Hänsel et Gretel est pour la première fois à l'affiche de l'Opéra Garnier. La mise en scène a été confiée à Mariame Clément et 8 représentations seront données du 14 avril au 6 mai 2013. L'opéra d'Engelbert Humperdinck sera diffusé par FRA Cinéma et UGC dans les salles de cinéma dans le cadre de Viva l'Opéra ! le 22 avril. Andy Sommer réalisera cette captation…
Tutti-magazine : Vous répétez actuellement Hänsel et Gretel à l'Opéra Garnier. Comment se déroule votre travail avec Mariame Clément qui assure la mise en scène ?
Anne-Catherine Gillet : Les répétitions se déroulent au mieux car Mariame est quelqu'un d'éminemment sympathique et sa manière de travailler allie la compétence à un vrai professionnalisme. Elle se montre attentive en demandant constamment aux chanteurs s'ils se sentent à l'aise dans ce qu'elle propose et son regard sur nous est quasiment maternel. Mariame et moi sommes pourtant d'une même génération et toutes deux nous avons des enfants. Mais je sens parfaitement que je peux compter sur elle si je me sens perdue. Travailler avec elle est vraiment très confortable.
Avoir des enfants fait-il de vous une chanteuse différente ?
Je pense qu'il s'agit plus d'un aspect de génération. Aujourd'hui, les jeunes chanteuses ont des enfants et n'envisagent pas que cela ne puisse pas être possible. Or tel n'était pas le cas dans les années 1970. Il est maintenant admis qu'on puisse mener une carrière de chanteuse avec passion sans pour autant que le chant soit l'unique objet de votre vie.
Comment pouvez-vous définir la mise en scène de Mariame Clément pour son Hänsel et Gretel ?
Ce que vous me demandez est à la fois simple et compliqué car je suis persuadée que cette mise en scène parlera d'elle-même lorsque vous la verrez et qu'il est bien plus compliqué de la décrire par des mots. En tout cas, je la perçois comme était très visuelle. Lorsque Mariame nous a expliqué son optique de travail il était très clair qu'elle souhaitait s'adresser à tous les publics, aux enfants, comme aux adultes. Ce qu'elle propose tient à la fois de la dimension du rêve et de l'imaginaire des enfants, mais aussi d'un aspect freudien. Sur scène ces différentes directions sont représentées simultanément.
Comment décrire votre Gretel dans cet univers ?
Ce personnage est tellement défini dans l'écriture d'Humperdinck que, contrairement à d'autres rôles, je n'ai pas eu besoin de recourir à quoi que ce soit d'autre que l'imaginaire. D'autant que dans cette production ni Gretel ni Hänsel n'évoluent dans une dimension concrète. Lorsque nous disons que nous allons chercher des fraises dans les bois, nous restons en fait dans notre chambre et c'est notre imagination qui chemine. Comme le précise la partition, Gretel est une enfant et il m'a été facile de prendre comme modèles mes propres enfants de 7 ans et demi et de 11 ans et demi. J'ai retrouvé, en jouant Gretel, des scènes similaires à celles qui se déroulent à la maison : la mauvaise foi, les bagarres qui naissent pour rien, les disputes qui reprennent de plus belle après les réprimandes… Tout cela est écrit dans la partition et la mise en scène de Mariame Clément respecte cela tout à fait.
Julia Hansen a dessiné pour votre rôle une jolie robe de petite fille. Comment vous sentez-vous dans ce costume ?
Ce costume est on ne peut plus confortable. De plus, je comprends parfaitement son esthétique qui s'accorde avec l'optique de la mise en scène. Je serais certainement vêtue de façon plus grossière si Hänsel et moi devions vivre à la campagne est aller marcher dans les bois. Mais nous évoluons dans des pièces assez bourgeoises et les vêtements d'intérieur ou de nuit que nous portons sont cohérents avec cet univers. L'épisode de la rencontre avec la sorcière n'est pas situé dans un cadre très précis et on ne sait trop dans quelle dimension il se déroule. De fait, je trouve ces costumes assez bien vus car ils participent aussi bien à soutenir une forme de réalité qu'un aspect rêvé aux contours assez imprécis.
Le costume que vous portez vous aide-t-il à incarner cette petite fille ?
Il m'aide d'autant que ma poitrine sera dissimulée afin de me donner une silhouette la plus enfantine possible. Ne pas porter de chaussures à talons et être vêtue d'un costume qui n'est pas spécialement féminin et dont la taille n'est pas marquée aide bien entendu à se fondre dans ce personnage d'enfant.
