L'Opéra national de Paris propose du 20 septembre au 4 octobre 2014 un programme de ballet dédié à Harald Lander et William Forsythe. Au programme : Études, Woundwork 1 et Pas./Parts. Les représentations des 20 septembre et 4 octobre seront précédées du Défilé du Ballet. Sous réserve de modification Josua Hoffalt dansera dans Études les 20 et 30 septembre, et les 3 et 4 octobre. Plus de renseignements ICI
À noter : La représentation du 4 octobre sera filmée par les caméras de François Roussillon pour une diffusion en différé du Défilé du Ballet et d'Études dans les salles de cinéma en France et à l'étranger par Fra Cinema sous le titre "Fêtez la danse avec le Ballet de l'Opéra de Paris". Ce programme inclura aussi les meilleurs moments du ballet Casse-Noisette. Cette diffusion entre également dans le cadre de la saison Viva l'Opéra ! du réseau de salles UGC. Liste complète des salles ICI.
Tutti-magazine : Vous vous préparez actuellement à une prise de rôle dans Études de Harald Lander. Comment se déroulent les répétitions ?
Josua Hoffalt : Les répétitions ont commencé il y a une quinzaine de jours et tout se passe très bien. Mais je ne vous cache pas que le temps de préparation est court. Je ne suis donc pas revenu de congés les mains dans les poches mais j'ai commencé à travailler quinze jours en amont de mon côté. J'étais dans le Sud chez mes parents avec mon amie Muriel Zusperreguy, qui est aussi danseuse, et nous avons pu travailler deux heures chaque jour dans le studio de mon ancienne professeur de danse. Sans cette remise en forme, il aurait été impossible de reprendre dans de bonnes conditions.
Est-ce une situation habituelle au Ballet de l'Opéra national de Paris ?
Tous les danseurs ne le font pas et cela dépend non seulement de chacun, mais aussi des rentrées et du programme. En l'occurrence Études est un ballet très technique et physique pour lequel le droit à l'erreur n'existe pas vraiment, d'autant que nous sommes en collant blanc… Je reconnais que je préfère mettre toutes les chances de mon côté et que, peut-être, j'aurais même pu commencer à travailler moi-même plus tôt, mais j'ai aussi besoin de vacances. Toujours est-il que je commence à sentir que, physiquement, tout revient bien, et je ne regrette d'aucune façon d'avoir pris de l'avance.
Dans Études, vous n'interprétez pas un personnage mais vous êtes un danseur. Êtes-vous pour autant vous-même sur scène ?
Je l'espère. Ceci dit, plus j'avance dans ma carrière et plus je sais ce que j'aime et que j'ai envie de danser. Or je supporte de moins en moins les ballets dans lesquels je n'interprète pas un personnage et où je ne peux pas m'appuyer sur une histoire. C'est pour cette raison que j'ai adoré danser Frollo à la fin de la saison dernière… Études est certes un ballet sans thème dramatique mais il est différent car on y trouve une humeur, une musique qui porte efficacement les danseurs, et même une petite compétition qui peut prendre place sur scène entre les solistes. Pour être franc, Palais de cristal fait partie des ballets qui, aujourd'hui, m'intéressent moins. Lorsque je danse j'ai besoin d'un support dramatique.
L'absence de thème dans Études apporte-t-elle en revanche plus de liberté par rapport à un ballet à thème ?
Je ne me sens jamais étouffé par un personnage que j'interprète dans la mesure où il me donne une opportunité de sortir de moi-même et de jouer à être quelqu'un d'autre. Ceci dit, si le ballet Études n'offre pas de cadre dramatique, sa structure est si bien construite qu'elle offre un véritable appui. C'est une chose qui m'apparaît aussi très clairement en tant que spectateur quand je regarde d'anciennes vidéos sur Youtube. Les images sont de très mauvaise qualité mais je sens mes poils se dresser à la fin du ballet tant je suis sensible à la qualité de cette pièce. Dans le genre, je la tiens pour un sommet.
