Tutti-magazine : Pouvez-vous définir le rôle du dramaturge dans une maison d'opéra ?
Christophe Ghristi : Il n'y a pas à proprement parler de définition du dramaturge en France et ses fonctions varient d'une maison à une autre. On peut toutefois dire que le dramaturge représente une référence culturelle pour le théâtre. Quant à la Dramaturgie à l'Opéra national de Paris, on peut la considérer comme un grand service culturel et un grand service pédagogique pour tous, c'est-à-dire pour l'ensemble du public et non seulement le jeune public. Environ 30 personnes travaillent pour la Direction de la Dramaturgie, toutes installées à l'Opéra Bastille, à l'exception de celles qui préparent les publications sur la danse et qui travaillent à Garnier. Ce service regroupe des activités apparemment très différentes auxquelles j'ai essayé de donner une cohérence : le service des éditions, celui de la communication qui est en charge de la publicité et de l'achat d'espace, le site Internet, les services pédagogiques et la programmation culturelle. Nous gérons à la fois les expositions du Palais Garnier et les programmations de l'Amphithéâtre et du Studio. L'Amphithéâtre peut accueillir 500 spectateurs et nous y programmons la série Convergences et les spectacles Jeunes publics. Le Studio est avant tout une salle de travail et de répétitions pour l'Atelier Lyrique, mais nous y organisons tous les jeudis une manifestation de type concert ou rencontre.
Comment êtes-vous parvenu à ce poste ?
Mon cheminement est en fait assez simple. Je suis à l'origine professeur de Lettres et j'ai occupé pendant 14 ans, de 1995 à 2009, le poste de dramaturge au Théâtre du Capitole à Toulouse. Dans ce théâtre je travaillais seul. La structure est très différente de celle de l'Opéra de Paris, aussi mes activités étaient sensiblement différentes. Si je m'occupais déjà des programmes, je gérais par exemple aussi le surtitrage. C'est au Capitole que j'ai vraiment appris à la fois mon métier et le répertoire. Cette expérience m'a permis de me préparer aux fonctions élargies que m'offre aujourd'hui l'Opéra de Paris.
Comment la Direction de la Dramaturgie se situe-t-elle par rapport à l'organigramme de l'Opéra de Paris ?
La Direction de la Dramaturgie est une direction assez indépendante qui est placée sous la seule autorité du Directeur du théâtre. Nous travaillons bien entendu avec la Direction Administrative et respectons ses budgets mais nous ne lui sommes pas soumis. Ce qui qualifie la Direction de la Dramaturgie est sa transversalité. Par exemple, nous menons l'opération Dix mois d'école et d'opéra en lien avec les ateliers de costumes que nous faisons visiter aux jeunes. Autre exemple, nous produisons des concerts et des opéras de chambre à l'Amphithéâtre et, en tant que Directeur artistique, je travaille en lien avec la Direction Technique.
Quelles sont les activités du service des éditions ?
Ce service se charge des programmes, du magazine, des brochures d'information et de tout ce qui est publié. Nous publions chaque année une vingtaine de programmes d'opéras, une quinzaine de programmes de ballets et les programmes de concerts. En volume, cela fait de nous le plus gros éditeur musical de France.
Comment sont organisés les services pédagogiques rattachés à votre direction ?
Nous avons trois services pédagogiques : le service Jeunes publics qui programme environ 60 spectacles à l'Amphithéâtre Bastille partagés entre l'opéra et le ballet, un service Opéra - Université qui travaille en lien avec l'enseignement supérieur, et Dix mois d'école et d'opéra, qui est basé sur une collaboration entre le Ministère de l'Éducation nationale et l'Opéra national de Paris.
En Allemagne le dramaturge peut être sollicité par un metteur en scène pour le renseigner sur une version. Cela est-il courant à l'Opéra de Paris ?
