Tutti-magazine : Comment le chant s'est-il imposé dans votre trajectoire de pianiste ?
Antoine Palloc : Au Conservatoire de Nice où j'étais inscrit en piano, il était obligatoire de faire partie de la chorale d'enfants. Je devais avoir 6 ans et je me souviens très bien de cette prof extraordinaire qui la dirigeait et de son très vieux chien qui sentait très mauvais… Cette chorale avait ceci de particulier qu'elle participait à tous les chœurs d'enfants à l'Opéra de Nice. C'est ainsi que mes camarades et moi nous nous sommes retrouvés à chanter de nombreuses fois dans Carmen, Werther et Turandot. Je trouvais ça extraordinaire. Tous ces gens qui se déguisent, chantent, meurent, se tuent sur scène… Ma relation au chant est née ainsi.
Plus tard, mes professeurs de piano m'ont orienté vers l'accompagnement. Ce n'était aucunement une vocation mais le lien avec l'opéra me parlait… À 13 ans, par le plus pur des hasards, je suis devenu tourneur de pages des récitals donnés à l'Opéra de Nice. Et c'est ainsi que j'ai officié auprès de ceux qui allaient devenir mes idoles quelques années plus tard : Dalton Baldwin, Geoffrey Parsons, Jessye Norman, Gwyneth Jones. Je n'y connaissais rien, mais j'adorais !
Comment l'avenir s'est-il précisé ?
À la fin d'un récital de Mady Mesplé qu'accompagnait Dalton Baldwin, je suis allé le trouver dans sa loge pour faire dédicacer mon programme. En me voyant, il me demande : "Tu es jeune, que veux-tu faire ?". Et je lui réponds tout de go : "Comme vous !"…
J'ai obtenu mon premier prix plusieurs années après. À cette époque, le prix donnait droit à la gratuité de l'académie d'été. J'ai choisi de retrouver Dalton, qui a décelé mon affinité avec les voix. Après 2 ans avec lui et un détour par le Droit, il m'a invité à le rejoindre en été à Princeton où il enseignait le piano-chant. À 20 ans, me voilà parti de Nice pour arriver comme un roi à Princeton. Sur place, j'ai rapidement compris que le chant ne se limitait pas aux quatre mélodies que je connaissais mais qu'il en existait des milliards ! Je me suis mis à travailler, travailler comme un malade…
Combien de temps êtes-vous resté à Princeton ?
Deux années. En arrivant je ne savais pas un mot d'anglais et il m'a fallu mener de front pas mal de choses. Mais j'ai eu la chance de travailler avec un merveilleux prof, Glenn Parker. Je voyais Dalton beaucoup plus rarement, plutôt dans le cadre de masterclasses. Glenn Parker était un homme absolument exceptionnel. Il finissait son doctorat. Aussi, après audition, on m'a demandé d'accompagner à sa place tous les ateliers d'opéra. Et il y en avait beaucoup car, à Princeton, les étudiants montent jusqu'à cinq productions chaque année. Parallèlement, j'accompagnais le Westminster Choir qui assurait alors toutes les parties chorales pour le New York Philharmonic. Cette immersion totale et un travail d'arrache-pied ont constitué pour moi la meilleure des écoles… Nous avions aussi de nombreuses masterclasses. C'est ainsi que j'ai fait la rencontre de Martin Katz.
Et vous avez suivi Martin Katz…
Ce qu'il faisait me plaisait énormément et je l'ai suivi à l'Université de Michigan où il enseignait. Je suis resté avec lui quatre années qui ont été formatrices à tous les niveaux. Là-bas, on est sur scène en permanence avec dix récitals à assurer chaque mois. Mais on travaille en bénéficiant d'une sécurité absolue car, en tant qu'étudiant, il est possible de se relever après une erreur sans être pointé du doigt. On apprend et on avance, constamment immergé dans la pratique. J'avais choisi de ne faire que de l'accompagnement de chant. À ce titre j'accompagnais les cours de chant de quatre ou cinq profs et, au bout d'un semestre, je changeais. De fait, j'ai été sensibilisé à de nombreuses manières d'aborder l'enseignement, la voix et le chant. Tous les points de vue étaient représentés par ces profs de chant. Il y en avait de très bons, de très mauvais, des moyens, et aussi des médiocres qui ne font pas de mal… À l'époque, j'étais jeune et en plein dans l'action, mais je mesure aujourd'hui le formidable apport de ces multiples rencontres.
