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Interview de Jean-Christophe Spinosi, chef d'orchestre et violoniste

Jean-Christophe Spinosi.  © Jean-Baptiste Millot

 

Une rencontre avec Jean-Christophe Spinosi, c'est un rendez-vous avec la passion de la musique, celle de la transmettre et de la partager. Depuis 2008, il n'avait pas sorti de disque et ce retour dans les bacs avec l'Ensemble Matheus et la mezzo-soprano Malena Ernman sous label Deutsche Grammophon était pour nous l'occasion idéale d'un échange. Avec lui, nous abordons, outre cet album Miroirs placé sous le signe de l'inspiration issue des mouvements lents, sa conception de la direction d'orchestre et de l'enregistrement, ses rencontres musicales et sa fidélité au thème d'Orlando qu'il décline avec toujours autant d'enthousiasme.

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Tutti-magazine : Miroirs est votre premier enregistrement sous label Deutsche Grammophon. Vous avez enregistré longtemps pour Naïve. Comment s'est déroulée cette transition ?

Jean-Christophe Spinosi : Nous étions sous contrat d’exclusivité chez Naïve depuis plusieurs années. À l’époque de la signature, je trouvais l’exclusivité justifiée car avantageuse. Or, pour le disque, tout a changé en quelques années et l’exclusivité ne me convenait plus, d'autant que j'avais dû refuser certains projets artistiques qui m'intéressaient en raison de ce contrat. À ma demande, avec l’Ensemble Matheus, nous avons donc négocié à l’amiable pour sortir de ce contrat d’exclusivité, ce que Naïve a compris avec classe. Deutsche Grammophon nous avait aussi proposé une exclusivité il y a déjà 10 ans, après notre signature chez Naïve. Le label n'a jamais cessé de nous courtiser et nous a proposé des projets qui nous ont intéressés… Rien ne nous empêchera, du reste, d'enregistrer à nouveau chez Naïve, même si mon but n'est pas de me montrer volage. Je tiens aussi à préciser que cette nouvelle signature non-exclusive ne nous lie pas pour un disque unique, ce que j'ai pu entendre dire et qui est absolument faux. La preuve en est un autre enregistrement que nous avons déjà réalisé avec Deutsche Grammophon, et même avant Miroirs, qui sortira en 2014.

 

Jean-Christophe Spinosi photographié par Jean-Baptiste Millot.  D.R.

Entre La Fida Ninfa, sorti fin 2008 chez Naïve, et Miroirs le 28 octobre dernier chez Deutsche Grammophon, vous n'avez enregistré aucun disque. Pour quelle raison ?

J'avais besoin de projets de plus en plus personnels. J'ai toujours fait mes disques avec tout mon cœur mais j'étais arrivé à un point où je voulais faire les choses autrement, enregistrer différemment. Je dois avouer aussi que je n'aime pas beaucoup enregistrer en raison des contraintes qui sont différentes de celles du concert. Par ailleurs, enregistrer, c'est fixer ses idées, or les miennes évoluent beaucoup. Lorsque j'enregistre je dois donc transformer ce qui est au départ une contrainte pour moi en une forme de jeu. Trouver un thème m'aide à ne pas me sentir frustré dès la fin des prises. Pour enregistrer, je ne veux aucune contrainte. Soit j'enregistre ce que je veux, comme je le veux, soit je n'enregistre pas, et cela ne manque pas.

Écoutez-vous vos disques ?

Comme beaucoup de musiciens, je crois, j'écoute généralement mes disques au moment de la sortie, parce que les gens m'en parlent. Puis je les oublie. Un disque c'est un peu comme un album photos. Si on le regarde trop, on finit par l'user. Mais quand on le retrouve quelques années après en faisant du rangement, ce peut être un très beau moment. Si on n'a pas écouté un disque depuis 5 ans, on peut se trouver replongé dans l'ambiance de l'enregistrement et des concerts qui se sont déroulés durant la même période. Un de mes disques qui passe à la radio de façon totalement imprévue me fait le même effet. Le temps apporte également un point de vue différent et, personnellement, je me sens meilleur critique de mon travail qu'à chaud.

Dans Miroirs s'exprime une inspiration particulière riche, souvent épurée, parfois sacrée qui fait penser à une sorte de maturité. Qu'en pensez-vous ?

