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Interview de Chiara Skerath, soprano (2016)

Chiara Skerath.  © Capucine de ChocqueuseC'est quelques mois après qu'elle ait interprété le difficile rôle de la Chanteuse italienne dans Capriccio à l'Opéra de Paris que nous avons rencontré la soprano Chiara Skerath. Elle retrouvait à cette occasion la scène du Palais Garnier après le mémorable Alceste mis en scène par Olivier Py dans lequel elle chantait le Coryphée soprano l'année précédente pour ses débuts sur la grande scène parisienne. Aussi à l'aise chez Mozart que dans des répertoires qualifiés de façon impropre de "légers", la jeune soprano parvient aussi à exprimer en récital des intentions rares et subtiles que sa voix porte admirablement pour servir le texte, comme en a témoigné cette saison un Instant Lyrique à l'Éléphant Paname. Difficile de ne pas être séduit par une artiste en devenir dont la personnalité se marie si bien avec ses choix musicaux…

 

Tutti-magazine : Vous sortez d'une série de représentations de "Lucio Silla" où vous chantiez le rôle de Cinna sous la direction de Laurence Equilbey. Tout d'abord, le 23 avril à la Philharmonie de Paris, puis au Havre, à Vienne, Aix et Versailles. Quelles impressions retirez-vous de cette tournée ?

Chiara Skerath : Je ressors de ces représentations de Lucio Silla comme d'une très belle expérience à bien des égards, et donc un peu triste car je l'aurai bien prolongée par deux ou trois dates supplémentaires. Je porte un véritable amour à la musique de Mozart et cette première rencontre avec Laurence Equilbey s'est très bien déroulée. Le personnage de Lucio était mon premier rôle de travesti, mon premier rôle "en pantalon". Qui plus est, sur le plan théâtral, Lucio est un rôle intéressant à jouer. C'était aussi la première fois que je chantais un rôle aussi vocalisant, ce qui représentait un challenge personnel.

Qu'avez-vous ressenti en vous glissant dans un costume d'homme ?

Ce n'est pas la première fois qu'on m'habille en homme car, à l'Opéra Garnier, dans Alceste, Olivier Py me faisait déjà porter un costume, et encore avant, dans La Chauve-souris à l'Opéra Comique, mon personnage de Rosalinde était aussi habillé de façon masculine. Cependant, dans ces deux cas, il s'agissait de femmes. Lucio est mon premier vrai rôle d'homme, et j'ai dû apprendre à me tenir différemment, à marcher d'une manière crédible. Au début des répétitions, j'ai même essayé de masculiniser un peu ma façon de chanter mais j'ai très vite abandonné cette idée. Après tout, rien n'interdit à un homme de chanter de belle façon !

 

Chiara Skerath interprète Cinna dans <i>Lucio Silla</i> sous la direction de Laurence Equilbey dans une version de concert mis en espace par Rita Cosentino.

Laurence Equilbey a-t-elle eu une approche personnelle pour vous faire travailler ?

La première chose que j'apprécie énormément chez Laurence est qu'elle respecte beaucoup les chanteurs. Pour preuve, elle a passé le temps nécessaire à trouver le tempo qui convenait à ma voix. Globalement, son approche respecte toujours les artistes et nous avons pu travailler dans une bonne ambiance tout au long de la tournée.

Peu de temps avant, le 15 mars, vous faisiez vos débuts à la Philharmonie de Paris avec Marc Minkowski dans "Le Testament de Mozart". Comment avez-vous trouvé l'acoustique de cette grande salle ?

J'avais entendu pas mal de critiques à ce sujet, mais je n'ai personnellement pas rencontré de problème en chantant dans ce cadre. Du reste, je trouve cette salle particulièrement réussie et belle. À vrai dire, après avoir vu des vidéos, je l'imaginais plus grande qu'elle ne l'est. Je me suis en tout cas sentie à l'aise et mon mari musicien, ainsi que des amis qui sont venus m'entendre, m'ont rapporté que ma voix passait bien. Le plus difficile, pour moi, était plutôt de chanter Pamina à froid !

