Tutti Magazine : Dans quel état d'esprit vous trouvez-vous au terme d'une saison passée en compagnie de Rossini, Chabrier et Wagner ?
Mariame Clément : Je me sens à la fois fatiguée et heureuse ! C'est d'ailleurs plutôt un cycle de deux saisons qui s'achève : une saison très lourde l'année dernière, et relativement moins cette saison, au terme de laquelle je me suis ménagé une pause de quelques mois de réflexion et de conception que j'anticipe depuis longtemps. J'ai l'impression très agréable de clore un cycle et d'en commencer un autre.
Du plus loin qu'il vous souvienne, à quand remonte votre première envie de mise en scène d’opéra ?
Mon premier désir de mise en scène est sans doute devenu conscient après mes premiers pas de metteur en scène. On m'avait conseillé un atelier de quelques jours pour dix apprentis metteurs en scène que dirigeait Willy Decker. Je m'y suis rendue en toute insouciance et me suis retrouvée à travailler sur des scènes de Wozzeck avec un vrai chef de chant et des élèves de l'Opéra Studio de La Monnaie. Nous choisissions nos scènes, puis nous les préparions chez nous la veille avant de les monter devant les autres. Chacun avait une heure pour sa scène, sans décor et avec des accessoires minimalistes. C'est ainsi que je me suis retrouvée à diriger des chanteurs alors que je n'avais jamais fait de mise en scène, et ça a marché ! C'était euphorisant, et même exaltant.
Mais, aujourd'hui, je peux dire que ce désir conscient s'est manifesté sur les bases d'une envie bien plus ancienne car j'ai toujours adoré l'Opéra et je me suis toujours raconté des histoires en lien avec l'Opéra. Mes parents m'ont dit qu'à 5 ans, je faisais des spectacles de marionnettes avec Siegfried et Brunnhilde ! Adolescente, j'étais obsédée par Don Giovanni et je dessinais au stylo à plume pour illustrer les scènes et les faire vivre dans mon imaginaire. Ce n'est qu'a posteriori que j'ai compris que le désir de mise en scène avait toujours été présent en moi. Puis, j'ai pris des cours de chant, mais je n'étais jamais heureuse car ce que je cherchais dans le chant, c'était de raconter une histoire. J'étais donc frustrée car, si c'était le bon médium, je ne l'appréhendais pas de la bonne manière.
Contrairement à de nombreux metteurs en scène d'opéra, vous ne venez pas du théâtre. De quel univers tirez-vous vos racines ?
Je pense être construite par tout ce qui a fait mon parcours, un parcours qui doit sans doute sembler assez erratique. Mes racines sont ancrées au plus profond de moi et viennent en partie de mon désir constant pour l'opéra, depuis l'âge de 4 ans. Contrairement à de nombreux adolescents, je n'ai jamais connu de période de rejet de cette expression. Il faut dire que l'opéra est devenu quasiment dès le départ une source de partage avec mes parents. J'étais fille unique et ils m'y ont emmenée assez tôt. Pour le reste, je me suis construite par des études littéraires, linguistiques et musicales. Aujourd'hui, je peux lire une partition et je joue du piano. J'ai également enseigné durant 2 ans, et cela s'avère utile dans mon travail de mise en scène. De fait, ces axes assez disparates se sont rejoints plus tard dans le métier que je pratique.
Vous êtes Française, mais vous avez commencé par travailler à l'étranger. Le proverbe "Nul n'est prophète en son pays" aurait-il encore frappé ?
C'est moi qui ai décidé de quitter la France, de façon assez instinctive, et en tout cas sans l'idée d'aller me former et de trouver ma liberté ailleurs. Je suis partie deux ans aux États-Unis à l'occasion d'un programme d'échange avec Normale Sup et il se trouve que je ne suis rentrée que 10 ans après. Après les États-Unis, au lieu de rentrer en France, je suis allée à Berlin car j'avais fait la rencontre d'un Allemand. Nous aurions pu nous installer à Paris mais je n'en avais pas envie car je ne savais encore ni ce que je voulais faire ni qui j'étais. J'avais l'impression qu'à Paris, j'allais me trouver poussée dans un système de formation sans avoir encore choisi une voie.
Ressentiez-vous l'envie de vous construire vous-même ?
Sans aucun doute, mais je ne vous dirais pas non plus que j'ai fait l'école de la rue. Bien au contraire, j'ai toujours été extrêmement consciente de mes privilèges sociaux, culturels ou familiaux. Sur-consciente même, avec l'impression de n'avoir aucun mérite à avoir réussi ce que j'ai réussi… Je possède à la fois une forte et une mauvaise conscience : c'est très important pour me définir… Un ténor que j'admire beaucoup m'a confié avoir découvert l'opéra à 17 ans en regardant Les 3 ténors à la télé. Il s'est alors dit : "C'est ça que je veux faire !". Or je trouve qu'il a beaucoup plus de mérite que moi qui, à 4 ans, fréquentais déjà l'Opéra Garnier.
