spectateurs. Cette Flûte enchantée m'a aussi permis d'avoir une idée sur la façon dont les Américains travaillent. Ils sont très axés sur la productivité. Nous avons répété entre trois et quatre semaines. Lorsque je retournerai à Minneapolis pour reprendre ce rôle la saison prochaine, je crois que je répéterai seulement dix jours. Mais cela me convient très bien. J'aurai juste le temps de me remettre du décalage horaire !

 

Julien Behr interprète Tamino dans <i>La Flûte enchantée</i> mis en scène par Suzanne Andrade et Barrie Kosky.  © 2014 Michal Daniel for Minnesota OperaJulien Behr (Tamino) et Layla Claire (Pamina) dans <i>La Flûte enchantée</i> mis en scène par Suzanne Andrade et Barrie Kosky.  © 2014 Michal Daniel for Minnesota Opera




















Dans cette Flûte enchantée, les postures que vous devez prendre pour intégrer les images ne gênent-elles pas l'émission vocale ?

Tant que la situation ne devient pas rédhibitoire, j'avoue que je ne me soucie pas trop des positions que je dois prendre pour chanter. Je préfère même faire des compromis sur le confort de l'émission vocale pour proposer une interprétation à la fois crédible et intense. Je joue la comédie depuis que je suis tout petit et, aujourd'hui, je préfère me dire que je suis capable de chanter un peu dans toutes les positions.

La Flûte enchantée vous attendait à l'Opéra Bastille juste après la reprise de Ciboulette à l'Opéra Comique. Comment avez-vous négocié cette transition ?

Les représentations de Ciboulette m'ont peut-être permis de ne pas trop penser à l'échéance de mes débuts à l'Opéra de Paris. Reprendre le rôle d'Antonin était un pur plaisir. L'interprétation ne me demandait pas de prendre de gros risques et j'ai ainsi pu focaliser mon esprit sur ce spectacle sans stresser avant de chanter La Flûte enchantée à l'Opéra Bastille.
Sur le plan vocal, passer de l'opérette à un chant beaucoup plus lyrique qui doit rendre justice à l'élégance de la musique de Mozart, m'a demandé quelques jours. De plus, dans Ciboulette, le texte parlé devait être très projeté car non-amplifié. Dans La Flûte enchantée, les dialogues en allemand sont sonorisés.

 

Eva Ganizate, Julien Behr et Renan Debois dans <i>Ciboulette</i> à l'Opéra Comique en 2013.  © Elisabeth Carecchio

Vous avez déjà joué le rôle d'Antonin dans la mise en scène de Michel Fau en 2013 avec une distribution assez différente. Reprendre ce spectacle avec d'autres interprètes était facile ?

Guillemette Laurens, Julien Behr, Julie Fuchs et Jean-Claude Saragosse dans <i>Ciboulette</i> à l'Opéra Comique en 2013.  © Elisabeth CarecchioC'est une situation que je trouve simple à gérer. Il faut seulement qu'un maître de cérémonie, en l'occurrence le metteur en scène, fasse converger tous les éléments. À partir du moment où, sur le plateau, les collègues ont quelque chose à proposer, reprendre un spectacle avec une autre distribution est toujours un plaisir. Ce n'est pas parce que j'ai déjà joué plusieurs fois une production que j'ai mes habitudes ou que je ne vais pas en changer. Je réponds toujours en fonction de ce qui se présente sur le moment. Le métier de chanteur est un métier de direct. Bien sûr, la reprise de Ciboulette était différente. C'était d'ailleurs la troisième équipe car nous avions d'abord chanté cette opérette à Paris, puis à Saint-Étienne avant de la reprendre à Paris cette saison. Je crois bien être le seul rôle principal qui a pris part aux trois distributions. À chaque fois la communication est différente, mais ce n'est pas du tout problématique.

Comment dirige Michel Fau ?