Votre carrière aurait pu débuter aux États-Unis…
Au bout de 4 ans, j'avais effectivement des propositions de travail dans de grands théâtres. Mais j'ai voulu rentrer en France de façon un peu arrogante et prétentieuse en me disant que je revenais riche de tout ce que j'avais acquis en Amérique. Et là, douche froide ! Je n'avais pas suivi le cursus parisien et les trois années qui ont suivi ont été horribles. Je n'avais aucune crédibilité en tant que pianiste accompagnateur et j'ai dû alors vivre d'expédients, tout en essayant de ne pas perdre ce que j'avais acquis.
Comment vous êtes-vous relevé de cette période de désenchantement ?
Mon prof, Martin Katz, était dans l'impossibilité d'accompagner un récital de Frederica von Stade à l'Opéra de Lille, et il a gentiment soufflé mon nom. Vous pensez bien que j'ai répondu "Oui, bien sûr !" avant même de réaliser que le récital était 10 jours plus tard et que je ne connaissais rien de ce que je devais jouer… Tout le temps qui me séparait du concert, de 7h à 23h chaque jour, je n'ai eu de cesse de travailler ces partitions. Je ne connaissais pas du tout ce répertoire qui me semblait extrêmement difficile par manque d'expérience…
Par bonheur, le récital a fait un triomphe. L'agent de Frederica qui se trouvait dans la salle m'a recommandé à l'Opéra de Paris, lequel m'a engagé pour donner des cours aux jeunes chanteurs de l'Atelier Lyrique. Sous Hugues Gall, cela s'appelait le CFL. Je suis resté à l'Opéra jusqu'à la fin du mandat d’Hugues Gall… Cette expérience a fait boule de neige, et peu de temps après Jennifer Larmore faisait appel à moi pour ses récitals. Je la connaissais depuis longtemps : à 13 ans je lui jetais des fleurs sur la scène de l'Opéra de Nice en lui criant "Je t'aime ! Je t'aime !". Le reste a suivi et s'est bien combiné. Je n'ai jamais dit "non" et j'ai toujours travaillé comme un dingue. Les prises de risques me motivaient… Partant de l'accompagnement, j'ai découvert les métiers de chef de chant et de répétiteur d'opéra. Mais c'est au récital que vont ma préférence et mon intérêt le plus total.
Quelles qualités trouve-t-on à la base d'une bonne relation entre chanteur et pianiste ?
Sans aucun doute l'intuition, le respect et la joie de construire ensemble, de partager et de donner. La confiance est également un élément important. Un chanteur qui ne se sent pas bien avant un récital, s'il fait confiance à son pianiste, peut faire des miracles. Cette confiance est aussi importante dans les deux sens, même si le rapport est quelque peu injuste : un chanteur qui a la gorge en feu est dans l'incapacité de chanter, alors qu'un pianiste malade peut jouer. Ce qui est magnifique dans une relation de confiance, c'est de sentir sans échanger le moindre mot quand le chanteur va respirer, ou que lui sente là où je vais ralentir. De fait, les relations les plus intéressantes se font sur la durée car le temps permet de se connaître. Tout démarre par une sorte d'explosion première qui accompagne le début d'une relation. Puis l'entente se nourrit, se développe et se construit. Un duo s'apprivoise et, parfois, se tend. Mais rien n'est plus normal si l'on avance à deux dans un même but.
La prise de risques est aussi un élément indissociable de ce rapport. Un peu comme entre deux trapézistes, lorsque l'un sort du chemin, l'autre est là pour le rattraper. Pour moi, c'est précisément ce qui fait l'intérêt de la musique vivante.
