Tutti-magazine : Vous avez récemment terminé votre deuxième année de formation à l'Académie de l'Opéra national de Paris. Comment se présente aujourd'hui votre quotidien de chanteuse lyrique hors de la structure de l'Opéra ?
Laure Poissonnier : Je suis sortie de l'Académie en ayant appris beaucoup de choses sur le plan vocal, technique et scénique, et je m'efforce de conserver tous ces acquis. Je me situe aujourd'hui dans une période charnière et je suis consciente qu'il me faut bien la gérer en anticipant et en participant le plus possible à des auditions et des concours. Il est aussi très important que je continue à travailler ma voix et à apprendre du répertoire, tout en restant disponible aux différentes occasions de petits rôles susceptibles de se présenter, en particulier grâce à mon agent. J'aime chanter et être sur scène. À l'Opéra de Paris, j'ai eu l'occasion de faire partie de la distribution de Rigoletto et de partager plusieurs semaines avec les chanteurs de la production. Cela m'a beaucoup plu et la perspective de retrouver une ambiance de travail collectif en vue de monter un opéra ou une opérette me motive beaucoup. D'autant que les rencontres avec d'autres chanteurs permettent de voir comment ils travaillent et chantent, ce qui est aussi très formateur. Participer à une création scénique est de toute façon passionnant.
Que pouvez-vous dire votre vie à l'Académie de l'Opéra et de l'enseignement qui vous a été proposé ?
Les cours avaient lieu en général du lundi au vendredi, et parfois le samedi. Ces cours, je tiens à le dire, étaient donnés par des coaches extrêmement compétents et d'un excellent niveau. Nous avions également des professeurs de langues spécialisés. Muriel Corradini pour l'italien et la diction française, ainsi qu’Irène Kudela pour le tchèque et le russe, et Johannes Koegel-Dorfs pour l'allemand. Muriel Corradini a été très importante pour moi car j'ai compris grâce à elle comment modifier les voyelles en fonction de leur place dans la partition et à appréhender les consonnes. J'ai eu aussi l'occasion de travailler avec Jean-Marc Bouget, qui est chef de chant et possède une connaissance approfondie du répertoire. Il me dirigeait au sein de l'œuvre et m’accompagnait dans l'étude des rôles avec une gentillesse et une humanité uniques. Personnellement, il m'a appris beaucoup, en particulier à bien aménager ma voix et à chanter intelligemment pour ne pas me fatiguer. Ses nombreux conseils sont aujourd'hui profondément ancrés en moi. Quant au répertoire, j'ai eu la chance de le travailler avec la fabuleuse Margaret Singer. Elle prodigue une remarquable technique qui aide à mémoriser rapidement un nouveau rôle.
Dans le cadre de l'Académie, j'ai également suivi des cours de Technique Alexander avec Laurence Schifrine, et de Feldenkrais avec la danseuse Christine Laudault, qui m'ont permis de prendre conscience de mon corps et de minimiser ses tensions. Je m'en sers au quotidien dans ma vie personnelle car être bien dans son corps c'est aussi être bien dans sa tête. Étant à l’Académie de l’Opéra, j'ai pu passer de "l’autre côté du rideau" du théâtre, et un bon équilibre est alors toujours nécessaire. Ces moments backstage avaient quelque chose de magique et m'ont aussi beaucoup appris.
Les coaches de l'Académie vous ont-ils aidée à préparer des auditions à l'extérieur de l'Opéra de Paris ?
Cela est arrivé. Je devais me présenter à une audition pour une opérette dans laquelle il y avait du texte parlé. C'est Irène Kudela qui m'a préparée dans cet axe théâtral en m'apprenant à être la plus naturelle possible. Je me souviens aussi avoir travaillé avec elle un programme de Lieder de Schumann pour un récital allemand accompagné par Federico Tibone à l'Amphithéâtre Bastille. Irène a un rapport au texte extraordinaire et elle rayonne lorsqu'il s'agit de mettre le chanteur en osmose entre le texte et la musique.
L'Académie vous a également distribuée dans plusieurs de ses propres productions. Votre emploi du temps était-il alors différent ?