En ce qui concerne les œuvres, et plus particulièrement les créations, nous n'avons pas vraiment été dernièrement interrogés sur un choix de version. Nous nous situons plus dans un accompagnement de la démarche d'un metteur en scène. Notre rôle est alors plutôt tourné vers l'extérieur et consiste principalement à expliquer à notre public la vision du metteur en scène. Par exemple, pour le Ring, j'ai beaucoup discuté avec Günter Krämer pour nourrir ce que je proposerai au spectateur pour aborder ses mises en scène.
Pouvez-vous prendre à titre d'exemple une production récente afin de nous expliquer votre action par rapport à ce cas précis…
Prenons Carmen*. Pour cette nouvelle production, la question des dialogues parlés a été posée un an avant la première du spectacle. Le metteur en scène Yves Beaunesne souhaitait les réécrire et travaillait d'ailleurs avec sa propre dramaturge. Il y a eu alors des allers-retours entre le metteur en scène et la Direction de la Dramaturgie qui a validé ces nouveaux dialogues. Par ailleurs Carmen est un opéra qui nourrit toujours beaucoup d'attentes de la part du public, attentes souvent même contradictoires. L'important était alors de communiquer le plus possible et en amont sur la volonté du metteur en scène afin que le spectateur puisse accueillir au mieux cette vision qui n'était pas espagnole tout en l'étant un peu tout de même. Quoi qu'il en soit il fallait éclairer ces libertés prises par rapport à la convention.
* Carmen mis en scène par Yves Beaunesne à l'Opéra Bastille du 4 au 20 décembre 2012.
Vous décidez donc vous-même de la façon dont vous allez accompagner la programmation d'une œuvre…
Absolument, et je pense qu'il est toujours important de porter nos efforts sur une nouvelle production. Ce qui est alors très appréciable est de pouvoir utiliser tous les outils de communication - le journal En scène !, les programmes et le site Internet - dans une parfaite synergie. Cela est rendu possible car ils sont dans les mains de la même Direction, et cette organisation est un point essentiel en matière de complémentarité. Par exemple, nous avons décidé de présenter un portrait de la chanteuse Anna Caterina Antonacci sur la couverture du journal En scène ! de novembre 2012, de donner la parole au metteur en scène sur le site Internet de l'Opéra et de diffuser les propos du chef d'orchestre sur un autre support… Nous répartissons ainsi la parole et les points de vue en fonction des moyens de communication qui sont à notre disposition.
Une autre chose qui m'intéresse beaucoup et que j'ai découverte ici est la publicité. je trouve cela passionnant, à commencer par le choix du visuel. Pour rester sur Carmen, nous avions choisi avec le metteur en scène un tableau représentant une femme aux seins nus dans les tons rouges et noir. Mais il est vrai que, dans le cas précis de Carmen, les places étaient totalement vendues avant le lancement de la campagne publicitaire.
Si toutes les places sont vendues, pourquoi alors faire tout de même de la publicité ?
Pour une maison comme l'Opéra de Paris et pour les grands ouvrages, une nouvelle production est toujours un moment historique. C'est une nouvelle fois en raison de la cohérence des différents services rassemblés à la Direction de la Dramaturgie qu'il est possible, comme pour Carmen, d'utiliser la publicité pas seulement en raisonnant en termes d'état des ventes de places, mais en termes d'image que l'on souhaite associer à l'institution. Cet aspect, en tout cas, m'intéresse toujours beaucoup.
Quelle est votre politique de programmation pour l'Amphithéâtre de l'Opéra Bastille ?
Elle diffère un peu chaque année. Disons qu'elle évolue. Pour la saison prochaine, la programmation propose deux grands axes : une série de récitals qui alterne de grands solistes avec des artistes moins connus à Paris pour le moment, et des concerts conçus comme des portraits de compositeurs.
Comment travaillez-vous avec les interprètes ?
