Tutti-magazine : Dans la captation de la Messe à 40 Voix de Striggio réalisée par Olivier Simonnet, vous êtes déjà en place alors que vos musiciens et les choristes avancent en procession dans la Cité de l'Architecture et du Patrimoine. Durant cette procession vous êtes concentré, seul face à des sièges vides…
Hervé NIquet : Au concert, je fais de même pour cette Messe à 40 voix, à la différence que je processionne avec mes musiciens et mes chanteurs. Je considère l'entrée que vous voyez sur le DVD davantage comme un objet visuel. Enregistrer pour le disque et le DVD diffère du concert. Il ne faut pas perdre de vue que l'on travaille pour un produit et avancer dans ce sens. L'entrée dont vous parlez a été imaginée dans le but d'être filmée, et ce n'est ni plus ni moins qu'une mise en scène destinée à ce que l'aspect processionnel du conduit du XIIe siècle rencontre le lieu où nous allons ensuite être filmés. Je me souviens d'ailleurs que cette prise a été particulièrement longue, d'un seul souffle…
Vous n'êtes donc pas favorable aux concerts enregistrés en direct…
Je ne peux nier que ce type d'enregistrements puisse avoir certains atouts pour le disque ou pour des archives mais je trouve qu'il manque toujours la propreté et l'exigence qui doivent être de mise dans pareil cas.
Avec la Messe à 40 voix vous dites avoir mesuré l'effet incroyable de l'œuvre sur un public de concert. Sentez-vous le public lorsque vous dirigez ?
Bien sûr, et sans cela je pourrais m'arrêter au stade des répétitions qui représentent la façon la plus intéressante de faire de la musique. Le concert est toujours lié à un déplacement ou à un voyage et à la fatigue qu'il engendre, à une obligation de rendu. On se sent bien ou pas, on a peur… Les concerts ne sont pas forcément des moments agréables. Alors autant qu'il se produise quelque chose en plus par rapport aux répétitions. Et cela, c'est le public. Alors, évidemment, je le sens, surtout dans ce type d'œuvre, et je joue avec lui.
Vous arrive-t-il d'adapter votre direction au public ?
Naturellement, et même dans tous les sens. Je me souviens très bien d'une interview de Vladimir Horowitz qui expliquait comment il jouait avec les tempi et son public et comment il variait son interprétation de la même sonate, pressant ou ralentissant certains passages, attentif aux réactions de surprise de son public. C'est bien entendu une situation extrême mais, tout d'abord, en fonction du lieu, puis en fonction des gens, on adapte toujours. Je sens parfaitement le moment où j'entre dans la rhétorique et c'est à ce moment qu'il est important de connaître ses outils car on sait alors quand et comment faire réagir davantage le public. C'est un métier.
Vous dirigerez la Messe à 40 voix à la Cité de la musique le 1er juin. Est-il difficile de mettre en place cette œuvre en fonction des différentes acoustiques des salles qui vous accueillent ?
C'est une question de tempo dans la mesure où la matière doit toujours demeurer la même sur le plan mathématique. Cette œuvre ne peut exister sans une rigueur absolue. Bien sûr, une fois que vous avez installé les proportions, vous l'adaptez au lieu. Lorsque nous nous produisons au Festival de musique du Rheingau, dans l'immense abbaye qui a servi au tournage du film Le Nom de la rose et qui accueille plus de 1.000 personnes, ce n'est pas la même chose qu'à la Cité de la musique, à l'abbaye de Noirlac ou aux Proms de Londres. D'où l'importance des raccords. Habituellement un quart d'heure est nécessaire pour régler la mathématique et, une fois cette étape accomplie, on peut se concentrer sur l'acoustique. Dès lors qu'on réussit à s'appuyer sur les murs, le raccord est terminé.
Utilisez-vous d'autres oreilles que les vôtres pour ces réglages ? Vous déplacez-vous dans l'édifice ?
