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Interview de Pascal Zavaro

Lorsque nous avons découvert le disque du Concerto pour violoncelle et orchestre du compositeur Pascal Zavaro, nous avons été enthousiasmé par son écriture concertante et par la richesse de son expression orchestrale au travers de Alia ou Exulte qui complètent le programme avec Densha Otoko. Puis, lors d'un concert du Chœur Mikrokosmos à Paris, deux mouvements de son Concerto pour chœur et violon nous ont séduit et persuadé de le rencontrer avant la préparation de son prochain enregistrement monographique attendu chez Intégral Classic. Pascal Zavaro sera en outre en résidence au 32e Festival d'Auvers-sur-Oise du 1er juin au 6 juillet. Nombre de ses compositions seront ainsi interprétées tout au long du festival dont le point d'orgue sera la création de son Annonciation pour deux solistes et chœur mixte…

Comme pour Nicolas Bacri, Thierry Eschaich ou Philippe Hersant, l'écriture du compositeur Pascal Zavaro peut être rattachée à l'école française néotonale. Sa musique à la fois puissante, énergique et mélodique s'exprime autant à travers de pièces pour solistes que de musique de chambre, vocale ou orchestrale.

Pascal Zavaro répète <i>Metal Music</i> avec l'Orchestre à vents de la Région Centre en 2010.  © Christophe Esnault.Tutti Magazine : Enfant, la musique faisait partie de votre jardin secret au point de ne pas vouloir suivre un enseignement traditionnel et d'apprendre seul. Comment avez-vous franchi le cap d'une vraie formation ?

Pascal Zavaro : J'ai effectivement commencé la percussion à l'âge de 10 ans, tout seul. Mes parents, sans doute libéraux et peut-être aussi un peu indifférents, considéraient que la musique était un choix qui m'appartenait. À cette époque, je participais à des groupes de rock et je composais de petites pièces pour des amis au lycée. C'est plus tard, adolescent de 15 ans, que j'ai eu l'occasion de rencontrer un percussionniste professionnel. Il m'a fait comprendre qu'être autodidacte présentait des limites et que je ne pourrais plus progresser seul. Cet échange a marqué pour moi une étape importante car je me suis dirigé ensuite vers le Conservatoire du 5e arrondissement de Paris où j'ai rencontré Lucien Lemaire, percussionniste de l'Orchestre National de France. Il a compris que ma détermination était assez particulière et m'a pris sous son aile. Ainsi ont débuté mes études académiques… Je suis ensuite entré à l'École Nationale de Musique de Créteil avant de rejoindre le Conservatoire National Supérieur de Musique.

Quels souvenirs gardez-vous de votre apprentissage au CNSM, et en particulier de votre rencontre avec Jean-François Zygel ?

Au Conservatoire de Paris je terminais mes études dans la classe de percussions de Jacques Delécluse. C'est à cette époque que j'ai rencontré Jean-François Zygel et que nous nous sommes liés. Nous aimions tous les deux la nouvelle musique américaine, celle de Steve Reich et Philip Glass parmi d'autres, et nous avons été les premiers à jouer cette musique au Conservatoire de Paris. C'était dans le cadre des concerts de midi, organisés par des étudiants pour les étudiants. Nos concerts étaient autant de pierres dans le jardin de la rue de Madrid car, au début des années quatre-vingt, quasiment personne ne connaissait ce courant musical. Je me souviens même que certains professeurs trouvaient cette musique répétitive un peu abrutissante…

Et vous avez appris le marimba…

Après le Conservatoire de Paris, j'ai en effet obtenu une bourse pour partir au Japon et apprendre cet instrument. C'est là-bas que j'ai pris quelques cours de composition et que j'ai commencé à écrire sérieusement, tout <i>Rush</i> pour saxophone alto solo de Pascal Zavaro est disponible chez Saphir Productions. Cliquer sur le CD pour le commander…d'abord pour mon instrument. Puis, lorsque je suis revenu à Paris un an après, une certitude avait mûri en moi : je ne serais pas percussionniste mais compositeur !