Nous travaillons toujours avec eux de manière très précise sur les programmes. Si le genre du récital a souffert d'un certain désamour, ce qui est réellement dommage au vu de l'incroyable beauté du répertoire, je pense que les programmes n'ont pas été travaillés d'une manière suffisante. Je ne suis absolument pas intéressé par les programmations pochettes-surprises dans lesquelles on mélange un peu de tout. J'aime qu'un programme soit cohérent et que l'on recherche toujours une qualité de haut niveau tout en proposant des œuvres plus ou moins rares. Nous pouvons bien sûr programmer Le Voyage d'hiver, mais il est intéressant d'aller piocher dans cet immense répertoire constitué par les œuvres des compositeurs peu joués. Ces dernières années, à Paris, le récital était souvent donné dans de grandes salles par de grandes stars qui proposaient plus ou moins toujours les mêmes œuvres sans se montrer très vigilantes. Je crois qu'il est nécessaire de constamment réactiver le répertoire, et c'est le rôle d'un programmateur de veiller à le réoxygéner en allant chercher des œuvres oubliées pour les faire réentendre. Une autre chose primordiale est de faire attention à qui l'on va confier ce qu'on veut faire entendre, et par qui l'interprète sera accompagné. Pour les récitals, j'attache une grande importance à la qualité du pianiste. Je vous avouerais même qu'il m'arrive de refuser de programmer un chanteur en raison de la piètre qualité de son pianiste ! J'ai été témoin de trop de récitals gâchés par de mauvais choix de pianistes accompagnateurs.
Vous programmez également des artistes peu connus en France…
Tout à fait. Nous avons ainsi invité pour la saison prochaine le jeune ténor français Jean-François Borras qui fera son premier récital à l'Amphithéâtre le 29 novembre. Il chantera des mélodies de Liszt et Hahn, mais également le roman musical de Gounod Biondina, que je tiens pour un chef-d'œuvre. Pour ce concert, le choix du répertoire était extrêmement important et Jean-François Borras s'est montré très à l'écoute de ce que nous voulions proposer. Il possède la voix parfaite pour ce cycle de mélodies de Gounod injustement méconnues… Comme il n'avait jamais chanté en récital, mon travail de programmateur était également de lui trouver un pianiste accompagnateur, lequel serait idéal pour travailler et défricher un genre d'expression nouveau pour lui. Marcelo Amaral va ainsi accompagner Jean-François et je crois pouvoir dire que cette rencontre devrait aboutir à une très bonne qualité musicale en même temps qu'elle va contribuer à apporter de nouvelles possibilités d'expression à l'interprète.
Les artistes vous suivent-ils facilement dans vos choix de programmation originaux ?
C'est le cas de beaucoup d'artistes qui ont appris des œuvres pour les chanter à l'Amphithéâtre. D'autres ne sont pas intéressés par ce que je leur propose. Il faut reconnaître que je ne donne pas de gros cachets ! Plus sérieusement, avec le métier, on finit par connaître les artistes qui ont envie d'explorer un répertoire différent et de faire autre chose. Par exemple, je suis très heureux d'accueillir le 13 novembre prochain la soprano Soile Isokoski pour le Quatuor à cordes No. 2 de Schoenberg. Lorsque je lui en ai parlé, elle ne connaissait pas l'œuvre et n'était pas très chaude pour l'étudier. Elle se méfiait, et je crois que le nom de "Schoenberg" lui faisait un peu peur… Je suis revenu à la charge plusieurs fois et, un jour, je lui ai remis un disque de ce quatuor chanté par Margaret Price. Ce nom a immédiatement fait tilt, Soile a écouté le disque et a aussitôt commandé la partition, tant elle était fascinée par cette musique. Lorsqu'elle chantera cette pièce à l'Amphithéâtre, ce sera la première fois pour elle… Les artistes qui acceptent de travailler de nouvelles œuvres pour nous sont d'autant plus méritants qu'il y a souvent peu d'espoir qu'ils chantent à nouveau ces pièces ailleurs. Il y a quelques mois, nous avons accueilli la soprano Ricarda Merbeth pour un programme assez insensé construit autour de Korngold, Schreker et de pièces de compositeurs de cette mouvance. Je sais qu'elle a travaillé 2 ans d'arrache-pied sur ces mélodies avec son merveilleux pianiste Alexander Schmalcz. Pourtant, j'ignore si elle pourra les chanter à nouveau un jour ailleurs car la plupart des programmateurs se montrent très frileux par rapport à cette musique. Mais c'était pour moi un véritable bonheur que de voir cette grande artiste heureuse et même reconnaissante d'avoir eu l'occasion de revenir ainsi avec autant de précision aux sources de la musique. Elle était tellement ravie qu'elle m'a demandé de revenir. Croyez-moi, si je mets en perspective son cachet avec la somme de travail qu'elle a investi pour pouvoir chanter ces pièces en concert, je ne vois aucune autre motivation que l'amour de l'Art. Bien sûr, un nouveau récital est déjà programmé avec d'autres pièces tout aussi délirantes !