Vous êtes particulièrement attiré par la dimension dramatique de la danse. Avez-vous hésité entre une carrière d'acteur et celle de danseur ?
J'ai commencé la danse par hasard, histoire de pratiquer une activité. Puis j'ai été pris dans une espèce d'engrenage, très positif en ce qui me concerne car la vie qui a découlé de la danse est entièrement positive pour moi. Mais je n'ai pas fait réellement de choix. Quant à être comédien, la question ne s'est jamais posée et ne se pose pas davantage aujourd'hui. En revanche, j'aime beaucoup le cinéma et il m'arrive de m'en inspirer pour certains rôles. Mais ces deux mondes sont vraiment différents, ne serait-ce que pour des raisons de timing dans la manière de s'exprimer. Puis il y a la voix, bien sûr. Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'un danseur très expressif sur le plan dramatique soit nécessairement un bon comédien.
À la fin de la saison précédente, vous avez donc dansé le rôle de Frollo dans le ballet de Roland Petit Notre-Dame de Paris. Avec quelques mois de recul, comment voyez-vous cette prise de rôle ?
Ce rôle m'a apporté un énorme plaisir. Je crois même que je n'ai jamais pris autant de plaisir à danser un personnage dans un ballet si bien conçu. Je n'avais qu'un vague souvenir de Notre-Dame de Paris, qui avait été donné à l'Opéra pour la dernière fois alors que je n'étais pas encore dans le corps de ballet. Cette reprise m'a permis de prendre conscience de la qualité de ce spectacle.
Je suis un fervent défenseur de Roland Petit. Il vise toujours l'essentiel d'un récit et des personnages qu'il fait ressortir en laissant de côté ce qui ne lui paraît pas aussi parlant. Ses ballets montrent une véritable maîtrise quant à la sélection des scènes et des moments clés d'une histoire. Dans le roman de Victor Hugo, Frollo est décrit sous une multitude d'aspects qu'il serait impossible de rendre sur scène dans un ballet d'une heure tente. Or Roland Petit, en retenant l'essentiel, parvient à pleinement définir le personnage. Frollo est sans doute parfois un peu caricatural, mais ça marche. Se limiter à trois critères pour le définir permet d'éviter de le rendre illisible et de perdre en force. Ne serait-ce que son costume, tout noir, définit déjà le personnage… Roland Petit cherche avant tout le divertissement au point que, dans ses ballets, il est difficile de trouver une scène qui ne fait pas avancer le récit. Même la danse de La Cour des Miracles qui est peut-être un peu longue permet de dépeindre ce qu'est réellement la Cour des Miracles. Elle pose parfaitement le cadre.
Avez-vous utilisé d'autres références pour construire le personnage de Frollo ?
La base du personnage élaborée par Roland Petit me semblait tout à fait claire. En revoyant d'anciennes vidéo du ballet, j'ai tout de suite fait le rapprochement avec le cinéma expressionniste allemand, Nosferatu le vampire et certains plans de M le maudit, pour les yeux qui ressortent énormément. On peut aujourd'hui trouver les expressions des acteurs de cinéma un peu trop appuyées mais, pour un travail scénique, elles m'ont vraiment inspiré. D'autant que sur la scène de l'Opéra Bastille, nous sommes vraiment très loin du public. En noir et avec des éclairages souvent très sombres, j'ai vite compris qu'on verrait surtout mes mains, mon visage et la bande noire autour de mes yeux. Une fois focalisé sur les axes que je voulais développer, le plaisir d'interpréter Frollo a été immense.
Techniquement, ce rôle réserve pourtant de nombreuses difficultés. N'avez-vous pas été gêné par le sol et ses multiples ouvertures ?