 

<i>Le Testament de Mozart</i> dirigé par Marc Minkowski à la Philharmonie de Paris en 2016.

Là aussi, une tournée à suivi…

Tout à fait. Après la Philharmonie de Paris, Le Testament de Mozart est passé par plusieurs villes d'Allemagne et d'Espagne, ainsi que par Cracovie et nous avons terminé à Toulouse. À Hambourg j'ai adoré chanter à la Laeiszhalle, une magnifique petite salle où Brahms a joué. Chanter dans ce cadre ancien était vraiment magique. J'avoue être davantage attirée par les salles qui ont une histoire. Sur les scènes qui ont traversé les générations, je suis toujours touchée par le passé qui est souvent palpable. Lorsque j'ai fait mes débuts à l'Opéra Garnier dans Alceste, je me souviens avoir eu une petite larme en pensant à tous les chanteurs qui se sont succédé sur cette scène. J'ai fait mes études au CNSM et, comme pour tous les étudiants, l'Opéra de Paris fait figure de Graal.

 

<i>Alceste</i> à l'Opéra Garnier : Chiara Skerath, Tomislav Lavoie, Manuel Nuñez Camelino, Kévin Amiel et Véronique Gens.  © Julien Benhamou/OnP

"Alceste" au Palais Garnier est donc un bon souvenir…

Bien sûr ! En chantant un Coryphée, je n'étais pas trop exposée. C'était l'idéal. Je me souviens que, chaque soir, avant mon air, le contrebassiste de l'orchestre me faisait un clin d'œil pour que je sois à l'aise, tandis que Stéphane Degout écoutait dans les coulisses et que je sentais le soutien de Véronique Gens, qui est une collègue extraordinaire. Cette production d'Olivier Py était magique et, avec le recul, je peux même dire qu'elle m'a beaucoup marquée. Il y avait aussi Stanislas de Barbeyrac que j'aurai le plaisir de retrouver en août prochain dans Don Giovanni en Suède pour le Festival de Drottingholm. Du début des répétitions à la dernière représentation, j'ai adoré cette production d'Alceste. Elle fait même partie de ces productions que je n'oublierai pas. De plus j'étais enceinte et je sentais ma petite fille bouger beaucoup. Tout le monde, autour de moi, était prévenant. Il y avait toujours quelqu'un pour me proposer une chaise. Ma grossesse compte sans aucun doute dans ce si beau souvenir d'Alceste à l'Opéra Garnier.

Après la naissance de votre bébé, avez-vous observé des différences dans votre voix ?

Il est vrai que des chanteuses craignent les effets d'une grossesse sur la voix. Au niveau vocal, j'ai effectivement pu observer une petite différence après l'accouchement, mais j'ai pris trois mois de congé de maternité afin de pouvoir profiter de mon enfant et laisser le temps nécessaire à ma voix de reprendre sa place. Je peux peut-être aujourd'hui observer une infime différence, mais rien de spectaculaire, si ce n'est que je me sens mieux. Une grossesse pose davantage la question de la fatigue, mais chaque femme vit les choses différemment.
Je crois appartenir à une génération de chanteurs pour laquelle la vie de famille a plus d'importance que par le passé. La carrière est une chose mais ce n'est pas toute la vie. J'ai pris trois mois de congé de maternité mais, au fond, ça ne change rien en termes de carrière. La seule chose sur laquelle on m'attendait, c'était le poids ! Mais j'ai retrouvé ma ligne, et tout a recommencé. Du reste, j'ai toujours dit à mon agent qu'avoir un enfant ne m'empêcherait pas de travailler. Quoi qu'il en soit, être heureuse dans ma vie me semble être un but très louable.

 

Juan José de León et Chiara Skerath dans <i>Capriccio</i> mis en scène par Robert Carsen à l'Opéra Garnier.  © Vincent Pontet/OnP

En janvier 2016, on vous retrouve au Palais Garnier dans "Capriccio" pour le rôle de la Chanteuse italienne. Est-il difficile de gérer à la fois la vocalité démonstrative et le comique de ce rôle ?