En période de production, nous avions un peu moins de cours dans la mesure où il y avait en principe deux services de répétitions de 3 heures par jour. Nous commencions par travailler à fond nos rôles avec les pianistes chefs de chant intégrés à l'Académie au même titre que les chanteurs, afin de nous préparer au mieux aux répétitions scéniques. Nos chefs de chant pianistes se sont toujours montrés très disponibles et encourageants. Répéter avec eux était même indispensable ! Je pense notamment à Thibaud Epp et Yoan Héreau qui ont souvent été présents à mes côtés, y compris lors d'enregistrements.
Durant les périodes de préparation d'un spectacle, il revient à chacun de s'organiser entre travail personnel et répétitions en fonction de la longueur du rôle, mais aussi du chef d'orchestre et du metteur en scène. Par exemple, pour l'Orfeo de Monteverdi, la metteur en scène Julie Berès tenait à ce que tous les chanteurs soient présents en permanence afin de pouvoir essayer un maximum de choses. Elle est issue du monde du théâtre où cette façon de procéder semble être courante . En revanche, d'autres metteurs en scène sont très précis dans leur organisation et peuvent dire une semaine en amont qui fera quoi, quel jour et de telle heure à telle heure. Mais cette période qui précède la présentation aux spectateurs est toujours un plaisir, d'autant que se succèdent aussi les essayages costumes et maquillage avant les prégénérales, générales et, au final, les représentations. À l'Opéra de Paris, il n'y a pas foncièrement de différences dans le process de préparation d'une production de l'Académie et une production sur les scènes de Bastille ou Garnier.
Quelles ont été les productions les plus marquantes de votre première saison à l'Académie ?
Vol retour, une œuvre contemporaine pour enfants, est la première production à laquelle j'ai participé. Je tenais le rôle principal du petit garçon qui était en permanence sur le plateau. La mise en scène de Katie Mitchell était très drôle et très accessible pour un jeune public, mais aussi vraiment physique. Tout le monde était très couvert par les costumes et sortait de scène en nage. Je devais manipuler des maquettes d’avions et de décors, et alterner le port de deux paires de gants qui me donnaient des mains différentes. Heureusement, Joseph Alford, l'assistant de la metteur en scène, nous a beaucoup aidés en nous apprenant à faire des gestes de façon simple et précise pour nous fatiguer le moins possible. Quant à la musique, j'ai d'abord craint qu'elle soit compliquée à retenir, mais en présence de l'orchestre, elle a pris tout son sens. Autour des trois personnages principaux, des chanteurs incarnaient des "Bidules" qui, avec l'orchestre, exprimaient tous les bruits du monde extérieur. La difficulté venait de devoir synchroniser l'action sur scène avec leurs bruitages musicaux. Le spectacle ne durait que 45 minutes, mais la concentration devait être intense. Pour moi, l'expérience était intéressante car le petit garçon s'exprimait en chantant et en parlant. De plus ce rôle d'enfant me changeait diamétralement des rôles d'amoureuses ou de soubrettes que je chante habituellement. Enfin, la plongée dans cette musique m'a apporté davantage de facilité devant une partition contemporaine…
Toujours au cours de ma première saison à l'Académie, en mai 2016, j'ai chanté les rôles d'Euridyce et de Speranza dans L'Orfeo de Monteverdi. Euridyce est un rôle très court car elle apparaît au début de l'œuvre près d'Orfeo, puis elle part dans les champs pour tresser une couronne de fleurs et elle disparaît. Cet opéra qui traite à la fois de la jeunesse et de la liberté vire tout à coup au chamboulement et au drame le plus total. Je n'étais plus présente sur scène après cet épisode tragique mais Julie Berès, qui faisait la mise en scène, m'avait filmée et me faisait apparaître alors à Orfeo sur un écran en fond de scène, en larmes devant ma vie qui s'écroulait. Cette scène n'a d'ailleurs pas été évidente à tourner mais je crois que j'y suis assez bien parvenue. Au dernier Acte, je réapparaissais dans une scène assez ludique où Orfeo venait me rejoindre aux Enfers. J'évitais qu’il me voit, mais dès que son regard se posait sur moi, je disparaissais définitivement, absorbée par la Terre. Physiquement, je me sentais comme happée. Cette impression était très réaliste… Eurydice m'a laissé le souvenir d'un rôle court mais intense, sans doute en raison de la qualité de la mise en scène, mais aussi grâce à la présence des choristes des Cris de Paris qui nous ont apporté un beau soutien vocal et scénique.