Frollo n'est pas un rôle facile, en particulier en raison de sa première variation qui commence d'emblée très fort sur le plan physique, mais ensuite, le reste du ballet est plutôt bien équilibré. Je ne me suis pas senti réellement au bord de la rupture physique dans cette chorégraphie car, si elle fait beaucoup d'effets, c'est aussi parce qu'elle est très astucieuse… Quant au sol truffé d'ouvertures, il est vrai que ce n'est pas évident. C'est un décor à l'ancienne. Bien sûr, s'il avait été conçu aujourd'hui, on aurait trouvé d'autres solutions et sans doute automatisé les deux parties de la scène. Le fait est qu'elle s'ouvre et se ferme à vue et qu'il peut y avoir jusqu'à 5 cm de vide entre les deux parties, au milieu, selon que le changement de décor a été bien fait ou pas. Ces conditions ont abouti pour moi à une première répétition difficile car j'avais la sensation d'avoir préparé au mieux mon personnage inutilement car la scène fichait le camp ! Puis, sachant que ce serait toujours plus ou moins ainsi, j'ai appris à faire avec et je me suis habitué.
Les rôles dans lesquels vous êtes distribués à l'Opéra de Paris correspondent-ils généralement à ceux vers lesquels vous tendez naturellement ?
Je dirais "oui". Mais avec l'ancienne direction, j'avais l'habitude de faire savoir ce qui m'intéressait. Je ne sais pas comment je procéderai avec la nouvelle qui, du reste, a commencé à travailler. Pour la première fois, nous avons reçu pendant les vacances toute notre programmation sur la nouvelle saison avec quasiment toutes nos dates de spectacles. Je suis donc en mesure de vous dire que je suis ravi à l'idée de ce que je vais danser…
En avril, vous reprendrez le rôle de Des Grieux dans L'Histoire de Manon…
On ne peut pas comparer Frollo à Des Grieux, mais je crois qu'à ce jour, il représente mon rôle préféré, notamment pour la dimension théâtrale que nous avons déjà évoquée. J'ai dansé Des Grieux avec Aurélie Dupont et je me souviens avoir réalisé pour la première fois, alors que je rentrais chez moi, qu'un rôle pouvait continuer à vivre une fois quitté le théâtre. Des danseurs m'avaient parlé de ces rôles intenses dont on a du mal à sortir. De mon côté, j'écoutais mais je trouvais ça un peu surfait. Puis est arrivé Des Grieux, et j'avoue que pendant la période du spectacle j'ai traversé une petite déprime. Ce qui arrive à Des Grieux est tout de même très lourd sur le plan dramatique, et j'avais du mal à sortir du personnage tant je m'y identifiais. Certains soirs, il m'arrivait de prendre conscience de devoir le laisser derrière moi. Danser Des Grieux c'est, d'une certaine façon, faire l'expérience de la perte… Il faut dire aussi que le ballet de Kenneth MacMillan est une excellente adaptation du roman. L'équilibre entre les phases dansées, narratives et théâtrales est parfait. Au niveau de l'endurance, la chorégraphie est également admirablement construite.
Tel n'est pas le plus souvent le cas ?
Le Roméo & Juliette de Noureev est un ballet qui propose des choses excellentes, mais pour l'avoir dansé, je reconnais qu'il est d'une difficulté sans pareille. Et je peux vous parler au nom de tous les danseurs qui s'y sont frottés. Avant que je commence à travailler Roméo, on m'avait averti que c'était le ballet le plus difficile. Eh bien, je confirme ! Au point qu'à certains moments, alors qu'on voudrait être disponible pour déclarer sa flamme à Juliette, on en vient presque à souhaiter repousser la danseuse tant on est fatigué et que le besoin de s'allonger devient impératif. Quand la difficulté est extrême, comme dans ce ballet, le plaisir de raconter une histoire n'est pas aussi puissant. Dans L'Histoire de Manon, c'est en revanche extraordinaire.
Seriez-vous tenté par le Roméo & Juliette de MacMillan ?
