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Interview de Léonore Baulac, Première danseuse du Ballet de l'Opéra de Paris

Léonore Baulac.  © Jullien Benhamou/OnPIl émane de Léonore Baulac ce rayonnement si spécial que peu de danseuses possèdent. Cette dimension impalpable qui s'exprime parallèlement à la maîtrise du corps est, à n'en pas douter, l'essence même des Étoiles. C'est dire si, le 3 novembre dernier, la rédaction de Tutti-magazine était heureuse d'apprendre la promotion de la ballerine au sein du Ballet de l'Opéra national de Paris : Léonore Baulac est enfin Première danseuse, ce qui lui permet dorénavant d'accéder pleinement aux rôles de soliste. Rencontre avec une interprète en devenir…

 

Tutti-magazine : Le 3 novembre vous êtes promue Première danseuse de Ballet de l'Opéra national de Paris. Comment vous sentiez-vous à la veille de cet important concours ?

Léonore Baulac : Je vis assez mal les concours dans la mesure où je ne les aborde pas comme des moments d'expression où je vais pouvoir montrer un travail. Ils provoquent en moi une importante tension mêlée à la peur du jugement émis après une prestation de seulement deux minutes. Rapporté à tout ce que j'ai pu danser sur une année, ce moment si court le semble encore davantage. De plus, avant de me présenter au dernier concours, j'avais tenu deux rôles principaux dans des ballets en plusieurs actes, celui de Clara dans Casse-Noisette et celui de Paquita. Me trouver jugée sur deux petites minutes me laissait d'autant plus un sentiment d'incohérence.
La veille, le 2 novembre, j'étais plongée dans une espèce de léthargie et je tentais de ne pas penser afin de ne pas angoisser tout en restant concentrée sur la routine : manger la même chose, me coucher à l'heure habituelle… Par chance, ce soir-là, je dansais dans Verklärte Nacht d'Anne Teresa De Keersmaeker. Me retrouver sur scène devant le public, ce que j'aime par-dessus tout, était somme toute libérateur, d'autant que je dansais pieds nus et avec les cheveux lâchés, ce qui me donnait un sentiment de liberté. Se présenter devant un public ou devant un jury qui va vous observer sont deux choses différentes…

 

Léonore Baulac dans <i>Paquita</i> chorégraphié par Pierre Lacotte.  © OnP

 

Léonore Baulac dans la variation libre d'<i>Other Dances</i> lors du concours 2015 du Ballet de l'Opéra de Paris.  © Sébastien Mathé

Josua Hoffalt nous avait parlé de points de vue divergents au sein d'un jury : certains membres jugent sur l'année, d'autres uniquement sur la variation…

Effectivement. En ce qui me concerne, je dirais qu'on m'a davantage jugée sur l'ensemble de l'année que sur la prestation du jour "J" qui devait être honorable, mais pas nécessairement la meilleure parmi les autres danseuses qui ont présenté la même variation.

Ce concours n'était pas votre premier, loin de là. L'avez-vous vécu différemment ? D'autres concours vous tentent ?

Je n'ai pas réussi à m'habituer aux concours, même si je gère heureusement certains paramètres bien plus facilement. Je pense bien mieux réussir à conserver un visage qui donne l'impression d'être détendu. Mais, au niveau du corps, les réactions sont très différentes à ce qui se produit pendant les répétitions. Par exemple, la sensation dans les jambes n'est pas du tout semblable. Sans doute en conséquence des crispations, le contrôle de l'ensemble du corps devient plus difficile et la gestuelle qui en résulte est différente…
Plus j'avance et plus je me dis qu'il est difficile de juger un Art sur une prestation de concours. Mon but et mon envie, aujourd'hui, sont de devenir une artiste accomplie et d'évoluer dans des rôles, non de réaliser la performance d'un jour.

Qui vous a préparée pour cet ultime concours ?