Comment vous préparez-vous au travail avec un chanteur ?
Tout dépend de la demande du chanteur : Est-ce pour un récital ? Une préparation de rôle ? Dans le but de passer une audition sans avoir beaucoup de temps pour remonter plusieurs airs déjà connus ? Mon activité s'apparente à du travail à la carte. Dans la phase de préparation personnelle, j'essaye d'envisager les respirations possibles du chanteur. Mon but est qu'il se fatigue le moins possible. Puis, arrive le moment où je ne peux pas aller plus loin sans la présence du chanteur. Un jour une chanteuse m'a dit une chose assez dure que je crois juste : "Avec certains pianistes, je ressors épuisée car ils ont besoin de se rassurer !". Mon travail, tel que je l'envisage, est tout le contraire. Le chanteur doit finir une séance avec l'assurance d'avoir travaillé, mais avec une voix fraîche et l'envie de chanter.
Lorsqu'arrive la première répétition, il n'est pas rare que je fasse des fausses notes ou que je rate une reprise tant mon attention est focalisée sur le chanteur, sa diction et sa respiration. Je pense que c'est assez comparable à la première scénique d'un chanteur qui oublie tous les mots pour peu qu'on lui demande d'aller à droite ou à gauche. Une fois la compréhension de l'autre intégrée, tout se remet en place et le plaisir est au rendez-vous.
Lorsque je fais travailler un rôle, j'apprends toutes les répliques ou je fais au moins en sorte de pouvoir les sortir. Un jour, une chanteuse m'a dit : "Essaye de ne pas chanter. Je préfère quand tu siffles…". Souvent, les réductions d'opéras pour piano ne sont pas très bien écrites et il n'est pas rare que je doive revoir certains passages. Pour cette étape, je travaille soit avec la partition d'orchestre, soit avec un enregistrement. Si le solo de hautbois ou de clarinette manque, ou que la partition n'indique pas que la ligne vocale est doublée par tous les violons, c'est très handicapant pour l'apprentissage du chanteur. Il ne doit surtout pas se retrouver avec un orchestre dont il n'avait pas prémédité les accents. Lorsque le chant est doublé par l'orchestre, il va de soi que le chanteur ne chante pas de la même façon. Bref, c'est un travail important mais passionnant car, de la sorte, ce qui paraît de prime abord injouable sur la partition piano-chant devient logique et jouable.
Votre intention est-elle différente lorsque vous accompagnez la mélodie et le lied ou des airs d'opéras ?
Sur le plan pianistique, une technique de piano reste une technique de piano que l'on aborde un lied ou un air d'opéra. En revanche, au niveau du style et du son, l'approche est différente. Ceci dit, une chose prévaut dès qu'il s'agit d'accompagner la voix lorsque l'œuvre originale est orchestrée : recréer au piano les couleurs de l'orchestre. C'est une sacrée gageure mais il est absolument passionnant de chercher à s'approcher des qualités sonores instrumentales avec les moyens qu'offre le piano. Un peu comme un peintre, il s'agit de dresser un cadre et d'appliquer des couleurs, des textures et des nuances pour soutenir le chanteur qui est au centre de la toile.
Lorsque vous accompagnez un chanteur dans des airs d'opéras, vous vous retrouvez devant une partition pour piano qui condense le plus souvent tout l'orchestre sur deux mains…
Il y a un peu de ça, et je reconnais que certaines réductions sont parfaitement injouables, ce qui frise le ridicule. C'est pour cette raison que je n'ai aucun scrupule à réécrire en fonction du son à obtenir, d'une part, et de la jouabilité, d'autre part. C'est une chose différente lorsque le compositeur a lui-même écrit la version piano. C'est le cas, par exemple, de Dialogues des Carmélites et de Pelléas et Mélisande. Ces partitions, bien sûr, sont la plupart du temps parfaitement jouables au piano, quoique certains Gounod demanderaient bien une troisième main pour jouer toutes les notes imprimées sur le papier !