La maturité apporte indéniablement du recul et nous aide à nous concentrer davantage sur l'essentiel, sur le cœur des choses. De plus, en jouant ou en dirigeant de la musique depuis longtemps, j'avais remarqué que ce qui demande le plus d'énergie aux musiciens et qui aboutit aux moments les plus forts sont les mouvements lents, ceux des concertos par exemple. Lorsque je réécoute mes propres enregistrements, je m'aperçois que je modifierais beaucoup mon approche des mouvements rapides, mais que je continue à adhérer à celle des mouvements lents. Comme si l'énergie, plus importante, le surcroît de profondeur et de synthèse que l'on investit dans ces mouvements ou dans des nuances piano leur apportait une pérennité différente. Ce sentiment, bien sûr, est du domaine de l'impression. Cependant, il est à l'origine du programme de l'album Miroirs.

 

Jean-Christophe Spinosi enregistre <i>Miroirs</i> à la Salle Wagram en 2013.

 

Jean-Christophe Spinosi pendant l'enregistrement de <i>Miroirs</i> à la Salle Colonne.

L'investissement en énergie dans un mouvement lent est donc supérieur à celle déployée dans un mouvement rapide…

Dans un allegro molto, un presto ou un fortissimo, toute l'énergie sort. Lorsqu'un musicien joue fort, c'est un peu comme quand on pousse un cri de joie, qu'on tape du poing sur la table ou qu'on entre dans une grosse colère salvatrice qui fait du bien. Être dans la retenue et dans la tension d'un mouvement lent et d'une phrase très longue fait bien plus transpirer. C'est cette énergie concentrée qui est à l'œuvre dans Miroirs.

Dans Miroirs, l'Ensemble Matheus est à géométrie variable, de la formation chambriste à la dimension symphonique. Comment êtes-vous parvenu à conserver la tension voulue au travers des changements d'effectifs ?

L'enregistrement est une situation un peu particulière car on s'enferme dans un studio dans lequel on va enregistrer morceau après morceau. Prenons l'Adagio pour cordes de Barber : les musiciens sont convoqués à un moment donné, et nous entrons en studio comme dans une bulle de laquelle nous ne sortirons qu'une fois l'enregistrement terminé. D'une part, cette bulle entoure alors l'Adagio de Barber et crée l'intimité dont nous avons besoin, d'autre part je suis persuadé qu'une session de studio représente un temps nécessaire pour construire toute l'histoire qui cimente notre travail. Il faut dire aussi que nous avons joué cette œuvre en concert depuis 15 ans et que, pour ma part, je l'ai souvent dirigée avec d'autres orchestres. L'enregistrement, dans ce cas, est l'aboutissement des concerts que nous avons faits auparavant. Certains musiciens sont également dans l'Ensemble Matheus depuis longtemps. Lorsque nous nous retrouvons pour enregistrer, cela devient le prolongement d'une relation qui existe par ailleurs. Avec moi, et je les vis ainsi, les séances d'enregistrements sont des moments de grande tension. Mais je veille à ce que cette tension soit artistique et joue un rôle d'inspiration.
La planification de l'enregistrement est également importante. Je pense que cela poserait un problème si l'on enregistrait, par exemple, un mouvement de la Symphonie de chambre de Shostakovich, un Bach et la pièce de Nicolas Bacri au cours de la même séance. Le programme de Miroirs est cohérent. Nous n'avons pas enregistré l'Ouverture de La Pie voleuse de Rossini après le Johann Christoph Bach ! Chaque œuvre est donc enregistrée en tant que telle et, lorsque nous abordons un autre morceau lors d'une autre session, nous restons malgré tout dans le même sujet et dans les mêmes couleurs.

 

Malena Ernman enregistre <i>Miroirs</i> à la Salle Colonne.

 

Malena Ernman enregistre <i>Miroirs</i> avec l'Ensemble Matheus.

La mezzo-soprano Malena Ernman est la voix de Miroirs. Que pouvez-vous nous dire de votre collaboration avec cette chanteuse ?

Il y a peu de chanteurs sur le circuit qui aient à ce point conscience de ce qu'est un musicien d'orchestre. Malena Ernman n'a rien d'une diva à l'ancienne, et c'est une grande chanteuse totalement dans son temps. Lorsque nous travaillons ensemble, elle est une musicienne parmi les musiciens. Cela permet d'installer une dimension humaine assez forte dans un contexte d'enregistrement porteur de nombreuses tensions et de concentration. La confiance que nous partageons, ainsi que l'affection, enrichissent indéniablement cette collaboration. Malena est une femme un peu réservée dans la vie mais dès qu'elle se met à chanter, ou même à parler de musique, la passion prend les commandes et elle peut même devenir une véritable bête de scène qui n'a peur de rien. Ces deux facettes de sa personnalité sont extrêmement différentes et la scène la change radicalement. Nous nous sommes rencontrés en octobre 2011 sur Sersé de Haendel à Vienne. Cette nouvelle production était mise en scène par Adrian Noble et j'avais été frappé par cet engagement total dans le rôle dont Malena était capable. Elle parvenait à rendre les émotions intimes du personnage de façon incroyable. Nous avons parlé et elle m'a appris qu'elle faisait également de la pop musique de la façon la plus sérieuse du monde tout en s'amusant. Malena possède en elle toute cette fantaisie aussi. Pour le programme de Miroirs, nous passons de la musique du XVIIe siècle à la musique contemporaine et il me fallait trouver une chanteuse qui puisse conserver la même intensité dans l'intention et la même sincérité en bondissant dans le temps. Malena est l'interprète idéale pour ce genre de projet.