J'ai préparé ce concours avec Agnès Letestu. Agnès a beaucoup utilisé les images dans sa façon de me guider et cela m'a vraiment aidée, particulièrement dans ce contexte où je devais créer la bulle dans laquelle je m'isolerais pour danser. La variation imposée était celle du Printemps, tirée du ballet de Jerome Robbins The Four Seasons, et j'ai évolué ainsi dans ma prairie jonchée de fleurs, en compagnie de petits faunes qui, je l'avoue, m'ont aidée dans ce moment tendu… Agnès, dans sa démarche, est très marquée par l'enseignement de Ghislaine Thesmar. Je crois retrouver dans son approche de nombreux traits communs.

 

Léonore Baulac.  © Jullien Benhamou

Vous êtes admise dans le corps de ballet en 2008 comme quadrille et vous demeurez 5 années à ce grade. Comment voyez-vous aujourd'hui ces années de corps de ballet ?

Je me dis que j'ai eu raison de ne pas me démotiver malgré la traversée de certaines périodes de questionnement où je me demandais si je n'allais pas quitter le Ballet de l'Opéra pour aller ailleurs. J'étais même assez décidée à partir au moment où a été annoncé un changement de Direction. J'ai alors pris le parti d'attendre et de voir ce qui allait se passer… Peu de temps après je suis montée Coryphée, ce qui était déjà mieux. Mais je restais dans le corps de ballet, ce qui n'a jamais été ma motivation. Puis, très vite, j'ai compris que je danserai beaucoup plus que les années précédentes.
Le plus démoralisant pendant ces cinq premières années n'était pas tant d'être dans le corps de ballet que de ne pas danser ! Il m'arrivait d'être remplaçante et de ne pas avoir l'occasion d'être sur scène. Travailler dur chaque matin pour ne pas danser le soir est le lot des remplaçants et je peux témoigner de la cruauté de cette situation. On devient en quelque sorte un pion qui sera projeté sur scène en cas de souci. Le remplaçant peut avoir à apprendre une vingtaine de places différentes et se voir attribuer une place au hasard au dernier moment. Dès lors, remplacer ne consiste pas à danser le mieux possible mais à ne pas gêner les autres tout en respectant la chorégraphie. Ce travail est non seulement très dur mais aussi très ingrat car, lorsque tout se passe bien, personne ne vous dit rien. En revanche, si ça se passe mal, on vous le fait rapidement savoir !

Danser près des autres, dans le corps de ballet, n'est-il pas un passage obligé car formateur ?

Je ne sais pas si danser dans le corps de ballet est un passage obligatoire. Dans de nombreuses compagnies, en Russie par exemple, les solistes sont désignés à la sortie de l'école de danse et on les forme en ce sens. Mais, bien sûr, mon passage dans le corps de ballet m'a apporté une expérience, ne serait-ce que dans l'attention portée aux autres danseurs sur scène. Je dois dire aussi que le statut de soliste représente une grande responsabilité alors que, dans le corps de ballet, il est tout de même possible de travailler et de se faire plaisir sans se sentir aussi exposée.

 

Léonore Baulac photographiée par Jullien Benhamou.  D.R.

 

Hugo Marchand et Léonore Baulac en répétition.  © Ann Ray

Pendant ces années de corps de ballet, votre participation aux productions du groupe de Samuel Murez "3e étage" représentait alors une bulle d'oxygène ?

Oui, tout à fait. Participer à ces spectacles me donnait l'occasion de me produire sur scène dans un contexte de soliste. L'approche du groupe de Samuel Murez est très différente de celle du Ballet de l'Opéra. 3e étage est une toute petite compagnie et tout le monde se connaît très bien. Des chorégraphies sont créées sur les danseurs et, si le style peut aussi bien être néoclassique que contemporain, on ne retrouve pas la rigidité académique. Dans la plupart des pièces, il y a même une grande théâtralité. De fait, danser dans cette structure m'apportait un moyen de m'exprimer de nombreuses manières, et 3e étage m'a non seulement aidée à tenir mais, également, m'a fait progresser. Dans le corps de ballet, les cours de groupes et le manque d'expérience sur scène ne pouvaient ni m'apprendre à gérer ma nervosité sur scène ni à restituer au plus juste ce qui est construit pendant les répétitions. J'ai pu aussi me familiariser avec une approche plus contemporaine où le corps est utilisé différemment. Cela m'est très utile.

Comment avez-vous rejoint la compagnie 3e étage ?