Je serais très tenté de danser d'autres versions de ce ballet, celle-ci ou d'autres, car il existe d'excellentes versions. Certains ballets de Noureev sont absolument formidables. Par exemple, je n'ai jamais vu de meilleur Lac des cygnes que le sien, notamment pour le rôle de Siegfried auquel il a redonné une large place alors qu'en Russie, le Prince doit se contenter en gros d'un pas de deux et d'une variation. Mais il est vrai que, après avoir repris deux, voire trois fois, le même ballet, il serait intéressant d'essayer une autre version, avec parfois d'autres scènes, une autre mise en scène et de nouveaux costumes. Si j'avais un jour l'occasion de danser le Roméo & Juliette de MacMillan, quitte à revenir ensuite à celui de Noureev, ce serait un vrai plaisir.
L'approche chorégraphique de MacMillan est assez différente de ce que vous dansez à l'Opéra de Paris. Par exemple, la première variation de Des Grieux est entièrement construite sur des équilibres. Cela représente-t-il une difficulté ?
Cette variation est effectivement entièrement basée sur le contrôle. Or il est vrai que nous n'avons pas beaucoup l'occasion de danser ainsi. De plus je ne suis pas spécialement à l'aise dans ce qui demande un tel contrôle. J'aime travailler ainsi, mais une fois en scène, avec l'anxiété, je peux avoir tendance à moins maîtriser. Je préfère arriver en donnant beaucoup d'énergie. Ce genre de variation me pousse à travailler et retravailler afin d'être le plus à l'aise possible.
Lors de la dernière reprise de L'Histoire de Manon, nous avions répété avec Patricia Ruanne. J'espère la retrouver cette saison car elle est formidable. Patricia m'avait beaucoup apporté sur le plan de la théâtralité mais aussi sur celui de la technique en me donnant des trucs qui permettent de s'en sortir. Elle parvient à formuler des conseils très personnalisés en fonction du physique et des possibilités de chacun afin que les difficultés techniques ne nous desservent pas. Il s'agit d'un vrai travail d'adaptation.
Il semblerait que la fin du pas de deux dans la chambre de Des Grieux soit très difficile à négocier. Qu'en pensez-vous ?
Pour le danseur, cette fin de pas de deux n'est pas spécialement compliquée. Mais pour la danseuse qui doit se laisser glisser sur le sol, cela peut représenter un vrai problème si on pense que la pointe du pied peut se bloquer dans un pli du lino. Le lino bouge et, au fil des répétitions, il se détend parfois. Il devient dès lors très facile de se prendre les pieds dedans. Du coup, la danseuse, au lieu de se laisser glisser et s'allonger d'une certaine manière, peut vouloir retenir et c'est là que l'accident peut survenir. En soi, ce n'est cependant pas quelque chose de difficile à réaliser.
Vous avez fait vos classes à l'École de Danse. Lorsque vous regardez des danseurs d'autres compagnies, décelez-vous des différences de technique liées à la formation ?
Bien sûr, et même d'énormes différences. À commencer par le travail du dos qu'on peut trouver en Russie ou dans l'école cubaine. On m'a dit beaucoup de choses sur mon dos à l'École de danse mais clairement pas les bonnes. J'ai finalement beaucoup plus appris et travaillé mon dos une fois dans le corps de ballet. C'est en regardant des danseurs invités à l'Opéra que j'ai pris conscience de cela. Je me souviens en particulier de l'entrée sur scène d'un des frères Bubenicek : sa tenue de dos était telle qu'on aurait cru impossible de le faire bouger. Et cela sans rigidité, car ce danseur était à la fois souple, fluide et très rapide. Pour être honnête, à l'Opéra, certaines personnes sont tout de même attentives au dos, en particulier Jean-Guillaume Bart ou, de façon différente, Gilles Isoar, mais ce n'est pas à l'École de danse qu'on m'a sensibilisé à ça… Au-delà de ce point très précis, je pense par ailleurs qu'on ne nous laisse pas suffisamment la possibilité de nous lancer dans la technique et que les choses difficiles sont abordées trop tard. On a tendance à trop suivre l'adage : "Mieux valent deux pirouettes propres que cinq ratées !". Or les danseurs qui tournent aujourd'hui dans le monde entier faisaient déjà cinq ou six pirouettes quand ils étaient très jeunes. Ces pirouettes étaient sans doute parfois un peu sales, mais ils ont appris à les placer. Attendre de faire parfaitement deux tours avant d'essayer un troisième c'est fatalement du temps perdu et, au bout du compte, on n'a pas appris à tourner.
