Tutti-magazine : Vous avez chanté Norma hier soir pour la seconde fois. Vos débuts dans ce rôle remontent à il y a seulement quelques jours. Que ressentez-vous ?
Elsa van den Heever : Je peux seulement témoigner d'une immense joie. Il me faut remonter loin dans mes souvenirs pour trouver un tel sentiment de bonheur. Pourtant, si vous m'aviez parlé il y a trois ans de Norma, j'aurais sans doute fait une crise cardiaque ou, au moins, je serais partie en courant. Je voyais ce rôle comme une montagne de difficultés à affronter assorties de leur lot de souffrances. J'imaginais que ces difficultés me pousseraient à devoir me recentrer chaque nuit pour essayer de retrouver de l'énergie. Je m'imaginais aussi arriver sur scène dans un état de nervosité qui m'interdisait de chanter "Casta diva" devant le public ! Il y a même un an, la simple idée de chanter Norma m'anéantissait.
Mais, pendant la période d'apprentissage du rôle, puis en le travaillant ensuite avec les autres chanteurs, le metteur en scène Christopher Alden et le chef John Flore, toutes ces craintes se sont transformées en pure joie, en plaisir et motivation. L'appréhension est devenue calme, sérénité et confiance au point que je me sens maintenant heureuse de pouvoir partager ce rôle dans cette mise en scène que j'aime. Tout le processus a été si fantastique que je n'aurais pas pu souhaiter, à aucun moment, qu'il se déroule autrement.
Vous sentez-vous déjà à l'aise dans le rôle de Norma ?
Oui, je suis à l'aise dans Norma, mais dans cette mise en scène particulière. Je ne suis pas certaine de me sentir aussi bien si je devais interpréter ce rôle dans une production un peu plus traditionnelle avec toges et lauriers ! J'ai le sentiment d'être meilleure lorsqu'une mise en scène me donne l'occasion d'être la fille folle, totalement dérangée voire démente. Je me reconnais davantage dans ce genre de cadre que dans une optique solennelle ou austère.
Comment gérez-vous l'énergie tout au long de l'œuvre ?
Trouver suffisamment de courage et d'énergie pour chanter le rôle sur la durée ne me pose vraiment pas de problème. Mais je dois prendre garde à manger suffisamment avant le spectacle pour m'assurer que l'énergie physique ne chutera pas. Je dois veiller à boire suffisamment d'eau. Il faut aussi que je sois certaine d'avoir suffisamment de sucre dans le sang pour ne pas sentir de variations de régime car le rôle est long, difficile, et la mise en scène est très physique. La hache que je brandis est très lourde et demande beaucoup de force. Je dois aussi escalader un tronc d'arbre. Tout cela demande beaucoup de concentration mentale mais c'est avant tout à ma condition physique que je dois faire attention. Je ne vois pas le reste en termes de difficultés.
Lorsque vient l'entracte, comment l'utilisez-vous ?
Je mange une banane et un peu de pâtes, et je bois la moitié d'un Coca. Je me brosse ensuite les dents avant de m'asseoir cinq minutes en essayant de trouver mon centre. À vrai dire, il n'y a pas beaucoup de temps. Si vous mangez, le temps passe même très vite. Lorsque nous avons commencé à répéter, il était question que j'utilise la pause pour quitter ma robe, revêtir la tenue blanche légère que je porte à la fin du spectacle, et enfiler à nouveau mon costume au-dessus. Mais j'ai dit à mon habilleuse que c'était impossible car je dois vraiment utiliser l'entracte pour me reposer. Je porte donc la seconde tenue sous la première dès le début du spectacle et je peux ainsi profiter de la pause dont j'ai besoin sans me soucier de changer de costume.
Pour vos débuts dans Norma, vous avez travaillé avec le metteur en scène Christopher Alden. Vous a-t-il aidé dans votre approche du personnage ?