Non, et pour plusieurs raisons. Tout d'abord, j'ai passé ma jeunesse dans les églises et je sais comment répond un bâtiment. Au risque de paraître prétentieux, j'ai étudié ce qu'est l'acoustique et je suis un féru d'architecture. Avant d'accepter de faire un concert où que ce soit, je demande des photos et, généralement des plans pour les églises. À partir de là je sais comment le lieu sonne. Quoi qu'il en soit je dois rester cohérent avec mon équipe et veiller à ce qu'on l'entende. J'essaye bien sûr certaines choses et, de ma place, je vois ce que cela donne. Mais je m'appuie surtout sur 30 ans d'expériences et 15 ans de chant. Je finis par connaître les salles pour y avoir déjà travaillé ou entendu des concerts d'autres formations. Connaître le terrain avant de jouer fait partie du métier et du bagage de chef d'orchestre.
Par son ampleur, la mise en place de la Messe à 40 voix a-t-elle marqué un tournant pour le Concert spirituel ?
Pas vraiment, car nous avons déjà été impliqués dans un certain nombre de grosses machines. Un opéra, par exemple, nécessite toujours une équipe d'une centaine de personnes. Lorsque nous avons monté Fireworks & Watermusic c'était encore plus énorme car nous avons rassemblé plus de cent musiciens venant de tous les coins du monde. Cinq ans de travail avaient été nécessaires pour monter ce projet. Le Concert Spirituel est assez rôdé aux gros événements. Bien sûr, ces événements impliquent une logistique sans faille et, ensuite, une gestion scrupuleuse du temps car chaque minute coûte cher.
Vous sentez-vous comptable de ce coût ?
Lorsque je travaille avec de gros effectifs, je chiffre systématiquement le prix de la minute et je l'annonce au début des répétitions. Il est indispensable que chacun prenne conscience de ce que peut coûter la perte de temps ou un retard de trois minutes. Croyez-moi, si au bout de quatre jours de répétitions, vous avez perdu vingt-huit minutes et que vous annoncez combien cela vous coûte, tout le monde se sent responsabilisé. Nous faisons de la musique pour notre plaisir, certes, mais il ne faut pas perdre de vue l'obligation de rendu. Comme tous les ensembles indépendants, nous nous devons d'être parfaits sur ce point sans quoi, l'année suivante, nous ne sommes pas rappelés. Il ne faut pas perdre de vue que nous engageons à la fois notre métier et notre notoriété.
Vous avez créé le Concert Spirituel en 1987. La Messe à 40 voix de Striggio représentait un défi que vous avez remporté en août 2011 pour les 25 ans de la formation. Aujourd'hui, vers quel autre défi souhaitez-vous conduire vos musiciens ?
Je dirais plutôt que rien n'est jamais gagné et que même, concernant cette Messe à 40 voix, nous avons encore des questions. Personnellement, certains aspects m'échappent encore. En la reprenant, il faudra vérifier que ce que nous avons trouvé et qui correspond à mes certitudes depuis longtemps se retrouve aussi dans la mathématique. J'ai besoin de ces preuves car il s'agit de technique. Or peu de gens se soucient de cette technique d'interprétation communautaire. C'est un de mes chantiers préférés. Toujours est-il qu'une reprise me permettra de parfaire notre travail. Il est vrai que c'est ma démarche habituelle face aux œuvres, mais avec cette Messe, les difficultés sont exponentielles.
Pouvez-vous nous parler de l'accompagnement que vous fournissent la Fondation Bru et le Palazzetto Bru Zane - Centre de musique romantique française ?