En France, il suffit de prononcer "Normale Sup" pour que tout le monde tombe en pâmoison. À Berlin, briller en société s'avère beaucoup plus délicat, surtout si vous ne parlez pas l'allemand, ce qui était mon cas. À 20 ans, cette réalité était dure mais nécessaire pour parvenir à me dépouiller un peu sur le chemin de mon vrai "moi". C'est en Allemagne je me suis formée comme spectatrice, et que j'ai rencontré ma scénographe qui est allemande. C'est tout cela qui a créé ma personnalité artistique. Pour cette raison, j'ai d'abord travaillé à l'étranger, puis en France : d'abord Strasbourg, qui est juste à la frontière et fait que j'aime beaucoup ce théâtre, puis Nantes, Nancy, l'Opéra de Paris, Toulouse… Je serai bientôt au Théâtre des Champs-Élysées pour Le Retour d'Ulysse dans sa patrie. Je ne peux pas me plaindre…
Quelles sont les mises en scène qui vous ont marquée dans votre évolution ?
Des spectacles très divers. Du reste, j'aime des choses très différentes. Adolescente, le Ring de Patrice Chéreau, que j'ai vu en VHS, ainsi que le Cosi fan tutte de Peter Sellars m'ont énormément marquée. Le Voyage à Reims de Luca Ronconi, lui aussi en vidéo, a été déterminant dans la formulation de mon désir d'Opéra. Il y avait une telle jubilation à voir toutes ces stars : Samuel Ramey, Ruggero Raimondi, Katia Ricciarelli, Cecilia Gasdia, et Montserrat Caballé qui n'était pas la dernière à s'amuser… Et surtout Claudio Abbado ! Je devais avoir 18 ans et c'est peut-être à ce moment que je me suis dit : "C'est ça qu'il faut faire !". À Paris, j'avais été très marquée par la Lady Macbeth de Mzensk d'André Engel à l'Opéra Bastille, puis par le Lohengrin de Robert Carsen. Il y a eu aussi le Ring au Théâtre des Champs-Élysées : plus que la mise en scène de Daniel Mesguich, je me souviens surtout m'être préparée en jouant les leitmotivs pour les reconnaître. Ensuite, il y a eu Berlin, avec la possibilité d'aller à l'Opéra trois fois par semaine, aussi facilement qu'au cinéma. À cette époque, je n'étais pas encore consciente de l'existence du métier de metteur en scène. À Paris, on allait voir une œuvre dans un contexte scénique encore relativement littéral. Or à 23 ans, au cours de ma première saison berlinoise, j'ai vu trois Flûte enchantée, deux Carmen, deux Don Giovanni, aussi dissemblables que possible. Et un univers s'est ouvert à moi. C'est pour cette raison que je défends le Regietheater, qui a ouvert des portes extraordinaires aux metteurs en scène d'aujourd'hui. Comme toute révolution, celle du Regietheater a peut-être connu des excès, mais elle a ouvert la voie en élargissant de manière radicale l'éventail de moyens dont je peux aujourd'hui disposer en tant que metteur en scène, même si je n'y ai pas recours au quotidien. Mais ce courant reste essentiel dans ma formation esthétique artistique et théâtrale : Le Barbier de Séville de Ruth Berghaus dans des décors d’Achim Freyer, une production de 1968 qui était encore au répertoire du Staatsoper, était éblouissant d’élégance et de virtuosité. Le Macbeth de Peter Mussbach m’avait énormément impressionnée visuellement, tout comme j’avais été bouleversée par la Salomé de Freyer, pourtant déjantée et clownesque. Et L’Enlèvement au sérail de Calixto Bieito, qui fit un tel scandale au Komische Oper, était une production d’une intelligence et d’une musicalité remarquables, même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec le dénouement d’un point de vue féministe… J'ai découvert ensuite Christoph Loy, Claus Guth… C'était l'ordinaire à Berlin !
Parlez-nous de votre rencontre avec la décoratrice et costumière Julia Hansen avec laquelle vous formez un tandem…
Tout s'est déroulé de fil en aiguille, comme toujours dans ma carrière. Suite à l'atelier à La Monnaie, une personne m'a encouragée à me présenter à un concours de mise en scène. De façon encore une fois tout à fait inconsciente, car sans aucune expérience de mise en scène, j'ai présenté un dossier qui m'a valu un troisième prix. La remise des prix avait lieu à Wiesbaden, et là se trouvaient les lauréats de l'édition précédente. Le premier prix avait été remporté par un metteur en scène dont la scénographe était… Julia Hansen ! Nous avons sympathisé illico, puis nous nous sommes revues à Berlin où elle habitait aussi. Nous avons réfléchi à des œuvres et lorsque j'ai eu ma première commande à Lausanne, j'ai tout naturellement fait appel à elle. L'abstraction de nos rêveries berlinoises autour des opéras a alors fait place à du concret…
Comment travaillez-vous ensemble ?