Chiara Skerath et Juan José de León.Effectivement, le rôle de la Chanteuse italienne est difficile, en particulier sur le plan du solfège. Je ne vous cache pas qu'il me faisait même un peu peur car les spectateurs attendent les chanteurs italiens comme le moment rigolo de la soirée !
Par bonheur, je m'entendais très bien avec mon partenaire le ténor Juan José de León. Quant à l'aspect comique de la Chanteuse italienne, il est évident qu'elle n'a aucune conscience d'être drôle. Je l'ai vraiment abordée comme l'archétype très cliché de la soprano italienne d'une bêtise affligeante qui court après le cachet. J'ai commencé par la jouer un peu sur la retenue, puis au fur et à mesure des répétitions, je me suis aperçue que les gens rigolaient et j'y suis allée à fond. Provoquer le rire chez ceux qui vous regardent est infiniment plaisant et pousse à en faire davantage. J'ai donc pris beaucoup de plaisir avec ce rôle. De plus, le gâteau servi sur scène chaque soir était vraiment très bon. Sauf quand il n'était pas encore totalement décongelé !

Vous sembliez très bien vous entendre avec votre partenaire Juan José de León…

Absolument, et je suis heureuse de retrouver Juan à la fin de la saison prochaine à l'Opéra Garnier dans La Cenerentola. Juan est un partenaire très agréable à la fois sur scène et hors de scène, car il est attentionné. Avant de chanter, nous nous entendions sur ce que nous allions faire et tout fonctionnait très bien ensuite. Certains collègues ne font pas preuve de cette générosité ou préfèrent rester dans leur coin.

Les rapports entre chanteurs sont-ils compliqués ?

Quand on débute dans le métier, on a tendance à imaginer rejoindre une grande famille où tout le monde s'aime… Sur Alceste, la distribution était entièrement française et je me souviens d'une ambiance particulièrement sympathique. Parfois des amitiés se créent, et parfois pas. S'il n'est pas heureux dans sa vie ou s'il doit chanter un rôle difficile, la sociabilité d'un artiste peut varier. Pour ma part, je m'entends aussi très bien avec les instrumentistes. Dans la vie, il n'y a pas que les chanteurs !

 

Chiara Skerath, Manuel Nuñez Camelino, Kévin Amiel et Tomislav Lavoie dans <i>Alceste</i> à l'Opéra Garnier en 2015.  © Julien Benhamou/OnP

La Chanteuse italienne vous donne-t-elle envie de poursuivre votre incursion dans la musique de Richard Strauss ?

C'est assez curieux, car de nombreuses personnes m'imaginent chanter Strauss. Le fait est que je ne dis pas "non" et même, je me trouve bien dans cette écriture, mais ce sera sans doute pour plus tard. Chez Strauss, les rôles sont soit très lourds soit écrits pour soprano colorature. Je peux chanter Zdenka dans Arabella, et, bien sûr, des lieder. Pour les autres opéras, il me faudra attendre. Par ailleurs, si le rôle de la Chanteuse italienne est écrit en italien, j'apprécie généralement de chanter en allemand.

En tant que jeune chanteuse, vous apprenez souvent de nombreux nouveaux rôles sans les reprendre ensuite. Comment choisissez-vous vos rôles ?

Chiara Skerath.  © Gerardo GarciacanoJe choisis mes rôles uniquement en fonction de ma voix et j'avoue être plutôt heureuse qu'elle me dirige vers des rôles que j'aime chanter. C'est une chance que je sais apprécier. Naturellement, il m'arrive de songer parfois à Mélisande ou à Michaela dans Carmen pour l'aspect dramatique de ces opéras que je pourrai sans doute aborder un jour. Mais il est impossible de tout chanter. Aujourd'hui j'interprète Susanna dans Les Noces de Figaro et des rôles vocalement assez proches. Je progresserai sans doute vers des personnages plus dramatiques. Mais les années joueront en ma faveur. À vrai dire, je ne me pose pas trop de questions…

En 2017, vous reviendrez à l'Opéra de Paris avec Clorinda dans "La Cenerentola" mais aussi Clotilde de Grandieu dans "Trompe-la-mort" de Luca Francesconi. Comment allez-vous aborder cette création ?