Je dirais qu'il m'a beaucoup aidé à comprendre sa vision et à la faire mienne. Christopher et son frère jumeau David ont une esthétique très particulière mais je l'ai comprise sans problème, de même que leur façon d'utiliser la lumière et les ombres. J'ai aussi très vite compris qu'ils souhaitaient que les personnages du drame soient interprétés comme de véritables personnes, mais aussi qu'ils prenaient part à une sorte de tableau. Il y a des notions de théâtre Kabuki dans leur approche, et une dimension hors de ce monde. Nous étions d'accord sur la nature et sur la façon de penser Norma, ce qui nous a permis de parfaitement travailler ensemble pour découvrir qui est cette femme que j'interprète dans ce contexte précis. Je trouve Christopher brillant lorsqu'il parvient à faire sortir l'émotion qu'il attend et sa façon d'y parvenir sur scène. De plus j'ai une grande liberté sur le plateau. Cela me permet de vraiment jouer. Jamais Christopher ne m'a dit : "Non, ce n'est absolument pas ce que je veux !". Il s'agit réellement d'une collaboration magnifique pour débuter dans un rôle.
Avez-vous idée de la manière dont le public a accueilli cette production de Norma ?
J'ai perçu quelques huées le soir de la première. Norma, comme Il Trovatore, sont des opéras dont les livrets sont difficiles à mettre en scène et à incarner. Il est également difficile de ne pas verser dans le ridicule. Je crois que dans cette production, les personnages peuvent parler à un public actuel. C'est, à ce jour, le projet le plus spécial dans lequel je me suis investie. Une chose est d'ailleurs assez remarquable : les deux rôles que j'ai préféré chanter à ce stade de ma carrière viennent de deux productions mises en scène par Christopher Alden et son frère David : Norma, ici à Bordeaux, et Peter Grimes à l'English National Theater. C'est un vrai bonheur de travailler avec des créateurs si doués.
Votre recherche pour vous approprier un nouveau rôle est-elle solitaire ou avez-vous besoin d'un coach ?
Lorsque je prépare un nouveau rôle, les trois premières semaines sont exclusivement consacrées à l'écoute d'enregistrements. Pour Norma, c'était Callas, Scotto, Caballé… Je ne fais rien d'autre qu'écouter en lisant la partition et je porte mon attention sur l'interprétation. À ce stade, je ne tente pas de chanter. Après cette période, je range les disques pour ne plus jamais les écouter et j'apprends la musique par moi-même. Ensuite seulement je travaille avec un coach.
Lorsque j'étais à New York pour chanter Don Giovanni au Met, je suis allée trouver Donald Palumbo et, ensemble, nous avons abordé le rôle scène par scène. Donald est absolument fantastique et nous avons pu travailler ensemble chaque jour jusqu'à couvrir la totalité du rôle. J'ai ensuite passé quinze jours à San Francisco pour travailler avec mon professeur sur tous les aspects du rôle. Après cela, j'ai mis la partition de côté et j'ai laissé tout reposer pendant environ trois semaines. Quinze jours avant que les répétitions commencent, j'ai repris la partition pour débuter la phase de mémorisation… Depuis le moment où j'ai commencé à travailler le rôle jusqu'à celui où je l'ai chanté sur scène se sont écoulés à peu près six mois. Mais, comme je l'ai déjà dit, mes sept dernières années de scène m'ont inconsciemment préparée au rôle de Norma, de la même façon que chaque rôle que j'aborde me prépare au suivant.
Êtes-vous intéressée par le récital ?
J'aime le récital mais je le pratique peu. Le dernier était l'année dernière, et le précédent date de 2009. J'aime la communication intimiste que permet le récital avec le public. Le public des récitals aime les chanteurs. Une fois qu'on a compris que les spectateurs ne sont pas là pour vous agresser, mais qu'ils vous soutiennent, l'appréhension s'en va. En outre, cette communication par la musique aide ensuite à chanter l'opéra. En récital, je tente de varier les langues. J'aime commencer par du Handel afin de poser la voix. Ensuite, j'interprète ce que j'aime, en particulier le lied.
Vlad Iftinca vous accompagne au piano. Que recherchez-vous chez un accompagnateur ?