L'été qui a suivi ma première année dans le Ballet, Samuel Murez a eu besoin de moi pour les "quatre petits cygnes". C'était en quelque sorte du dépannage sans suite immédiate. Environ 2 ans après, il m'a recontactée et nous avons travaillé à nouveau ensemble. Depuis, je n'ai pas arrêté car travailler avec 3e étage continue à beaucoup m'apporter. Alors, même si mon planning à l'Opéra est devenu aujourd'hui bien plus chargé, je vais essayer de participer à autant de spectacles que possible…

Vous êtes dans le corps de ballet lorsqu’Anne Teresa De Keersmaeker et William Forsythe vous confient des rôles importants. Ce paradoxe était-il facile à vivre ?

On attend tellement de telles situations que lorsqu'elles se produisent, on ne peut que se réjouir. Je ne suis pas la première danseuse à être sortie du corps de ballet par un chorégraphe qui a un coup de cœur. C'était sans doute plus intimidant la première fois, lorsque j'ai dansé Rain avec Anne Teresa De Keersmaeker. J'étais dans ma troisième année de corps de ballet et je me retrouvais avec des danseuses plus aguerries, voire des Premières danseuses, et je dansais autant qu'elles ! Alors, effectivement, la situation était peut-être un peu particulière.
Pour William Forsythe, au début, j'étais distribuée sur une des places les moins valorisantes du ballet, même s'il faut reconnaître que chaque place a indéniablement une valeur. Puis, certaines danseuses se sont blessées, et j'ai été rajoutée. Tout cela s'est fait un peu plus discrètement mais l'expérience n'en était pas moins superbe.

Léonore Baulac dans <i>Daphnis et Chloé</i>.  © Agathe Poupeney

En 2013, lorsque vous êtes promue Choryphée, la perspective d'avenir s'éclaire-t-elle ?

Je ne peux nier que c'était un grand soulagement dans la mesure où j'attendais cette évolution depuis des années. Mais je voulais devenir soliste, et le Coryphée en est encore loin. J'avais du mal à m'imaginer devoir attendre encore 5 ans pour franchir l'étape suivante ! Mais je n'oublie pas que j'étais toujours Quadrille lorsque John Neumeier m'a choisie pour danser le rôle d'Olympia dans La Dame aux camélias. C'est une expérience qui compte dans ces années de patience obligée. J'ai été promue Coryphée un mois après cette prise de rôle.

Vous êtes toujours Coryphée lorsque Benjamin Millepied succède à Brigitte Lefèvre au poste de Directeur du Ballet. Comment vivez-vous cette transition.

Cela s'est joué à peu de chose car Benjamin Millepied a pris ses fonctions le 1er novembre 2014, et je suis montée Sujet en décembre de la même année. Ceci dit, il était déjà présent avant et, surtout, il m'avait confié le rôle de Lyceion dans son Daphnis et Chloé au mois de mai précédent. C'était un grand plaisir de participer à sa création et d'y tenir un rôle valorisant. Peu avant, Benjamin Millepied m'avait aussi confié le pas de deux d'Amoveo avec Jérémy-Loup Quer dans le cadre des "Jeunes danseurs".
L'arrivée de Benjamin Millepied à la Direction a donc suscité en moi un immense espoir de danser. J'ai rapidement compris qu'il s'intéressait à moi et c'était vraiment une bonne chose même si, parallèlement, j'étais angoissée comme on peut l'être lorsqu'on veut constamment être à la hauteur et ne surtout pas décevoir pour que ça continue. Son intérêt s'est confirmé lorsqu'il m'a confié le rôle de Clara dans Casse-Noisette alors que j'étais toujours Coryphée. Puis je suis montée Sujet et les choses ont plutôt bien évolué.

 

Léonore Baulac dans <i>Casse-Noisette</i> chorégraphié par Rudolph Noureev.  © Sébastien Mathé

Justement, lorsque le 6 décembre 2014, vous êtes promue Sujet, vous avez déjà dansé Clara dans Casse-Noisette le 29 novembre. Cela vous a-t-il apporté une forme de confiance ?