Pour le moment, j'attends la partition ! Nous devrions l'avoir en juillet. J'ai déjà vu Quartett de Luca Francesconi à Vienne et j'ai trouvé cela superbe bien que très compliqué. Je verrai bien lorsque je pourrai lire la partition. La première question qui se posera sera alors : est-ce que je peux chanter ce qui est écrit ? La chance de travailler avec un compositeur vivant est de pouvoir toujours faire des modifications si nécessaire… En qui concerne les rôles mozartiens, je commence par apprendre les airs, puis les récitatifs. J'ai la chance de parler beaucoup de langues et de pouvoir compter sur l'aide de ma mère qui est Suisse-Italienne. Si j'ai un doute sur une prononciation, elle pourra m'aider. Auparavant, j'aurais posé la question à Ruben Lifschitz mais il nous a quittés…

Travaillez-vous avec un coach vocal ?

Mon coach, c'est Antoine Palloc. Je vais généralement le voir pour faire le point. Antoine me dit ce qu'il trouve bon et ce que je peux améliorer. Il me soutient beaucoup. Je travaille aussi avec un professeur de chant.

Jouez-vous d'un instrument ?

J'ai pratiqué le violon pendant 10 ans, et cela m'aide aujourd'hui à trouver la justesse. Pour un chanteur, la notion de chanter juste est très compliquée. Il peut nous arriver de chanter faux et d'avoir conscience que nous chantons faux. Mais cela est bien plus insidieux lorsqu'on chante un peu trop bas ou un peu trop haut et que nous ne l'entendons pas. Cela peut être la conséquence d'un problème d'émission mais il est indispensable que d'autres oreilles s'en rendent compte et qu’on nous le dise. J'ai rencontré un problème de ce type lorsque j'ai chanté au diapason 430 avec Marc Minkowski. Il me disait de "monter" et, dans ma tête, je devais penser à chanter "trop haut" pour que ce soit juste ! C'est assez compliqué car la sensation n'est pas forcément représentative du son produit. Cependant, si l'émission du chanteur est saine, il chante généralement juste. Parfois la prononciation des consonnes peut aussi faire varier la justesse.


Chiara Skerath lors du Concours Reine Elisabeth 2014.Cela dit, lorsque j'écoute un chanteur, je suis bien plus sensible à la musique qu'il peut dégager qu'à quelques notes approximatives. Hermann Prey a chanté bas toute sa vie et c'était pourtant magnifique ! De toute façon, la justesse absolue d'une voix n'existe pas. Certains chanteurs chantent trop haut et d'autres trop bas. La seule différence est qu'un son trop haut est plus agréable pour l'oreille qu'une note trop basse.

De nombreuses sopranos parlent d'hygiène de vie. Pour vous, en quoi cela consiste-t-il ?

Le métier de chanteur est un métier égocentrique. La première chose à respecter, c'est le sommeil. Et j'ai de la chance car ma fille fait ses nuits depuis ses trois mois. Pour le reste, j'essaye d'être vigilante, de boire beaucoup et de prendre soin de mon corps. Toutefois, je prends garde à ne pas aller trop loin car sans vie, il me semble difficile de nourrir les personnages que j'interprète sur scène. J'ai bien essayé de m'arrêter de parler, comme le font certaines collègues, mais je n'ai pas tenu plus de cinq minutes ! Je crois pouvoir remercier mes parents de m'avoir donné une voix relativement résistante. Une chose, pourtant me semble importante pour un chanteur : ne pas oublier de prendre des jours "off". C'est l'enchaînement des spectacles et des récitals qui fatigue la voix.

Le 7 mars, vous donniez un récital à l'Éléphant Paname dans le cadre de L'Instant Lyrique. Comment est né votre goût pour le récital ?