D'où vous est venue cette évidence ?

Sans aucun doute de me trouver au Japon. D'abord, je me suis rendu compte de la valeur de la culture occidentale. Non que la culture japonaise ne m'ait impressionné, mais le changement de perspective aidant, je me suis rendu compte de la richesse d’À la claire fontaine, de Ravel… De fait, un an de Japon m'avait ouvert les yeux. J'en ai alors parlé à Jean-François Zygel qui percevait en moi le compositeur qui sommeillait et il m'a donné des cours en toute amitié.

Vous avez ainsi été formé par Jean-François Zygel…

Je possédais déjà quelques notions d'harmonie, mais grâce à lui, bien avant qu'il devienne lui-même professeur, se sont ouvertes pour moi les portes du contrepoint <i>Metal Music</i> de Pascal Zavaro est disponible chez D2C Productions. Cliquer sur le CD pour le commander…et de l'orchestration. Lorsque Jean-François est devenu professeur d'orchestration à Aubervilliers, je l'ai suivi pendant quelques années. Mais je dois l'essentiel de ma formation à ce qu'il m'a apporté en privé pendant plusieurs années. C'est à sa passion pour la pédagogie que je dois d'avoir pu aborder avec une incroyable intensité les axes qui m'ont permis de me révéler en tant que compositeur. Plus tard, après avoir composé déjà pas mal, j'ai perfectionné l'harmonie avec Rikako Watanabe qui, d'ailleurs, n'était pas encore à cette époque le professeur qu'elle est devenue au CNSM. À croire que je dois être un révélateur de professeurs pour le Conservatoire !

Vous souvenez-vous de votre première composition et de la façon dont vous l'avez abordée ?

Je crois que c'était en 1993. Ma première composition sérieuse est sans doute un sextuor pour le Festival de Capuchos au Portugal, une sorte de boogie pour piano, clarinette et quatuor à cordes. C'était aussi la première fois que j'étais joué dans un festival important, professionnel. La composition a été assez rapide, presque facile…

Cette sensation de facilité à composer a-t-elle perduré ?

Le jeune compositeur que j'étais se comportait comme un chien dans une église, avide de découvertes. C'est en fait avec le temps que je suis devenu très conscient de ce qui ne collait pas, puis j'ai connu une période durant laquelle j'étais de plus en plus sensible aux enjeux de la composition, de mes propres enjeux. Cette étape rendait l'écriture de la musique moins évidente. Ceci dit, lorsque je m'en ouvrais à des collègues compositeurs, ils trouvaient que mon rythme d'écriture était tout à fait normal. Pour moi, cela semblait dur.

Pascal Zavaro photographié par Christophe Esnault.En quoi résidait la difficulté ?

Lorsqu'un compositeur commence à écrire, il se sent porté par une sensation de facilité. Puis, des blocages peuvent survenir dans la mesure où il se trouve confronté à sa propre exigence de qualité d'écriture et à ce qu'il est réellement capable d'écrire. Ce n'est ni plus ni moins qu'un jugement sur nos propres idées. Mais cette problématique est partagée par tous les musiciens, y compris les interprètes : se montrer suffisamment critique sans parvenir au blocage. La pratique de la musique doit engendrer une autocritique permanente qui ne soit pas trop invalidante afin de gagner en assurance pour, au final, achever sa pièce. La rétention et l'autocritique sont indissociables de la prise d'assurance et il est assez curieux de constater que ces deux énergies sont nécessaires pour avancer. Sans un de ces éléments, on reste au point mort.

Lorsqu'on est familier avec une structure musicale, l'écriture devient-elle facilitée ? À savoir, après avoir composé un quatuor, est-on plus à l'aise pour en écrire un autre ?