Il y a une grande complicité entre nous, qui s'est développée au fil de ces années. Je n'ai du reste quasiment fait appel qu'à elle. De son côté, du moins en matière d'opéras, Julia travaille depuis un bon moment presque exclusivement avec moi. Nous nous voyons beaucoup au point que, souvent, nous constatons en riant que nous passons plus de temps ensemble qu'avec nos conjoints respectifs ! Sans doute en raison de cette complicité exempte de routine, il est très difficile de dire à qui, de nous deux, revient une idée. Que ce soit le café qui constitue le décor unique pour Das Liebesverbot* ou, de la même façon, l'avion pour Le Voyage à Reims, je suis incapable de vous dire. Les idées émergent du dialogue, du frottement d'opinions parfois divergentes ou des tensions. Lorsque nous commençons à travailler sur une nouvelle œuvre, nous arrivons avec des films et des livres, nous allons voir des expos, nous nous rendons dans des librairies… Il est important d'élaborer un socle commun de références car, même lorsqu'on se connaît très bien, l'autre ne peut voir ce que vous avez en tête. Lorsque nous avons commencé à travailler sur Liebesverbot, j'avais apporté le DVD des Demoiselles de Rochefort. Pourtant, je gage qu'un spectateur ne retrouve rien du film de Jacques Demy dans ce qu'il voit. Ou alors le côté comédie musicale qui nous a beaucoup nourries mais qui reste subliminal… Nous parlons beaucoup de l'œuvre, de ce qu'elle signifie et de ce que nous voulons exprimer. Puis Julia commence à faire des esquisses. Je les regarde, et le concept émerge. C'est un peu différent à chaque fois. Si, pour Wagner, l'idée du café est venue tout de suite, à l'inverse, nous tâtonnons davantage en ce moment sur notre nouveau projet, comme ce fut le cas pour La Flûte enchantée.
Certains metteurs en scène conçoivent leurs décors eux-mêmes. Personnellement, si je souhaite donner l'impression que la même personne signe le décor et la mise en scène, je ne suis absolument pas intéressée à tout faire moi-même. Ce n'est ni un fantasme ni mon idéal.
* Voir la vidéo de Das Liebesverbot à l'Opéra national du Rhin à la fin de cet article.
"L'Opéra ou la défaite des femmes", titrait Catherine Clément dans un ouvrage paru en 1979. Face à un univers balisé par des Chéreau, Py, Guth, Carsen et autres Tcherniakov. Vous sentez-vous isolée ?
Non, en tout cas de moins en moins. Dans ma génération et celle qui suit, il y a de plus en plus de femmes, et pas seulement Katie Mitchell ! Pourtant l'opéra reste encore un monde très masculin. Or ce qui me frappe de plus en plus, c'est que l'opéra est aussi un univers d'œuvres très masculines, où la femme occupe le premier plan, en particulier au XIXe. Les titres de ces œuvres créées par des hommes sont souvent des prénoms de femmes. Par ailleurs, dans l'Art en général, on ne trouve aucun espace de projection qui ne soit des fantasmes d'hommes. Finalement, toutes les images, tous les modèles, toutes les icônes de femmes ont été pensées, à très peu d'exceptions près, par des hommes. Si une femme cherche à se définir par la Culture, elle ne trouvera que des références inventées par des hommes. J'en suis très consciente depuis que j'ai une fille. Tout ce que je lui dis pour l'éduquer, ce sont des choses qui ont été créées par des hommes. Je lui farcis le crâne avec des images de femmes dans lesquelles elle se projette et qui n'ont pas été pensées par les femmes. Je ne sais du reste pas moi-même ce que c'est une femme. Il nous reste donc à inventer. Mais faut-il pour autant détruire la Culture et recommencer à zéro ? La révolution culturelle, ce n'est pas mon truc. Alors on reprend les œuvres et, pas à pas, on les redéfinit en se les appropriant. Tout cela est excitant parce que ça reste à inventer.
Pour autant, vous sentez-vous poussée à devoir prouver quelque chose ?
Je n'ai jamais eu l'impression de devoir faire mes preuves. Ma position, quel que soit le pouvoir qui en découle, n'est pas une position de pouvoir institutionnel, comme l'est un poste de directeur de théâtre. Là, c'est tout de suite plus compliqué et l'on doit effectivement faire ses preuves. Le metteur en scène possède un pouvoir au sein d'une équipe, et pour un temps donné. J'arrive, j'essaye d'enthousiasmer les gens, et je m'en vais. Mais il est vrai que, pendant cinq semaines, c'est moi le chef, avec le chef d'orchestre, bien sûr. Nous sommes deux et cette collaboration bicéphale des plus agréables me convient très bien. Avec pas moins de trente opéras à mon actif, je n'ai encore jamais travaillé avec un chef femme ! De ce fait, le rapport avec le chef est très différent car il ne se positionne pas sur le terrain d'un ridicule combat de coqs entre chef et metteur en scène masculins. Il m'est bien sûr arrivé ponctuellement d'être confrontée au machisme. Par ailleurs, je ne suis pas sûre non plus qu'être une femme ne joue pas sur la perception que les gens ont dans le fait de vous engager ou pas, voire même sur les salaires…
Quelles sont les raisons qui vous font accepter une proposition de mise en scène ?