Ne peut-on imaginer, pour de tels concerts, un partenariat avec une maison de disques
Les éditeurs que j'ai déjà approchés avec de tels programmes se sont dits intéressés mais aucun projet ne s'est concrétisé. En revanche, France Musique enregistre certains récitals. Heureusement, tous nos concerts sont captés et archivés. Rien n'empêchera, un jour, d'envisager des éditions particulières…
Combien de temps à l'avance construisez-vous la programmation de l'Amphithéâtre ?
Comparé à l'opéra, je n'ai pas besoin d'autant de marge. Généralement, 2 ans à l'avance suffisent pour travailler la programmation de l'Amphithéâtre.
Les artistes qui se produisent en récital à l'Amphithéâtre sont-ils nécessairement distribués parallèlement dans une production de l'Opéra ?
Pas forcément, et certains artistes viennent spécialement à Paris pour donner leur récital à l'Amphithéâtre. Il arrive aussi que d'autres interprètes soient déjà dans la maison au moment du concert. Ce sera le cas du ténor Pavol Breslik qui chantera en récital le 3 avril 2014 entre deux représentations de La Flûte enchantée à l'Opéra Bastille dans lesquelles il chantera Tamino.
Votre second axe de programmation à l'Amphithéâtre est consacré aux compositeurs…
Pour le centenaire de la Première guerre mondiale, j'ai souhaité programmer une série de portraits de compositeurs que l'on joue rarement, voire jamais, et surtout leur dédier la totalité de l'espace du concert. Le plus souvent, vous pouvez trouver une pièce rare glissée dans un programme d'œuvres connues, or j'ai souhaité donner l'occasion au spectateur de plonger dans l'univers d'un compositeur pendant toute une soirée. Nous commencerons ainsi les 19 et 20 novembre avec Lili Boulanger en proposant cinq de ses œuvres dans le même concert, dont le splendide cycle de mélodies Clairières dans le ciel et le grand psaume Du fond de l'abîme.
Le 6 février, nous mettrons à l'honneur Darius Milhaud avec deux quatuors à cordes qu'il a composés à la mémoire de son ami Léo Latil, mort sur le champ de bataille. Ces quatuors sont tout bonnement incroyables, à des lieues du Milhaud "Brésilien" par l'inspiration qui les caractérise. Une de ces deux pièces fait intervenir la voix de soprano, comme le quatuor de Schoenberg. Nous proposerons également d'autres pièces écrites par Milhaud sur des poèmes de Latil…
Le 26 mars 2014, l'Amphithéâtre accueillera une soirée Louis Vierne, un compositeur que j'apprécie beaucoup, et nous consacrerons le concert du 23 avril à Gabriel Dupont, un autre grand absent des récitals. En première partie, nous entendrons trois chœurs pour piano et voix de femmes de Dupont, ainsi que La Damoiselle élue de Debussy en version piano. En seconde partie, je suis heureux de pouvoir proposer le cycle de piano Les Heures dolentes, une pièce particulièrement difficile à programmer car elle dure une heure !