Des souvenirs de productions de votre deuxième année à l'Académie ?
Pour cette deuxième saison, Christian Schirm, directeur artistique de l'Académie, m'avait confié le rôle de Mrs. Julian dans Owen Wingrave de Britten. C'était déjà une chance de chanter dans un opéra anglais moderne, surtout en France, mais le rôle que j'interprétais était assez inattendu puisque j'étais une maman qui sombre dans la dépression et l'alcoolisme lorsqu'elle apprend qu'elle n'héritera pas de la maison familiale. Mes scènes étaient très fortes car je devais exprimer le désespoir absolu. Le metteur en scène m'avait demandé de jouer une scène de folie, de lancer un verre de vin à la tête d'Owen puis de me jeter au sol… C'était intéressant d'aller puiser dans des émotions assez nouvelles car ma tessiture de soprano lyrique léger ne me prédestine pas souvent à interpréter de telles femmes.
Quant à mon dernier spectacle à l'Académie, il s'agissait des Fêtes d'Hébé de Rameau. J'intervenais dans le Prologue dans le rôle d'Amour, une allégorie importante dans les thématiques de la musique baroque. Sur cette production, nous étions dirigés non par un metteur en scène mais par un chorégraphe, Thomas Lebrun, qui était assisté par Raphaël Cottin. Le spectacle était donc mené par la danse et le dialogue était parfaitement instauré entre danse et opéra. Il n'y avait d'ailleurs pour ainsi dire aucune différence entre chanteurs et danseurs car nous devions également un peu danser et dialoguer scéniquement avec les danseurs.
En 2015 vous avez eu l'occasion d'être la doublure d'Aleksandra Kurzak dans le rôle d'Adina pendant la durée des répétitions de "L'Élixir d’amour" à l’Opéra Bastille. Comment vous êtes-vous préparée à cela ?
Le jour de ma Graduation de Master à Londres, j'ai appris par Christian Schirm que je serai la doublure du rôle d'Adina. J’ai donc rejoint l'Académie en septembre 2015, la partition intégrale de L’Elisir d’amore sous le bras, sachant qu'il fallait que je l'apprenne par cœur en un mois. Il s'agissait d'une version bien spécifique qui répond à la mise en scène de Laurent Pelly, mais cela représentait tout de même une grande quantité de matière musicale à retenir. C'est à ce stade que l'enseignement de Jean-Marc Bouget m'a beaucoup apporté car je devais réussir à aborder Adina le plus simplement possible pour pouvoir tenir vocalement toute la durée des répétitions.
Qui plus est, mon petit contrat de doublure de répétitions s'est étendu à l'Italienne, c'est-à-dire à la première répétition avec orchestre, et à la générale piano où j'ai chanté tout l'opéra sur la grande scène de Bastille.
Je me souviens notamment avoir retrouvé une fois Jean-Marc avec la voix un peu "fatiguée". Je sentais qu'elle n'était pas très bien placée, et il m'a alors conseillé : "Fais comme si tu marquais…". J'ai alors commencé à chanter plus légèrement, puis nos regards se sont croisés et il a continué : "Je vois que tu as compris, c'est ainsi qu'il faut chanter !". À partir de ce moment j'ai repensé au conseil de Jean-Marc au quotidien, et cela a profondément modifié mon approche du chant. Quant à ma voix, elle s'en est trouvée libérée.
Comment avez-vous vécu cette première production indépendante de l'Académie ?
C'est ma plus belle expérience à ce jour ! Chanter le rôle principal et représenter en quelque sorte l'élément central qui permet aux autres chanteurs d'apprendre leur propre rôle me poussait à être la plus parfaite possible. La distribution était magnifique : Ambrogio Maestri en Dulcamara, Mario Cassi en Belcore, Melissa Petit en Giannetta et Oleksiy Palchykov doublait Roberto Alagna dans le rôle de Nemorino.