Ce que j’aime dans mon métier, c’est précisément la commande. Peut-être est-ce là un reste de mentalité khâgneuse : "Voilà le sujet, vous avez 6 heures !". J'apprécie l’imprévu de la rencontre avec une œuvre car cela stimule ma créativité. Bien sûr, certaines œuvres me font fantasmer : Wozzeck, Salomé… Un dramaturge allemand m’a dit un jour : "Mais pourquoi cites-tu des œuvres qui n’ont pas besoin de metteur en scène ?". Par le passé, j'ai pris beaucoup de plaisir à la confrontation avec des opéras que je n’aurais jamais choisis. Certains de mes projets préférés sont d'ailleurs des ouvrages qui ne m’attiraient pas forcément a priori, voire que je ne connaissais pas ou peu. Ceci étant, même lorsqu'il s'agit d'un opéra que l'on connaît, je trouve très difficile de savoir en amont si l’on sera inspiré ou pas. Par ailleurs, il y a une part de lâcheté à laisser le choix de l’œuvre à d’autres. En effet, si l’on choisit soi-même, on a moins le droit de se planter !
Plus sérieusement, j’aime aussi ce rapport de confiance avec le directeur d’opéra qui me confie une mise en scène. De même, je trouve beau d’être réinvitée dans une maison d'opéra où j'ai déjà travaillé par quelqu’un qui me dit avec un petit sourire malicieux ou gourmand : "J’ai réfléchi et j’aimerais vous confier telle œuvre". C’est pour ces directeurs qu'un metteur en scène travaille, et je respecte infiniment ceux qui ont cette capacité à réunir les gens pour aboutir à une rencontre intéressante. C’est un vrai métier, et je crois que je serais bien moins inventive si je devais choisir les œuvres moi-même.
Quant à ce qui me fait accepter une proposition… J’ai finalement rarement refusé en raison de l’œuvre elle-même. C’est plus souvent à cause de problèmes de calendrier. Mais je me répète : comment savoir si un opéra va vous inspirer si vous n’avez pas commencé à travailler dessus ? Du reste, c’est ce qui me tient dans un état d’effroi permanent car je ne peux m'empêcher de craindre que la prochaine œuvre soit celle sur laquelle je risque de me casser les dents !
Dans Opéra Magazine, le ténor Piotr Beczala affirme : "Les metteurs en scène d'opéra croient qu'ils sont des créateurs alors qu'ils ne sont que des interprètes". Partagez-vous cet avis ?
Absolument, car je nourris personnellement une véritable humilité par rapport à mon métier, et même un grand complexe dans la mesure où j'ai l'impression de ne pas être créative. Depuis toute petite, mon sentiment est d'être une très bonne élève mais pas géniale !
Votre production de "Platée" pour l'Opéra du Rhin ou encore Hänsel et Gretel à l'Opéra de Paris ne vous contredisent-ils pas ?
S'il y a bien sûr certains de mes spectacles dont je suis fière, je fais une différence fondamentale entre un écrivain qui se retrouve devant une page blanche et mon métier de metteur en scène. Mon amie écrivain Joy Sorman m'a dit un jour : "La page blanche, ça n'existe pas !". Quant au compositeur Philippe Hurel, dont j'ai mis en scène le premier opéra Les Pigeons d'argile, il me répondait: "Mais arrête de dire cela, on fait le même métier. On met de l'ordre là où il n'y en a pas". Ça m'a beaucoup touchée, et peut-être qu'avec la maturité, je m'approche de cela. Néanmoins, on ne m'ôtera pas de l'idée qu'entre écrire un roman, composer un opéra et mettre en scène une œuvre qui existe, il y a une différence de nature et pas seulement une différence de degré. J'ai appris techniquement à bien écrire, mais je reste incapable d'écrire en faisant preuve de créativité car ce n'est pas du tout mon mode d'expression. J'aime m'exprimer au travers des œuvres.
Votre travail de metteur en scène est-il pour autant dénué de créativité ?
Je ne pense pas non plus qu'un metteur en scène ne fasse que traduire scéniquement un ouvrage. Forcément, il crée en ajoutant nécessairement sa propre personnalité. Il raconte une histoire depuis son point de vue et, de fait, Il ne peut exister de version neutre. Il y aura toujours, même dans la mise en scène la plus conventionnelle, des partis pris plus ou moins conscients.
Cela va peut-être étonner ceux qui n'apprécient pas mon travail, mais j'ai toujours l'impression de servir l'œuvre. Je suis là comme passeur, comme médiateur. Et pour Julia, il en va de même car le décor n'existe pas en soi. Dans nos productions, on ne peut savoir où s'arrête le décor et où commence la mise en scène. Les deux sont indissociables et se placent au service de l'opéra. Avec notre décor de Liebesverbot, un autre metteur en scène serait sans doute bien en peine d'imaginer quoi que ce soit. De même, je serais mal à l'aise si j'avais à inscrire Liebesverbot dans un décor différent.