Je crois être née avec cette attirance. Très jeune, j'adorais déjà Schubert. J'étais toujours fourrée à La Monnaie et j'écoutais constamment des disques de musique classique. Aussi loin que remontent mes souvenirs, il y avait de la musique à la maison. J'écoutais en boucle La Flûte enchantée par Harnoncourt. Ensuite j'ai fait l'école Steiner qui m'a apporté beaucoup. J'ai toujours su que je devais m'exprimer par la musique.

 

Ruben Lifschitz (26 septembre 1934 - 15 mars 2016).







Comment avez-vous rencontré Ruben Lifschitz ?

J'ai rencontré Ruben alors que j'étais en deuxième année au CNSM. On m'avait dit que c'était un professeur incroyable, et je me suis rendue à une audition à Royaumont. Je lui ai chanté une Mélodie tzigane de Dvorak, il a aimé, et le courant est tout de suite passé entre nous. Par la suite, je me suis souvent rendue à Royaumont avec lui. Nous passions des semaines là-bas sans nous arrêter de travailler du matin au soir. C'était assez intense. Humainement, Ruben était un homme unique. Avec lui, on apprenait tout : le texte, le phrasé, la musique. Il poussait les chanteurs à être eux-mêmes, et à trouver leur propre voix en oubliant les modèles. Ruben m'a sensibilisée à la musique de Wolf, que je ne connaissais pas du tout. Il me donnait même des cours par téléphone. Il pouvait m'appeler pour me dire : "J'ai des idées pour un groupe de berceuses…", et je m'empressais de prendre un carnet pour noter. Peu avant sa mort, il me laissait encore des messages pour m'indiquer les programmes que je devais chanter. À la maison, j'ai des listes entières de titres pour composer des programmes, mais je n'ai pas pu encore me résoudre à y plonger depuis son décès en mars dernier. Je lui dois énormément et il me manque infiniment…

Au cours de votre récital à l'Éléphant Paname, vous avez chanté "Les Fiançailles pour rire" de Poulenc, où l'harmonie était parfaite entre votre timbre et une expression parfois assez sombre…

Ce que vous avez perçu dans les Poulenc, c'est grâce à Ruben, car c'est avec lui que je les ai tous préparés. Louise de Vilmorin, qui a écrit les textes, était une femme fantasque qui pouvait un jour jurer par "A", et le lendemain par "B". L'équilibre de ces "Fiançailles", qui sont justement "pour rire" est précisément à trouver entre la légèreté et la gravité. C'est sur cet équilibre subtil que j'ai beaucoup travaillé avec Ruben. Il adorait de Villmorin et Poulenc. Si vous pouviez voir mes partitions, elles sont constellées de notes tant il me donnait de matière pour l'interprétation. J'adore l'interprétation de Denise Duval mais il m'est impossible de chanter comme elle. J'ai donc dû réinventer Poulenc à ma façon. Pour moi, ces Fiançailles pour rire sont vraiment à la frontière du léger et du grave. Ruben avait pour habitude d'inventer des histoires invraisemblables qu'il tissait à partir des textes, et je les garde pieusement en mémoire car elles m'ouvrent sur des potentiels inépuisables. Nous avons discuté de cela avec Antoine en préparant le récital, car il a sa propre vision, et moi celle de Ruben, bien ancrée dans ma tête.

Cette gravité que vous avez su exprimer, souhaiteriez-vous la travailler davantage ?

Chiara Skerath et Antoine Palloc.  © Capucine de ChocqueusePourquoi pas ? Ma sensibilité me porte naturellement vers les personnages tragicomiques. Je crois que c'est dans cette dualité que je suis la plus à l'aise. Ma tessiture me permet d'aborder plusieurs rôles dans cet axe. Je pense, par exemple, que je chanterai un jour Mimi dans La Bohème, et peut-être aussi Liu dans Turandot. Quant à Lucia, si elle n'est vraisemblablement par pour ma voix, je me visualise pourtant très bien arriver sur scène tout ensanglantée…

Vous avez évoqué à deux reprises le pianiste Antoine Palloc. Comment l'avez-vous rencontré ?