La mezzo-soprano Daniela Sindram chante le rôle de Hänsel à vos côtés. Comment se passe cette collaboration artistique ?
Nous ne nous connaissions pas du tout et nous nous sommes rencontrées pendant les répétitions. Je pense que c'est une chance qu'elle ait déjà chanté le rôle de Hänsel car elle m'a emmené dans son univers, moi qui découvre Gretel. Deux chanteuses débutant dans ces rôles auraient sans doute apporté d'autres choses. Mais je constate que, de jour en jour, nous improvisons certains passages et cela me réjouit beaucoup car, comme des enfants, l'une propose quelque chose et l'autre répond. Cela apporte une vraie spontanéité à cette relation et parfois cela se termine en fou rire comme hier soir, à la fin d'une journée particulièrement longue qui nous a laissées un peu fatiguées. Au niveau de l'harmonie de nos voix, cela est difficile pour moi de juger, mais je pense que les timbres sont bien assortis.
Vous êtes dirigée par Claus Peter Flor, qui fait ses débuts à l'Opéra de Paris. Quel chef est-il pour les chanteurs ?
Claus Peter Flor est un phénomène en ce sens qu'il est continuellement immergé dans la musique. Lorsque vous le croisez, il porte toujours un casque sur les oreilles et vous le trouvez en train de diriger en dehors des répétitions. J'avais déjà travaillé avec lui à Toulouse et je me souviens que cela m'avait déjà marquée. Il était toujours assis à la table d'un café tout près du Théâtre du Capitole, le casque sur ses oreilles, en train d'étudier ses partitions. En travaillant avec lui j'ai l'impression qu'il se livre à une recherche permanente. Lorsqu'on lui pose une question et qu'il semble répondre "non" spontanément, on peut souvent constater ensuite qu'il aura réfléchi pour aboutir à une autre proposition. C'est parfois un peu déroutant de ne pas savoir tout de suite, par exemple, s'il est possible d'accélérer un peu le tempo. Mais il faut reconnaître qu'une évolution se produit ensuite… C'est d'ailleurs cette constante évolution qui caractérise le mieux son travail de chef d'orchestre.
Constitue-t-il pour vous un repère important lorsque vous êtes sur scène ?
Comme il le dit lui-même, nous devons plus nous sentir que nous regarder. Ceci dit, au fil des répétitions, je sais à quoi je dois me montrer attentive et à quels moments il faut que je le regarde absolument car nous ne sommes pas spontanément sur la même longueur d'onde. Mais, la plupart du temps, nous parvenons à nous accorder de façon naturelle. Cet aspect évolue généralement de représentation en représentation.
Huit représentations de Hänsel et Gretel sont programmées à l'Opéra Garnier entre les 14 avril et 6 mai. La 4e représentation, le 22 avril, sera filmée pour être diffusée en direct dans les salles de cinéma. Allez-vous aborder cette soirée différemment des autres ?
Cette soirée ne devrait pas changer grand-chose au fond, mais il est impossible de ne pas penser que je serai filmée et vue par des spectateurs installés dans les salles de cinéma. D'un côté le stress risque d'être plus important, mais de l'autre je chanterai sur scène comme pour n'importe quelle autre représentation… Il est vrai aussi que nous allons avoir un peu de temps auparavant pour nous préparer. Par exemple, nous porterons des micros à la générale et pendant une autre représentation afin de nous habituer et être prêts pour la captation. J'envisage du reste cet événement comme relié à la préparation habituelle d'un opéra qui nous entraîne des répétitions à la générale, puis de la première aux représentations qui suivent. Disons que je place cette captation comme faisant partie intégrante de cette trajectoire.
Que pensez-vous de cette façon de découvrir un opéra, un concert ou un ballet dans une salle de cinéma ?
Je pense que le fait de simplifier la démarche du spectateur et de rendre plus facilement accessible la musique est excellent. De nombreuses personnes ne viendraient sans doute pas à l'Opéra pour un ensemble de raisons, à commencer par le prix des places. De même, si Hänsel et Gretel se présente comme un spectacle tout public, certains parents peuvent craindre d'emmener leurs enfants à l'Opéra de peur qu'ils ne fassent du bruit et dérangent les autres spectateurs. Ils peuvent se sentir plus à l'aise dans un cinéma et peut-être moins intimidés aussi. Mais pour un chanteur, la captation peut aussi être assez redoutable car elle tend à ne plus autoriser le droit à l'erreur.