Et le style…
Heureusement pour nous, notre formation à l'École de danse reste encore très attachée au style et à la qualité du mouvement, lequel représente pour moi l'essentiel de la danse. Par ailleurs, lorsqu'il m'arrive d'assister à des galas de solistes internationaux ou tout simplement d'aller voir d'autres compagnies qui tournent en France, j'ai l'impression que tout un pan du monde de la danse se dirige vers une virtuosité quelque peu stérile. Ma seule envie est alors de dire que, dans le secteur de la gymnastique ou même dans certaines danses de rue, les interprètes parviennent à surpasser en spectaculaire et en rapidité ce que font ces danseurs. Or je ne suis pas certain du tout que ce côté spectaculaire soit ce qui doive définir un danseur. Suivis par un public très friand de démonstrations, de nombreux interprètes accordent trop d'importance à ce qui est un moyen et non une fin en soi. L'essence de la danse, c'est le style, avec ce que cela comprend comme variété de nuances jusqu'au swing. Fred Astaire, à ce titre, est l'interprète que je placerais en tête des danseurs classiques que j'admire. Pour moi il définit mieux que quiconque le mot "danse". Je le regarde faire deux pas, et j'ai déjà envie de danser…
Le brio d'une technique n'est-il pas parfois ennemi du style ?
Il est tout à fait possible de faire cinq ou six tours avec style, et certains danseurs parviennent à allier les deux. Prenez le ballet Don Quichotte, que j'ai vu et revu dans différentes versions : un certain nombre de danseurs vont faire sur scène des trucs de ninjas et sept ou huit pirouettes, quand Carlos Acosta parvient, lui, à faire autant de tours, mais avec un style de malade. Ça danse, ça chaloupe… Je n'ai pas forcément envie de voir Carlos Acosta dans tous les rôles mais dans Don Quichotte, il danse exactement comme j'aime : relâché, avec du style, il y a du mouvement et un peu de swing. Tout cela avec une grosse technique !
Est-ce ce à quoi vous tendez ?
Bien sûr, et j'espère encore pouvoir progresser. Mais le temps passe vite. J'ai déjà 30 ans et je me rends compte que certaines limites se dessinent en avançant en âge. Mais parallèlement, un grand nombre d'autres espaces s'ouvrent aussi, et je les dois à la maturité.
Vous êtes entré dans le corps de ballet de l'Opéra en 2002 et vous avez été nommé Étoile en 2012. Lorsqu'on s'intéresse à votre évolution, on remarque qu'il vous a fallu attendre 5 ans pour passer de Sujet à Premier danseur. Comment avez-vous vécu cette période ?
Effectivement, je suis très vite monté Sujet. Puis il y a eu le premier concours pour passer Premier danseur et ça n'a pas marché. Bien sûr, ma progression étant rapide jusque-là, j'ai été déçu. L'année suivante, je me suis blessé et je n'ai pas pu me présenter au concours. L'année d'après, aucun poste n'était vacant… Après avoir traversé une lourde période de problèmes physiques, je me présente l'année qui suit et j'arrive en troisième position alors que deux postes seulement étaient à pourvoir. Cette fois j'étais plutôt content d'avoir pu me remettre à niveau après ces galères et de finir classé même si je n'évoluais pas dans la hiérarchie. J'ai été promu Premier danseur l'année suivante. Finalement, si je me suis posé des questions durant ces années, ce n'est pas tant à propos de la rapidité ou non de mon évolution au sein du corps de ballet, qu'au sujet des raisons pour lesquelles je me suis blessé et s'il y avait des choses à modifier pour ne pas retomber dans la même problématique.
Le changement de grade dans le corps de ballet est-il uniquement basé sur la prestation lors de l'examen ou également sur ce qui a été dansé durant une saison complète ?