Ressentez-vous une hiérarchie entre le pianiste et le chanteur sur le regard qu'on vous porte ?
Cela dépend entièrement du public. Un public connaisseur reconnaît parfaitement que, dans un Voyage d'hiver ou La Bonne chanson, pianiste et chanteur se placent à niveau égal. À l'inverse, j'ai aussi eu parfois droit à des réflexions de fin de récital du style : "Ah, mais c'était bien pour un pianiste !". Je dois avouer que j'ai la chance de travailler avec des chanteurs qui voient en moi leur égal, et nous nous situons à un commun niveau d'exigence musicale et artistique. Mais je me revois très bien rire avec Martin Katz de certains après-récitals où tout le public se retrouvait autour de la chanteuse pendant que le pianiste restait seul dans son coin avant d'aller boire une bière avec les copains.
Il faut toutefois reconnaître que les grands duos de pianistes-chanteurs tels Baldwin/Souzay, Katz/Horne ou Moore/Schwarzkopf ont fait évoluer les mentalités. De même, la revalorisation de tout le répertoire mélodique de Schubert et Brahms en récital et au disque a aidé le pianiste à exister à côté du chanteur. On s'est mis à aller écouter un duo… Aujourd'hui, je crains néanmoins qu'on fasse marche arrière. Lorsque j'ai commencé à tourner avec Jennifer Larmore, nous avions 20 dates. De nos jours, un récital est proposé le plus souvent deux ou trois fois en 3 semaines ! Il y a moins de récitals, moins de lieux pour les organiser, les directeurs sont frileux et craignent de ne pas remplir leur salle. Pourtant, je suis persuadé qu'un public connaisseur, fin mélomane, non seulement existe bien mais se montre extrêmement friand de récitals.
Les Convergences à l'Amphithéâtre Bastille ont eu un énorme succès. Le répertoire était parfois compliqué, mais le public était au rendez-vous. J'ai joué il y a 2 ans au Grand Théâtre de Genève, et il ne restait pas une seule place. Ce n'est pas dans la forme d'expression que réside le problème, mais dans la confiance que les décideurs ne lui portent plus. De plus en plus de jeunes chanteurs, je peux en témoigner, adorent la mélodie et sont prêts à la défendre quitte à prendre des risques dans des répertoires particulièrement ardus.
Pouvez-vous nous parler des relations musicales qui vous tiennent à cœur ?
Dans de nombreux cas, j'ai pu constater que je suis allé moi-même à la rencontre des chanteurs. Pour Norah Amsellem, c'est un peu différent car nous étions adolescents lorsque nous nous sommes rencontrés ! Évidemment, cette chanteuse fera toujours partie de ma vie… J'avais 13 ans quand j'ai remis à Jennifer Larmore une cassette que j'avais enregistrée pour lui montrer combien je jouais bien ! Puis, les années ont passé, nous avons correspondu et j'étais toujours un fan absolu. Lorsqu'elle chantait, j'offrais des places à mes copains pour que nous soyons plus nombreux à lui jeter des fleurs sur scène à la fin du concert. Dix ans après, elle m'appelait pour que je la dépanne au Deutsche Oper Berlin où aucun de ses pianistes ne pouvait l'accompagner. Naturellement une pareille occasion compte.
J'ai eu aussi la chance énorme d'avoir la confiance de René Massis lorsqu'il était à l'Opéra de Lyon, et c'est dans ce cadre que j'ai rencontré Karine Deshayes, Paul Gay, Ludovic Tézier, François Piolino et bien d'autres. C'est lui qui m'a fait connaître cette jeune génération de chanteurs alors que je débarquais des États-Unis.
Quant à Annick Massis, je la connaissais depuis longtemps pour l'avoir croisée sur des productions, mais c'est moi qui suis allé la trouver car je voulais travailler avec elle. Pour Annick, le récital était quelque chose de quasiment nouveau… C'est moi aussi qui ai fait le premier pas vers Mireille Delunsch. Même chose pour Nicolas Courjal, récemment.