Quatre ans après vos débuts à Orange dans Cavalleria Rusticana, vous retournez aux Chorégies en juillet prochain. Quels souvenirs gardez-vous de votre rôle de Lola sous la direction de Georges Prêtre ?
La première sensation qui me vient à l'esprit en repensant aux Chorégies d'Orange, c'est la démesure. Le gigantisme du lieu, de la production, du décor et de l'organisation nécessaire à la mise en place d'un tel événement. Je me souviens aussi parfaitement d'une autre image : Roberto Alagna signant des programmes à la fin du spectacle. La file de gens qui attendaient pour obtenir une dédicace était interminable. Ils étaient prêts à attendre pendant des heures… Oui, Orange c'est la démesure, mais c'est aussi la fête.
Chanter en plein air à Orange vous demande-t-il un effort particulier ?
Lola n'est pas un rôle très important mais il a été suffisant pour me rendre compte que le son se diffusait un peu partout et il m’a fallu trouver des repères très différents de ceux auxquels je suis habituée dans un théâtre. Habituellement, le son revient au chanteur. À Orange, on sent parfaitement la projection, mais aucun son ne revient. C'est assez particulier…
Les 3 et 6 août prochains vous chanterez Oscar dans Un Bal masqué de Verdi dirigé par Alain Altinoglu. Vous retrouverez Jean-Claude Auvray qui vous avait déjà dirigée à Orange dans Cavalleria Rusticana. Comment envisagez-vous ce rendez-vous ?
J'envisage vraiment ce Bal masqué en toute confiance. J'ai effectivement déjà travaillé avec Jean-Claude Auvray à plusieurs reprises et je sais que c'est un metteur en scène qui montre du respect pour ce qu'il fait. Il prépare beaucoup son travail et se montre aussi à l'aise avec la partie théâtrale que respectueux envers les partitions. Nous nous entendons bien.
Jean-Claude Auvray parle de ce futur Bal masqué comme sa déclaration d'amour au théâtre. Que pouvez-vous dire de sa façon de travailler ?
Jean-Claude est un passionné dont l'énergie semble entièrement vouée au théâtre. Lorsque nous avons travaillé ensemble sur Dialogues des carmélites, je me souviens qu'il avait rassemblé de nombreux documents sur la vie des carmélites. Je les ai lus et je peux vous dire que sa recherche sur le sujet était impressionnante.
En tant que chanteuse, comment percevez-vous la théâtralité des rôles d'opéras ?
Tout d'abord, je ne me considère pas comme une comédienne car je n'ai absolument pas appris le métier d'acteur. C'est en chantant que j'ai pu approcher la dimension théâtrale de l'opéra. Mais l'opéra est effectivement le mariage du chant et du théâtre et le but est de parvenir à ce que ces deux aspects s'équilibrent. D'autant que notre époque attache une grande importance à l'aspect visuel. Je pense qu'il est maintenant très difficile pour un chanteur de ne pas ressembler au rôle qu'il prétend jouer.
Est-il difficile de parvenir à trouver l'équilibre entre le chant et le théâtre ?
Je dirais plus que je dois veiller à ce que des postures naturelles ne viennent pas prendre la place de ce qui a été travaillé en répétitions. Lorsque je commence à construire un rôle avec un metteur en scène, je suis totalement dans ce rôle et impliquée au point que je ne pense pas vraiment aux représentations. Puis, vient le moment où il est important de se rappeler que le public doit pouvoir entendre ce que je chante et, donc, d'orienter le travail dans cette optique, quitte à perdre parfois un peu de naturel.
N'est-ce pas au metteur en scène que revient la responsabilité de travailler dans ce sens et d'éviter d'imposer aux chanteurs des postures qui ne leur permettent pas de se faire entendre convenablement ?
Ce n'est pas toujours si évident car, aujourd'hui, certains metteurs en scène pensent que les chanteurs sont capables de tout faire. Refuser de faire certaines choses n'est pas si simple. Il faut comprendre qu'un chanteur puisse être confronté à la crainte de ne plus être rappelé par un théâtre parce qu'il a refusé de se livrer à la cabriole qu'on exigeait de lui. Pour ma part, j'aime à penser qu'on m'apprécie plus pour mes qualités de chanteuse que pour ma capacité à faire le grand écart ou courir le 100 mètres…
Le rôle d'Oscar est travesti. Cela demande-t-il une préparation particulière ?
Je n'ai pas beaucoup chanté de rôles travestis jusqu'alors. Aujourd'hui, je peux m'imaginer le caractère d'Oscar même s'il est un peu en retrait de son maître. Il lui est fidèle, il se montre un peu taquin et fier et il cherche les embrouilles comme un adolescent. Mais c'est à Orange avec Jean-Claude Auvray que je construirai vraiment le personnage d'Oscar.