Léonore Baulac à l'Acte II de <i>Casse-Noisette</i>.  © Sébastien MathéDe la confiance, je ne pense pas spécialement car d'autres représentations de Casse-Noisette allaient succéder au concours et il était très dur d'imaginer retourner sur scène en étant toujours Coryphée. Ne pas être promue tout en tenant sur scène un rôle d'Étoile m'aurait fait douter de ma légitimité à tenir ce rôle. J'avais parfaitement identifié cette inquiétude mais, par ailleurs, cette saison avait généré tant de stress pour moi que, finalement, le concours ne pouvait pas en rajouter. Le plus sage était donc de me concentrer sur chaque jour et, le moment venu, sur chaque épreuve. Deux jours après le concours, je devais reprendre le rôle de Clara et il m'était impossible de me laisser mener par mes émotions.

Cette tension demeurait-elle lorsque vous dansiez Clara ?

Très honnêtement, je crois avoir peu stressé pour Clara par rapport à ce qui aurait pu être. Ce rôle est bien construit car, au début de l'histoire, Clara est une petite fille et on lui confie des danses qui ne sont pas très difficiles à exécuter. Pour le grand Pas de deux de la fin de l'acte II qui est autrement plus impressionnant, elle est déjà en scène depuis une heure. Autant dire que cela fait une différence énorme par rapport à une variation de concours que l'on doit exécuter à froid, sans rien avant ni rien après, et où il faut délivrer une performance technique. J'ai pu constater que, pour les ballets narratifs, je parviens assez bien à entrer dans l'histoire et, par conséquent, à ne pas être en situation de m'observer ou de m'inquiéter par rapport à ce que je suis en train de faire. Essayer de faire partager une histoire est très différent. Le personnage protège sans doute, il participe à faire écran.

Sur le plan de l'énergie, Casse-Noisette est-il le ballet idéal pour se préparer à un ballet en trois actes ?

Je n'ai pas dansé beaucoup de ballets en trois actes, aussi je ne sais pas si c'est le mieux. Mais la construction en deux actes peut se voir comme une étape. Le grand Pas de deux de la fin du ballet est vraiment très dur. Dur physiquement mais aussi parce qu'il n'y a plus personne en scène sur le grand plateau de l'Opéra Bastille, et très peu de décors. La scène n'en paraît que plus immense et il est facile de s'y sentir très seule. Mais Paquita, qui est un ballet en trois actes, est bien plus dur !

 

Jérémy-Loup Quer et Léonore Baulac dans <i>Paquita</i>.  © IkAubert/OnP

 

Léonore Baulac dans <i>Paquita</i>.  © Laurent Philippe

La chorégraphie de Paquita n'est-elle pas plus simple ?

La chorégraphie de Paquita est sans doute plus musicale et il est plus facile de s'appuyer sur la musique qu'avec celle de Casse-Noisette. En revanche, la chorégraphie de Pierre Lacotte contient de vraies grosses difficultés. De plus Paquita est un ballet bien plus fatiguant à danser. Pendant tout l'Acte I, Paquita est omniprésente et ne fait que des sauts avant le Pas de deux du mariage qui est long et difficile et, pour finir, il y a le Grand pas.

Les avis sont très partagés sur la musicalité des chorégraphies de Rudolph Noureev. Quel est votre point de vue ?

Pour moi, les chorégraphies de Noureev ne sont pas musicales et cela les rend assez difficiles à apprendre. Par exemple, dans Casse-Noisette, lorsque Clara enchaîne les ronds de jambe sur la splendide musique de Tchaikovsky qui accompagne la variation du Grand pas à la fin de l'acte II, et qui aurait pu susciter une chorégraphie magnifique, je savais combien je devais faire de ronds de jambe sans être certaine d'être en phase avec la musicalité voulue jusqu'au moment où arrivait un tintement de celesta que j'interprétais comme un repère. J'arrivais à gérer cette séquence de cette façon mais elle me semblait tout de même totalement opaque. J'ai préparé ce ballet avec Aurélie Dupont, et je crois bien qu'elle m'a montré cent fois ce passage que je voyais parfaitement sans pouvoir le comprendre.

 

Léonore Baulac et Hugo Marchand dans <i>Clear, Loud, Bright, Forward</i> de Benjamin Millepied.  © Ann Ray

Avez-vous une idée de la façon dont vont évoluer les grands classiques du ballet à l'Opéra ?