Travailler avec Michel Fau et une de mes expériences théâtrales les plus enrichissantes. Il s'agissait d'opérette, mais Antonin était un rôle de composition, et Michel Fau m'a vraiment fait travailler lors de la création parisienne, il y a deux ans. Il vient du monde du théâtre, il est comédien et c'est un mélomane confirmé. Beaucoup de gens connaissent son Récital emphatique, mais il est passionné d'opéra depuis sa plus tendre enfance. De fait, il respecte absolument ce répertoire qu'il connaît. Il s'intéresse aux œuvres et aux interprètes, en particulier ceux du passé, et connaît les exigences techniques du chant et de la musique. C'est aussi un passionné de cinéma. Tout cela nourrit son approche des chanteurs et fait de lui un metteur en scène d'opéra avec lequel travailler est un vrai bonheur.

 

Mélody Louledjian et Julien Behr dans <i>Ciboulette</i> à l'Opéra Comique en 2015.  © Vincent Pontet

En 2013, vous disiez au Progrès que vous aimiez faire rire le public tout en indiquant que votre voix n'évoluait pas vers un répertoire léger et même, à terme, plutôt vers des rôles romantiques par définition peu drôles. Comment vous situez-vous dans tout cela ?

Julien Behr.  © Rudy WaksCela pose la question des velléités d'un interprète, de ses possibilités intrinsèques et de ses goûts. En ce qui me concerne, je crois que j'aime tout simplement être sur scène, que ce soit pour faire pleurer ou pour faire rire. J'adore faire rire, c'est vrai, mais je ne saurais pas choisir entre un rôle dramatique et un rôle comique. Ce qui me plaît est d'interpréter. Si ma voix s'exprime bien dans un certain répertoire, que les œuvres ne représentent pas de risques pour l'instrument, et que je suis crédible au niveau de l'interprétation pour un rôle donné, les critères qui m'importent sont réunis.
Un chanteur ne choisit pas son répertoire. Il possède un physique, une couleur de voix, une puissance vocale, un tempérament. L'ensemble de ces éléments fait qu'il est plus ou moins crédible dans quelques rôles. Mon atout est peut-être que je n'avais pas vraiment d'envies spécifiques lorsque j'ai débuté ma carrière. Je me dirige vers les rôles qu'on a la gentillesse de me proposer s'ils sont pour moi. Je ne fais pas partie de ces chanteurs qui vous diront "Rodolfo et mourir" ou "Don José et mourir" ! Que ce soit de l'opéra, de l'opérette ou même de la chanson, cela m'est totalement égal. J'adorerais chanter La Bohème de la même façon que j'ai adoré chanter Reynaldo Hahn. En tant qu'interprète, mon but est de donner de l'émotion et de faire plaisir au public, tout en veillant, si possible, à faire les bons choix de répertoire pour ne pas me casser la voix.

 

Julien Behr aux Chorégies d'Orange en 2014 pour <i>Musiques en fête</i>.

La saison dernière, vous avez participé à deux émissions assez médiatisées : Musiques en fête aux Chorégies d'Orange, et Paris en fête au Musée d'Orsay. Cela a-t-il changé d’une certaine façon le cours de votre carrière ?

Vaninna Santoni et Julien Behr chantent Offenbach pour <i>Musiques en fête</i> aux Chorégies d'orange en 2014. Ces deux expériences ont été extrêmement exaltantes. J'adore faire des télés, l'émotion que cela procure et l'aspect technique qui va avec. J'ai participé à plusieurs Musiques en fête, aux Victoires de la musique, à l'émission de Jean-François Zygel et même à La Grande Battle. Je commence même à adorer le jeu des caméras. Mais je ne crois pas que cela influe sur ma carrière, d'autant que les responsables susceptibles de m'inviter à chanter dans une maison d'opéra ne font pas partie du même circuit. Disons que je peux maintenant ajouter sur mon CV la mention "Vu à la télé" !
Plus sérieusement, l'immense intérêt que je trouve à ces émissions est de pouvoir proposer de l'opéra à un large public et de montrer que c'est à la fois très glamour, très moderne, et que cette musique se situe vraiment dans l'air du temps.

Avez-vous à cœur de faire évoluer l'image de l'opéra ?