Ceci dit, j'attache beaucoup d'importance au respect envers les duos déjà constitués. Pour rien au monde il me viendrait à l'idée de proposer mes services à un chanteur qui m'intéresse si je sais qu'il travaille déjà avec un confrère.
Il est tout de même curieux de constater que, la plupart du temps, ce ne sont pas les chanteurs qui viennent à vous…
Ce qui me pousse vers un interprète est l'envie de construire quelque chose avec une voix et une approche que je suis le premier à admirer. Les chanteurs sont des êtres extrêmement sensibles et je crois qu'ils sont très heureux quand on fait un pas vers eux en leur disant qu'on aime ce qu'ils proposent. Bien entendu, on m'a déjà répondu "non". Tous les artistes ne s'intéressent pas au récital, et d'autres travaillent déjà leur pianiste.
Vous avez été photographié par le ténor Nikolai Schukoff que vous avez également accompagné. Retrouvez-vous dans sa façon de photographier les qualités que vous appréciez chez le chanteur et l'interprète ?
Certainement dans le désir de maîtriser ce qu'il entreprend. J'avais vu de magnifiques photos d'Isabelle Cals qu'il avait réalisées, ainsi que des portraits d'autres chanteurs, et je lui ai demandé s'il accepterait de me photographier. Je pense, que pour lui, l'intention est la même qu'il s'agisse de maîtriser la voix ou de maîtriser son appareil. Nikolai travaille toujours dans un but de perfection envers le public, ce qui le pousse à être exigeant, mais toujours dans la joie, et sans se départir de la notion de jeu.
Quelle place tient l'enseignement dans votre vie ?
Enseigner est un privilège. J'ai conscience d'avoir commencé à enseigner à très haut niveau beaucoup trop jeune, à une époque où mes épaules n'étaient pas assez larges. Mais, une fois de plus, j'ai travaillé sans relâche pour progresser et ça a fonctionné.
Tous les profs que j'ai rencontrés m'ont enseigné la liberté. Une liberté qu'on atteint une fois acquise la totalité de l'exigence que nous demande une partition. Ces profs étaient très durs et très exigeants. De mon côté, j'essaye de me situer dans cet axe vis-à-vis de mes élèves mais je suis souvent triste de constater que, pour de nombreux jeunes, l'exigence et la perfection dans le respect de la partition ne sont plus des critères. Un tel comportement mène tout droit à de cruelles déceptions lorsque ces jeunes chanteurs seront engagés pour une vraie production car ils vivront un vrai cauchemar. Ou alors cette génération d'interprètes sera grise, dans ce que j'appelle "l'à peu près".
Notre époque exige du jeune, du vite et du joli. Lorsque Callas débutait dans un rôle, un chef comme Tullio Serafin la faisait travailler 2 mois avant sa prise de rôle. Aujourd'hui, le chanteur arrive, il doit chanter sublimement bien dès le début et doit ensuite le demeurer au fil des séances de travail. Toute la préparation doit donc être réalisée en amont et nombreux sont ceux qui, à mon avis, ne le réalisent absolument pas. Sans doute le système des conservatoires intègre-t-il trop de gens qui ne peuvent prétendre à une véritable carrière de chanteur. Sans parler du manque de culture de tous ces jeunes prétendants au statut d'interprète. Cela me terrorise ! Nicolas Courjal me disait hier à propos de ses deux petits garçons qui font de la musique : "Ils ont envie d'être mais ne savent pas ce que ça demande…". Parlant de jeunes enfants, tout va bien. Mais je crois que la justesse de cette constatation se vérifie toujours une fois que les enfants ont grandi. Or à 25 ans, il est trop tard. À quoi bon faire croire à des élèves de 28 ans qu'ils ont encore toute chance de réussir alors que leur carrière devrait déjà être commencée depuis longtemps ? On vole des années de vie à des jeunes qui finissent tôt ou tard par déchanter.