C'est un grand débat. Pour avoir fait partie du jury du concours, je peux vous dire que nous n'avons pas tous le même discours sur ce point. Selon moi, un danseur ne fait pas ce métier pour passer des concours. Le stress que peut générer un examen n'est en rien identique à celui ressenti sur scène pendant un spectacle. Je pense donc qu'il est important de prendre en compte ce qu'on a pu voir durant toute l'année, y compris aux cours, si le danseur évolue ou pas, s'il s'est vu confier un peu plus de responsabilités et, par exemple, un rôle de demi-soliste, s'il est un peu plus en vue ou s'il a fait des remplacements… Il m'est impossible de fermer les yeux toute l'année et de porter un jugement sur un danseur comme si je le découvrais à l'examen. Il peut aussi se produire une situation où une danseuse réussit parfaitement le concours alors que toute l'année, elle n'a pas fait grand-chose et que, sur scène, ça se passe mal. Pour moi, tout est intimement lié, et j'aurais plutôt tendance à défendre un danseur qui passe un mauvais concours mais qui a été formidable toute l'année. Bien sûr, s'il présente sa variation avec les mains par terre, ça s'annoncera très compliqué…
Un Art se nourrit généralement d'autres formes d'expression. Quels sont vos centres d'intérêt en dehors de la danse ?
J'avais l'habitude de beaucoup lire et de regarder un grand nombre de films. J'allais également voir quelques expositions de temps en temps, surtout guidé par mon frère qui a fait l'Ensad et qui est designer. Mais je suis papa depuis janvier dernier et je n'ai pas trouvé le temps d'ouvrir un livre depuis cette naissance. Quant au cinéma, c'est devenu compliqué. La plupart du temps, ce sera un DVD à la maison, quand on a le temps, si nous ne sommes pas trop fatigués.
Cette expérience récente de la paternité a-t-elle changé quelque chose dans votre vision de votre métier ?
Là aussi, bien des personnes m'ont dit qu'avoir un enfant changerait beaucoup de choses en scène… Disons que je suis peut-être un peu moins stressé dans la mesure où la priorité de ma vie est devenue mon enfant. Pour autant, je m'applique à allier les deux et il n'est pas question une seule minute d'éduquer mon enfant au détriment de mon métier. Je m'efforce vraiment de trouver un équilibre. Cette remise en cause de l'échelle des valeurs me permet accessoirement de dédramatiser quand ce que je vis à l'Opéra ne se déroule pas comme je le voudrais.
Êtes-vous un danseur très stressé en scène ?
Tout dépend des rôles, du répertoire et de la difficulté technique d'une pièce. La nervosité rend certains danseurs plus mous et d'autres plus nerveux. C'est assez drôle car, plus jeune, j'avais justement tendance à me sentir un peu mou, alors qu'aujourd'hui le stress peut me rendre un peu trop tendu. Ceci étant, depuis des années, je gère bien mieux ces effets. On ne peut pas éliminer le stress mais seulement apprendre à vivre avec, voire à s'en servir.
Vous vivez actuellement à l'Opéra une période de transition importante. Comment vous situez-vous dans ce changement de direction ?
Je me suis posé de nombreuses questions tout en étant très excité à l'idée de ce changement. Dans une carrière de danseur qui est de l'ordre de 25 ans, on ne vit pas de changement de direction très souvent. Certains danseurs sont dans la maison depuis 19 ans et c'est la première et sans doute la dernière fois qu'ils se trouvent face à cette situation. Ce moment est donc capital… De mon côté, j'avais une certaine place sous l'ancienne direction et je me suis bien sûr demandé quelle place me donnerait la nouvelle. J'espère que certaines choses changeront mais il est impossible d'en dire plus aujourd'hui. De nombreuses annonces ont été faites, qui me plaisent, et il faut maintenant attendre pour voir comment cela évolue sur le terrain. De même, si l'évolution n'est pas exactement celle attendue, il faut se garder de tirer la sonnette d'alarme trop tôt. Il est préférable de laisser aux nouvelles idées le temps de s'installer, et nous aurons besoin de recul. Je suis en tout cas très confiant. Comme je vous l'ai dit, j'ai reçu avec grand plaisir ma programmation personnelle sur toute la saison et je suis très heureux de ce que je danse. C'est un premier indice très positif.