Absolument. Je ne suis pas un mélomane de la première heure et je ne possède pas une grande connaissance de l'opéra. Si je suis venu à ce mode d'expression, c'est avant tout pour la scène et la musique. Alors je suis très heureux de participer à ces émissions qui s'adressent à des gens qui n'ont pas l'habitude d'aller à l'opéra. J'aime l'idée de leur montrer que des jeunes chanteurs chantent l'opéra, qu'on éprouve de l'émotion et que cela peut être, non élitiste ou intello, mais au contraire très populaire pour la grande majorité du répertoire. Dès que l'on m'offre la possibilité de participer à un exercice un peu moins académique que ce que j'ai l'habitude de faire, je m'y prête volontiers.

Dans Paris en fête, vous avez chanté "La Bohème" de Charles Aznavour. Votre interprétation accordait beaucoup d'importance au texte. Quel est votre rapport avec les mots ?

Julien Behr chante <i>La Bohème</i> de Charles Aznavour dans l'émission <i>Paris en fête</i> au Musée d'Orsay en 2014. Ce rapport est essentiel. Faire de l'opéra c'est aussi faire du théâtre et de la musique. Je ne saurais d'ailleurs dire quel est l'élément le plus important. Certains répertoires lient davantage le texte à la musique que d'autres où prime l'émission vocale. Mais, en tant qu'interprète, on ne lâche jamais le texte dans la mesure où le chanteur exprime une idée et ne se contente pas de chanter des notes. Bien entendu, sans paraître insultant, dans le bel canto ou l'opéra vériste, la musique prime sur le texte. Il n'en demeure pas moins qu'il est indispensable. Sans quoi le chanteur ne ferait que vocaliser.
Dans la chanson, comme dans la musique classique, je suis sensible à la magie qui naît de la rencontre du texte et de la musique. Il arrive que les mots collent tellement bien aux notes que cela peut aboutir à une sorte d'émulation quasi magique.

Les chansons française et napolitaine sont au cœur d'un programme que vous proposez avec une formation chambriste…

J'adore la chanson, et en particulier la chanson française. Il y a quelques années, un festival d'Avignon m'avait donné carte blanche. Je voulais faire un récital populaire. L'idée est partie du fait que, dans mon répertoire de ténor, il y a bien entendu des chansons napolitaines. Ces chansons sont très connues en Italie. En revanche, en France, elles sont bien moins populaires, voire même un peu boudées. Du coup, j'ai articulé mon programme autour de chansons napolitaines, que j'adore, et de chansons françaises choisies dans la période d’entre-deux-guerres. Un répertoire que mes grands-parents chantent et que j'aime tout autant. Un copain a arrangé ces chansons pour un orchestre composé d'un pianiste, une violoniste, un musicien qui jouait de la guitare, de la mandoline et du banjo, une contrebasse et une trompette. C'était fantastique ! Après Avignon, j'ai repris ce programme en 2014 au festival d'Auvers-sur-Oise, et il y a des projets pour le redonner. Quoi qu'il en soit, j'aime ce répertoire et je ne manque pas d'y revenir dès que l'occasion se présente. Par exemple, l'année dernière, j'ai fait une tournée de récitals avec l'Orchestre Régional Avignon Provence et Samuel Jean. La première partie était consacrée à des airs de Mozart, et la seconde à trois airs du Chanteur de Mexico et des chansons napolitaines. Cela a plu énormément au public et j'étais aussi vraiment très heureux de pouvoir chanter ce répertoire varié. J'aime à croire que les chanteurs d'opéras ne sont pas seulement des interprètes lyriques et que la possession d'une technique permet d'aborder aussi La Bohème d'Aznavour, qui est un pilier du répertoire de la chanson.

 

Julien Behr en concert lors des Nuits Estivales à Rochefort-du Gard en 2013.  D.R.

En marge des rôles d'opéras, vous vous exprimez également en concert et en particulier dans des œuvres sacrées de Bach, Handel, Mozart, Rossini, Schubert… Trouvez-vous dans ce répertoire une dimension qui dépasse celle du chant ?