Quel est votre moment préféré dans le processus de mise en scène ?
J'aime chacun de ces moments, mais un moment que j'adore particulièrement est paradoxalement la seule répétition sans mise en scène : l’italienne avec orchestre, une répétition à laquelle je ne suis même pas tenue d’assister. Le plus souvent, elle vient après la générale piano, donc la mise en scène est plus ou moins "dans la boîte". Puis, tout d’un coup, l’orchestre intervient pour la première fois, et le chef d’orchestre prend réellement le relais. Les chanteurs sont assis sur des chaises, concentrés sur la musique, je me faufile dans la salle, et je suis toujours incroyablement émue. J’écoute et je me dis : "Voilà pourquoi je fais ce métier". Quel privilège !
Par ailleurs, au contraire de certains metteurs en scène de théâtre qui construisent énormément avec les acteurs, je ne suis pas un metteur en scène qui improvise beaucoup pendant les répétitions. J'ai même une vision assez claire quand j'arrive en répétition. Du reste, le médium est tellement fort qu'il vous emporte. Par ailleurs, je crois que sans préparation, on se retrouve vite à faire des choses très conventionnelles. Toutefois, avec le temps, j'apprends à laisser plus de place à l'improvisation…
Avez-vous votre mot à dire quant aux distributions ?
De plus en plus, ce qui n'était pas le cas il y a 3 ou 4 ans. Plus j'avance dans ma carrière et plus je suis engagée en amont, donc tout au début du processus de casting, ou même avant. Actuellement je planifie 2019/20/21. Cela dit, je serais bien en peine de composer un casting. Même si je connais les voix et la musique, j'estime que choisir les chanteurs est aussi un métier à part entière. Cependant, je reconnais qu'il est agréable d'avoir tout de même son mot à dire et de pouvoir dialoguer quant au genre de chanteurs que l'on souhaiterait. J’ai aussi la possibilité de me retirer d'une production si elle ne me convient vraiment pas. J'aime trop mon métier pour en gâcher le plaisir que j'en retire… J'entretiens dans l'ensemble de bons rapports tant avec les chefs qu'avec les chanteurs.
Dans les suppléments du DVD de "Don Pasquale", on perçoit très nettement une bonne humeur communicative…
C'est très important pour moi. En général, sur nos productions, nous nous amusons plutôt bien. La faculté que je recherche le plus est l'empathie à l'encontre des personnages et de leurs interprètes. J'essaie d'éprouver leur point de vue, d'être en eux, avec eux. C'est assez épuisant aussi. On reçoit beaucoup mais on donne aussi beaucoup.
De quelle nature sont vos rapports avec les musiciens ?
Là aussi, c'est la complémentarité que j'apprécie. J'aime lorsque les compétences se chevauchent : intervenir sur le tempo pour mieux exprimer une intention, ou rebondir de mon côté pour affiner ma direction d'acteurs en fonction de ce que dit un chef. C'est ce qui participe à la richesse de l'Opéra. Je ne travaille pas en dépit du chef d'orchestre mais avec lui. Christophe Rousset, par exemple, est un vrai complice, et même un ami. Ce qui m'attriste généralement, c'est la coupure absolue avec l'orchestre. Or Christophe, à l'inverse, travaille avec son propre orchestre. Habituellement, l'orchestre intervient très tard dans le processus de création. Mais avec les Talens lyriques, le rapport est très différent et l'on travaille dans une vraie osmose. De fait, la production s'en ressent forcément. Pour la reprise de Castor et Pollux à Toulouse, nous avons eu beaucoup de mal à créer les lumières de la scène de tempête tant que nous étions accompagnés par un simple piano. Lorsque l'orchestre est arrivé, tout est devenu limpide. Christophe m'a dit un jour : "Veux-tu qu'on rejoue pour que vous puissiez régler les lumières ? ". Les musiciens étaient tous partants, et ça, c'est merveilleux ! Voir tous ces gens concourir à la réussite du spectacle avait quelque chose de bouleversant. Cette synergie, c'est l'idéal de l'Opéra. Platée et Castor, pour cette raison, sont pour moi des productions très particulières.
Ce qui frappe dans vos mises en scène, c'est l'extrême variété des propositions visuelles… Peut-on y voir un style Clément/Hansen ?
Je peux en effet reconnaître une approche assez narrative, un souci esthétique visuel très fort et une attention portée aux détails. Mais je m'en réfère plutôt à ce qu'on m'en dit. Récemment quelqu'un me confiait : "Il y a souvent chez toi un ajout de quelque chose qui n'est pas dans le livret, quelque chose de nouveau qui, paradoxalement, donne l'impression d'avoir toujours été là, quelque chose qui fait ressortir un aspect de l'œuvre, qui apporte de la lisibilité… Par exemple la servante dans Don Pasquale". Effectivement, la servante de notre Don Pasquale a une grande importance. Beaucoup de gens qui ne connaissent pas cet opéra ont pensé que ce personnage faisait partie du livret et même, qu'il allait se mettre à chanter à un moment ou à un autre ! Je prends cela pour un compliment car cela signifie que la servante que j'ai imaginée est parfaitement intégrée à l'ensemble.