Je cherche un partenaire, quelqu'un qui soit sur la même longueur d'onde et en harmonie avec ma façon de faire de la musique. J'apprécie de m'exprimer avec un musicien de mon âge car cela m'évite d'avoir la sensation d'être une étudiante qui travaille avec son professeur. J'aime lorsque le pianiste n'est pas seulement un accompagnateur mais un autre musicien et que la relation avec le chanteur soit comme un duo. Vlad, non seulement fait sonner le piano comme s'il était un orchestre, mais sa contribution au récital est celle d'un partenaire à part entière.
Vous avez fait vos débuts au Metropolitan Opera en 2012 dans Maria Stuarda. La 6e représentation était filmée pour une diffusion live dans les cinémas. Quel souvenir vous vient spontanément à l'esprit lorsque vous repensez à cette matinée un peu spéciale ?
J'étais terrifiée malgré le fait que, effectivement, il s'agissait bien de la 6e représentation de Maria Stuarda. Je n'aurais sans doute d'ailleurs pas dû me retrouver dans cet état, mais le fait est que j'avais vraiment peur. J'avais deux possibilités : assumer et me jeter à corps perdu dans la représentation ou prétendre être malade et fuir. Au début de l'œuvre, je monte un escalier pour faire mon entrée et je me souviens que la seule chose qui occupait mon esprit était, alors, que je passais en direct devant les yeux de quatre millions de spectateurs dans le monde entier. Si je ratais une marche et tombais, ce n'était pas devant les 3.800 spectateurs du Met mais devant quatre millions de personnes ! Je ne pouvais pas non plus m'empêcher de penser que ce que j'allais proposer sur scène serait enregistré, qu'un DVD serait tiré de la captation, et que ces images resteraient. Tout cela était vraiment très effrayant car Maria Stuarda était aussi mon premier rôle bel canto et mon premier opéra sur la scène du Met !
Avec trois années de recul, je pense que j'étais vraiment bête car, en définitive, ce n'était qu'une représentation de plus. Je suis retournée au Met depuis, et j'ai réalisé que ce n'était après tout qu'une scène. Celle du Met, certes, mais une scène ! Je pense que je devais être assez immature dans ma façon d'envisager la représentation sur scène, immature au point d'en être terrifiée. Aujourd'hui, les choses ont changé, et j'ai un peu grandi. Lorsque j'ai vu le DVD de Maria Stuarda je me suis rendue compte qu'il n'y avait là rien d'effrayant. Pourtant j'ai vécu cette expérience comme telle et je m'en suis fait une montagne.
Dans cette production de David McVicar vous portiez une robe très lourde de John Macfarlane et vous vous étiez rasé les cheveux. Aimez-vous ce genre de challenge ?
Absolument, j'adore ça. Plus la production est curieuse et plus je l'apprécie. Les costumes de Maria Stuarda étaient si spectaculaires ! Ma robe de l'Acte II pesait 15 kg et elle était entièrement réalisée en cuir. Une réalisation si incroyable renvoie aux artisans capables de réaliser pareille chose. De la même façon, comment ne pas être admirative devant les maquilleurs qui ont créé le maquillage que je portais. Devant ce savoir-faire, il me semble normal de faire ce qu'on attend de moi. J'ai adoré porter les costumes extravagants de cette production car c'était un moyen de rendre hommage à la dimension artistique qui s'exprimait tout autour de moi. Je me sens liée à toutes ces personnes qui créent et, de fait, me donnent une matière avec laquelle je travaille. Quant au fait de m'être rasée la tête, c'était en raison de la captation HD et du DVD qui suivrait. Si j'avais porté un faux crâne, les gros plans n'auraient pas été parfaits…
Pensez-vous que la diffusion mondiale de Maria Stuarda a modifié le regard que porte le monde de l'opéra sur vous ?
Je ne me suis jamais posé la question dans ce sens. Peut-être cette diffusion m'a-t-elle apporté un peu plus de reconnaissance. Je sais qu'à l'époque, on a critiqué mon approche du rôle et je me suis dit que, peut-être, la critique était dans le vrai et qu'il pouvait y avoir quelque chose de risible dans mon interprétation. Mais, à la lumière du DVD que j'ai visionné depuis, je crois pouvoir dire que le parti pris interprétatif était assez juste. Mais je ne sais pas si la diffusion dans les cinémas, et maintenant la vidéo, ont changé la manière dont on me perçoit. Ce n'est en tout cas pas une de mes préoccupations.