Entre autres nouveaux rôles, vous projetez de chanter Manon, Gilda et Traviata dans les prochaines années. Y a-t-il derrière ces prises de rôles une évolution de carrière réfléchie ?
Il arrive qu'une demande de maison d'opéra puisse représenter l'occasion pour aborder un rôle. Parfois la situation est surréaliste. Par exemple, il y a 15 ans, on m'avait déjà proposé le rôle de Manon. Bien sûr, j'avais répondu "non". Mais l'opportunité de chanter Manon se présente à nouveau dans 2 ans et je pense que c'est peut-être le bon moment. Quoi qu'il en soit, je prépare ces rôles à venir et me pose très souvent la question de savoir si le moment est réellement venu pour moi de les chanter. C'est d'ailleurs du travail que viennent les meilleures réponses.
Comment vous familiarisez-vous avec les nouveaux rôles ?
Je procède par couches. Tout d'abord, j'écoute l'œuvre, puis je fais du "yaourt" sur la partition. C’est-à-dire que j'essaye de chanter sans être très précise sur les notes ou la langue. À ce stade, je peux utiliser un disque. Lorsque je pense que le rôle peut convenir à ma voix j'entame un vrai travail sur la partition. Si je ne suis pas familière avec la langue, je traduis la totalité du texte afin de bien m'en imprégner tout en écoutant toujours beaucoup la musique. Je construis ensuite un plan sur lequel je note tous mes airs, les duos, les ensembles auxquels je participe et j'étudie tout cela vocalement. Je montrerai successivement le résultat de ce travail personnel à des pianistes, puis à mon professeur de chant et à un chanteur belge que je considère un peu comme mon coach. Lorsque cela est possible, je préfère apprendre un rôle en plusieurs fois. Par exemple, j'ai commencé à travailler le rôle de Gilda il y a 2 ans, pour le reprendre 1 an plus tard, puis 6 mois avant de le laisser au repos. En ce moment Hänsel et Gretel accapare tout mon temps et, bien sûr, cela m'oblige à laisser momentanément les rôles que je prépare.
Deux ans est-il pour vous le temps idéal pour apprendre un rôle ?
Tout dépend, car il peut y avoir des propositions qui surviennent et que je considère comme des opportunités pour lesquelles je n'hésiterai pas à mettre les bouchées doubles. Dans ce cas, je n'aurai pas 2 ans pour me préparer, mais plutôt 6 mois. On vient justement de me proposer Les Pêcheurs de perles. Ce sera pour dans 6 mois si le contrat est signé…
Quels sont vos grands rendez-vous à venir ?
Rigoletto fait partie de ces rendez-vous importants. Ce sera à La Monnaie en mai 2014 dans une mise en scène de Robert Carsen. Manon est prévu en 2015. Il y aura aussi Les Pêcheurs de perles, et je dirais que le calendrier est bien fait car la proposition qu'on m'a faite pour dans 6 mois ne fait que devancer la production à venir plus tard pour laquelle j'avais déjà signé. J'ai également rendez-vous avec La Traviata. Ce sera un cap important car autant je me dis que vocalement, ce rôle peut me convenir, autant il m'impressionne…
Comment expliquez-vous cet attrait pour La Traviata auprès de la majorité des sopranos ?
En ce qui me concerne, au départ je ne me sentais pas spécialement attirée par ce rôle. Puis, il y a 4 ans, à Orange, j'ai regardé le documentaire qui était proposé avant La Traviata avec Patrizia Ciofi. On y retraçait la vie de Marie Duplessis. Et c'est là que j'ai pris conscience de la richesse du personnage et du contexte qui l'entoure. Depuis 4 ans, je m'intéresse à son histoire au travers de romans et de biographies et je peux dire maintenant que l'aspect théâtral de ce rôle m'inspire beaucoup. C'est sans doute grâce au travail de recherches que Jean-Claude Auvray avait partagé avec moi pour Dialogues des carmélites et qui m'a fait comprendre la bouleversante réalité historique derrière les personnages de scène que je suis aujourd'hui sensible de cette manière à Marie Duplessis. C'est ainsi que, jour après jour, je nourris ce personnage et me l'approprie au gré des informations que je recueille et des questions que je me pose. La Traviata sera à n'en pas douter un rendez-vous important…
Propos recueillis par Philippe Banel
Le 6 avril 2013