De même, dans notre Platée, Junon ne se contente pas de quelques phrases à chanter à l'Acte IV, mais intervient dès le Prologue. Et là aussi, les personnes qui ne connaissent pas bien l'ouvrage pensaient que Junon était un rôle important alors qu'il n'en est rien.
Drames ou comédies, avez-vous une prédilection pour l'un ou l'autre ?
À vrai dire, j'aime mettre en scène les deux genres. Castor et Pollux, par exemple, me bouleverse totalement. Mais j'aime aussi revenir à la comédie. Ceci étant, même s'il existe un humour typique de notre duo Clément/Hansen, cet humour est toujours profond, proche du tragique. Dans Don Pasquale, j'ai beaucoup aimé introduire du tragique dans la comédie. Dans ce spectacle, une des images qui me touche le plus est lorsque Pasquale se fait poudrer par son coiffeur. Cette scène me renvoie à Mort à Venise… La seule réserve des critiques anglais qui ont encensé cette production concernait la dimension équivoque de la relation entre Norina et Malatesta. Honnêtement, elle faisait l'intérêt et la force de cette mise en scène.
"Platée" chez Tati, "Hänsel et Gretel" dans le cerveau de ses personnages, "Castor et Pollux" chez Hitchcock, "La Belle Hélène" à Hollywood, "Agrippina" dans l'univers impitoyable des sitcoms, "Il Viaggio a Reims" dans la carlingue d'un Boeing agité, un "Chevalier à la rose" sans l'once de matière viennoise… Vous n'hésitez jamais à transposer l'époque, voire le lieu indiqué par le livret…
Je ne me pose pas la question en ces termes, pas plus que je n'aborde une mise en scène avec une époque en tête. En revanche, je me demande si l'œuvre est facilement lisible ou complexe, ce que je souhaite raconter et ce qui nous émeut. Si elle rappelle tout de suite un référent qui a du sens pour vous, où que les codes font sens, je ne vois pas l'intérêt de la transposer. C'est pourquoi je n'ai ni actualisé La Bohème ni habillé les personnages en jeans. Mais je l'ai tout de même déplacée de 1840 à 1900, époque qui évoque instantanément le cliché de l'artiste bohème, ce qui ne pose aucun problème aux spectateurs qui ne raisonnent qu'en costumes contemporains ou historiques. Pour Don Pasquale, nous avons même reculé le curseur aux Liaisons dangereuses sans que cela n'effraie quiconque. Il serait d'ailleurs amusant de définir la frontière transgressive des costumes historiques. À partir de quand n'est-on plus "en costumes" ? 1920, 1950 ? Cela dépend des gens.
Il en va tout autrement pour Platée dont les référents sont plus flous. On ne comprend pas bien de quoi ça parle. Plonger Platée dans le consumérisme des années 1950 apporte de la lisibilité.
Doit-on voir dans votre "Poliuto" pour Glyndebourne, une réflexion vigilante sur le Monde ?
Nécessairement, car lire une œuvre c'est la lire avec le filtre d'une personnalité, d'un lieu et d'une époque. C'est pour cette raison qu'il n'existe pas vraiment de degré zéro de la mise en scène. Une situation m'a beaucoup éclairée à ce sujet. Julia et moi montons Le Retour d'Ulysse au printemps prochain au TCE. Ce spectacle a été reporté alors que nous avions quasiment fini le projet. Nous pensions donc que ça n'allait pas être trop dur de nous y remettre. Deux ans plus tard, nous ressortons donc Ulysse de nos cartons et, curieusement, nous nous trouvons devant une difficulté pour raconter notre histoire telle que nous l'avions imaginée. Là, nous nous sommes rendu compte que, tant au plan des idées que des choses formelles, beaucoup de ce que nous y avions mis avait été exprimé entre-temps dans d'autres projets.
Cette expérience a représenté une grande leçon d'humilité pour moi qui me croyais naïvement l'humble et honnête servante des œuvres. Je suis pourtant honnête dans ma démarche, dans mon désir et ma volonté. Mais j'ai réalisé combien une mise en scène est un instantané du moment où elle est conçue. Je dirais même qu'on ne peut pas ignorer cette composante qui prend en compte jusqu'à notre vie affective. L'Opéra, bien sûr, se nourrit de la vie. Sans quoi, nous irions au Musée.
Si un opéra peut marquer durablement le spectateur, on oublie qu'il peut en aller de même pour le metteur en scène…
Bien sûr, car la confrontation à une œuvre signifie aussi une confrontation à soi-même. Les opéras que j'ai montés sont inextricablement liés à ce que j'ai vécu. Mon travail sur Castor et Pollux s'est déroulé dans une espèce de brouillard magique, celui dont j'émergeais pour répéter après avoir allaité ma fille deux fois par nuit. Ma vie familiale, aussi compliquée soit-elle sur le plan logistique, est aussi très enrichissante, et l'interpénétration est évidente. Il y a aussi le côté humain, car chaque opéra est une rencontre avec un chef d'orchestre, avec des équipes et des chanteurs.