Il s'agit bien moins de structure que de créer son propre style, son langage personnel. En ce qui me concerne, je ne pense pas avoir trop d'interrogations sur le monde sonore dans lequel je veux m'exprimer, que ce soit pour composer un trio, un quatuor ou un orchestre. La chose est bien entendu très différente lorsqu'on débute et qu'une large palette d'expression musicale s'offre à soi : électronique, tonale, atonale, minimaliste, maximaliste, rythmée, non rythmée… Le choix est loin d'être évident pour certains mais il aboutit toujours de façon assez naturelle à ce qu'on aime. C'est d'ailleurs la grande différence avec un interprète. Il n'est pas forcé de choisir et joue ce qu'on lui demande, alors que le compositeur doit réduire son champ de possibilités expressives et essayer d'éliminer tout ce qui n'appartient pas à sa propre expression. En tant qu'interprète, le problème du choix esthétique se pose rarement, pour le compositeur, il se pose en permanence. Dans le cas d'un jeune compositeur, ce temps de la formation de l'esthétique musicale peut être assez long.

Aujourd'hui comment définiriez-vous votre style, après avoir mis de côté ce qui ne vous correspondait pas ?

Il est difficile de trouver des mots pour exprimer cela, des mots qui ne soient pas ceux des autres. Comment exprimer le langage d'un compositeur autrement que par des accords, une forme de mélodie, une forme de structure, un certain son ? Comment le dire autrement qu'en se montrant satisfait d'un morceau que nous avons écrit ?

 

Pascal Zavaro photographié par Philippe Nguyen.

Être satisfait d'un morceau, est-ce être fidèle à la façon dont on l'imaginait avant la phase d'écriture ?

<i>Flashes</i> de Pascal Zavaro est disponible chez Densité 21. Cliquer sur le CD pour le commander…C'est un vaste sujet car, si je savais exactement la forme que prendrait une œuvre, je ne l'écrirais sans doute pas. Me surprendre un peu est essentiel dans ma façon d'appréhender la composition. En fait, l'épreuve de la création n'est pas dissociable de sa mise en œuvre. Il n'y a pas un projet artistique, d'un côté, et de l'autre, le remplissage de ce projet. Alors bien sûr, je m'appuie toujours sur un élément de départ, une image ou autre chose, mais c'est dans la mise en œuvre de la composition que se situe à proprement parler mon travail du compositeur. Dans le cas inverse, la musique serait conceptuelle. Je pourrais vous dire : "Je pense à la plus belle musique du monde, voici comment elle est faite…". Le problème est de créer la musique, bien plus que de l'imaginer.

Vous avez grandi parmi des plasticiens et votre écriture est extrêmement rythmique. Existe-t-il pour vous un rapport entre le graphisme et ce sens du rythme présent dans vos pièces ?

Je pense effectivement qu'un phénomène rythmique s'exprime dans tous les arts plastiques. Dans la peinture en particulier, car c'est ce qui m'impressionne le plus et m'inspire pour nombre de mes pièces. J'écris en ce moment une pièce sur La Bataille de San Romano du peintre Paolo Uccello, et il me suffit d'observer cette toile quelques secondes pour en capter la rythmique des pattes des chevaux, la rythmique des lances, celle des personnages placés chacun sur une perspective différente. Au fond la rythmique visuelle a dû m'impressionner car, pour moi, le rapport entre le rythme et la forme est évident, que ce soit dans les arts plastiques aussi bien que dans la musique. Le sens de l'organisation des surfaces sur un tableau trouve chez moi un sens de l'organisation des plans sonores ou des parties d'une pièce… <i>Le Déjeuner sur l'herbe</i> de Pascal Zavaro est disponible sur l'album du 40e anniversaire des Swingle Singers. Cliquer sur le CD pour le commander…Mais si vous dites que ma musique est très rythmique, je vous répondrai que toutes les grandes musiques le sont. Ne voyez pas là une immodestie de ma part, mais que ce soit pour Mozart, Bach ou même Debussy, la question rythmique est primordiale. Debussy n'a certes pas un rythme isochrone, mais il est bien présent dans sa musique, un rythme fluide, vivant et organique. Dans mes premières pièces cette importance du rythme était déjà présente, mais il est possible qu'elle vienne aussi de la pratique de la percussion.