J'étais en vacances et on m'a appelée pour me dire qu'un certain Antoine Palloc tenait absolument à travailler avec moi en vue d'un récital dans le sud de la France. Ma première réaction a été : "Mais qui est cet Antoine ?". Il m'avait entendue au Concours Reine Elisabeth et souhaitait travailler avec moi. Alors nous avons essayé de travailler ensemble et, instantanément, c'était le grand amour. Antoine est toujours à l'écoute, il est sensible, connaît parfaitement le répertoire, et je me sens bien avec lui sur scène. Ensemble, j'ai le sentiment que nous faisons de la musique.
La saison prochaine nous participerons tous les deux à une action pédagogique de l'Opéra de Paris avec deux récitals pour enfants dans le cadre des spectacles "jeune public" organisés au Studio, les 12 et 13 juin 2016. Je trouve cette démarche vraiment utile car peu de petits enfants ont l'occasion d'aller à l'Opéra. Nous devons construire un programme de trente minutes autour d'un thème ludique… Mais avant cela, je retrouverai bientôt Antoine au Couvent des Minimes. La saison prochaine, nous proposerons également un récital à l'Auditorium du Musée d'Orsay le 6 décembre à 12h30. Le programme tournera autour de Bizet, Gounod, Paladilhe, Ambroise Thomas, Félicien David et Offenbach. Il y aura aussi quelques airs d'opéras français. Antoine m'a conseillé des pièces que je trouve intéressantes, regardez !

 

[Chiara Skerath sort un carnet orné de nombreux dessins particulièrement soignés]

Vous dessinez ?

Je dessine depuis toujours en autodidacte. Dessiner me calme. Avec un crayon à la main, je suis dans mon monde, je me sens zen. Avec ma sœur, nous travaillons sur un livre pour enfants. Il sortira… Un jour !

 

Chiara Skerath à Salzbourg en 2013 : premier concert avec Marc Minkowski, entourée par Julien Behr et Rolando Villazon.

Marc Minkowski est un nom qui revient souvent dans votre biographie. On vous retrouve à ses côtés à l'Opéra Comique, à l'Opéra de Paris, à Salzbourg… Quel type d'homme et de chef est-il ?

Marc Minkowski compte effectivement beaucoup dans ma jeune carrière car il m'a déjà confié de très nombreux rôles. Marc est un chef qui laisse les chanteurs très libres. Sur scène, il dégage une énergie incroyable très communicative. Avec lui, on a envie !
Christian Thielemann m'a également beaucoup marquée. Au Festival de Salzbourg 2013, j'étais la deuxième Fille-fleur dans Parsifal. Je n'avais qu'une phrase en solo et je faisais partie du second groupe. C'était pourtant assez impressionnant car j'étais la seule non-germanophone de la distribution. J'étais censée parler allemand et j'ai appris rapidement sur le tas. Thielemann dirige d'une façon incroyable et respecte énormément les chanteurs aussi. Jamais il ne couvre la voix, en tout cas celle des chanteurs qu'il a choisis ! Je ne sais comment il était parvenu à faire que l'Orchestre de Dresde joue de façon aussi nuancée mais, de fait, c'était du Wagner sans la nécessité pour les chanteurs de pousser leur voix.
Je suis retournée à Salzbourg en 2015 avec Marc pour La Création de Haydn et j'aurais dû chanter Sophie dans Werther la même année, mais mon ventre était trop rond… Je retrouverai Marc la saison prochaine pour Don Giovanni à l'Opéra de Versailles.

 

Chiara Skerath (à gauche) dans <i>Parsifal</i> au côté de Johan Bohta à Salzbourg en 2013.  © Barbara Zeiniger

À Salzbourg, vous avez suivi le Young Singers Project. Qu'en avez-vous retiré ?

Chiara Skerath dans le rôle d'Eliza Doolittle à l'Opéra d'Avignon en 2013.  © Cédric Delestrade/ACM-Studio-AvignonEffectivement, j'ai suivi ce programme un été pendant deux mois. Je chantais presque chaque soir dans Le Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn, qui était présenté d'une façon très intelligente avec la pièce de Shakespeare, en même temps que la Première dame dans une version de La Flûte enchantée pour enfants. Parfois j'avais deux représentations par jour de telle sorte que je n'ai eu le temps de voir aucun spectacle. Je travaillais comme une acharnée. Il y avait aussi des masterclasses, ce que je déteste par-dessus tout.