Je me suis sentie parfaitement sentie intégrée parmi les professionnels confirmés… La mise en scène de Laurent Pelly est très précise mais il était tout de même possible de proposer des choses pour enrichir les personnages. C'est aussi grâce à ce travail de doublure que j'ai eu l'occasion de répéter avec Donato Renzetti, un chef d'orchestre qui a une grande expérience des chanteurs. Je me souviens très bien de ma première répétition en sa présence : je devais traverser la scène avec un petit gilet sur les épaules pour rejoindre la Trattoria. Le piano jouait et j'étais attentive au moment où je devais partir. Et là, le chef m'a montré ses yeux en me disant : "Guarda !". J'ai pris conscience à ce moment qu'il fallait impérativement regarder le chef d'orchestre car si le chanteur est l'objet de la mise en scène, il est également celui du chef d'orchestre, lequel décide des tempi et des couleurs qu'il veut apporter à la musique.
J'ai ensuite eu la chance de pouvoir faire quelques répétitions sur la grande scène de l'Opéra Bastille, et même la générale piano où nous avons filé tout l'opéra, maquillés et costumés. Je dois dire aussi que les équipes techniques et toutes les personnes qui encadrent les productions sont très à l'écoute des artistes et apportent un réel soutien à tout le monde. Je n'ai pas eu l'occasion de travailler en binôme avec Roberto Alagna, mais j'avais comme consigne, sur mon planning, d'être présente lors de ses répétitions au cas où Aleksandra Kurzak ne chanterait pas, ce qui ne s'est jamais produit. Pour autant, je connais maintenant parfaitement le rôle d'Adina et je me sens prête à le chanter dans n'importe quelle mise en scène.
La saison suivante, en mai 2017, vous faisiez vos vrais débuts dans une production de l'Opéra Bastille en chantant le rôle du Page dans "Rigoletto". Que dire de cette étape ?
Contrairement à L’Elisir d’amore, il s'agissait effectivement de mon premier engagement pour un rôle dans une production qui devait être représentée douze fois sur la grande scène. Évidemment, le rôle du Page est très court, environ trente secondes sur scène, mais il demande à être bien synchronisé car, après avoir bousculé tout le monde, il traverse le plateau de cour à jardin en devant être attentif au chef - c'était Daniele Rustioni - qui change de tempo à ce moment précis. Le Page annonce que la Duchesse veut parler à son époux, le Duc. Mais celui-ci n'est pas disponible et, pour se débarrasser du Page et de ses questions gênantes, Borsa et Marullo le traînent violemment hors de scène… Ces modestes débuts m'ont permis de participer à la totalité des répétitions avec, là encore, une belle distribution composée de Nadine Sierra, Zeljko Lucic et Vittorio Grigolo dans les rôles principaux.
Chanter dans la grande salle de l'Opéra Bastille est-il impressionnant ?
Mon expérience de doublure m'avait déjà permis de tester l'acoustique de l'Opéra Bastille. Lors de la générale piano de L’Elisir d’amore, lorsqu'Adina était en train de faire ses ongles, installée sur une meule de foin et que, tout à coup, le rideau s'ouvrait sur cette salle de 2.700 places, c'était très impressionnant. Mais je trouve cette émotion plus stimulante que stressante car chanter sur cette grande scène est un rêve.
Pour Rigoletto, la tension venait davantage de n'avoir que trente secondes pour m'exprimer et ne pas me faire oublier. Mais l'essentiel, pour le chanteur, est de bien faire ce qu'il doit faire, quelle que soit la longueur du rôle, de se concentrer sur ce rôle, sur l'orchestre et le chef. Avec le Page, la brièveté du rôle interdisait tout droit à l'erreur.
Plusieurs chanteurs qui vous ont précédé à l'Atelier Lyrique ont parlé de leur attachement à la structure et aux relations entretenues avec leurs collègues. Avez-vous trouvé difficile de quitter l'Académie ?
En ce qui me concerne, j’ai passé deux belles riches saisons au sein de l’Académie dans cette magnifique maison. J'ai eu l'occasion de rencontrer des collègues chanteurs et pianistes qui sont devenus des amis et avec lesquels je reste en contact bien évidemment.
Toutes bonnes choses ont une fin, et je me suis sentie à la fois prête et confirmée à la sortie de l’Opéra.