Le graphisme est-il votre principale source d'inspiration ?

Je lis beaucoup mais il est vrai que la littérature a bien moins de rapports avec ma musique que les arts plastiques, que les formes. D'une façon générale je trouve qu'une expression non verbale, que ce soit la peinture, la danse ou la sculpture, entretient un plus grand rapport avec la musique. Ceci dit, j'écris beaucoup de mélodies en m'appuyant sur des textes. Mais je pense que la littérature n'a pas eu d'influence au niveau formel dans la musique. C'est plus une affaire de mariage entre la musique et le texte qui aboutit à une pièce vocale, une scène d'opéra, etc.

Accordez-vous de l'importance à la façon dont votre musique est reçue par un auditoire ?

Vous répondre est compliqué. Bien sûr, cela me fait plaisir lorsqu'on me dit aimer ma musique. Mais cela ne veut pas dire que je pourrais écrire pour faire plaisir aux gens ! Je suis en fait moi-même mon premier auditeur et je pense que mon but est d'écrire la musique qui plaît à cette partie de moi. Une musique susceptible de plaire à l'auditeur que je pourrais être, installé dans une salle de concert, et qui serait attentif à ma musique en se montrant peut-être impressionné ou ému. C'est cette musique que j'essaye d'écrire.<i>Prime Time</i> sera créé par le pianiste Kotaro Fukuma le 10 mai 2012 au Théâtre Adyar de Paris.

Pour autant, composez-vous toujours pour que votre musique soit jouée ou peut-il vous arriver d'écrire sans qu'une pièce vous soit commandée ?

Il m'arrive effectivement de composer sans répondre à une commande. C'est le cas de quelques duos pour violons et de la petite suite pour piano Prime Time que créera Kotaro Fukuma lors du concert prélude au Festival d'Auvers-sur-Oise, le 10 mai au Théâtre Adyar. J'avais composé ces pièces au fil des années pour ma fille qui étudiait alors le piano. Après les avoir composées tout d'abord pour de petites auditions privées, j'ai pensé ensuite que ces pièces pouvaient intéresser des pianistes et je les ai publiées. L'idée était pour moi de constituer une sorte de Children's Corner et vous y trouverez un certain nombre de clins d'œil à Debussy. Ceci dit, lorsque je suis amené à écrire sans la perspective d'une exécution en public, il s'agit essentiellement de pièces pour solistes. Il est hors de question de me lancer dans une symphonie… pour mes tiroirs, car c'est trop d'effort. Certains de mes confrères le font, mais sans doute se trouvent-ils confrontés au besoin impératif d'écrire.

Le 32e Festival d'Auvers-sur-Oise est placé sous le signe de votre musique. En quoi consiste cette résidence ?

J'ai en fait proposé un certain nombre d'œuvres et des interprètes invités ont également choisi ce qui leur plaisait dans mon catalogue. Ces pièces seront jouées lors des nombreux concerts du festival*. Je vais bien sûr faire en sorte de rencontrer les artistes qui vont jouer mes œuvres, même si ce n'est pas évident pour eux de me voir alors qu'ils sont en train de travailler. Un musicien est en fait bien plus à l'aise avec un compositeur mort ! Le 2 juin, je participerai également à un rencontre avec le journaliste Michel le Naour. Quoi qu'il en soit, je suis heureux de cette résidence car elle va être l'occasion d'entendre de nombreuses pièces que j'ai composées. Le public pourra découvrir ce que j'écris, et même peut-être plusieurs pièces sur les 6 semaines que dure le festival. C'est une opportunité formidable et la première fois qu'autant de mes compositions seront jouées de façon aussi rapprochée.
* Pour tout renseignement, consulter le site du Festival d'Auvers-sur-Oise.

Les pièces présentées au Festival d'Auvers-sur-Oise sont-elles toutes préexistantes ?