Le Lamento op. 81 que vous avez commandé au compositeur Nicolas Bacri est joué sur instruments anciens avec des archets modernes. Qu'est-ce que cela apporte au niveau du son ?

Dans Miroirs, les pièces de Jean-Christophe et Jean-Sébastien Bach sont interprétées sur instruments baroques avec un diapason 415, et les pièces modernes de Barber et Shostakovich le sont sur instruments modernes avec un diapason 440. La composition de Nicolas Bacri est une commande faite sur le matériel du Lamento de Jean-Christophe Bach traité avec une inspiration contemporaine. Nous l'avons créé il y a 10 ans et nous l'avons joué en nous livrant parfois à des essais sur instruments baroques et sur instruments modernes. Nous avons même essayé une fois la combinaison instruments modernes et archets baroques. Pour l'enregistrement de Miroirs, nous nous situons à la croisée des époques et j'ai trouvé que cela fonctionnait bien. Le Lamento op. 81 de Nicolas Bacri est donc enregistré au diapason 415 sur instruments baroques et archets modernes. Bien qu'étant l'œuvre la plus récente du disque, il constitue dans ce programme le parfait trait d'union entre la musique baroque et la musique moderne. Quoi qu'il en soit, quand on l'écoute, on peut aussi bien avoir l'impression d'entendre des instruments baroques ou modernes. Si j'avais dit que j'avais enregistré sur instruments anciens, on aurait trouvé le son un peu grave et un vibrato limité mais néanmoins présent qui aurait semblé curieux pour des instruments anciens. Si, au contraire, j'avais annoncé que nous avions utilisé des instruments modernes, on aurait trouvé le son très sombre et que ça vibre peu. Je trouve que ce montage instrumental est une plutôt bonne idée… D'une façon générale, je pense qu'il est important de continuer à inventer. Comme pour tout le répertoire dit "savant", l'interprétation est difficile pour rendre au mieux la musique. Or je crois qu'on ne consacre pas suffisamment de temps à essayer des choses. Des occasions comme celle-ci, il ne faut pas hésiter à les saisir !

En avez-vous parlé avec Nicolas Bacri ?

Oui, je l'ai prévenu que nous allions enregistrer son Lamento au diapason 415 en faisant notre cuisine. Il nous avait d'ailleurs déjà entendus le jouer sur instruments anciens. Lorsque je lui avais commandé cette pièce, je lui avais dit que je ne savais pas encore sur quels instruments elle serait jouée. Il m'avait alors répondu que les deux couleurs de timbres conviendraient à son écriture. Bref, il n'a pas poussé des cris d'horreur quand je le lui ai annoncé ! C'est de toute façon quelqu'un de très ouvert…

 

Jean-Christophe Spinosi pendant l'enregistrement de <i>Miroirs</i>.Jean-Christophe Spinosi parle de l'enregistrement de <i>Miroirs</i>.

 

 

 

 

 















Si votre album Miroirs avait pu contenir plus de musique, qu'auriez-vous ajouté au programme qui est édité ?

Vous ne croyez pas si bien dire : une fois l'enregistrement terminé et que le disque était monté, j'ai eu un flash ! J'ai même téléphoné à Deutsche Grammophon pour exposer mon idée, mais c'était trop tard. Voilà : lorsqu'on écoute le disque, on termine sur "Wie jammern mich doch die verkehrten Herzen" de Jean-Sébastien Bach qui est une très belle pièce mais tout de même très sombre. Et je m'étais dit que nous aurions pu enregistrer pour terminer ce programme le Cantique de Jean Racine de Fauré, qui n'a pas tellement à voir avec le sujet mais qui aurait constitué une sorte de résolution après tous les tourments contenus dans cette succession de lamenti. Quelques semaines après la mise en boîte, je me suis dit qu'avec ce Cantique, dans sa version avec orchestre et chœur, nous aurions pu apporter une sorte d'élévation, de lumière. Cette musique est si belle et si naïve dans le sens élevé du terme qu'elle aurait constitué un grand choc émotionnel et une fin inattendue en contraste avec la dramaturgie de l'album.