Vous reprendrez votre rôle dans Maria Stuarda au Met la saison prochaine…
Oui, et je chanterai ce rôle avec davantage de confiance. J'aurai moins peur, je ne chercherai pas de justification dans la façon dont la mise en scène a été faite et je m'appliquerai à chanter dix fois mieux. Je suis impatiente de reprendre ce rôle.
Au début de l'année, vous étiez au Met pour chanter Donna Anna dans la production de Don Giovanni de Michael Grandage. À vos côtés chantaient Peter Mattei, Luca Pisaroni et Kate Lindsey. Quelle ambiance régnait entre vous ?
C'était un plaisir de me trouver aux côtés de ces artistes. J'avais rencontré Luca sur Rinaldo à Chicago. Je chantais le rôle de la Sorcière et il était Argante dans la mise en scène de Francisco Negrin qui nous faisait beaucoup interagir. Nous faisions même les pitres sur scène. Nous nous connaissions donc très bien et le retrouver était fantastique. Je ne connaissais pas Peter Mattei avant ce Don Giovanni, mais je dois dire qu'il est génial sur scène. C'est amusant de voir quelqu'un qui n'a pas de limite et qui fait simplement ce qu'il a envie de faire. Quant à Kate, je l'avais rencontrée en 2009 dans Don Giovanni à Santa Fé où elle chantait Zerlina… C'est toujours un plaisir de pouvoir à nouveau tisser des liens avec des amis comme de retrouver des collègues avec lesquels on a déjà travaillé par le passé, de savoir qu'on peut leur faire confiance et qu'ils peuvent être là pour vous en scène.
Pensez-vous que travailler au Met soit différent d'une autre maison d'opéra ?
Lorsque je chante au Met, cela me donne l'impression de faire partie de la légende. Lorsque vous arpentez les couloirs de ce théâtre vous vous dites "Callas a marché sur ce tapis !". Pour Maria Stuarda on m'avait confié un petit tabouret afin que je puisse m'asseoir avec mon immense robe dans les coulisses. Il aurait été trop long de la quitter pour la remettre ensuite et je ne pouvais pas m'asseoir sur une chaise normale tant elle était imposante. Or ce petit tabouret était celui que Pavarotti utilisait en coulisses ! Chanter au Met donne l'impression de toucher du doigt ne serait-ce que l'espace d'un instant un âge d'or de l'opéra qui, peut-être, n'existe plus. En outre, le professionnalisme que l'on trouve dans ce théâtre est admirable. Les artistes y sont traités avec beaucoup de soin. Chanter au Met est "spécial". C'est le mot le plus juste pour qualifier ce que je ressens.
Le 13 juin on vous retrouvera à Bordeaux dans la Symphonie No. 9 de Beethoven dans le cadre de l'opération "Tutti ! L'Ode à la joie de Beethoven" avec un chœur formé par tous ceux qui le souhaitent. Quel regard portez-vous sur une action populaire comme celle-ci ?
Je crois que c'est une fantastique idée. Cette Symphonie de Beethoven est une pièce magnifique à interpréter, mais la raison pour laquelle j'ai donné mon accord pour participer à ce projet est que mes parents seront présents. Je sais d'ailleurs par avance que ma maman chantera le plus fort possible ! Cet événement sera donc particulier à mes yeux et je me réjouis d'en faire partie. Sans cela, après avoir chanté Norma, la raison aurait voulu que je ne chante plus rien.
Votre mère est-elle chanteuse ?
Je viens d'une famille d'artistes. Ma mère n'est pas chanteuse de profession mais elle a chanté dans des chœurs d'orchestres symphoniques et elle est très musicienne. Elle était actrice avant de devenir productrice. Maintenant, elle cuisine ! Ma grand-mère était professeur de musique et mon père est réalisateur de cinéma. J'ai baigné dans une atmosphère artistique. Mais, si la musique a toujours fait partie de nos vies, je suis la seule musicienne de la famille.