Au mois de mars 2015, vous ferez vos débuts dans le rôle de Siegfried dans Le Lac des Cygnes de Noureev. Comment vous préparez-vous à cette étape ?
C'est assez compliqué car les spectacles s'enchaînent très vite. Nous avons une quantité de ballets à travailler et de moins en moins de temps à consacrer à chacun d'eux. Il est très difficile, lorsqu'on danse dans un spectacle, de penser au prochain, mais j'essaye toujours de commencer le plus tôt possible à regarder un maximum de vidéos, et pas seulement des captations de la version de l'Opéra de Paris. Cela me permet de capter des infos à partir de ce que je vois et perçois, de ce qui me plaît ou ne me convainc pas. J'essaye de voir ce qui peut marcher ou non, tout en gardant à l'esprit que l'intention d'un danseur, si elle n'échappe pas à un autre danseur, n'est pas forcément perceptible par le public. Je fais cette mise en place avant même de commencer les répétitions en studio afin de gagner du temps sur une période de préparation qui a tendance à devenir de plus en plus courte.
Préparer un rôle de son côté ne présente-t-il pas le risque d'une confrontation entre l'image que vous vous êtes construite et celle que peut vouloir imposer votre répétiteur ?
Cela arrive parfois et, suivant la personne qui est en face de moi, cela se passe très bien ou très mal. L'année dernière, dès la seconde répétition de La Belle au bois dormant où je dansais le rôle du Prince, j'ai eu une grande discussion un peu musclée avec la personne qui dirigeait notre préparation. La situation était très compliquée pour moi car je revenais d'une période de repos suite à une blessure. Cette interruption m'avait donné l'occasion de beaucoup réfléchir à ce rôle. Il était du reste autant difficile à mon interlocuteur d'entendre mon discours. Mais il a été suffisamment intelligent pour faire un bout de chemin vers moi et, au bout du compte, cela s'est très bien passé. Pour avoir vu récemment la vidéo de ce spectacle, je suis même plutôt satisfait du résultat…
À l'inverse, certaines personnes se montrent totalement fermées à la discussion et cela risque de très mal se passer. C'est une situation très gênante car la qualité d'une prestation en scène dépend beaucoup du climat des répétitions. Il est impossible d'arriver sur le plateau et de se sentir bien si vous avez l'impression de ne pas avoir correctement travaillé. En ce qui me concerne, je construis principalement mes spectacles pendant les répétitions. Tous les danseurs ne réagissent pas ainsi mais, ce qui me rend confiant est de savoir que j'ai bien travaillé avant. C'est une dimension importante car cela influe directement sur le stress. En outre, savoir que les choses ont été suffisamment travaillées en amont vous dispense de refaire quinze fois les mêmes enchaînements de pas avant d'entrer en scène !
Il me semble que le rapport de soliste à répétiteur est assez semblable à celui d'un interprète face à son metteur en scène. Dans le cadre d'une nouvelle production d'un classique de Molière, on est en droit de penser que le choix d'un acteur particulier est dicté par le désir de voir cet interprète dans un rôle. Pourquoi serait-ce alors différent pour un danseur ? Pourtant, il arrive ici qu'il soit compliqué de faire admettre qu'on puisse envisager les choses autrement. Surtout quand il s'agit des ballets de Noureev…
Nous avons parlé de votre prise de rôle dans Le Lac des cygnes et de L'Histoire de Manon. Mais quels sont les autres rendez-vous de votre saison ?