Vous dirigez d'autres orchestres que l'Ensemble Matheus. Parvenez-vous facilement à équilibrer votre calendrier entre l'ensemble et vos autres activités de chef et de musicien ?

Je n'ai pas de stratégie et je crois que les choses se font naturellement. Il est vrai que je suis davantage chef durant certaines périodes, et à d'autres, je reviens davantage au violon. Mais le moteur qui me guide, et je reconnais que j'ai cette chance de pouvoir en profiter, est de jouer et diriger ce que j'aime, tant avec l'Ensemble Matheus qu'en étant invité à diriger d'autres orchestres. Je suis très gâté et je ne vous cacherais pas que c'est un vrai plaisir de diriger des œuvres absolument incroyables dans des endroits qui ne le sont pas moins, à la tête de grands orchestres symphoniques. C'est un privilège d'avoir pu diriger Beethoven, Ravel, Debussy et Berlioz à la Philharmonie de Berlin ou de me retrouver dans la fosse de l'Opéra de Vienne, comme d'aller régulièrement au Japon pour retrouver le New Japan Philharmonic et diriger les grandes œuvres françaises comme L'Apprenti-sorcier, la Pavane pour une infante défunte ou le Boléro. Ces concerts sont donnés dans des salles qui sonnent fabuleusement bien pour interpréter ce répertoire, comme le Suntury Hall de Tokyo. Tout cela pour dire que j'ai la chance de vivre ces expériences qui consistent souvent à me retrouver à travailler avec des gens que je ne connais pas mais avec lesquels j'échange de la musique du grand répertoire pendant une semaine. Aimer cela facilite sans aucun doute le fait de mener à bien ces activités différentes. Mais que je dirige un orchestre, un opéra ou que je joue un concerto pour violon, je n'accepte jamais une œuvre que je ne sens pas ou que je n'aime pas.

 

Cecilia Bartoli, Jean-Christophe Spinosi et l'Ensemble Matheus à Bad Kissingen en juin 2013.  © Jean-Christophe Cassagnes

L'Ensemble Matheus représente néanmoins votre activité principale…

Jean-Christophe Spinosi dirige <i>Le Comte Ory</i> au Theater an der Wien le 16 février 2013.  © Édouard Brane

Tout à fait, Matheus est mon activité centrale, même si je peux aussi mener à bien d'autres projets. Cette saison, je fais tout de même cinq opéras avec mon ensemble. Quant à la saison 2014-2015, je suis déjà invité par neuf orchestres symphoniques au Japon, en Suède, en Allemagne, en Autriche et en France. Cela représente neuf programmes symphoniques à préparer mais seulement neuf semaines sur l'année. Pour être honnête, je dois aussi diriger Les Pêcheurs de perles de Bizet dans une nouvelle production scénique à Vienne avec l'Orchestre de la Radio de Vienne. Cela me prendra en fait un mois et demi, mais ce sera mon seul opéra de la saison prochaine sans Matheus, qui demeure mon projet. Un projet quasi artisanal dans le sens élevé du terme. Les enjeux, de toute façon, ne sont pas du tout les mêmes. Avec l'Ensemble Matheus, la maturation est lente, alors que lorsque je suis invité par un orchestre, le but est de comprendre très vite comment il fonctionne, et ne surtout pas croire que je pourrai radicalement changer sa manière de jouer, pour faire entrer ma propre dramaturgie dans des œuvres qu'il a souvent déjà jouées.

Comment vous y prenez-vous ?