Stephan Genz et Karen Vourch créeront <i>Annonciation</i> de Pascal Zavaro en clôture du Festival d'Auvers-sur-Oise, le 6 juillet 2012.  D.R.Elles le sont toutes à l'exception du recueil Prime Time que jouera Kotaro Fukuma, et la commande pour le concert de clôture du festival, le 6 juillet à l'église Notre-Dame d'Auvers-sur-Oise. Il s'agit d'une pièce vocale pour deux solistes et chœurs : Annonciation. Pascal Escande, le Directeur du festival, m'avait demandé si je pouvais écrire un "Je vous salue Marie". De prime abord, j'étais un peu surpris - je n'ai pas beaucoup d'œuvres sacrées à mon catalogue - mais je ne voulais pas lui dire "non". Alors, j'ai réfléchi et j'ai eu l'idée d'un "Ave Maria", avec l'envie de composer malgré tout quelque chose de personnel. Je me suis alors lancé dans un triptyque composé de deux "Ave Maria", le premier pour voix de femmes, le second pour voix mixtes, encadrant tous les deux une sorte d' "Annonciation". J'ai retrouvé un très beau texte d'un trouvère du XIIIe siècle. Il s'agit d'une source totalement profane qui va s'insérer entre les deux pièces sacrées. Dans ce texte en vieux français, Marie discute avec l'Ange du bien fondé de sa requête : avoir un enfant sans homme va faire jaser, l'entraîner dans des problèmes… Et l'Ange la rassure en lui expliquant que Dieu pourvoira à tout… J'ai beaucoup aimé cette désinvolture et cette vérité, voire cette crudité contenues dans ce dialogue. Il sera interprété par la soprano Karen Vourch et le baryton Stephan Genz.

Récemment, le label Intégral Classic vous a consacré un disque. Henri Demarquette interprète votre Concerto pour violoncelle et orchestre ? Comment s'est déroulée cette collaboration ?

Le violoncelliste Henri Demarquette photographié par Jean-Philippe Raibaud.Le <i>Concerto pour violoncelle</i> de Pascal Zavaro est disponible chez Intégral Classic. Cliquer sur le CD pour le commander…Travailler avec Henri Demarquette a été très agréable car il s'est montré à la fois très disponible et travailleur. Avec lui, tout est possible ! J'espère seulement que d'autres violoncellistes parviendront à jouer ce concerto qui est vraiment très difficile en raison des capacités phénoménales d'Henri. C'est une longue pièce de plus de 30 minutes qui demande une grande virtuosité. L'enregistrement qui est proposé sur le disque doit être la troisième interprétation de cette œuvre par Henri Demarquette et je la trouve formidable.

Nous évoquions vos sources d'inspirations. Que peut-on dire de votre Concerto pour violoncelle ?

Il s'agit pour moi de musique pure comme l'indiquent les mouvements Passacaglia, Toccato, Aria et Finale, peut-être un peu inspirée de la forme baroque. Il n'y a pas à proprement parler de programme, ce qui généralement m'aide dans mon travail même si les auditeurs ne perçoivent pas forcément clairement le motif de mon inspiration. Je ne pense pas que la forme concerto réclame nécessairement un traitement de cette sorte car j'ai déjà composé d'autres pièces concertantes qui s'appuient sur des arguments. Ici, je me suis imposé d'être très chantant tout au long de l'œuvre. Il n'y a pas de cadence dans mon concerto, et très peu de moments de retrait pour le violoncelle. Cette pièce m'est venue comme une immense mélodie qui se trouve très souvent exprimée dans le registre suraigu de l'instrument. D'une façon plus générale, la forme concerto rejoint pour moi le problème de la mélodie qui est au centre de l'expression de l'instrument soliste, qu'il soit violon ou violoncelle. La musique contemporaine a souvent oublié cela. Pour moi, la musique est avant tout de la mélodie.

Pascal Zavaro répète <i>Metal Music</i> avec l'Orchestre à vents de la Région Centre.  © Christophe Esnault.

Un making-of filmé par Hervé White devait accompagner ce disque. Qu'est-il devenu ?