C'est grâce et Nicole et Jean Bru que, dès l'origine, le Concert Spirituel a pu exister. Jean Bru m'a fait confiance une première fois en me demandant de faire un disque. Dès lors son aide a toujours été présente à mes côtés jusqu'à sa mort. Nicole a alors pris sa succession et a continué à assurer ce soutien autant pour prolonger l'intuition de Jean que par intérêt pour la démarche du Concert Spirituel. Cela fait 25 ans que nous avançons conjointement avec la Fondation Bru qui nous aide régulièrement et nous tient en vie par une subvention structurelle… Concernant le Palazzetto Bru Zane, Nicole avait acheté un palais à Venise et m'a demandé conseil sur l'usage qu'elle pourrait en faire. À mon sens, il manquait une chose dans le monde : un centre consacré à la musique romantique française susceptible de compléter le travail du Centre de Musique Baroque de Versailles. Elle m'a tout d'abord pris pour un fou, puis, comme toujours, elle a réfléchi et nous avons travaillé tout une année avant d'envisager la faisabilité et, surtout, la pérennité de ce projet. Depuis que cette activité a été lancée, le Palazetto Bru Zane est devenu à la fois une référence et un référent quand au travail sur le patrimoine musical français des XIXe et début XXe siècles. L'idée était donc bonne, et Nicole Bru l'a parfaitement réalisée et soutenue par son aide.
Est-ce dans ce cadre qu'est née la collection Prix de Rome ?
Celle collection est même née avant la création du Palazetto. À vrai dire, j'ai dans l'idée de mettre en valeur ces œuvres écrites pour le concours du Prix de Rome depuis que j'ai eu l'occasion d'en lire quelques-unes. Lorsque le Palazetto Bru Zane a ouvert, j'ai pensé que cela constituait une idée maîtresse pour cette structure. Je venais d'être nommé à Bruxelles et, pour moi, le moment était idéal pour commencer à exhumer ces chefs-d’œuvre français complètement oubliés. Pensez que 300 cantates de premier prix et 600 cantates de second prix attendent qu'on s'y intéresse. C'est absolument colossal et j'ai voulu m'attacher à cette résurrection. Il y a d'abord eu un coffret Debussy, puis un coffret consacré à Saint-Saëns, un autre à Charpentier, un double disque dédié à la musique de Max d'Ollone* et nous enchaînerons sur Pierné. * Un Hymne de Max d'Ollone composé en 1895 est proposé en écoute à la fin de cette interview.
Début 2013 est sorti le volume 4 de la collection Prix de Rome consacré au compositeur Max d'Ollone. Pouvez-vous retracer la genèse d'une telle parution ?
C'est en fait très simple. Nous collectons dans un premier temps toutes les œuvres que les compositeurs ont écrites dans le but d'obtenir une bourse à la Villa Médicis de Rome. Ce sont des épreuves de concours : les chœurs pour avoir le droit de participer au concours, et la cantate écrite en vue d'obtenir le prix. Nous nous intéressons aussi bien aux œuvres qui ont été acceptées qu'à celles qui ont été refusées, comme c'est le cas pour Max d'Ollone. Lorsqu'il reste de la place sur le double disque, et si nous les retrouvons, nous ajoutons les envois de Rome, qui sont les devoirs que les compositeurs envoyaient régulièrement à l'Institut, à Paris. C'est ainsi que nous avons retrouvé des choses étonnantes…
Parmi ces découvertes, quelles sont les pièces qui vous viennent spontanément à l'esprit ?
Le volume Debussy contient Le Gladiateur, une cantate totalement inédite proposée au côté d'une version de L'Enfant prodigue qui n'avait jamais été enregistrée. La totalité de l'enregistrement Saint-Saëns était totalement inconnue. La Vie du poète de Charpentier est un véritable monument que nous avons enregistré avec ses formidables Impressions d'Italie. Quant à Max d'Ollone, je suis littéralement tombé amoureux de sa musique que j'estime davantage que celle de Debussy…
Pouvez-vous nous parler des Villes maudites de Max d'Ollone ?
Lorsqu'il a fallu faire un choix, j'ai sélectionné cette œuvre car Max d'Ollone avait commencé à la composer à Rome, alors que sa carrière débutait. Mais il s'agit d'un projet "raté", une sorte d'utopie d'étudiant qui méritait d'être sur ce disque.
Revenons à la conception d'un volume Prix de Rome. Est-ce un projet à très long terme ?