La prochaine saison de l'Amphithéâtre proposera également une soirée Guillaume Apollinaire et L'Histoire du soldat de Stravinsky qu'il était difficile d'ignorer dans le contexte de commémorations.
Proposer au public de découvrir des œuvres rares demande une connaissance particulièrement vaste. Comment la nourrissez-vous ?
J'ai fait un peu de piano quand j'étais enfant mais mon principal rapport avec la musique est d'être un auditeur insatiable. J'ai eu très tôt la folie des disques et c'est par cette passion que je suis sorti du répertoire balisé pour découvrir de nouvelles œuvres. Le disque m'a permis à la fois de me familiariser avec ces pièces rares mais aussi de nourrir cette soif de tout connaître d'un compositeur que j'apprécie. Cela étant si je suis très curieux de musique, j'aime aussi découvrir pour faire partager. C'est cette énergie très importante en moi qui me pousse à vouloir enrichir la vie musicale du public.
Vous parlez de formes musicales assez épurées, mais quel est votre rapport à l'opéra ?
J'adore l'opéra, je peux même dire que je suis un fou d'opéra, mais sans doute mon goût le plus profond s'accorde-t-il plus intimement au piano, à la musique de chambre et à la mélodie. Mais il s'agit d'une dimension très personnelle car j'aime aussi passionnément le théâtre. Je crois d'ailleurs que cette complémentarité entre le théâtre et l'opéra a formé mon goût pour les livrets bien écrits. Les opéras qui me plaisent le plus sont ceux qui possèdent aussi une vraie dimension littéraire.
Dans le programme de Siegfried, plusieurs reproductions de gravures vous sont créditées…
Effectivement, je collectionne les gravures liées à la musique car j'aime beaucoup l'imagerie de l'opéra et les beaux portraits de chanteurs. Je trouve qu'ils ont le pouvoir de dire beaucoup non seulement sur la musique et sur les œuvres, mais aussi sur la dimension humaine, que je considère comme la dimension la plus importante dans tout ce que j'entreprends. Que ce soit par le piano ou l'énorme machine de l'Opéra, on transmet de l'humain et de l'émotion. Dans un beau portrait de chanteur, on retrouve cet aspect. Sur scène, cela passe par la voix, et sur le papier, par les yeux, mais on touche dans les deux cas à l'humain qui est à la base de tout.
Pour rester dans la dimension humaine, quels ont été les grands axes pédagogiques développés durant la saison 2O12-2013 ?
Cette saison a été marquée par deux initiatives complémentaires : Siegfried et l'Anneau maudit et Dix mois d'école et d'opéra.
Siegfried et l'Anneau maudit est un montage que nous avons réalisé pour le jeune public. Cette version du Ring en 1h45 s'adresse aux enfants à partir de 10 ans. Elle est centrée autour de Siegfried mais respecte à la fois la chronologie de l'œuvre et le personnage de Siegfried tel que l'a écrit Wagner. Sur le plan musical, nous avons fait de grandes coupes mais sans changer une note de la partition et en conservant l'allemand comme langue chantée. Ce montage a ensuite été confié à la classe d'arrangement du CNSM, et les représentations ont été données à l'Amphithéâtre. Mais cela ne s'arrête pas à Paris car le projet a été coproduit et va maintenant tourner à Nancy, à Saint-Étienne et Besançon avant de revenir chez nous. La liste des théâtres intéressés par ce concept ne cesse de s'allonger. Je crois qu'avec ce projet, nous répondions vraiment à la mission d'une maison comme l'Opéra de Paris car nous étions à la fois à l'origine d'un projet d'envergure, mais aussi parce que nous avons construit un matériel qui permet d'initier un jeune public à une grande œuvre du répertoire particulièrement difficile.
Siegfried et l'Anneau maudit fait l'objet de deux types de représentations : les représentations scolaires réservées aux classes, et les représentations tout public plutôt ouvertes aux parents avec leurs enfants. Les classes qui adhèrent au projet s'engagent à faire un travail préparatoire, et le service Jeunes publics de l'Opéra met à leur disposition un dossier pédagogique. Nous organisons aussi des rencontres avec le metteur en scène et le chef d'orchestre afin d'enrichir cette préparation. Un dossier pédagogique est également disponible sur Internet pour accompagner les spectateurs indépendants.