Je ne fais pas une immense différence entre un oratorio sacré et un oratorio profane. Par exemple, j'ai récemment chanté plusieurs fois une œuvre sacrée comme Le Messie, ainsi que Le Paradis et La Péri de Schumann, qui est une pièce profane, et je fais davantage la différence entre ce qui est représenté sur scène et ce que je chante en version concert. Plus que l'aspect sacré, ce que j'apprécie beaucoup dans un oratorio est de pouvoir me concentrer davantage sur la musique et sur une dimension intérieure. Du reste, cette approche musicale est plus gratifiante. Pour cette raison, j'adore alterner la scène et les concerts, soit des exercices complètement différents. Mon idéal de carrière serait de pouvoir me consacrer les deux tiers ou la moitié du temps à l'opéra, puis le reste de mon temps aux concerts avec orchestre et au récital.

Est-ce difficile de parvenir à un équilibre entre ces trois formes d'expression ?

Ermonela Jaho et Julien Behr  à  <i>Musiques en fête</i> en 2014. Ce qui est compliqué dans une carrière de chanteur d'opéra est de trouver du temps pour faire autre chose que de l'opéra. Lorsqu'on a la chance d'avoir un certain succès, les contrats se signent entre deux et quatre ans à l'avance et les plannings sont très vite remplis pour des périodes très longues. Pour peu qu'on travaille avec un metteur en scène ou des maisons d'opéra qui ne se montrent pas du tout arrangeants sur l'emploi du temps et refusent que le chanteur s'absente deux ou trois jours pour un récital ou un concert avec orchestre, c'est effectivement compliqué à gérer. Intégrer le réseau des concerts et des oratorios est également relativement difficile en début de carrière dans la mesure où la musique vocale est peu programmée et revient plutôt aux grands noms du chant. Aussi, je me réjouis beaucoup de constater que de plus en plus de dates avec orchestre, un peu partout en Europe, s'ajoutent à mes engagements. Actuellement, si je n'ai pas beaucoup d'opportunités de faire des récitals, mes saisons s'articulent bien entre opéras et concerts avec orchestre.

En tant que jeune chanteur, pensez-vous qu'il soit préférable d'accepter le plus possible de propositions ou de conserver la possibilité de refuser ?

Il m'arrive de refuser des propositions pour plusieurs raisons. Parfois, on me propose de chanter des choses qui ne sont pas pour moi. J'ai ce luxe de pouvoir choisir les productions dans lesquelles je chante en veillant à ma santé vocale. Il est très important de ne pas chanter certains rôles trop tôt. Il m'arrive aussi de refuser de chanter des œuvres qui ne sont pas encore pour moi. C'est une situation un peu délicate car je pourrai chanter ces pièces dans quelques années mais je suis obligé de les refuser au moment où on me les propose. Dans la construction d'une saison, il faut veiller à ce que les œuvres qu'on aura à chanter correspondent bien à la capacité à les chanter au moment prévu… Il m'arrive aussi de refuser des propositions pour m'accorder tout simplement du temps libre. Je ne cherche pas à avoir un emploi du temps si dense qu'il ne me laisse plus aucune liberté.

 

Julien Behr (Charles) et Mireille Delunsch (Monique Pons) dans <i>Quai Ouest</i> de Régis Campo à l'Opéra national du Rhin.  © Alain Kaiser

Au début de cette saison, vous avez créé le rôle de Charles dans Quai Ouest de Régis Campo à l'Opéra du Rhin. Parlez-nous de cette expérience…