Benjamin Millepied s'est déjà exprimé sur le sujet et il a dit qu'il n'était pas spécialement attaché aux versions de Noureev. Mais il faut aussi bien penser que ces productions font partie du répertoire de l'Opéra. Les renouveler représente un coût assez important. Sans doute Benjamin Millepied conservera-t-il les ballets qui lui semblent les plus intéressants, comme La Bayadère et Roméo et Juliette qu'il a déjà programmés, et s'orientera-t-il vers un changement pour les autres.
Je trouve personnellement que le Roméo et Juliette de Noureev, et même Cendrillon, sont bien plus musicaux que ses autres chorégraphies. J'ai l'impression que la musique de Prokofiev lui convient mieux que celle de Tchaikovsky ou Minkus. En tout cas, je comprends mieux la musicalité de Noureev sur du Prokofiev.

À une certaine époque, le Ballet de l'Opéra de Paris constituait des couples de solistes que l'on retrouvait de ballets en ballets. Pensez-vous que cela soit à nouveau à l'ordre du jour ?

J'imagine que ce doit être agréable de retrouver des partenaires qu'on connaît bien et avec lesquels on s'entend particulièrement. Mais je vais avoir du mal à vous répondre à partir de ma propre expérience. J'ai dansé Casse-Noisette avec Germain Louvet, Paquita avec Jérémy-Loup Quer, je dansais avec Hugo Marchand pour la création de Benjamin Millepied et je travaille actuellement avec Karl Paquette. Je change donc beaucoup de partenaires en ce moment. Peut-être Benjamin Millepied teste-t-il ainsi plusieurs configurations. Je pense que les associations dépendent aussi des différents rôles à interpréter et de l'alchimie recherchée pour leur expression.

 

Léonore Baulac photographiée par David Herrero pour Merlet.  D.R.

Votre allure et votre visage peuvent vous prédestiner à des rôles de princesses. Aimeriez-vous danser les sorcières ?

Ce doit être un exercice intéressant et je pense qu'une part en moi s'amuserait beaucoup à cette exploration. Mais, vu du spectateur, je ne sais pas si me confier un rôle de sorcière serait la meilleure option, sachant que d'autres danseuses parviendraient bien mieux que moi à représenter la noirceur et la méchanceté. Peut-être que je me surprendrais moi-même, mais ce n'est ni une priorité ni une envie pour le moment. Je pense même qu'il y a un certain nombre de rôles qui ne sont pas pour autant des archétypes de la "gentille princesse" que je pourrais explorer au préalable avant de carrément passer à la sorcière !

Vous avez collaboré avec des chorégraphes très différents. Se dégage-t-il de ces collaborations une manière de travailler qui vous convient davantage ?

J'aime me sentir à l'aise afin qu'un échange puisse avoir lieu et que la chorégraphie se crée en fonction des propositions. L'adaptation d'un langage chorégraphique à la personnalité de l'interprète me paraît importante, et j'apprécie que la création soit l'aboutissement d'un travail à plusieurs. J'aime aussi travailler rapidement. Je mémorise assez facilement et l'impression d'avancer est toujours agréable. Une bonne ambiance dans le studio ne peut que m'inciter à donner le meilleur de moi-même, à m'exprimer, proposer et créer. Cette qualité de l'ambiance de travail s'associe parfaitement à la rigueur, et cela vaut tant pour les créations que lorsqu'on remonte un ballet du répertoire. Il est bien évident qu'une préparation qui se déroule harmonieusement conduit à être heureux de danser.

Comme d'autres danseurs, vous êtes devenue l'égérie d'une marque. Comment expliquez-vous la multiplication de ce type de partenariats avec des danseurs ?