En juillet, vous chanterez à nouveau le rôle d'Elsa von Brabant dans Lohengrin à Zürich, après l'avoir chanté sur la même scène en début de saison. Cette rupture de 9 mois entre les deux séries de représentations vous est-elle bénéfique ?
C'est un peu comme une bonne sauce tomate lorsque vous cuisinez des spaghetti bolognaise ! Vous avez réalisé avec soin votre plat, vous le mangez, il est délicieux et vous placez ce qu'il reste au réfrigérateur. Trois jours après, vous réchauffez votre plat et vous vous dites : "Mais il est bien meilleur !". Vous avez laissé le temps aux tomates de macérer avec les autres ingrédients et les saveurs se sont épanouies… Eh bien, revenir à Lohengrin après cette interruption de plusieurs mois durant laquelle j'ai chanté d'autres rôles, me fait le même effet. Ce sera comme une sauce tomate très réussie !
L'année prochaine, deux rôles pucciniens vous attendent à Francfort : Giorgetta dans Il Tabarro
et le rôle-titre de Suor Angelica…
J'ai déjà chanté Giorgietta dans Il Tabarro en 2008 dans la même production de Claus Guth que j'ai adorée. Je sais donc à quoi m'attendre au niveau de la mise en scène. Giorgietta était mon premier Puccini ce qui était assez stressant. C'est du reste le seul à ce jour. Mais, aujourd'hui, Il Tabarro ne m'inquiète plus. Quant à Suor Angelica, je suis enthousiaste à un point que je ne peux même pas traduire par des mots. Pour tout vous dire, je n'étais pas spécialement impatiente de chanter Norma. Ce rôle m'effrayait, même si je crois maintenant que c'est une excellente chose de l'avoir chanté. En revanche, le désir de chanter Suor Angelica était quasi vital. Alors que j'étais distribuée dans Il Tabarro, j'ai pu voir Suor Angelica, et ça a été un choc au point que je me suis dit : "Un jour je veux chanter ce rôle dans cette production !". Cette mise en scène est sans doute une des plus belles que j'ai vues. Et cette musique… La seule chose qui m'inquiète est de me mettre à pleurer durant l'aria. Il faut que je parvienne à contrôler mes émotions. Je pleure assez facilement lorsque je chante et ce n'est pas un problème. Mais je dois faire attention à ce que les émotions ne prennent pas le contrôle de ma sensibilité au point de m'atteindre ou de me rendre dépressive.
Suor Angelica peut effectivement être considérée comme un des rôles de soprano les plus dépressifs. Aimez-vous jouer ce type de personnalité ?
Oui, oui et encore oui ! Plus les personnages sont tragiques et plus je les aime. Je crois qu'il y a en moi un aspect très sombre. En tout cas je suis attirée par les choses tristes, la musique et les personnages tristes. J'ai conscience que cela peut paraître terrible mais je trouve de la joie à exprimer leur misère.
Vous vivez en France, mais Antonia des Contes d'Hoffmann est un des rares rôles français de votre répertoire. Pensez-vous vous intéresser à l'opéra français dans les années qui viennent ?
Je ne sais pas. À vrai dire, mis à part Les Vêpres Siciliennes, je ne vois pas vraiment ce que je pourrais chanter en français. Peut-être un jour Didon… Je ne pense plus chanter Antonia car ma voix évolue. En ce qui me concerne, je chanterais tout mais ce n'est pas moi qui compose les distributions, et je pense que les gens ne m'associent pas à ce répertoire. Du reste, lorsque j'écoute ce répertoire, je ne me projette pas non plus moi-même dans ce type de rôles. Il y aura peut-être des exceptions comme Les Nuits d'été de Berlioz et Shéhérazade de Ravel. De toute façon il n'y a pas tant d'œuvres françaises correspondant à ma voix. Peut-être un jour Marguerite dans Faust. C'est un rôle que j'adorerais chanter. Mais là encore, cela dépendra de ce qu'on me demandera de chanter. On verra…
Pensez-vous que le monde de l'opéra répond aujourd'hui à vos souhaits ?