Quai Ouest a été une superbe expérience, et je suis heureux que ce projet se soit transformé en réussite artistique, qui plus est très bien accueillie par le public. Le plateau réuni à l'Opéra du Rhin était pratiquement uniquement composé de chanteurs français. C'est particulièrement réjouissant de constater cela sur une grande scène française. Sur le plan dramatique, cette œuvre était aussi une expérience forte avec un metteur en scène qui n'avait pas du tout l'habitude de l'opéra, une espèce de chien fou très proche de l'univers de Bernard-Marie Koltès, l'auteur de la pièce originale. La musique de Régis Campo était parfaite. J'avoue que j'avais un petit peu peur en acceptant de faire cette production. Mais, en tant que jeune chanteur, j'avais la chance de pouvoir interpréter un rôle écrit pour moi. Cette aventure me tentait vraiment. Travailler avec Régis Campo a finalement été formidable. C'est un excellent compositeur doublé d'un être humain extraordinaire. Il est vrai que j'aurais pu souffrir d'avoir à chanter une musique difficile, mais j'ai beaucoup apprécié l'écriture du rôle de Charles et, globalement, cette plongée dans un opéra contemporain. J'ai plus de mal quand une musique est difficilement écoutable pour la grande majorité du public.

Ce premier pas dans la création lyrique contemporaine vous incite-t-il à poursuivre dans cette voie ?

C'est vraiment au cas par cas. J'aurai probablement beaucoup moins de plaisir à interpréter une musique en laquelle je ne crois pas du tout et qui, pour moi, n'exprime rien. Je n'évolue pas dans le milieu de la musique contemporaine et je ne suis pas non un aficionado de cette expression. Mais Quai Ouest s'est avéré une très bonne expérience et rien ne m'empêche de la renouveler un jour.

 

Julien Behr (Charles) et Marie-Ange Todorovitch (Cécile) dans <i>Quai Ouest</i> de Régis Campo mis en scène par Kristian Frédéric à l'Opéra national du Rhin.  © Alain Kaiser

Vous avez fait des études de Droit. Pensez-vous qu'elles vous ont aidé à vous structurer ?

Je pense que ces études m'ont beaucoup aidé à structurer mon esprit mais, pour autant, je ne vois pas de lien avec mon métier de chanteur, sauf peut-être lorsque j'aborde avec mon agent des questions de Droit ou de contrats. Je suis peut-être un peu plus sensibilisé à ces questions qu'un autre artiste. Mais je n'aborde pas le chant comme le ferait un juriste !
Ceci dit, il y a peut-être tout de même un lien quelque part. Lorsque j'ai commencé des études de Droit, mon objectif était de devenir avocat, et pas du tout chanteur. Ce n'est qu'en dernière année de master que les choses ont changé. Mon souhait de devenir avocat répondait fondamentalement à ma vision de la Justice, mais aussi à l'aspect théâtral que je trouvais dans le judiciaire, dans les procès. Je pense que cet aspect est lié à la scène. J'ai envisagé un moment de faire du théâtre mais j'avais des prédispositions pour le chant qui, par ailleurs, me semblait aussi plus accessible. Cela m'a aidé à franchir le pas après le barreau.

Vous êtes parrain en France de l'association El Sistema…

Julien Behr (Camille de Coutençon) et Ludivine Gombert (Nadia Popoff) dans <i>La Veuve joyeuse</i> mis en scène par Jacques Duparc.  © Cédric Delestrade/ACM-Studio/AvignonJe me place à l'entière disposition de cette organisation quelle que soit l'intervention. J'ai des projets de concerts avec orchestre pour lever des fonds pour l'association, et je pense faire appel à des amis. Mais, pour le moment, rien n'est encore confirmé. L'association ouvre des partenariats avec de nombreuses écoles un peu partout en France et je suis partant pour collaborer, aller parler aux enfants ou participer à d'autres actions.

Ce type de démarche est important ?

C'est essentiel. Je me sens de plus en plus concerné par des problématiques de société et d'environnement. Mais il est vrai que ce sont les opportunités qui font que l'on s'engage pour aider telle ou telle autre cause. C'est El Sistema qui est venu vers moi car l'association appréciait l'esprit et l'image que je transmettais au travers d'émissions comme Musiques en fête. C'est la simplicité et la modernité de ce que j'incarne, m'a-t-on dit, qui ont plu. On m'a trouvé sympathique ! Cela peut paraître bête de dire cela ainsi, mais j'aimerais pouvoir trouver un maximum d'énergie et dégager le plus possible de temps pour aider les autres. En tout cas, si j'ai l'opportunité de chanter pour des gens auxquels ça fera vraiment du bien, je suis partant. Tout est encore très flou pour moi mais j'aimerais pouvoir me servir de mon image pour faire passer des idées sur l'environnement, sur la société dans laquelle nous vivons. J'adore le chant et la scène, mais plus important encore est de vivre, vivre dans une société et trouver le moyen de l'aider avec ce que je pourrai apporter en fonction de ma popularité.