Effectivement, depuis juillet 2014, je suis l'égérie de Merlet, qui est une marque de danse. Qu'une danseuse soit choisie pour la représenter s'explique donc assez facilement. Par ailleurs, je crois que depuis quelque temps, un engouement pour la danse s'est généralisé. Pour une marque de bijoux, la subtilité de la danse peut très bien s'accorder. De même, la rigueur que le danseur impose à son corps peut être associée à un savoir-faire artisanal également basé sur la rigueur nécessaire en vue d'obtenir un haut niveau de qualité.
Pour Merlet, je teste les produits, donne mon avis et, chaque année, je fais une séance photos pour les catalogues et les posters. J'essaye également de trouver un moment dans mon emploi du temps pour faire des dédicaces. Un partenariat est prévu pour la marque de souliers conçus par Merlet : "Opéra de Paris". Ces articles seront vendus à la boutique de l'Opéra Garnier et à l'étranger, en particulier au Japon… J'avoue que ce partenariat avec une maison d'excellence, si soucieuse du détail et de l'éthique, m'apporte personnellement beaucoup dans le sens où il rejoint mes propres valeurs.

En 2014 vous avez participé à une série de photos avec François Alu devant l'objectif de Julien Benhamou. Comment percevez-vous son travail de photographe ?

François Alu et Léonore Baulac, Premiers danseurs du Ballet de l'Opéra national de Paris photographiés par Jullien Benhamou.  D.R.Une séance photos avec Julien et François c'est une bande d'amis qui se retrouvent, qui vont ensemble à la plage et essayent des choses. Julien, derrière son appareil dit à un moment : "Oui, super !" et prend la photo au bon moment. Devant son objectif, nous avons beaucoup de liberté, ce qui nous donne l'impression de pouvoir faire ce que nous voulons… Au fur et à mesure de l'avancement de la séance, nous regardons ensemble les photos pour que, avec nos yeux de danseurs, nous puissions corriger ce qui n'est pas gracieux ou peu élégant dans une pose. Généralement, nous recommençons jusqu'à ce que nous soyons satisfaits. De mon côté, j'ai la même exigence pour les photos que pour danser sur scène dans la mesure où une photo, ça reste !

Les ballets filmés en direct pour être diffusés dans les cinémas sont de plus en plus fréquents. Quel regard portez-vous sur ce mode de diffusion ?

J'ai été filmée dans Daphnis et Chloé et dans La Belle au bois dormant où je dansais une des Fées jumelles. Ce genre de captation change complètement la sensation sur scène. Il est impossible d'oublier qu'il y aura des gros plans sur les visages. Lorsque cela me revient à l'esprit, j'essaye naturellement d'être la plus naturelle possible. Assis dans la salle, un spectateur est séparé de la scène par la fosse d'orchestre et il ne peut voir certains détails. Un danseur qui passe sa langue sur ses lèvres pour les humidifier, par exemple. Si, à un moment, on transpire particulièrement, on redoute bien sûr le gros plan. Une représentation filmée ne donne pas droit à l'erreur. Le sentiment est très différent du spectacle vivant lorsqu'on sait que la danse sera immortalisée. Le paradoxe étant qu'il y a aussi des spectateurs dans la salle.
Pour le moment, j'ai été filmée dans des rôles secondaires mais j'imagine que s'il s'agissait d'un rôle de premier plan, je serais assez inquiète ! L'idéal serait de pouvoir répéter pour la captation dans des conditions particulières, avec des maquillages spécifiques et avec l'aide de quelqu'un qui nous coacherait sur les expressions à adopter en fonction de ce qui sera filmé. Je sais que certaines Étoiles demandent parfois à ce qu'un passage difficile du ballet soit filmé en amont. Cela leur permet d'avoir un aperçu du rendu mais aussi de pouvoir compter sur un enregistrement de secours en cas de problème le jour du direct. Généralement, plusieurs représentations sont filmées et elles peuvent servir en cas de souci. Un léger différé dans la diffusion permet cette sécurité… Par ailleurs, ces diffusions dans les cinémas sont une très bonne chose car tout le monde n'a ni la possibilité ni les moyens de venir à Paris pour voir des ballets. Bien sûr, rien ne vaut une expérience vivante, dans le théâtre. Il est probable, d'ailleurs, que le public qui fréquente l'Opéra de Paris, et celui des salles de cinéma, ne soit pas le même.

 

Jérémy-Loup Quer et Léonore Baulac dans <i>Paquita</i> de Pierre Lacotte.  © IkAubert/OnP

Le répertoire du Ballet de l'Opéra est à la fois large et varié. Y a-t-il des œuvres que vous avez vues en tant que spectatrice dans lesquelles vous vous projetez aujourd'hui comme danseuse ?