Aujourd'hui, si l'intensité de la vie quotidienne au sein de l'Opéra de Paris n'est plus d'actualité, il est important de trouver un nouveau rythme tout en enrichissant le petit réseau que j'ai réussi à créer. Je travaille toujours avec des coaches vocaux qui m'apportent beaucoup. Il est très important de conserver une régularité de travail. Depuis la rentrée, je suis très heureuse de pouvoir travailler avec Jean-Philippe Lafont qui a intégré mon agence artistique. Il apporte un regard sur le texte et la déclamation autant que sur la précision du chant. Ses conseils techniques sont également très judicieux. Depuis mon départ de l'Académie je pense avoir gagné une certaine légèreté vocale. Je sens ma voix plus mobile dans les aigus et mon medium se renforce et s'homogénéise. C'est un long travail auquel je me consacre au quotidien.
Pouvez-vous nous parler du parcours musical qui a précédé votre entrée à l'Académie de l'Opéra ?
J’ai toujours aimé chanter. J'ai pratiqué le violon à 6 à 16 ans et j'ai fait 4 ans de piano. À Reims, j'ai préparé un BAC Technique de la musique et de la danse à horaires aménagés, que j'ai obtenu avec mention, pour lequel j'ai passé l'épreuve de chant en instrument principal. Puis j'ai intégré le Jeune Chœur de Paris, qui s'appelle aujourd'hui le Département Supérieur pour Jeunes Chanteurs, au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris. À l'époque j'ai été recrutée par Laurence Equilbey et Geoffroy Jourdain. J'avais 18 ans, et ce passage par le Jeune Chœur a constitué ma véritable ouverture sur le monde lyrique. J'ai suivi de nombreux cours au sein de cette structure, y compris des cours théoriques, qui m'ont beaucoup appris car j'aime aussi cet aspect de la musique. Je m'élève contre ce qui se dit souvent au sujet des chanteurs, à savoir qu'ils n’ont aucune culture musicale. Vincent Manac'h nous donnait des cours passionnants d'études des formes et des langages et d'analyse où il abordait tant l'analyse technique d'une œuvre que l'histoire de son compositeur. Vincent était si intéressant et son discours si riche que je buvais ses paroles et ressortais de ses cours avec la sensation d'avoir tout absorbé ! Aujourd'hui, j'écoute toujours France Musique car c'est la seule radio qui explique les œuvres. Pour ma part, j'ai besoin de relier la musique à son histoire. De plus, durant mes années d’études au CRR de paris, je prenais chaque saison un abonnement AROP offrant des réductions aux jeunes afin d’aller à l’Opéra de Paris autant que possible.
Dans le cadre du Jeune Chœur, nous avons tourné un peu partout en France sous la direction de Laurence Equilbey. Avec elle, rigueur, attention, écoute et précision étaient de rigueur. Les mains de Laurence sont d'une expression incroyable. Elles ont le pouvoir d'exprimer beaucoup de choses. En vraie musicienne, elle parvenait à transformer le son du chœur. Aujourd'hui, je suis consciente d'avoir bénéficié d'une grande chance de pouvoir travailler avec elle…
Étant au Jeune Chœur, comment avez-vous trouvé le temps de fréquenter aussi la Sorbonne ?
J'ai préparé une licence de musicologie à la Sorbonne en 3 ans, parallèlement à mes études au sein du Jeune Chœur où je suis restée 6 ans. Mon emploi du temps était alors partagé pour moitié entre le CRR de la rue de Madrid et la Sorbonne, et je suis assez fière d'avoir mené les deux de front jusqu'au bout. Au jeune Chœur, j'ai même suivi le cursus le plus complet en termes de cours. En 2009, des équivalences ont été accordées aux étudiants qui suivaient parallèlement les deux cursus, mais moi j'ai tout validé ! J'ai quitté le Jeune Chœur en 2013 après avoir passé le Diplôme d'Études Musicales Supérieures qui consistait à préparer deux rôles d'opéras que les étudiants devaient eux-mêmes mettre en scène. Nous avions un tutorat théâtre qui nous aidait à mettre nos idées en forme, ainsi que des cours d'études de rôles avec Antoine Palloc, qui m'a aidée à préparer Adèle dans Die Fledermaus de Strauss pour mon DEMS blanc, l'année qui précédait l'examen final. Pour ma dernière année, j'avais choisi Eurydice dans Orphée aux Enfers d'Offenbach, et Zerlina dans Don Giovanni de Mozart. De plus, il fallait préparer un cycle de mélodies ou de Lieder par cœur pour un récital avec piano, ainsi qu'une scène parlée en allemand et un morceau de musique contemporaine. L'examen se déroulait sur un jour complet et il fallait vraiment bien le préparer. C'est que j'ai fait, et j'ai quitté le CRR diplôme en poche… Au même moment, je passais des auditions en Angleterre et j'ai été prise en Master of Performance au Royal College of Music de Londres, où je suis restée 2 ans, de 2013 à 2015. Puis je suis entrée à l'Académie de l'Opéra national de Paris…
Votre formation à Londres était-elle foncièrement différente ?