Eh bien, par exemple, lorsque j'ai dirigé l'année dernière la Symphonie du Nouveau Monde à Tokyo, je suis arrivé avec un scénario qui permet, en quelques mots, d'imprimer des idées vraiment personnelles qui vont beaucoup influencer les musiciens au point de les amener à jouer différemment. Leur son sera bien entendu le même, mais l'énergie qu'ils transmettent à l'œuvre habituellement en sera transformée. Il s'agit pour moi de considérer l'orchestre qui est devant moi comme un instrument et de bousculer les idées dans un sens positif et joyeux. J'utilise beaucoup pour cela des images universelles, des métaphores très concrètes et compréhensibles par les musiciens de toutes les origines. Je trouve inutile d'entrer dans de grands discours quand la stratégie qui consiste à parler d'images est bien plus efficace pour transformer le son ou la phrase musicale, et même radicalement et définitivement. Je préfère cela à dire "ici, il faut jouer un peu plus piano mais avec une attaque au talon, et raccourcir la note…", car ce ne sont que des conséquences mécaniques. L'important, à mes yeux, est de parler du cœur des choses. Avec de bons musiciens, cela aura pour conséquence la mise en place de l'aspect mécanique sans qu'on ait besoin de s'y référer. De cette façon, l'interprétation sera chargée de poésie. Lorsque j'ai commencé à diriger, j'y allais d'ailleurs un peu fort dans l'utilisation des images, et je m'étais dit que je prenais peut-être des risques qui pouvaient causer certains incidents diplomatiques. Puis, je suis tombé sur des vidéos de Bernstein, Kleiber et Harnoncourt qui m'ont décomplexé quant aux grosses blagues que je peux sortir parfois pendant les répétitions… Harnoncourt, par exemple, a une battue assez spéciale mais elle devient tout à fait lisible quand on l'a vu répéter. Après tout, la musique doit rester une fête et une folie. Cela interdit toute limite pendant les répétitions.

 

<i>La Folle Nuit des Matheus</i> au Quartz de Brest le 13 avril 2013.  © Édouard Brane

Le 10 novembre, vous reprendrez une série de représentations d'Orlando de Haendel qui vous conduiront du Théâtre du Capitole à l'Opéra Royal de Versailles à partir du 21 novembre. Comment envisagez-vous cette reprise ?

Je la situe dans la droite ligne de la tournée en Bretagne que nous avons faite en octobre. J'aime gratter les sujets au maximum. Adolescent, j'écoutais la version de Claudio Scimone de l'Orlando Furioso de Vivaldi et je trouvais déjà l'œuvre très intéressante. Mais, à cette époque, j'avais déjà entendu Les Quatre Saisons par Harnoncourt et, même si l'Orlando de Scimone était très joli, je me demandais ce que cela pourrait donner avec Harnoncourt. Avec ses Quatre Saisons, il avait fait scandale car c'était la première fois qu'on entendait la musique jouée de manière à ce point naturaliste. Il redéfinissait l'idée du beau et du laid et, pour les musiciens, se livrer à cette expérience a représenté un choc vraiment concret. À 14 ans je rêvais d'entendre un opéra joué de cette façon et j'imaginais ce que deviendraient alors la magicienne, les sortilèges et les chevaliers du livret avec les matériaux d'Harnoncourt ! Quand on écoute ses Quatre Saisons, ce n'est plus le joli ruisseau qui coule, mais la fourmi qui avance dans l'herbe et le vieux chien qui aboie d'un son rauque. On entend tout. J'imaginais alors ce que pourrait donner la musique avec ce genre de traitement qui aboutit à une scénographie qui nous parvient par le biais de l'écoute.

Jean-Christophe Spinosi.  © Jean-Baptiste Millot

Je n'avais pas oublié cette idée lorsque j'ai commencé à travailler sur Orlando. À la fin des années quatre-vingt dix, je voulais le monter, mais c'était impossible. Puis, lors du renouveau Vivaldi dans les années deux mille, j'ai pu réaliser ce rêve. Je trouve du reste le thème d'Orlando si beau que nous avons fait l'année dernière Orlando Paladino de Haydn au Théâtre du Châtelet. Le poème épique Orlando Furioso composé par l'Arioste est si riche que les compositeurs qui s'en sont inspirés ont donné le meilleur d'eux-mêmes. Dans celui de Haendel je trouve aussi bien de la magie, que de la folie. Il est difficile pour moi de vous dire exactement comment je vais l'aborder mais je sais une chose : c'est toujours une véritable joie de travailler sur tous ces "Orlandi" ! J'ai même soumis l'idée à un compositeur d'écrire un Orlando contemporain, et il trouve l'idée superbe. J'en ai déjà parlé à certains théâtres qui sont tous séduits par l'idée mais qui craignent aussi de prendre un bouillon car monter un opéra contemporain, c'est prendre des risques. Ce serait pourtant extraordinaire, après avoir voyagé au fil de trois Orlando, de nous consacrer à un Orlando contemporain ! Pour celui de Vivaldi, cela m'a pris des années. Alors…



Propos recueillis par Philippe Banel
Le 5 novembre 2013

 

Pour en savoir plus sur Jean-Christophe Spnosi et l'Ensemble Matheus :
www.ensemble-matheus.fr

 

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Ensemble Matheus
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Malena Ernman
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Jean-Christophe Spinosi – Miroirs

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