Que pouvez-vous dire du concept Dix mois d'école et d'opéra
Nous venons justement d'achever hier le festival Dix mois d'école et d'opéra ! Ce projet s'étale sur deux années à la fin desquelles les classes font un spectacle. Cette année, nous avons présenté quatre programmes différents de ballet, d'opera et de concert avec des enfants âgés entre 8 et 13 ans. Pour eux, la fréquentation de l'Opéra de Paris est complètement intégrée au cursus scolaire. Ils voient des spectacles, assistent à des répétitions, rencontrent des professionnels et visitent des ateliers. Nous mettons une équipe à la disposition des classes durant cette initiation de 2 ans. Dix mois d'école et d'opéra accueille 33 classes, ce qui représente environ 1.000 élèves.
Votre service gère également le site Internet de l'Opéra de Paris…
Ce site est le premier vecteur de vente de l'Opéra mais il est intégré à une direction artistique, celle de la Dramaturgie, et non commerciale. Bien sûr, nous travaillons étroitement avec la Direction du Marketing mais nous le considérons avant tout comme intégré à une démarche artistique et travaillons dans ce sens. Le site de l'Opéra est Paris est très fréquenté, en particulier pour ses vidéos d'interviews que nous publions pour accompagner les productions. Selon les dernières statistiques en matière d'opéras, notre site arrivait en seconde position après celui du Metropolitan Opera de New York.
Ce site Internet a beaucoup évolué ces derniers temps. Quelles autres évolutions préparez-vous ?
Nous allons lancer un tout nouveau site, en principe à l'automne. La plupart des fonctionnalités nouvelles sur lesquelles nous avons travaillé concernent la billetterie qui va ainsi se moderniser et s'élargir. Nous allons également proposer une esthétique qui fera la part belle à la photographie et à la vidéo.
En bas de la page d'accueil du site se trouve l'accès quelque peu caché à Memopera, un site consacré à la mémoire de l'Opéra national de Paris. Qui gère ce programme ?
Memopera est également géré par la Direction de la Dramaturgie et je peux même avouer qu'il s'agit d'une initiative personnelle. Cette base d'informations est remplie par une documentaliste qui travaille seule à cela. Actuellement, notre base de données couvre les saisons lyriques depuis 1989 et le ballet depuis 2005. Cet été, nous devrions pouvoir remonter jusqu'en 1980 pour l'opéra et intégrer l'ère Liebermann aux environs de Noël, c'est-à-dire remonter jusqu'en 1973. J'aimerais pouvoir ainsi traiter jusqu'à l'ouverture de Garnier. Si mes successeurs poursuivent sur ce terrain, je crois que c'est tout à fait faisable. Pour les périodes plus anciennes, le CNRS a déjà mis en ligne avec Chronopera la programmation de l'Opéra de Paris à partir de 1749. Bien entendu, il faut accepter de dédier de nombreuses heures de saisie à Memopera, mais aussi à la vérification des données, à la relecture, etc. Quoi qu'il en soit, il me semblait essentiel qu'une maison qui a connu une telle activité possède une base de données détaillée de sa programmation. Pour l'enrichissement iconographique de cette base, nous sommes face à des problèmes de droits, mais je pense que nous allons bientôt pouvoir exploiter de nombreuses images. Toujours est-il que la priorité était de constituer la base de données. Ensuite, nous allons pouvoir nous consacrer aux visuels.
Votre Direction gère de nombreux aspects de la vie de l'Opéra de Paris, mais y a-t-il encore des axes dans lesquels vous souhaiteriez vous impliquer ?