 

Effectivement, ce making-of devait être proposé avec le disque mais il n'était pas prêt au moment de la sortie… Le film d'Hervé White, Naissance d'un concerto, est remarquablement construit car il permet de voir tout ce qui gravite autour du Concerto sans pourtant le montrer lui-même. Il débute dans les coulisses, avec les interprètes, avant le concert et s'arrête pour suivre mes discussions avec Henri Demarquette, les rapports d'Henri avec le chef d'orchestre Fayçal Karoui, des fragments de répétitions… En fin de compte tout ce qui a trait à la préparation du Concerto. J'espère que ce DVD sortira car ce film permet d'appréhender la façon dont se fait une création, le travail et les interrogations qui se cachent derrière, la découverte de l'œuvre et la somme d'énergie nécessaire à l'aboutissement d'un tel projet. Hervé White a filmé notre travail environ 6 mois avant la création, et à la fin du film, je suis interviewé avec le recul de trois années pour livrer mon sentiment sur cette véritable aventure.

[Interrogé, le réalisateur Hervé White nous a confié qu'il sera éditeur de son film Naissance d'un concerto. Le DVD devrait sortir à la rentrée 2012 sous le label Intégral Classic]

Lorsque nous avons rencontré Loïc Pierre, il nous a parlé de votre concerto pour violon et chœur Songs of Innocence. Quelle est la genèse de cette pièce qui va être enregistrée en fin d'année ?

Songs of Innocence a constitué pour moi une aventure nouvelle car, dans l'Histoire de la musique on ne trouve pas de concerto écrit pour violon et voix. Ni Bach ni Mendelssohn n'ont confronté un instrument soliste à une masse chorale de 35 chanteurs. La raison peut bien sûr être esthétique mais il existe aussi des causes purement techniques. Lorsqu'on est face à un chœur on se trouve devant un mur de son bien plus impénétrable qu'un orchestre. Or il faut parvenir à dégager un instrument soliste par rapport à cette masse sonore qui est non seulement puissante mais très chargée en harmoniques provenant des voix. On est donc en prise avec un objet sonore d'une densité particulière, ce qui peut tout à fait constituer une raison suffisante pour ne pas confronter un petit instrument à 4 cordes à un ensemble écrasant. Mais aujourd'hui, cela est devenu possible car nous avons évolué dans notre approche de la forme concertante et nous nous sommes sans doute aussi affranchis de codes obligés, à une certaine époque, pour traiter la voix.
Partitions de Pascal Zavaro éditées chez Gérard Billaudot. Cliquer sur le visuel pour accéder au site de l'éditeur…Le premier mouvement que j'ai écrit, dans l'optique d'en composer cinq, était intéressant mais on n'entendait pas assez le soliste. Cela aurait très bien pu passer pour un enregistrement en privilégiant le violon dans le mixage, mais pas en concert où l'instrument surnageait de temps à autre. Cela ne gênait du reste pas nécessairement les auditeurs, d'après les impressions que j'ai recueillies. Mais ce galop d'essai ne me satisfaisait pas. De fait, les autres mouvements que j'ai écrits par la suite me semblaient plus aboutis sur le plan de l'équilibre.

Pourtant votre Concerto est passé de 5 à 3 mouvements…

En fait, nous avons laissé de côté le 1er mouvement pour ne conserver que les 2e, 3e et 5e mouvements. Le 4e mouvement n'a encore jamais été chanté, mais pour une raison très pragmatique : l'œuvre en 4 mouvements, par sa longueur, ne pouvait pas entrer dans l'agenda de travail du Chœur Mikrokosmos. C'est aussi une expérience que de vivre proche d'un chœur car on comprend alors fort bien que certaines pièces sont trop lourdes pour lui, trop difficiles à gérer sur le plan du travail d'un programme composite qui comprend par ailleurs de nombreuses autres pièces chorales. Dans ce cas, il est bien préférable d'écrire une œuvre un peu plus courte qui sera jouée que de composer quelques minutes de musique supplémentaires au risque de la rendre difficilement jouable. Finalement, je me suis orienté vers un concerto viable pour la formation. En effet, il faut toujours garder à l'esprit que les conditions d'exploitation d'une œuvre interagissent sur cette œuvre. Nous parlions tout à l'heure du ressenti du public, or je pense que la viabilité d'une œuvre est une donnée bien plus importante pour sa pérennité.