La fin d'année promet d'être riche avec le Casse-Noisette de Noureev et La Source de Jean-Guillaume Bart avec tous ces sublimes costumes de Christian Lacroix. Rien que pour cela, j'ai envie de revoir ce ballet. Quant à Casse-Noisette, c'est aussi un ballet plaisant mais également très difficile même s'il ne le parait pas. Il y a là aussi beaucoup de pas… Ceci étant, le dernier adage est vraiment magnifique. Pour moi qui apprécie tant les collaborations, ce moment fait partie de mes grands souvenirs d'adages… Je reprendrai aussi en fin de saison L'Anatomie de la sensation de Wayne McGregor. Cette création avait été une expérience un peu spéciale et je suis curieux de voir comment nous allons à nouveau rentrer dans cet univers. McGregor va-t-il vouloir retoucher certains aspects ?
Si vous aviez le pouvoir de faire entrer au répertoire du Ballet de l'Opéra un ballet, lequel choisiriez-vous spontanément ?
Le premier qui me vient à l'esprit, et cela fait plusieurs années que je tanne les gens avec cette envie, est un ballet de Jerome Robbins qui rejoint la veine Fred Astaire : Fancy Free. Ce ballet est très inspiré par la comédie musicale, un genre que j'adore, et notre répertoire ne possède aucune pièce de ce style. C'est un ballet court et léger qui vaut pour son ambiance. Chaque fois que je le vois, je peux constater que les danseurs prennent un plaisir aussi énorme à le danser que moi en tant que spectateur à les regarder. Je me souviens que lors d'une représentation de l'American Ballet Theatre, l'envie me tenaillait d'être à la place des danseurs… J'aime le rôle de Des Grieux et ce peut être également génial de mourir sur scène, mais la légèreté peut aussi avoir du bon !
Parlez-nous de votre activité au sein du groupe 3e étage…
Je travaille avec 3e étage depuis plusieurs années. J'y étais même à la création en 2006. Les activités se sont beaucoup développées et, prochainement, je vais avoir l'occasion de présenter ma première création dans ce cadre. Je vais proposer une soirée composée à partir des personnages connus des ballets de Tchaikovsky. Ils danseront à la fois quelques extraits connus des ballets, mais aussi des tableaux entièrement nouveaux que je vais chorégraphier. J'ai eu l'idée d'une trame narrative originale susceptible de relier les extraits du répertoire et les parties créées. Dans ce spectacle intitulé Tchaikovski : Récits du Royaume des Songes* -, les relations entre les personnages seront donc également nouvelles. De nombreux danseurs vont être réunis sur scène : François Alu, Léonore Baulac, Takeru Coste, Laura Hecquet, Lydie Vareilhes, Hugo Vigliotti et Muriel Zusperreguy. En ce qui me concerne, je ne m'imagine pas trop danser à cette occasion car il s'agit d'une première expérience. Il y aura deux représentations : les 13 et 14 juin 2015, au Théâtre André Malraux de Rueil-Malmaison.
* Voir bande-annonce du spectacle Tchaikovski : Récits du Royaume des Songes à la fin de cet article.
Votre année semble bien remplie…
Elle l'est d'autant plus que je prépare depuis un bon moment une ligne de vêtements qui devrait sortir, je l'espère, avant la fin de l'année. Avec mon frère désigner, j'ai conçu des vêtements issus du monde de la danse pour femmes et pour hommes qui se veulent pratiques et conçus pour les danseurs. De nombreux détails ont été pensés en fonction des besoins que je rencontrais. C'est parce que j'avais beaucoup de mal à trouver ce que je cherchais que m'est venue l'idée de cette ligne. Or les danseurs passent le plus clair de leur temps avec ce genre de vêtements, qui plus est devant un miroir. J'ai donc pensé ces créations pour les rendre à la fois confortables et élégantes. Cela fait très longtemps que, mon frère et moi souhaitions travailler ensemble. C'est il y a deux ans, pendant ma période d'arrêt due à une fracture de fatigue au tibia, que j'ai commencé à structurer ce projet de griffe qui portera notre nom : Hoffalt.
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 11 septembre 2014
Remerciements au photographe Julien Benhamou
Pour en savoir plus sur Josua Hoffalt :
www.facebook.com/Josua.Hoffalt.Artiste