Vous allez bientôt enseigner à de jeunes chanteurs russes…
Effectivement, et je me réjouis vraiment de faire découvrir prochainement trois opéras français à de jeunes chanteurs russes. L'Opéra de Monte Carlo accueille cette académie pour la première fois, et pendant trois semaines, nous aborderons les classiques du répertoire : Werther, Carmen et Faust. De telles initiatives me passionnent car elles me donnent l'occasion de sensibiliser les jeunes interprètes au style et au goût français.
Vous êtes très impliqué dans la programmation de L'Instant Lyrique…
Richard Plaza, le Directeur artistique de L'Instant Lyrique, est un ami d'enfance. Nous étions ensemble au Conservatoire de Nice. Avec Franck Ferrari, nous formions un trio d'amis dont j'étais le benjamin.
L'idée des récitals est venue à Richard il y a un peu plus de 2 ans. Nous avons commencé par proposer des concerts dans un grand hôtel parisien, avant de nous installer à l'Éléphant Paname qui nous a accueillis très gentiment, et c'est notre seconde saison dans le très bel hôtel particulier de la rue Volney. Nous avons commencé avec peu de moyens en faisant appel aux copains qui, tous, ont dit "oui" avec une énorme gentillesse : Nathalie Manfrino, Karine Deshayes, Anne-Sophie Duprels, Isabelle Cals… Tous les artistes ont joué le jeu et aujourd'hui, L'Instant Lyrique commence à être connu en même temps qu'il parvient à se structurer.
Pour ma part, j'ai tenu à ce que nous puissions chaque année aider un jeune chanteur à se faire connaître. L'année dernière nous avons proposé un récital avec le ténor Manuel Nunez Camelino, et cette année, le 7 mars, ce sera la soprano Chiara Skerath. Voilà encore une très belle rencontre que la vie m'a réservée.
Depuis l'an dernier L'Instant Lyrique a un partenariat avec le complexe hôtelier Le Couvent des Minimes, ce qui nous permet de doubler certains récitals en les proposant aussi en Provence. Mon souhait est que L'Instant Lyrique continue sur sa lancée et soit accompagné d'une reconnaissance de la marque comme synonyme de qualité. De même, je pense qu'il faudrait conserver le côté intimiste de belles salles à taille raisonnable qui siéent si bien à la forme récital.
La saison dernière, vous avez proposé avec Annick Massis un récital à l'Amphithéâtre Bastille dans le cadre des Convergences programmées par Christophe Ghristi. Quel souvenir gardez-vous de ce moment ?
Ce concert n'était pas comme les autres. Du plus futile au plus émouvant et profond, toutes les émotions s'étaient donné rendez-vous. Annick et moi sommes arrivés sur scène et là, avant même de commencer, de longues minutes d'applaudissements nous accueillaient. Quelle émotion ! Rendez-vous compte qu'Annick a été obligée de faire un petit signe de la main pour que le public cesse d'applaudir ! Dans un tel moment, comment ne pas se dire "je suis en train de vivre quelque chose" ? Nous étions galvanisés par cet accueil incroyable. Annick me regardait avec ses grands yeux pleins de tendresse, et moi je lui répondais d'un signe de la tête : "Ben oui !".
Nous avons souvent reparlé de ce Récital, et une chose en particulier nous revient à l'esprit : le programme commençait par des mélodies de Messiaen où personne n'attendait Annick. Et le succès était au rendez-vous ! Une chose que j'adore est la construction d'un récital. Le programme doit pouvoir répondre à ces questions : Quel est le répertoire du chanteur ? Où est-il attendu ? Que peut-on proposer pour surprendre et le mettre davantage en valeur ? Le joaillier tente de trouver la monture à même de mettre en valeur le diamant qu'on lui a confié. Mon but est de faire de même avec le chanteur.
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 23 septembre 2015
Pour en savoir plus sur Antoine Palloc :
antoinepalloc.com