Que vont devenir les deux mouvements inutilisés ?

Je pense oublier le 1er mouvement que je trouve déséquilibré, mais le 4e n'est pas enterré ! De mon point de vue, ce morceau d'environ 6 minutes pourrait peut-être exister en tant que tel, ou intégrer un possible autre concerto… Vous l'avez compris, la formation chœur et violon me séduit mais, au-delà, je pense que le dialogue d'un instrument avec un chœur se révèle réellement intéressant. Il peut en outre apporter de la variété à un programme purement choral.

Vous enseignez la composition. Quel est pour vous le message essentiel à faire passer à vos élèves ?

<i>Silicon Music</i> de Pascal Zavaro est disponible chez Mandala. Cliquer sur le CD pour le commander…La composition instrumentale est avant tout une technique et il est important de comprendre la structure du répertoire. Mais au-delà de cela, je pense qu'il est important de bien comprendre que composer pour un instrument, c'est composer pour un instrumentiste. Le compositeur ne fait pas l'Histoire de la musique, ce sont les instrumentistes qui l'écrivent. Ce sont eux qui décident de rejouer ou non ce que vous avez écrit en fonction de la musicalité de la pièce, sa jouabilité, sa faculté à entrer dans un programme et sa dimension valorisante pour l'interprète. Celui-ci a généralement un grand nombre d'attentes par rapport à une nouvelle composition et il ne faut surtout pas penser que le compositeur puisse transgresser cela à loisir. Comme les instrumentistes, les chefs d'orchestre décident de rejouer une pièce ou pas. D'où l'importance de saisir ce qu'est véritablement un concert, mais aussi la vie et la technique d'un interprète. Cette dimension a sans doute été un peu oubliée lors des dernières décennies et il est indispensable de comprendre que la vie d'une composition tient au regroupement d'un certain nombre de conditions extrêmement rares qui seules permettent d'échapper à un concert unique pour intégrer un répertoire. L'œuvre doit donc se montrer suffisamment attachante et valorisante pour pouvoir exister, trouver son autonomie et prendre place dans la vie musicale.
Pour vous donner un exemple, j'ai écrit une pièce que j'adore - Silicon Music - mais qui est injouable car elle ne correspond pas au rituel habituel du concert. Elle est écrite pour violon solo et une dizaine d'instrumentistes qui doivent être amplifiés et elle nécessite tout un dispositif électroacoustique qui la positionne en dehors de la réalité du concert. Elle a été jouée deux fois, puis magnifiquement enregistrée pour le disque par la violoniste Elisabeth Glab et l'ensemble Phœnix, mais je ne vous dirais pas pour autant que cette pièce est viable et je ne suis pas plus sûr que les conditions de la vie musicale lui permettront un jour d'exister. Cette expérience m'a fait revenir à des formations beaucoup plus classiques avec moins d'électronique ou d'amplification, bien que restant persuadé de leur intérêt musical.
C'est un exemple, bien sûr, mais on pourrait aussi parler de la problématique qui peut naître de la difficulté à jouer un morceau. Ce sont en fait les règles du jeu de la composition instrumentale que je tente de faire comprendre humblement à mes élèves…



Propos recueillis par Tutti-magazine

le 17 avril 2012

Pascal Zavaro. © Philippe Nguyen.








Pour en savoir plus sur
le compositeur Pascal Zavaro :

http://www.pascalzavaro.com

 

Mots-clés

Jean-François Zygel
Kotaro Fukuma
Loïc Pierre
Mikrokosmos
Nicolas Bacri
Pascal Zavaro

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