Votre vision du chant et, plus généralement de la vie, pourrait vous conduire à dépasser une carrière dédiée à l'opéra pour une dimension peut-être plus personnelle…

Je crois que mes envies sont éclectiques. Si je ne me retrouve pas tête baissée dans mon chant, c'est parce que j'ai aussi envie de faire plein d'autres choses. Ceci étant, je reste très attentif à la santé de ma voix sans quoi je ne pourrais pas travailler. Quant à créer quelque chose de personnel, je ne suis pas compositeur. Je me conçois davantage et très humblement comme un interprète. C'est ce que j'aime et que je sais faire en me plaçant au service de ceux qui s'investissent dans une démarche créative. Je n'ai pas non plus ni le temps ni la disponibilité d'esprit pour m'orienter vers une création qui me serait propre.
Par ailleurs, je suis conscient qu'être un jeune ténor est un véritable luxe car cela donne certainement plus de facilités à avoir du travail. De telle sorte que je peux exprimer certaines exigences comme choisir mon répertoire et veiller à la diversité de mes saisons.

En dehors du chant, vous intéressez-vous à d'autres choses susceptibles de l'enrichir ?

En tant qu'interprète, cette notion que vous soulevez est essentielle. Je suis intéressé par une multitude de choses, mais je crois que la vie se charge de nous faire grandir et de nous apporter de la sagesse. J'écoute de la musique et je suis sensible aux émotions que m'apportent différentes expressions artistiques. Dernièrement, je suis allé voir Cyrano de Bergerac dans un théâtre parisien. Je n'avais jamais vu cette pièce sur scène et j'ai reçu une immense claque d'émotion. Je crois que nous nous nourrissons d'une multitude d'expériences par le biais des Arts, mais aussi par celui de l'amour, de la famille. Élever des enfants, boire l'apéro avec des copains et aider les autres… Tout cela nous fait grandir.
Je n'envisage pas mon métier sans authenticité, sans sincérité. On a souvent reproché aux chanteurs d'être superficiels et on a aussi souvent qualifié leur interprétation de kitch. Je crois que le théâtre passe par la vérité des sentiments que nous interprétons et par la prise de risques. Le seul but est de parvenir à donner de l'émotion. Mais n'allez surtout pas croire que tout cela est confortable.

 

Julien Behr interprète Arbace dans <i>Idoménée</i> mis en scène par Martin Kusej à l'Opéra de Lyon en janvier 2015.  © Jean-Pierre Maurin

Comment voyez-vous le milieu de l'opéra ?

Je trouve dans ce milieu un grand équilibre car je passe mes journées avec des gens très majoritairement délicieux. Qu'il s'agisse de mes collègues chanteurs ou instrumentistes, des metteurs en scène ou des chefs d'orchestre, des costumiers et habilleurs, des maquilleurs, des gens de la régie, je peux vous dire que j'ai fait très peu de mauvaises rencontres. Or cela est très enrichissant, à la fois pour une vie et pour une carrière. Cela me conforte dans l'idée que je fais un métier génial et m'incite à souhaiter le pratiquer longtemps. Il possède une profondeur évidente car, par nature, l'opéra est un art absolu. Je vous disais que j'écoutais de la musique, et je peux ajouter que les émotions les plus puissantes me viennent de la musique classique, et en particulier de l'opéra. Le simple fait qu'on puisse être ému aux larmes sans rien connaître de l'expression classique est le plus sûr témoignage de sincérité. Il est essentiel pour notre société de continuer à faire de l'opéra. C'est un art d'excellence, un art absolu et très diversifié qui s'adresse à tout le monde. Si son public est souvent extrêmement exigeant, cela va de pair avec un art qui, par essence, est lui-même exigeant. L'opéra est une forme de magie qui fait se rencontrer des interprètes, de la musique, du texte, un orchestre, des costumes, des décors, de la lumière… Il suffit que quelques éléments pêchent pour compromettre la qualité d'une production. On mesure alors combien il est difficile de réussir à présenter un beau spectacle lyrique. Dans ce cadre, j'ai le sentiment de faire des choses extrêmement profondes, et avec le plus de simplicité possible. Car, dans ma vision de ce métier de chanteur, la profondeur vient de cette simplicité, de la sincérité et de l'authenticité. C'est à partir de là que l'émotion est au rendez-vous et que l'interprète sert un public.