Pas vraiment, en Angleterre ou en France, le langage de l'opéra est à peu près le même. Pour l'examen final, il fallait préparer un récital d'une quarantaine de minutes avec un programme libre composé d'airs d'opéras, de mélodies et de Lieder. J'avais choisi le thème de la nuit, avec des Lieder de Strauss, un air de Suzanna dans Les Noces de Figaro, et plusieurs mélodies. Il fallait aussi présenter des scènes d'opéras travaillées avec un metteur en scène, sur lesquelles nous étions notés. J'avais le rôle de Destino dans La Calisto de Cavalli, et je me souviens aussi avoir chanté du Handel et du Mozart. Ces scènes étaient l'occasion de travailler dans de vraies conditions de théâtre. L'opéra de Cavalli était mis en scène à la manière d'un défilé de mode. Pour Suzanna, c'était la première fois que je chantais en portant un corset… Tout cela était aussi très formateur.
À Londres ou à Paris, vous avez participé à de nombreux récitals. Avez-vous envie de poursuivre dans la voie du Lied et de la mélodie ?
J'avoue avoir peut-être plus d'aisance et d'envie d'incarner un personnage sur scène. Entrer en scène costumée pour interpréter un rôle permet de me plonger dans le personnage pour lui donner vie. Et même si le texte d'une mélodie raconte une histoire ou les états d'âme d'une personne qu’il faut exprimer, le récital demande une concentration permanente tout en restant dans la queue du piano. Ceci dit, c'est un exercice très important qu'il faut savoir maîtriser car, opéra ou récital, le but reste le même : partager la musique avec le public. Je garde néanmoins de bons souvenirs de récital à l'Académie, notamment accompagnée par Yoan Héreau à l'Amphithéâtre Bastille où j'ai chanté Fiançailles pour rire de Poulenc, ainsi que des Lieder de Schumann avec Federico Tibone.
Parlez-nous de vos projets ?
En décembre j’aurais la chance de me rendre à Budapest pour tourner une scène chantée destinée à figurer dans la Saison 2 de la série Genius du National Geographic consacrée à Pablo Picasso. J’interprèterai "Quando m’en vo" de La Bohème de Puccini, et le personnage principal de Picasso sera joué par Antonio Banderas.
Puis, je me rendrai en Chine pour un récital avec orchestre qui sera donné dans six théâtres de la région de Shanghai, entre le 28 décembre et le 2 janvier 2018. J'ai la chance d'être accompagnée par le Paris Opera Consort, qui est constitué d'une quarantaine d'instrumentistes de l'Opéra de Paris placés sous la direction de Jean-Michel Ferran. Je chanterai "O mio Babbino caro" de Gianni Schicchi de Puccini, "Meine Lippen, sie küssen so heiss" de Giuditta de Lehar et du même compositeur, en français cette fois, "Heure exquise" tiré de La Veuve joyeuse en duo avec le violoniste Christophe Guiot qui sera ainsi mon Danilo instrumentiste, ainsi qu'une mélodie chinoise très populaire que je travaille en ce moment avec une coach. Ce récital me donnera ainsi l'occasion de chanter en quatre langues. Cette expérience promet d'être intense. Je vais devoir veiller à ne pas me laisser déborder par les heures de vol, la climatisation, le décalage horaire, le froid et la pollution. Depuis quelque temps, j'ai recours aux huiles essentielles que me conseille un aromatologue et je dois dire que, plus d'une fois, elles m'ont apporté un remarquable soutien sur le plan vocal et général. La pratique régulière du yoga m'aide également de façon très positive. Dès mon retour de Chine je me replongerai dans le quotidien d'une jeune chanteuse fait de travail vocal, d'auditions et de concours…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 17 novembre 2017
Pour en savoir plus sur Laure Poissonnier :
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