Pourquoi cette aversion des masterclasses ?

À part servir à mettre en valeur les chanteurs qui les donnent, cela ne sert à rien. Que voulez-vous apprendre en une heure avec quelqu'un que vous ne connaissez pas, et qui plus est devant un public ? Ça ne sert à rien, sinon à écrire dans un CV qu'on a travaillé avec une grande figure du chant alors qu'on ne l'a côtoyée que trente minutes. C'est un point de vue très personnel, j'en suis consciente, car je connais des chanteurs qui apprécient. Moi, je suis stressée lorsque j'assiste à une masterclass. Du reste, un chanteur est toujours stressé. Et quand on doit travailler avec un artiste qu'on admire, c'est encore pire… Surtout s'il n'est pas spécialement sympa !
Pourtant, je me dois d'être honnête car j'ai adoré une masterclass avec Brigitte Fassbaender à l'Université de Vienne. Nous avons travaillé du Mendelssohn et c'était génial ! Preuve que je suis sans doute un peu excessive sur le sujet.

Le système allemand des troupes vous a-t-il tenté ?

Si la troupe est bonne, cela peut représenter une étape de carrière très intéressante. J'ai expérimenté ce système en invitée lorsque j'ai chanté Despina dans Cosi fan tutte à l'Opéra de Bern. Il y a eu treize représentations, ce qui est bien plus intéressant que chanter deux fois un rôle dans un opéra de province. À la première, vous êtes stressée, et si vous n'êtes pas concentrée lors de la deuxième représentation, c'est déjà fini ! À l'Opéra de Paris, les représentations sont nombreuses et justifient le temps de répétitions. Mais dans un petit théâtre, répéter un mois pour jouer seulement deux fois…

 

Chiara Skerath chante Norina en 2012.  © Marcel Gonzalez Ortiz



À la fin de votre "Instant musical", vous avez donné en bis un air de "My Fair Lady". Fin 2013 vous interprétiez Eliza Doolittle à l'Opéra d'Avignon. L'année suivante, on vous retrouvait dans "La Chauve-souris" à l'Opéra Comique. Souhaitez-vous ouvrir votre répertoire à des expressions musicales très différentes ?

Cette Chauve-souris à l'Opéra Comique est aussi un très beau souvenir avec d'excellents collègues que j'ai toujours plaisir à retrouver. C'était le début de ma grossesse et personne n'était au courant. Lorsque j'avais mal à la tête, mes collègues me disaient : "Tu es enceinte ?". Je répondais : "Non, non, non !".
À Avignon, j'ai chanté My Fair Lady en Français, mais je ne vous cache pas que je préfère le texte original à la traduction française, quelles qu'en soient ses qualités. Parlant de musique plus légère, j'ai également fait un concert avec orchestre à Limoges où je chantais de l'opérette viennoise. J'adore également ce répertoire qui n'est d'ailleurs pas plus facile qu'un autre. Il nécessite même de jouer davantage. Pour le futur, je ne vois pas de problème à alterner ce répertoire dit "léger" avec des œuvres plus classiques. Pour autant, je ne souhaite pas enchaîner rapidement les rôles qui n'ont rien à voir. Mais le problème ne se pose pas vraiment aujourd'hui dans la mesure où je passe le plus souvent de Mozart à Mozart ! Après avoir chanté une quinzaine de Barberine, je chante aujourd'hui Zerlina, Susanna et leurs consœurs qui correspondent à la jeunesse de ma voix. D'autres personnages m'attendent, toujours chez Mozart, mais il me faut attendre encore…



Propos recueillis par Philippe Banel
Le 11 mai 2016

 


Pour en savoir plus sur Chiara Skerath :

chiaraskerath.com

 

Mots-clés

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Chiara Skerath - My Fair Lady à Avignon

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