Mon rêve le plus cher est de danser Juliette dans Roméo et Juliette. Ce désir est si fort que peu m'importe la version si elle est chorégraphiée sur la musique de Prokofiev et qu'elle respecte la trame narrative de Shakespeare. Je ne suis pas très partisane des chorégraphies de Noureev, mais je trouve son Roméo et Juliette superbe. J'adore le film de Franco Zeffirelli et cette production en est très proche. La version de Kenneth MacMillan lui est peut-être encore supérieure mais, pour le moment, elle n'est pas inscrite au répertoire de l'Opéra de Paris.
J'aimerais aussi beaucoup interpréter Giselle, que je trouve curieusement actuelle. Pour moi, il n'y a rien de démodé dans ce ballet pourtant très ancien et qui exprime une esthétique romantique assez datée. La scène de la folie me fascine… Juliette et Giselle sont les deux personnages dont je fais des priorités, mais je vous avoue aussi mon attirance pour les histoires d'amour tragiques. Onéguine est un de mes ballets préférés. Pour autant je ne pense pas que Tatiana soit le personnage que je doive aborder le plus rapidement car je suis un peu trop jeune. C'est un rôle qu'il faut aborder avec un peu plus d'expérience et de maturité.

 

Léonore Baulac photographiée pour la marque Merlet.  © David Herrero

Et du côté des contemporains…

J'aurais adoré danser dans Le Sacre du printemps de Pina Bausch, qui est pour moi un véritable choc artistique. De plus, j'apprécie profondément la musique de Stravinsky. Sur des partitions aussi grandioses, il n'est pas toujours évident que la chorégraphie soit à la hauteur mais, dans le cas présent, elle l'est. J'attends impatiemment la reprise de ce ballet… J'aimerais beaucoup aussi travailler avec Mats Ek. J'avais eu un avant-goût lorsque j'étais remplaçante dans Appartement en voyant les danseurs travailler, et ça avait l'air très intéressant. Mats Ek a une façon personnelle de raconter la vie que je trouve à la fois très fine et très touchante. Je souhaite aussi pouvoir danser un jour la jeune sœur dans La Maison de Bernarda.
Travailler avec Jiri Kylian serait aussi extraordinaire. Je le tiens pour une des meilleurs chorégraphes actuels. Toute sa production est magnifique mais, si je devais choisir un ballet, ce serait Gods and Dogs. J'aimais tellement la musique qu'il a utilisée que je l'ai écoutée en boucle pendant un an… En fin de saison, je devrais travailler avec William Forsythe sur sa création. Ce sera aussi un grand rendez-vous.

Le programme chargé qui vous attend à l'Opéra vous impose-t-il une façon de vivre très spécifique ?

Bien sûr, dans la mesure où je ne fais pas beaucoup d'autres choses que passer mes journées à l'Opéra. J'arrive à 10h et je repars à 19h quand il n'y a pas de spectacle, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps. Je veille ensuite à me coucher le plus tôt possible pour avoir davantage de temps de récupération. Souvent, j'utilise mon temps de repos pour aller chez le kiné. Ma principale activité en dehors de la danse est la lecture, et parfois un bon restaurant, car c'est un plaisir de bien manger de temps en temps. J'avoue qu'en dehors des retours de vacances ou des périodes d'immobilisations suite à des blessures, je ne surveille pas trop mon poids. Du reste, en ce moment, mon emploi du temps fait que je manque de temps pour m'alimenter…

Savez-vous ce que vous allez danser cette saison ?

J'ai bien quelques petites idées mais tout peut changer en raison des aléas des blessures des unes et des autres. Je ne sais pas non plus ce que j'ai le droit d'annoncer… Mais une chose est certaine : je danserai en décembre dans la création de Wayne McGregor Alea Sands, et dans Polyphonia, une chorégraphie de Christopher Wheeldon. En principe, je devrais ensuite être distribuée dans Les Variations Goldberg de Jerome Robbins…

 



Propos recueillis par Philippe Banel
Le 12 novembre 2015



Retrouvez Léonore Baulac sur Facebook :

www.facebook.com/leonore.baulac

 

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