Cela peut-être aussi bien à très long terme qu'à court terme. Pour vous donner un exemple, nous devions nous consacrer bientôt à la famille Boulanger. Nadia, Lili et Ernest ont tous les trois obtenu le Prix de Rome. Nous avions défini un programme et, un mois avant de l'entériner pour l'enregistrer, nous avons appris qu'il existait d'autres sources que celles dont nous disposions. On avait découvert un carton à la BNF qui contenait les pièces qui avaient disparu. Nous avons donc décidé d'ajourner le projet Boulanger et de nous consacrer auparavant à Gabriel Pierné. Autre exemple, nous avons récemment découvert des pièces de Dukas que l'on pensait détruites par le compositeur. Lorsque nous avons su cela, nous avons bien sûr également freiné le projet Dukas. Nous travaillons en fait en prise directe avec la recherche. Nous sortons un volume par an et notre planning des années à venir est déjà constitué. Mais, en fonction des découvertes et des compléments que nous sommes susceptibles d'ajouter à nos sélections, nous faisons évoluer l'ordre de traitement de nos projets.
La collection Prix de Rome est enregistrée par le Brussels Philharmonic qui est à l'origine un orchestre de radio. Ressentez-vous chez cette formation une aptitude spécifique à surfer sur des répertoires musicaux différents ?
Oui, et j'en ai encore eu la preuve en février dernier. Nous avons enregistré en 15 jours Dimitri de Victorien Joncières, un monument de la musique française. Nous avions joué sa Symphonie Romantique l'année précédente à Venise, ce qui nous a beaucoup servi pour aborder Dimitri. Mais je ne peux que reconnaître la phénoménale adaptabilité du Brussels Philharmonic. Ces musiciens sont extrêmement rapides et, surtout, ils font preuve d'une honnêteté face au répertoire français que les orchestres français ne possèdent plus. Lorsque je travaille avec les musiciens flamands, ils font d'autorité confiance en ce que l'on place sur leur pupitre et ils se plongent entièrement dans la musique qu'on leur propose. Jamais je n'ai été confronté avec eux à des réactions quasi épidermiques lorsque je parle de musique française alors qu'on m'oppose alors en France un répertoire basé sur Brahms, Beethoven Dvořák et Mahler ! Alors pensez, du Gustave Charpentier ou du Max d'Ollone !
La musique française est-elle si mal lotie en France ?
Lorsque le petit-fils d'Ollone était directeur artistique à Radio France, il avait décidé de programmer Pelléas et Mélisande. Il a alors fait face à une levée de boucliers des musiciens de l'orchestre arguant que "ce n'était pas de la musique". Quelle honte de penser que ces musiciens sont financés par la France et refusent de jouer la musique de leur patrimoine ! D'un côté, je trouve cela scandaleux quand, de l'autre, je suis comblé face à l'honnêteté des musiciens flamands avec lesquels je travaille. Je peux faire avec le Brussels Philharmonic ce que je n'ai jamais pu réaliser avec un orchestre français : une remise en question complète des habitudes, un travail sur le phrasé avec des instruments modernes, un travail sur le symbolisme, la rhétorique… Avec eux, je fais des séances d'accord, chose qu'on ne peut plus pratiquer avec les orchestres français. Pour se convaincre de la qualité de cette formation, il suffit d’écouter les Impressions d'Italie de Charpentier. Du premier au dernier pupitre, la justesse est remarquable. Écoutez les derniers accords des œuvres de Max d'Ollone. Ces accords sont toujours révélateurs des orchestres symphoniques. Vous constaterez comment sonne chaque dernier accord formé par le Brussels Philharmonic ! On constate trop souvent que l'harmonie est toujours un peu plus haute que les violons et que les cuivres sont dans le milieu. C'est tout simplement effrayant ! Pour moi cet orchestre est le plus bel orchestre français d'Europe et je dois reconnaître que les progrès que je constate avec cet orchestre d'un niveau pourtant déjà excellent me rendent vraiment heureux.
Vous êtes le Directeur musical du Chœur de la Radio flamande depuis 2011. Que pouvez-vous nous dire de cette formation ?
Pour ne fâcher personne, je dirais que c'est un des deux meilleurs chœurs d'Europe. Là aussi, l'honnêteté est omniprésente, associée à un investissement corps et âme. Avec ces chanteurs, je peux croire à tout !