Pour être franc, ma fonction de Dramaturge m'a déjà permis de réaliser de nombreux projets que je désirais mener à bien. Il y a bien sûr quantité d'autres spectacles et d'autres œuvres que je souhaiterais programmer… Alors, je verrai ce que la vie m'apportera, mais à plus longue échéance, je trouverais cohérent, eu égard à mon expérience, de pouvoir diriger un théâtre.
Quel genre de directeur de théâtre seriez-vous ?
Je placerais au centre de ma réflexion l'œuvre et l'artiste. Je crois qu'il faut sans cesse penser aux œuvres que l'on a envie de faire entendre et s'appliquer à les faire entendre avec les bons artistes. À l'inverse, il peut y avoir un artiste auquel vous avez envie de confier telle ou telle œuvre car lui-même n'y pense pas ou n'a pas eu l'occasion de la chanter. Mais vous savez, par votre expérience, qu'elle lui conviendrait parfaitement. Le rôle d'un directeur d'opéra est de pouvoir rendre ces choses possibles. Réfléchir en termes d'œuvre permet d'enrichir la vie musicale du public. Je suis persuadé qu'il ne faut pas toujours et seulement se cantonner aux mêmes œuvres qui plaisent, mais prendre des risques avec le répertoire. Ensuite, il faut toujours s'efforcer de trouver l'équation parfaite entre les œuvres, l'artiste, le style de représentations que l'on va présenter, le metteur en scène… Tout tt passionnant et définit pour moi l'essence du travail d'un directeur de théâtre.
Dans de nombreux théâtres, la logique commerciale fait qu'il est difficile de prendre des risques avec la programmation…
Si je me base sur mon expérience de la programmation de l'Amphithéâtre, j'ai perçu un signal extrêmement clair qui ne m'a pas trompé par la suite… Lorsque l'Opéra de Paris a programmé l'opéra Mathis le peintre, j'ai eu l'idée de proposer à l'Amphithéâtre quatre soirées entièrement consacrées à Hindemith. Il n'était donc pas caché entre deux œuvres de Brahms pour faire moins peur, et des artistes merveilleux avaient répondu présent, comme Antoine Tamestit pour une soirée d'alto et Soile Isokoski pour La Vie de Marie. Vous serez peut-être surpris d'apprendre que ces soirées étaient pleines à craquer alors que de nombreux spectateurs ne connaissaient pas ce qu'ils allaient entendre. Croyez-moi, de nombreuses personnes sont ressorties sous le choc des œuvres… J'ai ensuite essayé de décliner ce "miracle" dans la proposition de l'Amphithéâtre et je suis souvent étonné par la confiance que nous accorde le public sur des œuvres d'un abord peu évident. J'entends assez souvent "ici on apprend à connaître de nouvelles choses !", et cela me procure un réel plaisir.
Quel est le public de Convergences à l'Amphithéâtre ?
Le public de Convergences est constitué de 300 abonnés pour les 500 places de la jauge de l'Amphithéâtre, et je tiens à conserver des places proposées à la vente libre. Une saison est divisée en deux abonnements complémentaires pour couvrir la programmation complète. Ce public qui apprécie la petite forme, le récital, vient en partie de la grande salle de l'Opéra Bastille, et en partie d'ailleurs. Il se montre à la fois extrêmement attentif et très ouvert aux œuvres nouvelles. Je me sens très fier de ce public que nous avons réussi à fidéliser et qui se montre toujours partant. Que voulez-vous demander de plus à des spectateurs qui nous suivent lorsque nous programmons en fin de saison deux soirées entièrement consacrées à des sonates de Scriabine?
Le Studio accueille également des récitals et des conférences chaque jeudi…
Dans cette salle, les concerts sont uniquement donnés par les musiciens de l'orchestre et du chœur de l'Opéra de Paris. Il y a à l'intérieur de l'orchestre une Commission de musique de chambre avec laquelle nous établissons les programmes. Mais il s'agit ici plus ou moins de donner carte blanche aux musiciens qui souhaitent jouer en petite formation*, tout en veillant à réguler et garantir une certaine cohérence de proposition. Nous organisons également dans cette salle un certain nombre de rencontres, par exemple avec les metteurs en scène, ainsi que des conférences sur les compositeurs, les œuvres qui sont présentées sur scène ou des points sur l'histoire de la maison. Il me semble du reste important de toujours réactiver une forme de curiosité vis-à-vis de l'histoire de cette maison.
