Tutti-magazine : En avril 2008 était proposée en France la première retransmission en HD Live du Metropolitan. Le diffuseur était alors Ciel Écran. Aujourd'hui Pathé Live à repris le flambeau. Pourquoi ce changement ?
Thierry Fontaine, Directeur de Pathé Live : Ciel Écran opérait depuis plusieurs années des retransmissions de programmes culturels populaires destinés à animer les petites communes françaises. Suite à l'acquisition de ce savoir-faire, cette société a décidé de retransmettre les spectacles du Metropolitan Opera de New York. Le Met distribuait déjà ses programmes par satellite depuis 2006 et représentait alors l'offre la plus rodée sur ce marché. Les premières salles françaises à diffuser ces productions étaient indépendantes puis, les Cinémas Gaumont Pathé s'y sont intéressés, en parallèle à l’équipement en numérique de ses salles associé à la technologie satellite qui allaient permettre la distribution d'un contenu alternatif. Lorsque les Cinémas Gaumont Pathé ont voulu diffuser les spectacles du Met, le rapprochement s'est fait naturellement, comme le rachat de Ciel Écran en 2008. Le changement de nom pour Pathé Live s'est fait en 2011 et je suis directeur de cette structure depuis septembre.
Quel objectif envisagez-vous pour Pathé Live ?
La saison 2011-2012 du Met représente pour nous 200.000 entrées. Je cherche également à mettre en place une vraie politique éditoriale afin de proposer des contenus cohérents qui s'adressent à des cibles très identifiées entre lesquelles il peut toutefois exister des passerelles. Par exemple, lorsque Pathé Life va diffuser les spectacles du Nederlands Dans Theater qui s'adressent à une cible plus jeune que celle du ballet classique ou de l'opéra, il reste cohérent sur le contenu tout en ménageant un échange possible entre les publics. En fait, je cherche avant tout la qualité ! À l'heure où nous parlons j'ai abandonné toute velléité de retransmettre une manifestation sportive dans les salles de cinéma car cela ne correspond pas à la politique éditoriale de Pathé Live. D'autres distributeurs peuvent s'en charger mais, en ce qui me concerne, j'imagine mal faire cohabiter sur notre site Internet* les spectacles du Metropolitan Opera avec des courses de motos…
* http://pathelive.com
Un public existe pourtant pour le sport dans les salles de cinémas…
Tout à fait, mais il s'agit vraiment d'un choix éditorial. Pour les exploitants et les spectateurs nous avons besoin de marques fortes comme le Met et le Bolchoï, et surtout des saisons de spectacles qui permettent la fidélisation. Je peux vous dire que les spectateurs du Gaumont Opéra étaient présents à 8 heures du matin le 16 avril pour réserver leur fauteuil à la prochaine saison du Met ! Créer un rendez-vous régulier est en outre moins compliqué à rentabiliser qu'organiser une soirée pour un événement unique dont le retour sur investissement est plus aléatoire. Ceci étant, je ne m'interdis aucunement de proposer d'autres contenus comme Leonardo Live, l'exposition Leonard de Vinci présentée en direct de la National Gallery de Londres le 16 février 2012, et pourquoi pas, dans le futur, des concerts de variété s'il s'agit d'artistes de haut niveau que l'on peut présenter à une cible bien identifiée. Ce sera ainsi le cas avec un très beau concert que nous diffuserons au mois de septembre. À l'inverse, je suis prêt à refuser des propositions de diffusion à même de trouver leur public si elles ne correspondent pas à notre exigence de qualité. C'est seulement ainsi que nous gagnerons la confiance des spectateurs et qu'ils nous suivront
Les retransmissions du Nederlands Dans Theater s'inscrivent dans cette ligne…
C'est un grand pari pour nous car c'est la première fois qu'est proposée une saison de danse contemporaine dans les cinémas. Nous avons eu un vrai coup de cœur pour cette compagnie, comme nous l'avons eu pour le Bolchoï. Avec le spectacle Move to Move, que nous diffusons le 31 mai en prélude à la saison 2012/2013 du Netherlands Dans Theater, nous nous positionnons différemment en adoptant bien sûr notre communication à l'attention du public. Parallèlement nous rediffusons le Ring du Met précédé d'un documentaire inédit et le ballet Roméo et Juliette de Sasha Waltz en direct de l'Opéra de Paris.
Pouvez-vous expliquer le cheminement technique du signal images et son entre une salle de spectacle et les salles de cinéma qui le retransmettent en live ?