Comment réagissez-vous face aux critiques parfois virulentes ?
Je l'avoue, je réagis mal aux critiques virulentes. Elles peuvent me blesser profondément, me heurter et même me déprimer. Cependant, je parviens maintenant à analyser la raison pour laquelle je me sens heurtée. Je lis généralement les critiques juste après la première. Or à ce moment précis, je suis dans un état comparable au baby-blues consécutif à plusieurs mois de travail et à des semaines d'euphorie. Bref, je sors d'un état merveilleux et, dès le lendemain, je dois très concrètement faire mes valises et quitter l'appartement que j'ai loué. Je suis fatiguée parce que je n'ai pas beaucoup dormi, la fête est finie, et la seule chose à laquelle je peux me raccrocher pour continuer à rêver, comme quand on est amoureux et qu'on relit des lettres d'amour, c'est chercher les critiques sur Internet. Et là, baf ! C'est forcément un peu dur car cela intervient dans un moment de fragilité. Avoir compris cela m'aide. J'ai également acquis une distance par rapport aux critiques, en particulier depuis Poliuto et L'Étoile, qui ont reçu un accueil critique monstrueux. Jamais je n'avais connu ça de ma vie. Dans le cas de L'Étoile, c'était incroyablement extrême et surtout en décalage surréaliste avec l'accueil de la salle. Les spectateurs riaient aux éclats et j'ai lu à plusieurs reprises : "Les gags tombent à plat !". Mais des anonymes m'ont écrit : "Vous me redonnez foi en Covent Garden". Ça compense tout de même un peu.
La critique peut aussi être bonne…
Il est bon de garder une certaine distance face aux bonnes critiques car bon nombre ne sont pas très intéressantes dans le contenu. Pour Liebesverbot, je n'ai eu en gros que de bons papiers. Mais, pour moi, un grand nombre était bon pour de mauvaises raisons. Quand je compare les accueils critiques si contrastés pour Don Pasquale et Poliuto, je comprends rétrospectivement que Don Pasquale a reçu de bonnes critiques - bien que mauvaises pour moi - parce que la production était jolie et "en costumes". Les costumes plus décalés dans le temps de Poliuto ont déchaîné les réactions inverses. J'étais pourtant bien le même metteur en scène à l'origine de ces deux spectacles ! Quand les raisons exprimées sont celles-ci, elles ne me touchent plus du tout. Quand je lis : "Hänsel et Gretel, c'est moche et il n'y a pas de forêt !", ça ne m'atteint pas car, pour moi, il y a bien une forêt…
Le regard du critique est un regard très particulier. Parfois, il peut rejoindre celui du spectateur lambda. Mais souvent, ce dernier ne connaît pas l'œuvre et ne se trouve pas du tout dans le même état mental, culturel et sensoriel que le critique professionnel, lequel a du mal à se placer dans le même état que le spectateur lambda. L'un n'est pas préférable à l'autre, mais il ne faut pas perdre de vue qu'il est impossible de ne travailler que pour les critiques. Pour autant, je trouve intéressant d'avoir le point de vue de gens compétents. Quoi qu'il en soit, je suis aussi devenue philosophe, et je sais pertinemment qu'on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais je reste toujours sidérée par la violence, la hargne, voire la haine. Pour Poliuto il y a eu dans la presse pas moins que des appels au meurtre : "Jetez cette femme aux lions !". Je suis tout de même un peu choquée. Quant à la violence qui s'exprime dans les blogs, elle est le plus souvent personnelle et physique. Et tout cela pour de l'opéra !
Dans quel esprit abordez-vous les reprises de vos spectacles ?
J'envisage les reprises avec un immense enthousiasme et, à de rares exceptions près, je m'arrange toujours pour être présente quand je le peux. La saison dernière, j'avais sur le feu trois nouvelles productions et cinq reprises, ce qui faisait huit premières pour une année, et je devais aussi parallèlement concevoir des productions pour la saison suivante. Matériellement et humainement, je ne pouvais pas être présente à toutes les reprises. J'aime néanmoins beaucoup revoir la même œuvre avec une distribution différente, et la remettre sur le métier. Le Voyage à Reims a beaucoup tourné et, de ses différentes reprises, la production émergeait même davantage… Pour La Flûte enchantée, j'ai changé beaucoup d'éléments au fil des reprises. De toute façon, La Flûte est un opéra infaisable, un Work in progress constant. En termes de direction d'acteurs, des choses fonctionnent sur une production et pas sur une autre, et je trouve fascinant que cela puisse aussi bien tenir à une microseconde de timing qu'à une nature plus comique qu'une autre. On progresse beaucoup avec les reprises et, comme j'ai beaucoup d'affection et de tendresse pour mes productions, c'est à chaque retrouvaille comme avec de vieux amis.