Jusque-là, oui. J'aimerais chanter Mimi mais, apparemment, ce n'est pas un rôle qu'on me demandera. Je mesure 1,82 m et je ne donne pas l'impression d'être fragile au point d'en mourir. Le monde de l'opéra est devenu très influencé par l'apparence des gens, qui laisse à supposer la manière dont ils chantent. Je pense que nous perdons un peu d'imagination lorsqu'il s'agit de voix et de types de voix, et nous sommes très prompts à les ranger dans des boîtes : cette voix correspond à ceci, telle autre à cela.
Ceci étant, je m'estime très heureuse car, de façon générale, tout ce que je souhaitais chanter, j'ai déjà eu l'occasion de le chanter ou je suis en passe de le faire. J'ai la chance d'avoir une carrière très bien gérée et d'excellentes relations avec les maisons d'opéra. Une fois ce genre de relation établie avec un théâtre, comme c'est le cas ici avec l'Opéra de Bordeaux, la direction est particulièrement bienveillante. Si j'émets un souhait ou si je manifeste l'envie de participer à une production qui est programmée, on se montre arrangeant. C'est la même chose à Francfort. C'est tout de même très agréable lorsqu'on veut travailler avec vous et qu'on vous demande ce que vous aimeriez faire. J'ai des collègues qui n'ont pas cette chance et qui doivent lutter pour chanter. Ceci dit, il faut aussi parfois prendre la parole et dire : "Ça, je peux le faire. Laissez-moi une chance !". L'Opéra de Francfort m'a offert mon premier Verdi et je lui suis immensément reconnaissante car, au début de ma carrière, on voulait me placer dans la case de la chanteuse allemande ! Heureusement que j'ai pu compter à l'époque sur l'aide d'un excellent agent, car je n'attendais qu'une chose, pouvoir chanter le répertoire italien et être considérée comme une chanteuse apte à interpréter une large variété de styles : Handel, Verdi, Wagner, Puccini… Aujourd'hui, je peux dire que j'ai de la chance et que je chante ce que j'ai envie de chanter.
Quels moments forts de votre prochaine saison pouvez-vous annoncer ?
Il y aura Don Carlo, ici à Bordeaux où le public me soutient toujours beaucoup, à l'Auditorium en ouverture de saison, puis je chanterai à nouveau le rôle d'Elisabetta en juin 2016 à l'Opéra du Rhin. Je retrouverai avec plaisir Andrea Carè, qui interprète en ce moment Pollione dans Norma. Bien sûr, il y a cette Suor Angelica tant attendue en mars 2016 à Francfort, ainsi que deux autres Norma et d'autres projets.
Prochainement, je ferai également mes débuts dans Ernani dans une version de concert, puis mon premier Fidelio…
À propos de votre carrière, quels rôles aimeriez-vous ajouter à votre répertoire dans les années à venir ?
Mimi ! Je sais que ça fait cliché mais j'aime tant La Bohème, j'aime tant cette musique et ce rôle. Mais je sais parfaitement que ça n'arrivera pas… Plus sérieusement, le rôle que j'attendais depuis plusieurs années est Suor Angelica, et il se trouve que je le chanterai dès mars 2016 à Francfort. Un jour, j'aimerais chanter Tosca. Et plus tard, je dis bien "plus tard", pourquoi pas Turandot, Wagner… En attendant j'aimerais davantage chanter Verdi et, bien sûr, continuer à m'exprimer au travers de mon répertoire actuel car ces rôles sont ceux que je souhaitais ardemment pouvoir chanter. J'attends juste d'avoir davantage d'opportunités de les exprimer sur scène. C'est le cas de Peter Grimes. Ce serait aussi un vrai bonheur de chanter encore Otello, Il Trovatore et, bien sûr, Norma !
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 26 mai 2015
Pour en savoir plus sur Elza van den Heever :
www.elzavandenheever.com