Je vais m'appuyer sur une retransmission du Bolchoï car Pathé Live est producteur et détient les droits de diffusion pour le monde entier. Quoi qu'il en soit, le cheminement est le même :
Au départ, la captation est réalisée en direct par 10 caméras HD reliées à un camion-régie et à une station d'uplink satellitaire qui envoie le signal vidéo et le son 5.1 encodé en AC3 sur un premier satellite. Ce satellite renvoie le signal sur Londres où est situé le téléport de notre sous-traitant Arqiva. Arqiva renvoie ce signal vers les satellites que nous avons réservés au préalable et qui arroseront à leur tour les salles de l'ensemble de l'Europe et de l'Amérique du Sud. Parallèlement, ce même signal est envoyé par fibre optique aux États-Unis avant d'être relayé par un satellite qui le distribue aux salles américaines. Il faut 18 secondes pour que le signal partant de Moscou parvienne aux salles de cinéma américaines.
Pour le Metropolitan Opera, nous sommes distributeur exclusif pour la France, la Suisse et le Maroc, pour lesquels nous assurons aussi le marketing. Le signal part dans ce cas des États-Unis et arrive à Londres chez notre prestataire avant d'être renvoyé sur le satellite qui arrose les salles.
Pathé Live intervient-il techniquement ?
Pas à proprement parler. Mais nous assurons une Hot Line technique à la disposition des salles et nous sommes à leur disposition pour les conseiller sur l'équipement nécessaire. Nous procédons également à des tests. Le premier à lieu cinq jours avant la diffusion et dure 2 heures. Il permet aux cinémas de vérifier la bonne réception du signal. Ce test est particulièrement important car il peut arriver que l'orientation d'une parabole bouge légèrement à cause du vent. Ce délai de cinq jours permet aux salles de rectifier la donne. Le second test est lancé 2 heures avant le spectacle. Pathé Live peut aussi monitorer depuis l'Italie un certain type de matériel directement dans chaque salle. Dans ce cas nous pouvons vérifier le bon verrouillage du signal, sa puissance et la régularité de la transmission.
De brèves coupures d'images et de son surviennent parfois durant les diffusions. Quels types de sécurités pouvez-vous utiliser pour garantir la qualité du signal que vous diffusez ?
Nous travaillons sans filet ! Chaque salle est tributaire de la qualité de la réception du signal que nous envoyons. C'est la raison essentielle pour laquelle nous faisons des tests. À 99 %, les problèmes de désynchronisation, de rupture du son ou d'image sont locaux et ne viennent pas du signal. Nous avons rencontré une seule fois un problème. C'était durant la diffusion du Corsaire en direct du Bolchoï, le 11 mars. Le signal a été interrompu durant 3 minutes. Par bonheur, cela s'est produit durant l'entracte et personne ne s'en est aperçu. J'étais à ce moment dans les coulisses du Bolchoï et mon moniteur indiquait "signal perdu" ! J'ai alors réussi à faire retarder la reprise du spectacle en attendant le rétablissement du signal.
Les spectacles du Met sont retransmis le samedi soir. Comment les diffuseurs de films réagissent-ils à l'occupation de grandes salles de cinéma par l'opéra ?
Une saison du Met représente aujourd'hui douze spectacles le samedi soir par an. Nous avons demandé au Met de changer de jour mais c'est impossible car le théâtre ne propose aucune matinée un autre jour de la semaine et fait relâche le dimanche. Nous savons aussi que nous perdrions un spectateur sur deux si nous ne proposions pas de direct.
Certains spectacles sont rediffusés suite au succès rencontré lors de la diffusion en direct. Dans ce cas, le signal est-il aussi transmis par satellite ou bien utilise-t-on un support de stockage ?
Nous utilisons un DCP, c'est-à-dire un Digital Cinema Package, qui est en fait un disque dur au format de projection des salles de cinéma. Il faut savoir que lorsque nous diffusons un spectacle en direct, nous l'enregistrons avant qu'un prestataire transcode notre enregistrement à la norme DCP. Un disque dur est ensuite envoyé aux salles ou, en fonction de leur équipement, elles téléchargeront le fichier par satellite au moment où elles le souhaitent afin de le stocker sur leur serveur.
Les rediffusions sont donc identiques aux directs et ne proposent pas un montage différent comme c'est le cas si l'on compare une diffusion live avec un DVD ou un Blu-ray disponible quelques mois après…
Pour les rediffusions que je qualifierais d'"immédiates", le signal est celui que nous avons enregistré durant le direct. En revanche, pour la rediffusion du Ring du Metropolitan enregistré sur deux saisons et précédé d'un film, nous travaillerons avec des versions dont les entractes ont été réduits et que les salles exploiteront à partir d'un disque dur.
Quels sont vos rapports avec les gérants de salles ?
Nous nous réjouissons des bons rapports entretenus avec les salles car un contenu alternatif ne peut fonctionner sans une implication des exploitants. Nous essayons de les accompagner au mieux en facilitant la façon de travailler conjointement. Certains se montrent très dynamiques. L'exploitant connaît son public, sait où aller chercher des spectateurs différents pour l'opéra, nouer un partenariat avec un théâtre, une école de musique ou de danse… Nous devons nous appuyer sur son savoir-faire.