Où êtes-vous au moment où le rideau se lève sur une première?
Dans la salle, toujours ! Pour moi, il est inconcevable d'être ailleurs. Même si nous pouvons mourir mille morts, Julia et moi sommes dans la salle, côte à côte, les ongles plantés dans nos bras.
"Il Giasone" était le premier DVD d'un de vos spectacles. Cette production était-elle la plus représentative de votre travail ?
Pour être honnête, j’étais ravie qu’un DVD paraisse. Je ne sais pas si Il Giasone est représentatif de mon travail ou pas. Je crois que toutes nos productions sont finalement assez différentes. J'aurais donc du mal à choisir une production sur ce critère. "Delizie et contenti" reste pour moi une scène dont je suis assez fière parce qu'elle illustre ce que cette musique a pour moi d'incroyablement sensuel. Une sensualité mélancolique presque douloureuse… Il Giasone était peut-être étrange par rapport à ce qui avait précédé, mais c’était pour moi la première étape d’une phase de grande libération. Cette mise en scène a marqué le début d’un travail reposant sur l’association d’idées, le collage et l’abstraction. Je ne regrette donc pas que cette production ait été la première à sortir en DVD. En revanche, je déplore que certains spectacles ne soient pas édités en vidéo comme Platée, La Belle Hélène, Castor et Pollux et Le Voyage à Reims.
Existent en DVD "Don Pasquale", "Les Pigeons d'argile", et bientôt "Poliuto". On connaît la fragilité du média par rapport à la représentation in loco. Intervenez-vous sur les captations ?
J'ai plutôt de la chance avec les DVD de mes spectacles. Pour Giasone, ce fut zéro contact avec la production de la captation. Par la suite, j'ai toujours insisté pour rencontrer les réalisateurs en amont, pour les faire assister à des répétitions, regarder avec eux la captation neutre d'un plan large afin d'attirer leur regard sur ce qui est important à mes yeux. Platée, filmé par Olivier Simonnet pour la télé, est une captation idéale digne d'une édition vidéo.
J'aime le cinéma et ce que j'adore, c'est l'étape du montage. Je n'y connais rien mais, là encore, si je respecte la compétence infinie des monteurs, j'aime être là pendant les deux ou trois derniers jours du montage. Ou alors on m'envoie une version que j'annote en retour. Intervenir au montage, c'est fascinant. On peut modifier une seconde et ça change tout. Cela me donne l'impression de faire aussi du cinéma, que ce soit avec François-René Martin pour Les Pigeons d'argile, Andy Sommer pour la captation de Hänsel et Gretel, ou François Roussillon pour Poliuto dont le DVD sortira dans quelques jours.
Par ailleurs, je me pose actuellement de nombreuses questions sur ce que le cinéma a apporté en termes de technique narrative et comment il est possible de transposer cela à l'Opéra. Je ne pense pas à la vidéo, mais plutôt à quelque chose qui existe aussi dans le roman : le point de vue, un point de vue subjectif. Comment peut-on exprimer un point de vue sur scène ? Qui parle ? Ce qui est évident à l'écrit, et très fréquent au cinéma, l'est bien moins à l'opéra où il s'avère plus délicat d'orienter le regard du spectateur. J'ai tenté cela dans Hänsel et Gretel ainsi que dans Poliuto, où j'ai glissé certaines touches de ces interrogations par le biais de vidéos fugaces. Dans Castor et Pollux, un twist final, procédé hautement cinématographique, renversait le point de vue perceptif des événements. Cette question du point de vue, que très peu de critiques prennent en compte, pose vraiment un problème de théorie de la mise en scène.
La mise en scène s'enseigne-t-elle ?
Pour moi, la mise en scène se pratique. On apprend sur le tas avec beaucoup d'expériences et de travail. Contrairement à la technicité requise par le métier de chef d'orchestre, celui de metteur en scène est plus flou, plus difficile à définir. De mon côté, je n'ai pas fait des années de contrepoint et de technique de direction, et cela engendre chez moi un léger syndrome d'imposteur. Ne venant pas du théâtre, je n'ai jamais appris à diriger les acteurs, même si mes amis m'assurent que je ne procède pas autrement. Mais, en suivant mon petit bonhomme de chemin, je me rends compte que j'ai pu acquérir un peu de compétence, de technicité… Je participerai cet été à un atelier au Festival d'Helsinki. L'atelier que j'avais conduit à Royaumont en 2014 avait été très fructueux. J'avoue que j'aime l'idée de pouvoir transmettre ce que j'ai appris de ma vie, ainsi que travailler avec de jeunes chanteurs et de jeunes metteurs en scène.
Votre prochaine saison commencera avec de nouveaux compagnons de route : Purcell, Monteverdi, Cavalli…
Et une reprise d'Aggripine à Anvers ! Uniquement du baroque ! Cette saison à venir m'emplit d'enthousiasme…
Propos recueillis par Jean-Luc Clairet
Le 18 juin 2016
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mariameclement.com