Vous retrouvez ainsi une même sensibilité lorsque vous réunissez ce chœur au Brussels Philharmonic…
J'ai justement été invité par le directeur Gunther Broucke à réunir les deux formations. Le Chœur de la Radio flamande est un chœur de chambre qui compte entre 24 et 30 choristes. Et le Philharmonic est un orchestre digne de ce nom, c'est-à-dire quatre fois plus nombreux. C'est pour cette réunion que tout le monde qualifiait d'impossible qu'on a fait appel à moi. Ma première direction a été le disque car il permet de passer outre les différences d'effectifs.
Comment vous y êtes-vous pris ?
J'ai fait une chose à laquelle personne ne s'attendait : j'ai placé le chœur face à l'orchestre. Nous sommes donc disposés en cercle et les choristes chantent dans les oreilles des musiciens. Cela a créé une émotivité incroyable et, maintenant, les sessions d'enregistrements qui les réunissent sont attendues de part et d'autre avec une grande impatience. Il faut dire que le Brussels Philharmonic ne fait pas d'opéras et que cette expérience leur apporte un contact très important avec les chanteurs.
La prise de son a sans doute été revue…
Bien sûr, et le micro est placé à mon pupitre. Les quatre volumes de la collection Prix de Rome ont été enregistrés de cette façon.
De nombreux jeunes chanteurs participent à l'enregistrement de ces disques. Comment les recrutez-vous ?
La constitution de cette équipe est une volonté partagée avec Alexandre et Benoît Dratwicki, respectivement Directeur scientifique et Conseiller artistique attachés au Palazetto Bru Zane. Nous voulions rassembler des jeunes chanteurs qui accepteraient de travailler avec moi à la prononciation et à la projection du français, et au travail stylistique sur la période que nous allions couvrir pour la collection Prix de Rome. Ces chanteurs constituent ainsi une sorte de vivier d'interprètes qui sont d'accord pour apprendre ces rôles - dont certains sont particulièrement lourds - pour ne les chanter parfois qu'au disque. Inutile de dire que ce n'est pas ainsi que les chanteurs parviennent à rentabiliser leur investissement. Ici, nous ne sommes pas dans l'optique de l'apprentissage d'un rôle qui servira pour toute une carrière. Eh bien, malgré ce handicap, nous avons recruté des chanteurs formidables. Je travaille avec eux de six mois à un an afin de leur laisser le temps d'absorber cette musique avant l'enregistrement qui se déroule en Belgique.
Combien de temps est-il nécessaire pour enregistrer les deux disques d'un volume Prix de Rome ?
Il nous faut une semaine par galette. Chaque volume est donc enregistré en dix jours.
N'est-il pas envisageable de proposer ce que vous enregistrez également en concert ?
Je m'efforce le plus souvent possible de programmer au concert ce que nous avons enregistré et nous avons déjà joué ainsi certaines pièces. Il est important de rentabiliser tout ce travail préalable. J'insiste bien sur le mot "travail" car, financièrement, vous comprenez bien que c'est utopique ! Ainsi, l'année prochaine, nous monterons en concert Herculanum de Félicien David et Dante de Benjamin Godard, qui seront également enregistrés. Mais je dois dire aussi que si Nicole Bru n'était pas présente, rien de tout cela ne pourrait exister et un pan du patrimoine musical français serait totalement laissé aux oubliettes. Du reste, la semaine dernière, Nicole a reçu les insignes d'Officier des Arts et Lettres pour son action soutenue pour la culture.
Est-il permis d'imaginer un concert Max d'Ollone ?
J'en serais ravi, mais quel producteur va acheter du Max d'Ollone ?
Ne peut-on capitaliser sur le succès de la collection Prix de Rome ?
Il est vrai que cette collection est un réel succès. Un cinquième volume est déjà annoncé. Je pense effectivement que ce travail consciencieux, laborieux et historique va faire date. Ces volumes sont aussi de très beaux objets. Le livre reprend un certain nombre des documents qui me servent à la préparation des œuvres. Lorsque je mets un projet en route, je demande toujours à un musicologue de suivre les pistes que je lui ouvre afin de réaliser des articles que je pourrai lire ensuite. Je n'ai pas le temps de me livrer moi-même à ce type de recherche et, aujourd'hui, ces sources sont utilisées pour enrichir les coffrets de la collection.