Pathé Live se trouve associé aux sorties DVD et Blu-ray de Bel Air Classiques du ballet du Bolchoï Casse-Noisette et Giselle sont les premiers titres à arborer votre logo…
En effet, nous sommes producteur des images et détenteur des droits d'exploitation cinéma. La maison de production Bel Air Media réalise la captation pour le compte de Pathé Live. Mais nous n'avons pas les droits vidéo. Lorsque Bel Air Classiques sort un DVD, il acquiert ces droits auprès du Bolchoï, et les droits des images auprès de nous. Comme nous sommes producteurs des images, nous devenons co-éditeur des DVD et Blu-ray du Bolchoï et vous retrouvez notre logo sur ces produits. Toutefois, il n'y a aucune systématisation entre une diffusion live en salles et une sortie vidéo. Bel Air Classique n'est nullement obligé de sortir un programme en vidéo, pas plus que nous sommes tenus de vendre nos images. L'éditeur vidéo finance entièrement cette opération et un partage des recettes sur les ventes est opéré ensuite.
Christophe Tardieu, Directeur général adjoint de l'Opéra de Paris nous a récemment confié son souhait d'augmenter le nombre de spectacles diffusés dans les salles de cinéma. Comment allez-vous organiser une programmation cohérente entre Le Met, le Bolchoï et l'Opéra de Paris ?
Nous venons de nous retirer de l'appel d’offres de l'Opéra de Paris ! À ce jour, nous avons uniquement diffusé les ballets de l'Opéra et, cette année, seulement trois spectacles, dont le dernier - La Bayadère - est arrivé au dernier moment en raison d'un financement laborieux. Or trois spectacles ne constituent pas une saison et sont particulièrement difficiles à vendre, d'autant que nous avons les droits pour le monde. Aujourd'hui, nos interlocuteurs nous font confiance non seulement car nous sommes producteur du Bolchoï mais aussi parce que nous avons deux saisons derrière nous et que nos programmes présentent un haut niveau de qualité. Pour la prochaine saison, l'Opéra de Paris partait sur cinq opéras et trois ballets. Je les ai naturellement proposés à nos partenaires étrangers et je ne vous cache pas que ces spectacles ont reçu un accueil pour le moins frileux. Or, l'international est indispensable à la rentabilité d'un tel projet. Je me suis vu obligé de décliner cette offre de l'Opéra de Paris.
Peut-on imaginer à terme des salles de cinéma dédiées à l'opéra et au ballet en HD Live ?
Pour assurer la rentabilité de salles dédiées, il serait nécessaire de diffuser un spectacle chaque soir. Cela me paraît vraiment très lourd. Ce n'est pas à l'ordre du jour.
Avez-vous pensé à accompagner les retransmissions live d'un certain nombre de services, comme les proposerait un théâtre : vente de Disques, DVD, livres, goodies ?
Ce domaine est celui des exploitants de salles. Rien n'empêche une salle de soutenir un programme comme il l'entend. En ce qui concerne la vente de DVD de films dans les cinémas, l'expérience a déjà été tentée et elle s'est montrée moyennement concluante. Il ne s'agissait toutefois pas de contenus alternatifs…
La diffusion en salles peut faciliter l'accès à l'opéra à des spectateurs qui ne fréquentent pas les théâtres. Selon vous, doit-elle être accompagnée d'une forme de pédagogie ?
Comme les maisons d'opéras - le Met par exemple - nous concevons un document qui est transmis aux salles afin qu'elles le diffusent auprès de leurs spectateurs. Il contient des informations sur le spectacle et, surtout, permet une fidélisation par l'annonce des prochaines diffusions. J'envisage en outre d'éditer un programme annuel assez haut de gamme.
Pathé Live se retrouve en concurrence sur un secteur également occupé par UGC…
Tout à fait, mais l'offre d'UGC est différente. Cherchez bien sur les documents de communication de notre concurrent où il est inscrit que les spectacles sont enregistrés et non en direct… Bien entendu, je m'efforce de répondre à ce flou en communiquant sur l'aspect "direct" de notre offre.
Comment percevez-vous l'évolution de la fréquentation des spectateurs de vos programmes ?
À mon arrivée chez Pathé Live, j'ai lancé une étude sur les deux premiers spectacles du Metropolitan et du Bolchoï. Mais il s’est trouvé que le premier opéra du Met était Anna Bolena, une œuvre qui s'adresse à un profil plutôt âgé, lequel constitue le noyau dur et fidèle de nos spectateurs. Toutefois, je distribue moi-même le document spectateur afin, précisément, de rencontrer notre public. J'ai ainsi pu observer un rajeunissement global au fil de la saison et même constater que des adolescents peuvent s'intéresser au Crépuscule des Dieux, à Faust, Don Giovanni et La Traviata. Sur ce dernier spectacle j'ai même été surpris par une salle particulièrement jeune constituée, entre autres, de visages que je n'avais jamais croisés auparavant…
Propos recueillis par Tutti-magazine
Le 3 mai 2012
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