* Le nombre de musiciens est limité à quatre.
Les archives de l'Opéra national de Paris permettent-elles de reproduire à l'identique un spectacle qui aurait été donné pour la dernière fois de nombreuses années auparavant ?
Nous nous sommes livrés l'année dernière à une expérience tout à fait édifiante qui répond à votre question. Avec l'aide de deux chercheurs formidables, Rémy Campos et Aurélien Poitevin, nous avons proposé à l'Amphithéâtre une reconstitution du premier tableau de l'Acte III des Maîtres chanteurs de Wagner. Pour ce faire, les ateliers de l'Opéra de Paris ont réalisé les toiles sur le modèle original de la création à l'Opéra Garnier en 1896. Nous avons joué cet acte avec un piano, comme pour une répétition, avec le livret en français de l'époque. Cette initiative est à considérer comme un travail de chercheurs, mais elle a été pour moi particulièrement enthousiasmante, comme pour les peintres de l'Opéra qui ont été ravis d'avoir à refaire une grande toile classique. Ce travail représente en quelque sorte la base de leur métier. Ces deux grandes toiles étaient d'une très grande beauté… Ce spectacle sera redonné en septembre au Festival Wagner de Genève*.
Les archives dont vous disposez couvrent-elles toutes les périodes ?
Ce paradoxe ne vous étonnera peut-être pas, mais les grands manques correspondent à une époque très récente. En revanche, nos archives sont très complètes sur le XIXe siècle et jusqu'à un passé relativement récent. Elles sont conservées à la Bibliothèque du Musée de l'Opéra, qui est une antenne de la Bibliothèque Nationale de France, laquelle veille sur ce patrimoine avec l'expertise qu'on lui connaît. Pour les périodes récentes, le travail sur ordinateur fait que nous ne possédons pas de traces de la qualité de ce qui a pu être créé par les grands costumiers ou les grands décorateurs… La grande différence avec la manière d'archiver du passé est qu'aujourd'hui, si nous conservons moins de matériel de départ, nous enregistrons en vidéo tous les spectacles et nous prenons beaucoup de photos. Cela aboutit à nous rendre bien plus documentés sur le spectacle lui-même.
Pour terminer cet entretien, je vous propose de nous parler des expositions que votre Direction gère également…
Ces expositions sont très importantes pour moi car elles opèrent une sorte de réactivation de l'histoire de la maison. Or, pour une maison comme l'Opéra de Paris, qui fait l'effort de conserver son passé par le biais de la BNF, il me semble indispensable d'utiliser ce fonds et de le proposer au public en organisant des expositions. Depuis 2009, nous organisons deux expositions par an réparties entre l'opéra et le ballet. Actuellement, nous présentons une exposition sur le Ballet de l'Opéra, et à la fin de l'année, nous proposerons la thématique "Verdi et Wagner à l'Opéra de Paris", c'est-à-dire ce qui concerne leur travail dans cette maison. Nous possédons un grand nombre de documents sur cette période à présenter au public… Pour l'été 2014, nous proposerons une exposition sur les Ballets Suédois à partir, là encore, du fonds très important conservé par la Bibliothèque de l'Opéra. Il ne s'agit pas, cette fois, à proprement parler de l'histoire de la maison, mais comme pour les Ballets Russes, le parallèle avec le Ballet de l'Opéra est absolument passionnant. Enfin, pour l'hiver 2014, Rameau et l'Académie Royale de Musique seront à l'honneur de la Bibliothèque de l'Opéra avec une exposition que nous consacrerons à ce thème…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 27 juin 2013
Pour en savoir plus sur la Saison 2013-2014 de Convergences :
www.operadeparis.fr