D'une façon assez fréquente, la rédaction de Tutti-magazine est témoin des problèmes que les chanteurs d'opéras rencontrent vis-à-vis des metteurs en scène qui ne respectent pas les besoins de la voix et de chefs qui dirigent en laissant l'orchestre prendre le dessus ? Quel est votre avis de chanteur et de chef sur ce problème ?
C'est un problème assez récent car, auparavant, pour prétendre à devenir chef symphonique, il fallait d'abord avoir été chef de chant et faire ses armes à l'opéra. Aujourd'hui, c'est un peu l'inverse et de grands chefs symphoniques viennent ensuite à l'opéra. Or on est en droit de se demander s'ils savent ce qu'est une voix, s'ils savent combien il est douloureux de forcer… Et on en vient peut-être à cette notion de respect que vous évoquez. Très peu de chefs lyriques contemporains ont commencé par être chef de chant. Vous ne trouverez jamais de problème de balance avec Alain Altinoglu qui est à l'origine pianiste et chef de chant. Je suis persuadé que le lyrique est un métier, et j'ajouterai que les vieux chefs d'orchestre savaient tout cela…
Quel conseil peut-on donner à un chanteur confronté à l'inaptitude d'un chef ?
De s'en aller, car un chanteur met alors sa santé en péril. En forçant une fois sur sa voix, c'est son métier qu'un chanteur remet en question. Tout se joue sur les deux millimètres d'épaisseur d'une corde vocale.
En ce qui vous concerne, êtes-vous vigilant au confort des chanteurs dans une mise en scène ?
Absolument. Je suis en ce moment en train de monter The Indian Queen de Purcell pour le Festival de Schwetzingen en Allemagne, et je suis présent à chaque répétition afin de veiller au positionnement des chanteurs et à ce qu'on leur demande de faire. S'il le faut, j'interviens.
Que pouvez-vous nous dire de cet Indian Queen que vous répétez à Schwetzingen ?
Les répétitions se déroulent fort bien et nous avons la chance de jouer dans ce théâtre historique extraordinaire qu'est le Rokokotheater du château de Schwetzingen, qui est une merveille de 500 places. Si vous grattez le plancher, vous l'entendez jusqu'au poulailler ! C'est un lieu formidable. The Indian Queen sera ensuite présenté à Bâle puis en janvier 2014 à l'Opéra de Metz où nous sommes maintenant en résidence.
Que diriez-vous pour conclure cet entretien ?
Je m'inquiète lorsque je vois tous les jeunes ensembles faire du grand Vivaldi, du grand Bach, du grand Handel et du grand commercial alors que plus personne ne s'intéresse aux maîtres français. Ceux qu'on appelle vulgairement "les petits-maîtres français" mais qui n'en sont pas ! Je pense également que le mouvement baroque est en train de disparaître parallèlement au mouvement commercial qui prend de l'ampleur. L'idéal baroque exprimé il y a 50 ans par les Harnoncourt, Leonhardt et Brüggen est en train de disparaître. À part certains médiévistes ou quelques orchestres de chambre, force est de reconnaître qu'il n'y a plus grand monde…
Du côté du Concert Spirituel, nous venons de sortir en disque cette Messe de Le Prince qui est un chef-d'œuvre complètement inconnu… Je serai à Londres dans quelques jours pour le Requiem de Pierre Bouteiller après l'avoir joué en tournée en Asie avec des pièces de Pierre Hugard… Nous avons fait un tabac, les salles étaient pleines !
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 12 avril 2013
Pour en savoir plus sur Hervé Niquet et Le Concert Spirituel :
www.concertspirituel.com
Pour en savoir plus sur le Brussels Philharmonic :
www.bpho.be/fr
Pour en savoir plus sur le Chœur de la Radio Flamande :
www.vlaamsradiokoor.be/fr/home