Que pouvez-vous annoncer pour la saison prochaine ?

Cliquer pour commander le CD de mélodies de Charles Koechlin enregistrées par Julien Behr, édité par le label Timpani…À l'Opéra de Paris, je chanterai à la rentrée prochaine le rôle de Mercure dans le Platée de Laurent Pelly. Je retrouverai à cette occasion Marc Minkowski et plusieurs jeunes chanteurs français que j'adore. Je vais aussi reprendre La Flûte enchantée à Minneapolis dans la production dont nous avons parlé, en novembre 2015.
À Rennes, en fin d'année et début 2016, ce sera mon premier opéra bel canto avec Don Pasquale où je chanterai le rôle d'Ernesto… Je serai également invité aux Wienner Festwochen pour un Fidelio mis en scène par Dmitri Tcherniakov, toujours avec Marc Minkowski. Je travaille également beaucoup à Vienne, en particulier au Theater an der Wien avec lequel je développe une relation de confiance. C'est toujours un réel plaisir de chanter dans ce théâtre… Je vais également aborder l'année prochaine mon premier rôle romantique français à Nuremberg avec Nadir dans Les Pêcheurs de perles sous la direction de Marcus Bosch. Marcus Bosch dirigeait Quai Ouest, coproduit avec le Staatstheater Nürnberg. Puis ce sera mon premier Don Giovanni à Cologne avec le rôle de Don Ottavio. François-Xavier Roth dirigera l'orchestre. J'ai déjà fait pas mal de choses avec lui et je serai très heureux de répondre à son invitation à Cologne où il a été nommé Directeur musical.
Côté concerts, je chanterai en Angleterre dans La Passion selon Saint Matthieu avec Nathalie Stutzmann et son ensemble, ainsi que L'Heure espagnole sous la direction de Charles Dutoit avec l'Orchestre de la Suisse Romande, puis avec celui de la Radio de Munich. Je chanterai aussi plusieurs fois avec Jean-Christophe Spinosi et son ensemble la Missa Solemnis et Le Messie.
Du côté des enregistrements, je viens de graver des mélodies de Charles Koechlin avec piano et l'ensemble de voix de femmes Calliope dirigé par Régine Théodoresco. Ce disque vient de sortir chez Timpani et on y retrouve aussi Anaïk Morel, la meilleure mezzo française et ma super-copine ! L'année dernière j'ai enregistré Roméo & Juliette de Berlioz avec l'Orchestre National de Lyon et Leonard Slatkin. Ce disque devrait sortir prochainement, de même que Christophe Colomb de Félicien David dirigé par François-Xavier Roth. Il s'agit d'un enregistrement live réalisé à l'Opéra de Versailles.
Je crois bien que j'oublie des choses, mais rien que de vous annoncer tout cela pour la prochaine saison me donne des boutons ! Par le passé, certaines saisons ont été plus calmes, avec majoritairement des rôles que je connaissais déjà. Je travaille intensément et surtout au dernier moment, mais je crois que j'aurai peu de vacances avec ces importantes prises de rôles !




Propos recueillis par Philippe Banel
Le 2 juin 2015


Pour en savoir plus sur Julien Behr :
http://www.julienbehr.com/

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Chorégies d'Orange
Ciboulette
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La Flûte enchantée
Musiques en Fête
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